POC numéro 69 fasicule 1/2 - Paolo Dall’Oglio
12 pages
Français

POC numéro 69 fasicule 1/2 - Paolo Dall’Oglio

-

YouScribe est heureux de vous offrir cette publication
12 pages
Français
YouScribe est heureux de vous offrir cette publication

Description

7ඣආඈංඇൺൾ ൾඍ ඌൾඋඏංർൾ 3ൺඈඅඈ 'ൺඅඅ¶2අංඈ 8ඇൾ ඏඈංඑ ඊඎං ൽඣඋൺඇൾ 4XHOTXHV WpPRLJQDJHV 1 7KRP 6ංർංඇ En juillet 2013, le père jésuite Paolo Dall’Oglio s’est rendu en Syrie, après en avoir été expulsé, pour chercher à faire libérer des 2 otages des mains des jihadistes de Raqqa . Il n’en est jamais revenu. Il est probable qu’il fut tué, mais aucune preuve crédible n’a été fournie jusqu’ici. À l’occasion des 5 ans de sa disparition, plusieurs cérémonies ont été organisées pour se souvenir de lui et pour lui rendre hommage. Paolo a été admiré. L’université de Louvain lui a accordé un doctorat honoris causa. Les raisons de cette admiration qu’il suscite sont nombreuses et FRQFHUQHQW GL൵pUHQWHV IDFHWWHV GH VD SHUVRQQDOLWp ,O \ D WRXW G¶DERUG la vie religieuse, la théologie, le dialogue et les prises de position 1 Membredu comité de rédaction dePOCet directeur du centre d’études et d’interprétation du fait religieux (CEDIFR). 2 Jésuite d’origine italienne, entré en 1975 dans la Compagnie de Jésus. Il commence son noviciat à Rome et le termine à Beyrouth, tout en commençant des études universitaires en langue arabe et en études de l’islam à l’université Saint-Joseph de Beyrouth au Liban, puis à Damas. En 1982, il découvre les ruines du monastère syriaque de Moussa l’abyssin où il trouve un endroit de solitude religieuse pour se retirer du monde et s’engage à le restaurer. Il est ordonné prêtre en rite syriaque catholique en 1984.

Informations

Publié par
Publié le 01 octobre 2019
Nombre de lectures 57
Langue Français

Extrait

TOáÈ È ŝÈRVÇÈ
PàôLô DàLL’OGLIô: UNE VôIx ûI ÉàNGE Quelques témoignages
1 Thom SICkING
En juillet 2013, le père jésuite Paolo Dall’Oglio s’est rendu en Syrie, après en avoir été expulsé, pour chercher à faire libérer des 2 otages des mains des jihadistes de Raqqa . Il n’en est jamais revenu. Il est probable qu’il fut tué, mais aucune preuve crédible n’a été fournie jusqu’ici.
À l’occasion des 5 ans de sa disparition, plusieurs cérémonies ont été organisées pour se souvenir de lui et pour lui rendre hommage. Paolo a été admiré. L’université de Louvain lui a accordé un doctorat honoris causa. Les raisons de cette admiration qu’il suscite sont nombreuses et concernent diérentes facettes de sa personnalité. Il y a tout d’abord la vie religieuse, la théologie, le dialogue et les prises de position
1  Membre du comité de rédaction dePOCet directeur du centre d’études et d’interpréta-tion du fait religieux (CEDIFR). 2  Jésuite d’origine italienne, entré en 1975 dans la Compagnie de Jésus. Il commence son noviciat à Rome et le termine à Beyrouth, tout en commençant des études univer-sitaires en langue arabe et en études de l’islam à l’université Saint-Joseph de Beyrouth au Liban, puis à Damas. En 1982, il découvre les ruines du monastère syriaque deMoussa l’abyssin où il trouve un endroit de solitude religieuse pour se retirer du monde et s’engage à le restaurer. Il est ordonné prêtre en rite syriaque catholique en 1984. Il poursuit alors ses études de langue arabe, de théologie et de l’islam et obtient des diplômes de l’université de Naples, de l’institut pontical oriental et de l’université ponticale grégorienne. Sa thèse de doctorat, défendue à la Grégorienne, a pour sujet « l’espérance en Islam ». En 1992, il fonde une communauté religieuse œcuménique mixte: la communautéal-Khalill’ami de Dieu », nom biblique et coranique du (« patriarche Abraham). En 2012, il quitte la Syrie, obéissant à un ordre du patriarche syriaque catholique pris sans doute sous la pression politique.
Proche-Orient Chrétien 69, 2019, 72-83
Paolo Dall’Oglio : Une voix qui dérange
7
3
politiques. D’ailleurs, il y a été attaqué pour ses prises de position aussi bien théologiques que politiques. Mais il y a aussi l’homme qui a su faire renaître une très ancienne tradition propre au désert: la vie monastique.
Il est évident que la gure de Paolo a dérangé de nombreuses personnes, dérangement parfois fort utile puisqu’il oblige les uns et les autres à remettre en question leurs positions pour faire avancer le dialogue.
Dans les témoignages qui suivent, il ne s’agit pas de discuter les diverses prises de position de Paolo ni d’exprimer l’accord ou le désaccord avec ses prises de position. Il s’agit plutôt de dresser le portrait de Paolo et de montrer comment une pareille gure peut porter beaucoup de fruits, justement à cause du courage de ces diverses prises de position.
J’ai vécu personnellement durant deux ans avec lui, au moment où il faisait ses études d’arabe à Beyrouth avant ses études de doctorat et avant son long séjour en Syrie. Les exigences qu’il s’imposait m’ont impressionné. Pour connaître l’arabe, par exemple, il ne voulait parler que l’arabe et exigeait cela aussi des autres membres de la communauté. Il était dérangé par notre communauté assez largement francophone. Parler français entre nous était pour lui presqu’une trahison envers le monde arabe et musulman où nous vivions. Il a un caractère de fonceur qui dérange ainsi, tout en provoquant aussi l’admiration. Ce caractère l’a accompagné dans tout ce qu’il faisait.
Les nombreux articles écrits sur lui insistent sur ses positions dans le dialogue théologique islamo-chrétien, sur sa volonté d’être profondément chrétien – et jésuite, on l’oublie parfois – tout en admirant l’islam et en cherchant en quelque sorte à intégrer une spiritualité musulmane dans sa façon de vivre le christianisme. Il est dommage que l’on mentionne si peu son engagement envers l’Église syriaque catholique qui fait aussi partie de ses choix de vie. Le livre, plein d’anecdotes, de Guyonne de Montijou, donne la parole à Paolo lorsqu’il se prépare à son ordination sacerdotale:
Je souhaitais que ce service (du sacerdoce) soit acculturé, qu’il prenne appui sur la tradition de cette région: je voulais m’adosser à une Église d’Orient plutôt qu’à l’Église latine. Faire partie d’une Église locale, apostolique, ayant survécu à la prophétie coranique,
7
4
Thom SÇK
cohabitant avec elle et gardant l’empreinte de la Terre sainte, la terre d’origine des monothéismes m’attirait. Parmi les rites chaldéen, arménien, maronite, byzantin et syriaque qui se trouvaient à Damas, il me fallait choisir. Pendant des mois je cherchais le rite qui porterait le mieux mon sacerdoce. La beauté du byzantin me t pleurer les larmes de mon corps. Il était trop magnique pour moi! Chez les syriaques, je fus frappé de voir que les prêtres prêchaient avec le même rythme, qu’ils créaient des images de la même manière que les cheikhs musulmans. La racine commune des deux traditions s’avérait en moi. Contrairement aux autres, la liturgie syriaque n’avait pas transité par la langue grecque: son génie propre était resté intact au l des âges. 3 J’allais devenir un syriaque catholique .
Depuis le début de sa vocation religieuse, Paolo voulait entrer dans le monde de l’islam. Tous ses choix étaient orientés vers cet objectif. Et il n’y avait pas pour lui de compromis. C’est ce caractère entier qui lui a permis de réaliser ce qu’il a fait et qui a été aussi à l’origine de conits.
er Le jeudi 1 novembre 2018, lors de la rencontre en hommage au père Paolo, organisée à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, trois discours ont dit l’importance d’une gure comme le père Paolo : celui du père Sélim Daccache, recteur de l’Université, celui de Mgr Khaled Akasheh, chef du bureau pour l’islam au sein du Conseil pontical pour le dialogue interreligieux au Vatican ainsi que le discours du père Dany Younés, supérieur provincial des jésuites du Proche-Orient et du Maghreb. L’avantage de ces discours est que chacun des orateurs situe de façon personnelle la gure de Paolo. Ils disent, chacun à sa façon, ce que Paolo a représenté pour chacun d’entre eux. Voici de larges extraits de ces discours.
PRÈ ŝá áÇÇáÇHÈ: UÈ VÈ RÈ ’ŝá áUX ÇHRÈŝ E VÈRŝ UO Èŝ ÈRáÈ-- ?
Paolo a été et est toujours, pour moi et pour nous jésuites du Proche-Orient, un compagnon, voire un frère jésuite, certes parfois pas commode pour ses idées et son engagement à tous vents. Mais nous
3 Guyonne DÈMOOU,Mar Moussa. Un monastère, un homme, un désert, Albin Mi-chel, 2006, p. 81.
Paolo Dall’Oglio : Une voix qui dérange
7
5
l’admirions et nous l’admirons toujours pour son caractère entier, pour sa voix forte, pour sa détermination de changer le cours des choses, de redonner vie non seulement à un couvent,mar Moussa al-Habchi, délaissé et en décombres depuis des siècles, mais aussi de relever un monarchisme à un érémitisme perdu et à une vie ecclésiale plongée dans la routine et les apparences.
Paolo Dall’Oglio fut une voix, mais une voix forte qui dérangeait, qui nous dérangeait parfois comme celle de certains prophètes dont le destin était de parler, d’élever la voix, de rugir contre les injustices et de crier pour le bien. Une voix qui appelle à la transformation des cœurs et des esprits, une voix qui annonçait les temps nouveaux car la Parole divine s’est approchée et va naître dans les cœurs de beaucoup, une voix qui, à la n, faisait peur et n’était plus acceptée car elle mettait en cause des comportements et des injustices. Qui de nous ne se rappelle cette voix si profonde qui martelait les mots et les lettres, tant en langue occidentale qu’en langue arabe, si appréciée et si aimée par le père Paolo, car elle est la parole de l’autre diérent, à la langue si diérente. Une voix radicale qui n’accepte pas les solutions à bas prix. N’est-ce pas lui qui aurait dit: « Je ne veux pas vivre une vie qui soit autre chose qu’un don radical, à vie, à mort ».
Lors d’une soirée où on était cinq ou six jésuites, le père Paolo participait comme d’habitude avec enthousiasme à la discussion: l’on parlait en français, mais lui, engagé qu’il était, s’exprimait exprès en arabe, d’une part pour s’exercer à le parler et d’autre part, pour transmettre un message. Si vous voulez vivre dans ce monde arabe et être présents à ses dicultés et ses drames, à ses heures de joie et de tristesse, il faut parler et montrer sa solidarité avec les peuples de ce monde, parler leur langue, la langue arabe et l’adopter. Ce qui exaspérait certains occidentalistes parmi nous.
Paolo Dall’Oglio était un amoureux de l’autre. La grande question de Paolo, celle qu’il n’a jamais cessé de porter, était la suivante: que vient dire l’islam aux chrétiens ? Et par là même: vers quoi entraîne-t-il le christianisme ? À la suite de Charles de Foucauld et de Louis Massignon, ses deux grands maîtres spirituels, Paolo pensait que la religion musulmane, par le mystère qu’elle posait aux chrétiens, poussait l’Église vers une plus forte radicalité dans l’imitation du
7
6
Thom SÇK
Christ, vers plus d’humilité, d’esprit d’accueil et de service. Je le cite : « Le mouvement vers l’autre est plus un pèlerinage, unhadj, qu’une campagne missionnaire, encore moins une croisade ». Les échanges quotidiens avec les nombreux musulmans qui venaient au monastère, les séminaires interreligieux, la vie quotidienne, témoignent de ce dialogue fructueux.
Rappelons-nous que Paolo, malgré sa voix forte et puissante, était un homme de dialogue au vrai sens du mot. À propos de la guerre de Syrie, il disait :
Pour des raisons qui ont à voir avec l’engagement de ma vie, cette guerre civile ne porte pas seulement atteinte aux conditions minimales de vie pour les chrétiens orientaux, mes frères, qui se trouvent piégés entre deux camps, mais plus profondément, c’est une guerre civile qui déchire mon âme […] Cette guerre civile m’est insupportable. Je voudrais faire quelque chose pour l’arrêter. […] L’ummahumaine devrait porter les blessures et les angoisses de l’umma musulmane, avec plus de miséricorde, de solidarité, car nous sommes tous embarqués sur cette planète fragile. Ne pas porter le poids les uns des autres, rend la vie insupportablement lourde.
Jusqu’au bout, Paolo a cru que la parole et le dialogue pouvaient être des armes ecaces, même face à ceux qui les refusaient.
Je risquerais encore quelques mots pour dire que la force de Paolo et son actualité, c’est qu’il nous laisse avec des questions, car sa vie était et demeure comme une interrogation à chacun et à chacune de nous. Comment vivre ensemble et à quoi bon vivre ensemble ? Quelle est l’originalité des deux religions chrétienne et musulmane ? Quel vrai rapport peut-on établir entre les deux religions ? Comment s’opèrent l’évangélisation et l’inculturation de la foi chrétienne en milieu musulman ? Quelle est la valeur théologique de la prophétie de Muhammad du point de vue chrétien ?
Face à ces questions et à ces interrogations, l’angle de vue à long terme de Paolo était celui de poser des jalons sur la route qu’il appelait le chemin de l’espérance que seul l’engagement en faveur de l’autre diérent et proche rendra légitime et réaliste. Ces questions et cette réponse de l’homme qui ne fait qu’espérer sont les nôtres de nos jours devant la question radicale que nous nous posons: disparu à Raqqa,
Paolo Dall’Oglio : Une voix qui dérange
7
7
est-il toujours en vie ? Sûrement il est toujours en vie car son espérance était celle des êtres humains qui ne meurent jamais, mais qui vivent pour toujours de l’Amour qui n’a pas de n.
MR KHáÈ áKáŝHÈH : áOO ROOŝÈ U áOUÈ UÈ OUŝ È áRáÈ áŝ
La manifestation d’aujourd’hui fait suite à une autre qui a eu lieu au sénat de la république italienne, un haut lieu institutionnel, en présence de membres de la famille du père Dall’Oglio, pour présenter le livre intitulé La foi dans le dialogue. L’islam d’un jésuite peu commode : Paolo Dall’Oglio. L’islam d’un jésuite peu commode: Paolo Dall’Oglio. […] Je me permets de vous signaler que les propos qui suivent ne sont pas le fruit d’une recherche sur le jésuite Dall’Oglio, mais plutôt un témoignage fraternel, dans la vérité et la charité.
J’ai connu Paolo dès le début de mon service au Conseil pontical pour le dialogue interreligieux (CPDI), en novembre 1994. Le père Dall’Oglio avait alors demandé au président duCPDI, le cardinal nigérian Francis Arinze, que je participe à une session consacrée au dialogue islamo-chrétien qu’il organisait àmaren juin Moussa, 1995 […]. À mon arrivée en Syrie, hôte dans les premiers jours de la nonciature apostolique, j’ai été pris en charge par Paolo. C’est avec son pick-up qu’on voyageait. Outre les visites à Maaloula et à Sayyednaya, nous avons visité le tombeau deibn ‘Arabi, mais également rencontré des personnalités musulmanes: feu cheikh Muhammad Said Ramadan al-Bouti et feu cheikh Ahmad Kuftaro, grandmuftiSyrie. Cheikh de al-Bouti nous reçut chez lui. C’était un vendredi. Quant au cheikh Kuftaro, il nous reçut au centreabou al-nouravait lui-même qu’il établi. Le grandmuftieut la courtoisie de me proposer de m’adresser aux dèles qui remplissaient la mosquée pour la prière du vendredi. L’étape damascène achevée, nous nous sommes rendus à mar Moussa, en passant par Nabak, où le père Dall’Oglio disposait d’une chambre. Le verset coranique qui pendait sur le mur était le suivant « Ils te demandent sur l’esprit. Dis: l’esprit est une aaire de mon Seigneur. On ne vous a donné que peu de connaissance » (17: 85).
Des prêtres, des religieuses et des laïcs prirent part à la session. Deux petites sœurs de Jésus, l’une libanaise, l’autre italienne, y avaient
7
8
Thom SÇK
elles aussi participé. Elles partirent avant la n de la session pour marquer leur désaccord avec Paolo, autour de sa vision de l’islam et des rapports islamo-chrétiens. À dire vrai, moi non plus, je ne me trouvais pas trop à l’aise avec le père Dall’Oglio sur ce sujet. Je vais essayer de vous dire pourquoi. L’approche des chrétiens envers l’islam et envers ses croyants est plurielle. Je me limite ici à parler brièvement de deux approches, tout en avertissant de n’être ni catégorique, ni représentatif de l’une ou de l’autre.
La première approche est celle des chrétiens de l’Orient ou, pour être plus précis, d’une partie d’entre eux. Il s’agit d’une expérience particulière de l’islam, de ses croyants et des rapports avec eux, avec des hauts et des bas. En tous les cas, il s’agit d’événements historiques qui ont marqué pour toujours le destin des chrétiens de l’Orient. L’un des résultats les plus évidents – et pour divers motifs – est sans doute le changement démographique. En eet, la diminution du nombre des chrétiens de cette région signie aussi l’aaiblissement de leur rôle, non seulement à leur détriment, mais aussi au détriment de la société tout entière, avec ses composantes musulmane et chrétienne. C’est un motif de grande satisfaction de nous rendre compte que la majorité des musulmans de cette région tient beaucoup à ce que les chrétiens restent dans leurs pays respectifs et continuent un vivre ensemble désormais multiséculaire. Toujours dans ce contexte, un autre aspect est un comportement victimaire dont se revêtent parfois certains chrétiens de l’Orient. Il engendre alors une ghettoïsation, voire le recours à l’hypocrisie ou à un double langage dans leurs rapports avec leurs compatriotes musulmans, ce qui les empêchent d’être eux-mêmes, y compris dans la liberté de leur foi. Il faut dire, cependant, que la majorité des chrétiens de cette région ont choisi de ne pas rester prisonniers de la partie grise de l’histoire, acceptant la réalité et s’engageant avec détermination et courage dans la vie sociale, politique et culturelle de leurs pays. Le Liban est à ce titre exemplaire, sans pour autant minimiser ou ignorer les dicultés du passé et du présent.
D’un autre côté, les chrétiens occidentaux ont sans doute une approche « plus normale », même si l’islamophobie et l’extrême droite xénophobe sont en hausse en Europe et en Occident en général. En outre, il est vrai que la présence de chrétiens occidentaux dans le dialogue islamo-chrétien contribue souvent au déblocage de situations
Paolo Dall’Oglio : Une voix qui dérange
7
9
de tension ou de conictualité. C’est donc là qu’il faut à mon avis situer l’approche du père Dall’Oglio, pas forcément partagée, du moins, par une partie de la hiérarchie et des dèles laïcs de la Syrie, mais qui trouve, comme j’ai pu le noter, un consensus chez les musulmans. À cet égard, il devient aussi nécessaire de mettre cette dimension de la vie et de la mission du père Dall’Oglio dans le cadre de sa vocation. Quand je pense à cet italien particulier, c’est la gure d’Abraham qui me vient à l’esprit. À Abram, devenu par la suite Abraham, Dieu donne l’ordre de quitter sa terre, sa tribu et la maison de son père et d’aller vers une terre qu’il ne connaissait pas: « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai » (Gn 12,1). Paolo a lui aussi entendu au fond de lui-même cet appel à tout laisser et à aller en Syrie. La Syrie devait devenir son pays, son amour. Nous pouvons prêter les paroles de Ruth la moabite à sa belle-mère, à cet aventurier de Dieu et les adresser en son nom à chaque syrien et à chaque syrienne: « Ne me presse pas de t’abandonner et de m’éloigner de toi, car où tu iras, j’irai, où tu demeureras, je demeurerai ; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu » (Rt 1,16).
Le choix de Paolo Dall’Oglio est tombé sur le désert. Nous savons la fascination du désert sur les occidentaux, surtout quand ils sont portés à la contemplation. Toutefois, rappelons-nous d’abord que le désert est le lieu où Dieu, amoureux de son peuple, veut le séduire, le conduire et parler à son cœur (cf. Os 2,16). D’autre part, un homme au caractère fort comme Paolo Dall’Oglio, donne le meilleur de lui-même dans des situations où la commodité citadine n’existe pas, mais où tout est dureté, rudesse. À cet égard, nous pouvons évoquer l’éloge que Jésus t de Jean-Baptiste (cf. Mt 11,7-15). Paolo n’est pas de ceux qui portent les habits délicats, mais de ces « violents » qui s’emparent du Royaume. C’est ainsi que le choix de notre frère tombe sur les vestiges du monastèremaral-Habashi. Tout y est à Moussa refaire. Mais qui mieux que cet aventurier têtu peut redonner vie à ces ruines et en faire un jardin où les pierres, les plantes, les arbres, les personnes, stables ou en visite, peuvent rendre louange à Dieu ? Avec la résurrection de ce monastère, c’est aussi une communauté qui voit le jour : la communauté monastique demarMoussa al-Habashi. Cette communauté prendra en charge un autre couvent, toujours en Syrie, celui demar Eliane (saint Julien), malheureusement détruit par les terroristes du soi-disant État islamique en août 2015. La communauté
8
0
Thom SÇK
sera ensuite appelée à ouvrir une communauté à Suleimaniyya, dans le Kurdistan irakien. Elle est aussi présente en Italie, à Cori, à une soixantaine de kilomètres de Rome. Si nous savons tous le tragique enlèvement du père Dall’Oglio à Raqqa, le 28 juillet 2013, son sort reste inconnu, malgré des nouvelles impossibles à vérier sur son assassinat peu après son enlèvement. Nous savons aussi que des prisonniers comme Paolo sont des proies convoitées, mais qui peuvent par la suite devenir encombrantes et dont les kidnappeurs ont tout intérêt à se débarrasser. Mon impression, comme « personne prudente », sur la décision de Paolo Dall’Oglio d’aller dans la « fosse aux lions » (cf. Dn 6,2-29) – je n’entends pas louer le courage des terroristes, mais dire leur violence extrême – est qu’il a pu s’agir d’une aventure peu prudente, trop risquée, surtout pour quelqu’un de seul.
Je vous rapporte toutefois le témoignage du père Jacques Murad, membre de sa communauté, rencontré le mois dernier à Bologne, en Italie. Le père Murad m’a dit, à propos de cette décision, que le père Dall’Oglio était très conscient des risques qu’il prenait, mais qu’il a senti dans son cœur un appel à aller à Raqqa, pour tenter la libération de quelques détenus. Il ne s’agirait donc pas d’une décision prise sur un coup de tête, mais d’un acte d’amour extrême. S’il ne nous appartient pas de dire si le père Dall’Oglio est ou non un saint, il est sans doute un homme de l’Évangile qui a cherché à le vivre d’une manière cohérente, au prix de sa vie. Merci, Paolo!
PRÈ áY YOUÈŝ : ĀR Èŝ Oŝ ŝUR Èŝ áÈŝ
La gure d’Abraham,al-khalil, le « condent », capable d’amitié, de compagnonnage, et de conversation, concentre en une personne, en un titre conféré par le livre saint de l’islam au père des croyants, l’inspiration de vie de Paolo, mon confrère jésuite. Car il s’agit bien de mon confrère, et c’est à Paolo le jésuite que je voudrais rendre hommage.
Nos rencontres ont été peu nombreuses, et les paroles échangées très rares. Son caractère provocateur, sa capacité incroyable de se situer au cœur des controverses et de rééchir à partir d’elles, contrastaient trop avec mon inertie, ma prudence et ma timidité. Mais quand je me
Paolo Dall’Oglio : Une voix qui dérange
8
1
remémore ce peu de paroles échangées, je me retrouve devant un ami. Il m’a coné, comme un ami à son ami, son immense amour pour la Compagnie de Jésus, et son grand désir pour la Compagnie qu’elle soit à la hauteur de sa vocation. Ce faisant, il convoquait ma propre capacité d’amitié. Il me convoquait à la réexion à partir de la controverse, de l’épreuve dont Abraham fut si familier.
Il est des personnes qui se laissent posséder par leur destin. Abraham, père des croyants, ne cesse de les inspirer. Si Paolo a toujours trouvé sa place au sein de la controverse, c’est parce qu’il ne pouvait presque pas faire autrement. Il fallait un monastère délabré pour montrer les prouesses d’un bon constructeur, et c’est au-dessus des abîmes que l’on construit des ponts. Appeler un homme, Abraham, « ami » du Très-Haut, c’est dresser un pont par-delà les abîmes. Dieu seul peut appeler un homme son ami, et Dieu seul peut appeler un homme à se situer dans la controverse, sur la ligne de fracture entre les frères rendus ennemis par la malédiction de Caïn. C’est à Paolo, situé dans la controverse, que je veux rendre hommage.
La foi, ce n’est pas la doctrine. La foi sauve, la doctrine instruit. La doctrine est multiple et variable, il y en a de toutes sortes. La foi est une, celle de tout miser sur une promesse, une parole, un pari. Agir comme si l’invisible était visible. Père des croyants, Abraham témoignait d’une amitié plus élevée que les doctrines. Il a été surnomméal-khalil, non point par l’autorité des doctrines mais par le miséricordieux Lui-même. C’est dans l’amitié que Dieu seul peut donner, que Paolo trouvait sa vocation, et à partir de laquelle il concevait la vocation de la Compagnie de Jésus, voire de toutes les familles religieuses. Le syncrétisme provocateur dans sa pensée ne se situe pas au niveau des doctrines, mais au niveau de l’amitié. Ce n’est certes pas une accommodation confortable, puisque c’est dans la controverse qu’il doit habiter. Disciple de Jésus-Christ, il sait le prix de l’amitié.
C’est à Paolo, mon confrère jésuite que je veux rendre hommage, parce que le peu de paroles qu’il a échangées avec moi, il y a huit ans, convoquent toujours en moi le désir d’amitié qui fait la vocation de la Compagnie de Jésus. L’amitié est un don de Dieu, mais pour les croyants, elle devient aussi don de soi dans la mutualité. Pour cela, malgré l’atroce attente d’avoir des nouvelles sur Paolo, bien qu’il
8
2
Thom SÇK
nous ait tous tirés avec lui au sein de la controverse où la violence des humains crie vers la miséricorde de Dieu, nous pouvons célébrer ensemble notre amitié et rendre hommage à Paolo.
Ces quelques témoignages attestent que nous – ceux qui ont bien connu Paolo – et d’autres qui se laissent inspirer par lui ont été bouleversés par lui. C’est ce caractère « jusqu’au-boutiste » qui rend sa gure à la fois attirante et gênante. Nous tous, chrétiens et musulmans, vivant dans ce monde du Proche-Orient avons intérêt à nous laisser déranger pour nous poser de vraies questions, sans pour autant en posséder les solutions. Dérangement veut dire ici: cheminement, refus de faire du « sur place ». Pour nous mettre en route, il nous faut parfois être secoués, et Paolo l’a fait à sa façon, sympathique, sincère et amicale.
Paolo Dall’Oglio, un jésuite italien, fondateur de la communauté al-Khalille monastère syriaque de dans maren Syrie a été Moussa kidnappé près de Rakka en Syrie et n’a jamais été retrouvé. Paolo était une gure controversée, admirée pour son courage mais aussi critiqué pour diverses prises de position. 4 témoignages personnels permettent de comprendre pourquoi. Le recteur de l’USJ, Salim Daccache se demande à la suite de Paolo: que vient dire l’Islam aux chrétiens ? Et par là même: vers quoi entraîne-t-il le christianisme ? Mgr Akashah du conseil pour les relations interreligieuses du Vatican dit ne pas partager toutes les opinions de ce jésuite, mais admet que son imprudence, allant à Rakka était motivé par son désir de sauver des otages. Son supérieur religieux, Dani Younes, voit en lui celui qui construit des ponts au-dessus d’abîmes. Thom Sicking décrit son caractère fonceur et souligne son amour particulier pour l’Eglise syriaque catholique.
SUMMARY:ThomSÇK,Paolo Dall’Oglio : A disturbing voice. Some testimonies.Paolo Dall’Oglio is an Italian Jesuit, founder of the community « al-Khalil » at the syriac monastery of mar Moussa in Syria. He has been kidnapped near the city of Rakka, in Syria, and was never found.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents