À Moscou : entre Staline et de Gaulle, décembre 1944 - article ; n°1 ; vol.54, pg 137-152
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Description

Revue des études slaves - Année 1982 - Volume 54 - Numéro 1 - Pages 137-152
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 49
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Jean Laloy
À Moscou : entre Staline et de Gaulle, décembre 1944
In: Revue des études slaves, Tome 54, fascicule 1-2, 1982. Mélanges Pierre Pascal. pp. 137-152.
Citer ce document / Cite this document :
Laloy Jean. À Moscou : entre Staline et de Gaulle, décembre 1944. In: Revue des études slaves, Tome 54, fascicule 1-2, 1982.
Mélanges Pierre Pascal. pp. 137-152.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1982_num_54_1_5218A MOSCOU : ENTRE STALINE ET DE GAULLE
Décembre 1944
PAR
JEAN LALOY
J'étais à Genève à l'automne de 1944. Depuis la fin août, le Consulat général
représentait de son mieux le gouvernement provisoire. J'en avais la charge jusqu'à
la nomination d'un consul général en titre.
Vers la mi-novembre, arrive de Paris un télégramme : « Pourriez-vous servir
d'interprète de russe dans grande négociation internationale ? ». Je réponds que
je sais le russe, bien que sans expérience professionnelle. Trois jours après, nouveau
télégramme : « Venez immédiatement Paris ».
A travers les inondations, les crevaisons, les frimas, nous arrivons à Paris le
21 novembre. J'ai le temps de téléphoner à Pierre Pascal à Neuilly, d'aller les
voir, lui et sa femme, intacts et affectueux, de leur emprunter un dictionnaire
de poche. Nous partîmes le vendredi 24 novembre du Bourget et nous retrouvâmes
à Orly le 17 décembre. Mais plus trace de dictionnaire ! Il était resté quelque part
à Moscou.
Pierre Pascal m'a pardonné depuis longtemps. Déjà, examinateur pour le russe
au concours d'entrée aux Affaires étrangères, il avait jeté un regard indulgent sur
mes maladresses, erreurs ou impropriétés.
Que ce récit d'un voyage où sa pensée et son esprit m'étaient proches, soit
aujourd'hui mon hommage à celui que j'ai rencontré à Paris pour la première fois
en 1934 et dont je n'ai reçu pendant toutes ces années que bienfaits, sagesse,
encouragement et amitié.
Mai 1981
I*
De Paris à Bakou, voyage en avion par temps calme, réceptions et dîner chaque
soir, peu de contacts intéressants. A Tunis, je demande à être présenté au Général :
«Je suis très heureux de vous connaître... », dit-il d'une voix sourde et affable.
* Ce récit, écrit en janvier 1945, n'a été retouché que dans quelques tours de phrase et pour
biffer un ou deux jugements sur les personnes. Il traduit donc mon état d'esprit de l'époque.
Des notes rédigées trente-six ans plus tard précisent certains points, notamment sur la base
des documents figurant aux archives du ministère des Affaires étrangères.
Rev. Étud. slaves, Paris, 1982, LIV /1-2, Mélanges Pierre Pascal, p. 137-152. 138 J. LALOY
II est effectivement très grand, un peu lourd, les yeux comme absorbés vers l'inté
rieur, avec des poches profondes et des signes de fatigue qui iront en s'affaiblissant
au cours du voyage. Le nez est énorme, comme indépendant du reste du visage.
Sourire rare mais énorme lui aussi, découvrant toutes les dents. Toute la personne
du Général donne l'impression d'un très grand animal, un diplodocus disent les uns,
un grand singe plutôt, méditatif et dédaigneux. L'esprit qui anime cette grande
machine est miraculeusement humain. Il la pousse à circuler dans les salons, disant
aux dames un mot sans vaine amabilité, toujours simple, direct et grand. De la
timidité dont on a beaucoup parlé, peu de traces, sinon un vif désir de ne pas
paraître, de fuir la popularité et la flatterie.
A Téhéran, la colonie française est rassemblée, un peu étrange comme toujours,
vieilles dames empressées, officiers en retraite, quelques jeunes gens frisés, Français
de là-bas.
Le Général prononce une courte allocution, d'un ton sourd, plus émouvant que
sa grande voix lourde de la radio.
« Nous arrivons maintenant à la dernière étape, la victoire. Mais j'ai tort de dire
la dernière. Après la victoire, il y a la paix et par delà, il y a la grandeur, la grandeur
du pays, que chacun doit maintenir et à laquelle vous devez tous contribuer. C'est
ainsi que nous referons vraiment la France. Vive la France ! »
Le lendemain, c'est le lundi 27 novembre, on réussit encore à s'envoler jusqu'à
Bakou. Mais à partir de là, И faut se plier aux exigences de la température, sans
oublier celles du pouvoir soviétique. Un train spécial nous brouettera jusqu'à
Moscou, en passant par Stalingrad. Après avoir survolé une Caspienne plombée,
entr'aperçue dans les creux d'une couche épaisse de nuages, nous atterrissons
à Bakou. D'un seul coup on me pousse à côté du Général, il va falloir commencer
à interpréter. Après les présentations d'un vocabulaire élémentaire, un orchestre
un peu aigre exécute la Marseillaise quelque peu simplifiée dans certains tours
sans doute trop occidentaux ; au loin, claquent dans le vent froid de petits drapeaux,
rouges et tricolores. Les deux étoffes vont bien ensemble, elles évoquent des barri
cades, un peuple joyeux de se libérer au soleil de l'Ile-de-France. Mais nous sommes
à Bakou. L'hymne soviétique nous rend au sens de la puissance de l'empire des
Soviets. Nous prenons place dans une voiture avec le vice-président du Conseil
des Commissaires du peuple de ľ Azerbajdžan, petit homme affable et méridional,
qui se dépense beaucoup. Dès l'entrée en ville, je retrouve les gens empaquetés
dans des vêtements informes, les châles blancs autour des têtes, les maisons délavées
et sales, les pavés irréguliers. C'est la bonne vieille U.R.S.S., elle n'a guère changé
depuis quatre ans1 . A plusieurs reprises, le vice-président s'excuse pour sa ville :
« C'est la guerre, nous n'avons pas pu réparer et entretenir comme jadis ». — « Oui,
oui », dit le Général dont l'œil assoupi se pose un instant sur la foule misérable.
Arrivée. Descente rapide. Des personnages prévenants ouvrent la porte de l'ascen
seur, on y introduit le Général immobile comme une statue. On referme la porte,
l'ascenseur ne bouge pas. Agitation autour de la serrure, plusieurs tentatives restent
sam succès. Le Général est aussi droit qu'un samt dam sa niche. Pas un trait de
son visage n'a bougé. Enfin, un officier de la milice, agissant par je ne sais quelle
persuasion, réussit à mettre la boîte en mouvement.
1. Date de mon premier séjour en U.R.S.S., à l'ambassade de France, dirigée alors par
EirjkLabonne assisté de Jean Payart : l'un, esprit puissant et visionnaire, l'autre, homme d'intui
tion, d'expérience et de sagesse. (Note 1981.) ENTRE STALIN ET DE GAULLE 139
Au quatrième étage nous attend un appartement 1900, rideaux blancs avec
festons et jours, meubles couverts de housses dont le rôle est non de protéger, mais
de décorer, palmiers devant la fenêtre qui ouvre sur le port gris sous la brume.
Un déjeuner abondant est servi, si riche que les convives en perdent tôt l'appétit.
Désespoir des serveurs, l'un surtout, affable et doux comme un vieil épagneul,
vêtu de blanc, chaussé de souliers de tennis soigneusement raccommodés et blanchis
qui livrent d'un coup son cœur méticuleux, soumis et discipliné. « Prenez, c'est très
bon », me dit-il, en confidence, lorsqu'il s'aperçoit que je parle russe. Le Général
boit peu, mange peu. D écoute les gentillesses du vice-président et les discours
sentencieux de Bogomolov, l'ambassadeur soviétique à Paris, auxquels il répond
brièvement. Ce qu'il désire surtout, c'est continuer le voyage au plus tôt. Mais
une soirée est prévue à l'opéra de Bakou. Le départ n'aura lieu que le mardi 28
à onze heures.
Au théâtre, soirée mortellement longue ; je passe mon temps à examiner le
public. Ce n'est pas la Russie, mais c'est déjà ľU.R.S.S. Beaucoup d'uniformes,
moins de misère que dans la rue. Aux entr'actes, devant une table surchargée,
le Général boit un verre de vin et félicite les artistes. En rentrant dans sa chambre,
il s'assied et avisant son officier d'ordonnance : « Tout cela, c'est très bien, mais
rien n'est régl

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