La « course aux terres » : théorie et déterminants empiriques des acquisitions transfrontalières de terres agricoles
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Depuis la flambée des prix agricoles de 2007-2008, les médias se sont fait l'écho d'une « course aux terres » à l'échelle planétaire selon laquelle des pays importateurs de denrées alimentaires chercheraient à sécuriser leurs approvisionnements en acquérant de larges quantités de terres cultivables dans des pays en développement. Au-delà des comportements spéculatifs répondant à la fluctuation des prix mondiaux les analystes voient dans ce phénomène une réponse à la pression démographique et à l'anticipation d'une hausse de la demande mondiale de produits agricoles amplifiée par l'évolution des revenus et modes de vie. Les enjeux pour le développement sont majeurs. Opportunité de développement d'un secteur agricole d'exportation ? Ou bien risque de pillage des terres au détriment des utilisateurs actuels, détruisant la petite agriculture familiale et exacerbant les risques environnementaux ? Ce travail s'inscrit en amont de la problématique en cherchant à identifier les déterminants des investissements transnationaux qui s'accompagnent d'acquisitions de terres à grande échelle. En l'absence de base de données internationale et compte tenu de la difficulté de consolider les informations nationales, notre étude se base sur des informations publiées dans la presse internationale et la construction d'indicateurs adéquats de potentiel agro-écologique et de gouvernance foncière. L'estimation de modèles gravitaires utilisant ces variables montrerait une spécificité des investissements agricoles fonciers contrastant avec la littérature sur les investissements en général : alors que le rôle central du potentiel agro-écologique comme facteur d'attraction serait confirmé, les variables usuelles de gouvernance n'auraient aucun effet. Paradoxalement les pays où les populations ne jouissent que d'une faible sécurité foncière apparaitraient comme les plus attractifs, ce qui irait dans le sens des inquiétudes relayées par la presse et les organisations non gouvernementales.

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Langue Français

Extrait

AGRICULTURE
La « course aux terres » :
théorie et déterminants empiriques
des acquisitions transfrontalières
de terres agricoles
Rabah Arezki*, Klaus Deininger** et Harris Selod***
Depuis la fambée des prix agricoles de 2007-2008, les médias se sont fait l’écho d’une
« course aux terres » à l’échelle planétaire selon laquelle des pays importateurs de den-
rées alimentaires chercheraient à sécuriser leurs approvisionnements en acquérant de
larges quantités de terres cultivables dans des pays en développement. Au-delà des com-
portements spéculatifs répondant à la fuctuation des prix mondiaux, les analystes voient
dans ce phénomène une réponse à la pression démographique et à l’anticipation d’une
hausse de la demande mondiale de produits agricoles amplifée par l’évolution des reve-
nus et modes de vie. Les enjeux pour le développement sont majeurs. Opportunité de
développement d’un secteur agricole d’exportation ? Ou bien risque de pillage des terres
au détriment des utilisateurs actuels, détruisant la petite agriculture familiale et exacer-
bant les risques environnementaux ?
Ce travail s’inscrit en amont de la problématique en cherchant à identifer les détermi -
nants des investissements transnationaux qui s’accompagnent d’acquisitions de terres
à grande échelle. En l’absence de base de données internationale et compte tenu de la
diffculté de consolider les informations nationales, notre étude se base sur des infor -
mations publiées dans la presse internationale et la construction d’indicateurs adéquats
de potentiel agro-écologique et de gouvernance foncière. L’estimation de modèles gra-
vitaires utilisant ces variables montrerait une spécifcité des investissements agricoles
fonciers contrastant avec la littérature sur les investissements en général : alors que le
rôle central du potentiel agro-écologique comme facteur d’attraction serait confrmé,
les variables usuelles de gouvernance n’auraient aucun effet. Paradoxalement, les pays
où les populations ne jouissent que d’une faible sécurité foncière apparaitraient même
comme les plus attractifs, ce qui irait dans le sens des inquiétudes relayées par la presse
et les organisations non gouvernementales.
* Fonds monétaire international
** Banque mondiale
*** Banque mondiale, Paris School of Economics-INRA, et CREST
Les auteurs de cet article sont reconnaissants à Charlotte Coutand et Caroline Silverman pour leurs contributions respectives au codage
de données, à Daniel Monchuk, Siobhan Murray, ainsi que Gunther Fischer et Mahendra Shah pour leur contribution à la construction
d’indicateurs de terres disponibles, à Jean-François Eudeline pour la construction d’un indicateur synthétique de sécurité foncière, et
remercient Thierry Mayer et Jacques Ould Aoudia pour leurs indications et suggestions relatives aux données de gouvernance, ainsi
que deux relecteurs anonymes qui ont permis d’améliorer l’article. Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et
ne refètent pas nécessairement celles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, de leurs conseils d’administration,
ni des pays membres.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 444–445, 2011 223ans une série d’articles publiés à la mi- res agricoles dans les pays où elles sont abon-D novembre 2008 (Blas, 2008 ; Jung-a et al., dantes (2). C’est sans doute le cas des pays du
2008), le Financial Times annonçait la cession Golfe dont les prospections en Afrique, notam-
à titre gratuit de 1 300 000 hectares de terres à ment au Soudan, ont été abondamment relatées
l’entreprise sud-coréenne Daewoo par le gou- dans la presse (3). Une deuxième explication est
vernement malgache (1). L’immensité du projet le boom des projets d’agro-carburants qui ren-
et le peu de transparence autour de sa négocia- dent attractif l’investissement dans de grandes
tion ont immédiatement fait l’effet d’un coup de plantations de palmiers à huile par exemple. En
semonce à l’origine d’une campagne médiati- troisième lieu, des investisseurs peuvent vouloir
que planétaire dénonçant la cession à bon mar- chercher à acquérir des forêts dans des pays du
ché des terres d’un pays en développement à Sud en anticipant des paiements pour la séques-
une entreprise étrangère. Les détracteurs du tration de carbone selon le mécanisme REDD
projet soulignaient le caractère déjà occupé de qui se met progressivement en place (4). Enfn,
la terre, la destruction d’une petite agriculture dans le contexte récent de crise fnancière, il
familiale intensive en main d’œuvre, et le para- n’est pas à exclure que des investisseurs dispo-
doxe de vouloir développer une culture pour sant de liquidité aient vu dans les acquisitions
l’exportation dans un pays ou le Programme massives de terres un des rares secteurs profta-
1 2 3 4 5alimentaire mondial nourrit 600 000 personnes. bles pour leurs placements (5).
L’onde de choc créée par cette affaire a contri-
Une seconde interrogation concerne l’impact de bué à la déstabilisation du pouvoir en place à
ces projets, en termes de risques et d’opportuni-Madagascar et aurait facilité le renversement
tés. Sur le plan des opportunités, on peut noter du gouvernement en mars 2009 (Teyssier et al.,
un accès amélioré au capital, des transferts de 2010). Le cas de Madagascar a également attiré
technologies et de capital humain, la génération l’attention de nombre d’observateurs sur le phé-
d’emploi, et des hausses de productivité dans nomène d’acquisition de terres à grande échelle
l’agriculture. Il existe néanmoins des risques dans les pays en développement. La presse s’est
importants associés à ces projets, notamment si alors fait l’écho de nombreux projets agricoles
les droits fonciers ne sont pas bien défnis, si transnationaux en Afrique, Amérique Latine,
la gouvernance est faible, ou si les populations Asie ou Europe Centrale. Le dernier semestre
locales ne sont pas consultées ni impliquées 2008 et le premier semestre 2009 ont ainsi vu
dans ces investissements. Ces risques incluent une explosion des articles de journaux sur ce
des dépossessions de terres et des déplacements thème, souvent présenté comme un accapare-
de population, une aggravation de la corrup-ment des terres (land grab) ou une course aux
tion, un affaiblissement de la sécurité alimen-terres (scramble for land) de la part des pays
taire locale, des dégâts environnementaux dans riches. Des comparaisons ont été faites avec
la zone d’implantation de ces projets (et même la résurgence des économies de plantation, le
en dehors, par exemple avec le déplacement des président de la FAO évoquant même le risque
populations et de leurs activités), la dégrada-de création d’un système « néocolonial » pour
tion des moyens de subsistance de la population l’approvisionnement en matières premières
agricoles des pays investisseurs (Diouf, 2008).
1. Après avoir nié tout projet, le gouvernement malgache a L’objectif principal de cet article est d’éclairer reconnu un accord de « prospection préliminaire » portant sur un
contrat de 99 ans pour produire 500 000 tonnes d’huile de palme le phénomène des achats transfrontaliers de ter-
dans l’Est du pays et 400 000 tonnes de maïs dans l’Ouest, la res en cherchant à en décrire les déterminants
gratuité de la cession étant une contrepartie d’un investissement
possibles à la lumière des théories sur les fux prévu de 6 milliards de dollars sur 25 ans (Teyssier et al., 2010).
2. Ces investissements soulèvent la question de l’ineffcience d’investissements internationaux. Ce faisant,
des instruments fnanciers de couverture sur les prix des produits
l’article apporte quelques éléments de réponse agricoles. La maturité limitée des instruments de couverture pour
ces produits contribue sans doute aux investissements fonciers aux interrogations et débats mis en avant depuis
qui, eux, portent sur le long terme.
2008. 3. Ceci peut traduire une anticipation durable de prix agricoles
élevés ou bien une anticipation d’une volatilité persistante pou-
vant créer de façon récurrente des problèmes d’approvisionne-
Une première interrogation concerne les moti- ment.
4. Le mécanisme REDD (Reducing Emissions from Deforestation vations derrière ces investissements. En théo-
and Degradation) est un système international selon lequel
rie, une diversité d’explications est possible. les pays ayant des projets de réduction d

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