Réseaux d'infomédiation et auto­organisation de la demande. - article ; n°1 ; vol.103, pg 131-153

Nicolas Curien, Emmanuelle Fauchart

Description

Revue d'économie industrielle - Année 2003 - Volume 103 - Numéro 1 - Pages 131-153
Dans cet article, on développe un modèle rendant compte du rôle des échanges d'information sur la formation de la demande, au sein d'une population de consommateurs internautes. On montre que le degré d'auto-organisation réalisé par cette infomédiation dépend (i) du nombre des espaces de discussion, ou forums qui sont ouverts sur Internet, (ii) des poids respectivement accordés aux conseils recueillis sur ces forums et à des déterminants de choix privés, (iii) de la répartition initiale de la population entre les forums.
In this paper, we provide a model that shows how information exchanges among consumers surfing on the Net shape their demand. Our goal is to study the properties of self organization of this community of consumers searching on the Net in order to make choices among goods of ex ante uncertain quality. We show that the degree of self organization
- hence the propensity to gather information that allow to make satisfying choices
- depends upon (i) the number of discussion forums on which consumer are susceptible to get information ; (ii) the respective weight that consumers their ex ante preferences ; (iii) the initial repartition of the population of consumers across forums.
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: REVUE_D-ECONOMIE_INDUSTRIELLE
• Publié le: 01 janvier 2003
• Nombre de lectures: 14
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Nicolas Curien
Emmanuelle Fauchart
Réseaux d'infomédiation et auto­organisation de la demande.
In: Revue d'économie industrielle. Vol. 103. 2e et 3e trimestre 2003. La morphogénèse des réseaux. pp. 131­153.
Résumé
Dans cet article, on développe un modèle rendant compte du rôle des échanges d'information sur la formation de la demande, au
sein d'une population de consommateurs internautes. On montre que le degré d'auto­organisation réalisé par cette infomédiation
dépend (i) du nombre des espaces de discussion, ou forums qui sont ouverts sur Internet, (ii) des poids respectivement accordés
aux conseils recueillis sur ces forums et à des déterminants de choix privés, (iii) de la répartition initiale de la population entre les
forums.
Abstract
In this paper, we provide a model that shows how information exchanges among consumers surfing on the Net shape their
demand. Our goal is to study the properties of self organization of this community of searching on the Net in order to
make choices among goods of ex ante uncertain quality. We show that the degree of self organization
­ hence the propensity to gather information that allow to make satisfying choices
­ depends upon (i) the number of discussion forums on which consumer are susceptible to get information ; (ii) the respective
weight that consumers their ex ante preferences ; (iii) the initial repartition of the population of consumers across forums.
Citer ce document / Cite this document :
Curien Nicolas, Fauchart Emmanuelle. Réseaux d'infomédiation et auto­organisation de la demande. In: Revue d'économie
industrielle. Vol. 103. 2e et 3e trimestre 2003. La morphogénèse des réseaux. pp. 131­153.
doi : 10.3406/rei.2003.3113
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rei_0154-3229_2003_num_103_1_3113Nicolas CURIEN
Emmanuelle FAUCHART
Conservatoire National des Arts et Métiers
RESEAUX D'INFOMEDIATION
ET AUTO-ORGANISATION
DE LA DEMANDE
Mots-clés : Analyse de la demande, auto-organisation. Économie d'intérêt
Key words : Demand analysis, Self-organization, Internet economies
I. — INTRODUCTION
Les situations d'apprentissage collectif sont courantes dans le processus de
formation de la demande, les consommateurs se basant rarement sur leur seule
information privée pour faire leurs choix. Ainsi, par exemple, en présence
d' externalités de club, il est rationnel d'observer les décisions des autres avant
d'adopter soi-même une technologie, en raison de l'incertitude ex ante sur les
gains d'adoption. Ou encore, en présence d'asymétries d'information, il est
pertinent d'observer les choix d'individus mieux informés pour affiner ses
propres anticipations (Manski [1993]). De même, lorsque des individus possè
dent des ensembles d'information complémentaires, chacun est enclin à tirer
des leçons du comportement des autres en vue d'améliorer la qualité de ses
propres choix (Bala et Goyal [1998]). , >
La littérature existante est essentiellement consacrée à un type particulier
d'apprentissage, celui fondé sur l'observation des actions d' autrui {observa
tional learning), et elle met avant tout en évidence un phénomène de mimét
isme selon lequel chacun tend à se conformer aux choix d' autrui. La plupart
des contributions insistent sur les pathologies associées à ce comportement
mimétique, en termes de réduction de bien-être engendrée par un excès de
conformité ou de conservatisme (Gale [1996], Arthur [1989], Bikchandani et
alii [1998]). Certains auteurs mettent toutefois en question la robustesse de tels
résultats en montrant que, dans certains cas, l'apprentissage par observation
permet des anticipations rationnelles et conduit à une situation efficace (Vives
[1996], Kalai et Lehrer [1993]).
REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 103, 2ème et 3ème trimestres 2003 131 Dans le présent article, on s'intéresse à un autre type d'apprentissage social,
jusqu'ici moins étudié, le « bouche-à-oreille » (word of mouth). Dans ce cas,
l'apprentissage ne procède pas indirectement par l'observation des comporte
ments et l'interprétation des choix, mais directement à travers des échanges
d'information, chacun recueillant des avis émis par des « expérimentateurs »
ayant décidé avant lui. Il s'agit ainsi d'un apprentissage par communication,
par « infomédiation ». Cette infomédiation peut avoir pour cadre les réseaux
sociaux habituels (familiaux, professionnels ou associatifs), mais elle peut
aussi s'établir via Internet avec des inconnus, des anonymes. Ce second type
d'interactions sociales, qui fait l'objet du modèle présenté dans la suite, est
aujourd'hui émergent et vraisemblablement promis à un fort développement :
naviguer sur Internet permet, d'une part d'accroître la quantité des informat
ions récoltées, d'autre part d'accéder à des informations qui ne seraient pas
disponibles dans l'environnement physique et local.
L'intérêt de bénéficier d'un expertise préalable aux décisions de consommat
ion devient aujourd'hui d'autant plus évident que le progrès technique et l'i
nnovation commerciale s'accélèrent et que la plupart des biens sont renouvelés
en permanence, non seulement du fait de l'apparition de nouvelles marques ou
de modèles inédits, mais encore en raison de l'émergence de produits et ser
vices radicalement innovants, dont la valeur d'usage est initialement incertai
ne : dans un tel contexte, les biens deviennent majoritairement des biens d'ex
périence dont la qualité n'est connue que ex post et les consommateurs sont
fortement enclins à prendre en compte l'avis d'adopteurs précoces avant de se
décider à l'achat.
Si l'apprentissage par observation pose le problème de l'interprétation des
comportements des autres (Manski [2000]), l' infomédiation pose quant à elle
le problème de savoir à qui l'on a affaire : une information n'a en effet de
valeur opératoire que si elle émane d'un conseilleur dont les goûts sont
congruents avec ceux du conseillé. Il convient donc d'étudier comment une
population d'internautes consommateurs peut, ou non, s'auto-organiser de
manière à se constituer en communautés homogènes, au sein desquelles les
goûts sont identiques ou proches. Tel est l'objet du modèle ici proposé, qui
cherche à analyser de manière explicite le processus d'auto-organisation de la
demande, auparavant étudié par les auteurs à l'aide de techniques de simula
tion (Curien et alii [2001]).
Notre approche apparaît originale relativement aux modèles de bouche-à-
oreille déjà développés par d'autres auteurs. Notamment, le modèle d'adoption
technologique d'Ellison et Fudenberg [1995] ignore la dimension auto-organis
atrice de l'apprentissage, en supposant des interactions aléatoires et isotropes
entre les agents. D'autres modèles, dits de ségrégation (par exemple, Bala et
Goyal [2000], Goyal et Vega-Redondo [1999], Watts [2001]), examinent certes
la formation endogène de réseaux de relations interindividuelles (voir Dutta et
Jackson, [2001] pour un survey de cette littérature), mais selon un point de vue
différent du nôtre, car ils supposent que les individus peuvent établir des
1 32 REVUE D'ÉCONOMIE INDUSTRIELLE — n° 103, 2ème et 3ème trimestres 2003 contacts personnalisés en se fondant sur des critères objectifs de reconnais
sance, et non pas uniquement des liens impersonnels reposant sur la product
ion et la consultation d'avis subjectifs et anonymes.
La suite de l'article est organisée en deux sections. Dans la section 2, on pré
sente la structure du modèle proposé pour rendre compte de l'infomédiation.
Dans la section 3, on discute les propriétés d'auto-organisation de la deman
de induites par ce modèle. Les principaux résultats sont résumés dans la
conclusion.
II. — UN MODÈLE D'INFOMÉDIATION
2.1. Offre et préférences
Une population de consommateurs différenciés est supposée répartie selon
une fonction de densité P(x) sur le segment [0, 1], représentant l'espace des
caractéristiques de goût. À chaque période t (t = 1, 2, ...), un menu composé de
K variétés horizontalement différenciées est proposé par les