Audit Intro (Lecture seule)
5 pages
Français

Audit Intro (Lecture seule)

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
5 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

L’américanisation du droitIntroductionBernard AUDITProfesseur à l’Université Paris IIRÉSUMÉ. — Dans la mesure où l’on peut parler d'« américanisation » du droit, il s’agit d’unphénomène d’influence et non de réception. On peut attribuer à cette influence une plus grandeconsidération du droit dans la vie publique ; et de nouvelles pratiques contractuelles dans lavie économique, conséquence de la plus grande souplesse de la common law face à des besoinsnouveaux. Une influence s’est également fait sentir dans la pratique du droit du fait dudynamisme des praticiens américains en France. Mais l’approche civiliste reste fondamentaletant elle est liée à la méthode d’enseignement du droit.Personne ne peut douter que ce colloque ne vienne à son heure et ne réponde à unepréoccupation véritable, puisqu’il a eu au moins deux précédents au cours des huitderniers mois. On note que dans l’un d’eux, l’un des thèmes du programme était intitulé«l’efficience comparée des systèmes de common law et de civil law », en anglais dansle texte : preuve indubitable – et intrinsèque – qu’il ne s’agit pas d’un phénomène ima-ginaire, puisque nous en sommes venus à utiliser l’anglais pour qualifier notre propresystème juridique.La source de cette préoccupation est au demeurant parfaitement connue. Chacun saitque nous sommes engagés dans un mouvement dit de mondialisation, dont l’initiativeest due principalement aux États-Unis. L’aspect premier de ce mouvement est la ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 61
Langue Français

Extrait

Laméricanisation du droit Introduction
BernardAUDIT
Professeur à lUniversité Paris II
RÉSUMÉ.  Dans la mesure où lon peut parler d'américanisation» dudroit, il sagit dun phénomène dinfluence et non de réception. On peut attribuer à cette influence une plusgrande considération du droit dans la vie publiquepratiques contractuelles dans lade nouvelles; et vie économique, conséquence de la plus grande souplesse de lacommon lawface à des besoins nouveaux. Une influence sest également fait sentirdans la pratique dudroit dufait du dynamisme des praticiens américains en France. Mais lapproche civilistereste fondamentale tant elle est liée à la méthode denseignement du droit.
Personne nepeut douter que ce colloque ne vienne à son heure et ne réponde à une préoccupation véritable, puisquil a eu au moins deux précédents aucours des huit derniers mois. On note que dans lun deux, lun desthèmes du programme était intitulé lefficience comparée des systèmes decommon law etdecivil law», enanglais dans le texte: preuve indubitable – et intrinsèque – quil ne sagit pas dun phénomène ima-ginaire, puisque nous en sommes venus à utiliser langlais pour qualifier notre propre système juridique. La source de cettepréoccupation est au demeurant parfaitement connue. Chacun sait que nous sommes engagés dans un mouvement dit de mondialisation, dont linitiative est due principalement aux États-Unis. Laspect premier de ce mouvement estla libérali-sation des échanges; mais en raison du poids économique des États-Unis, il saccom-pagne dune forte influence culturelle, ausens le plus large du mot. En ce qui concerne le droit, cela se traduitau premier chef et directement par une implantation de pratiques américaines. Mais aussi par des phénomènes sociologiques plus vastes: une propension nouvelle à invoquer ledroit et à recourir aux tribunaux. Devant les prétoires, préci-sément, linfluence américaine se manifeste de manière inattendue et pittoresquepuisque, paraît-il, de nombreux justiciables sadressent aujourdhui au Président enlappelant Votre Honneur». Ils sétonnent également –mais ceci doit donnerdavantage à réfléchir – quil ne soitpas possible dinterrogerlibrement les témoins et même les
[p. 7-11]
B. AUDIT
Arch. phil. droit45 (2001)
8
L'AMÉRICANISATION DU DROIT
parties, comme ils le voient faire à peu près chaque soir à la télévision (à vrai dire en matière pénale, mais la procédure civile américaine est, elle aussi, de type accusatoire). Le droit comparé connaît bien le phénomène de laréception dun droit. Onne manque jamais de citer dans lescours et les manuels lexemple des Codes européens en e Extrême Orient au début duX Xsiècle, ou celui du droit suisse des obligations en Turquie. Mais le phénomène qui nousoccupe aujourdhui est très différent, à un double titre. Dune part, il ne sagit que dune influence, et dontla mesure reste au demeurant à prendreDautre part,; ce sera, espérons-le, un effet de ce colloque que dy contribuer. cette influence na pas été recherchée: elle suscite chez beaucoup linquiétude, parfois lhostilité. Vient-il à un magistrat de prétendreappliquer la loi à un élu que lon entend crier au gouvernement des juges (expression qui évoque effectivement un épisode de lhistoire constitutionnelle américaine, mais qui na rien à voiravec ce que lon prétend dénoncer). Un patient mal soigné envisage-t-il de demander réparation que lonévoque les avocats chasseurs dambulances… Agiter ainsi lespectre dune influence étrangère diabolique semble plutôt relever dune crispation face à toute évolution. Sansdoute existe-t-il des excès dans tous les domaines, mais nousen sommes sans doute bien loin en France où londevrait au contraire se réjouir de voir le droit misen pratique et non maintenu en formules. Alors en particulier quil est devenu de mode dans laclasse poli-tique, depuis une quinzaine dannées, dévoquer lÉtat de droit», il ne paraît pas in-utile de rappeler que sa première manifestationest la soumission desgouvernants au droit et quun Président des États-Unis fut il y a vingt-cinq ans –et à la stupéfaction des Français – acculé à la démission pour une petite histoire» découtes téléphoniques. Y a-t-il cependant une véritable américanisation du droiten Francesimple? Dans ce propos introductif, je voudrais évoquer quelques thèmes qui nemanqueront sansdoute pas dêtre développés au cours de cesdeux jours.Abordant laquestion du plushaut, comme il sied dans un entretien placé sousles auspices delAssociation française de philosophie du droit, il convient de partir de la conception du droit.Mais de là procèdent deux autres aspects: la pratique du droit et le mode denseignement du droit.
Au départ, nous sommesen présencede deux modes de pensée radicalement différents: rationaliste dun côté, empiriste de lautre. Le droit civil, ou romaniste ou e romano-germanique, dans la forme quil a prise auXIXsiècle, estun droit savant et déductif. Il entend procéder de principes généraux doù se déduiront les solutionsparti-culières. Les règles se situent donc souvent à un niveau élevé de généralité (voir lart. 1382 c. civ.).Le reste ne relève plus que de lapplication, dont on se soucie beaucoup moins que des principes: ce nest tout simplement pas la partie noble du droit. Le juge lui-même est moins soucieux de justifier la solution quil rend par lescaractéristiques du cas que de la rapporter à un principe supérieur. La concision estpour lui comme pour le législateur une forme de majesté, et la décision est rédigée dune manière qui pourrait donner à penser que touteautre solution serait absurde. Le génie de lacommon law est au contraire de résoudre les difficultés les plus étroites dune manière quisatisfasse le sentiment de la raison. Unesolution étant apportée à une difficulté précise, elle ne sera reproduite dans une affaire voisine que sil nexiste aucune raisonde sen départir; si au contraire il en existe, on formulera une autre solution en sexpliquant longuementsur ce qui justifie cette distinction et lon donnera naissance à uneautre règle, toutaussi
[p. 7-11]
B. AUDIT
Arch. phil. droit45 (2001)
INTRODUCTION 9 étroite. Selon une formule célèbre du juge américain Holmes, General propositions do not decide concrete cases». Tout cela est connu, mais ilreste à expliquer pourquoi lun de ces modes de pensée donne limpression aujourdhuide devoir lemporter sur lautre (ce qui nest, en réalité, nullement certain, car alors que beaucoup de pays émergentscherchent à se doter dinsti-tutions juridiques, le droit écrit est beaucoup plus facilement transplantable quun système decommon law; mais nous ne parlons ici que de la France). Il est possible que le droit écrit et le raisonnement déductif conviennent mieuxà un monde stable, comme e le fut celui duX I Xsiècle; tandis que lapproche de lacommon law seraitmieux adaptée à un contexte de changementsocial permanent tel que nous le connaissons: en raison de lapproche inductive évoquée à linstant, linnovation est en quelquesorte natu-relle à lacommon law, ladaptation permanente son mode dexistence. Ces propositions trouvent probablement une bonne illustration dans ledroit des contrats. Un système de droit écrit etcodifié comporte un droit supplétif important (en sus dun certain nombre de règles impératives). Les principaux contrats, dits nommés, sont ainsi balisés. Cela se traduit chez les praticiens par une rédaction extrêmement concise, dautant que le rédacteur, comme le juge, sefforce parfois dimiter le style du er législateur (la formule mêmeemployée à lart. 1134 al.1 c.civ. y incite). On se repose donc sur un droit supplétif et des principes généraux; et puisque laconcision est une vertu, à quoi bonénoncer ce qui va sans direpratiquer présente? Cette manière de sans doute des avantagesloi; mais, fortifiant lidée de subordination du contrat à une écrite et préexistante, elle ne prédispose pas à linnovation. Lidée neparaît pas telle-ment éloignée, chez lesFrançais, que tout ce qui nest pas expressément permis est défendu. Le juriste decommon lawou inhibé. Il ne peut en généralpas ainsi bridé nest compter ni sur un droit supplétif, ni sur le juge pour découvrir dans le contrat des obli-gations qui ny figurent pas (telle quune obligationde sécurité). Cela se traduit par des excès tout aussi condamnables que la rédaction excessivement concise de nombreux contrats français, mais inverses, certains vocables étant répétés sous différentes formes jusquà épuisement du vocabulaire pour être bien certain quaucune équivoque nesubsiste quant à la portée des engagements assumés. Maisle fait est que cet environnement juri-dique arendu le juriste decommon lawà laise pour élaborer des contrats parfaitement suscités par des biens ou des services nouveaux (par exemple, la licence de logiciel il ya une quinzaine dannées).Or linfiltration de lacommon lawfait largement par le se contrat. Il y a une trentaine dannées déjà,un professeur dont jétais alors lassistant me disait envisager de donner pour titre à son prochaincours de doctorat portant sur le droit des obligations: les contrats en ‘ing». Il visait par là leleasing, lefactoring, le franchising, lerenting, lemerchandising, et dautres… (ajouterai-je quil était beaucoup plus exaspéré quadmiratif?). Confronté à lun de ces nouveaux contrats,le civiliste cherchera à le rapporter à une figure connue en sinterrogeantaussitôt sur sa nature juridique» (est-ce un bail, une vente, un prêt?): à la fois pour rechercher les règles supplétives susceptibles de sy appliquer et pour se demander avec inquiétude si lopération est licite. Il conclura sou-vent quil sagit dun contratsui generis, constatationsouvent suivie de la remarque que le législateur devrait intervenir pour le réglementer; par quoi lon voitque lon confond souvent – et naturellement à tort – vide législatif et vide juridique. Rien nemanifeste [p. 7-11]B. AUDITArch. phil. droit45 (2001)
10
L'AMÉRICANISATION DU DROIT
mieux la différence détat desprit dujuriste français et du juriste decommon lawà face la loi que la rédactiondune clause de droit applicable dans un contrat international: là où le Français écrit quele contrat serarégitelle loi, soulignant la subordination du par contrat à la loi, lAméricain écrit toutnaturellement quil serainterprétételle loi, selon car pour lui le contrat est dabord ce que les parties ont voulu quil soit.
Si lon se tourne vers lexercice des professions juridiques, le tableau estdifférent. Dune part, le rapprochement incontestable des pratiques françaises de celles en vigueur aux États-Unisest davantage consenti (efficacité oblige…); mais, dautre part, il doit davantage à laction de la Communauté européenne sur lorganisation des professions. Sur ce plan institutionnelou statutaire, la pratiquefrançaise étaitmarquée par la séparation du juridique et du judiciaire, ainsi que par un morcellement considérabledes professions, lune et lautre inconnus du droit américain. Desprogrès importants ont été accomplis depuis 1971, mais il reste encore à faire. Ilexiste peut-être malheureusement en France unepropension à prêter un caractère nécessaire à des institutionsqui ne sont que des vestiges de lhistoireun auditoire américain: quiconque a eu un jour à exposer à lorganisation judiciaire française et a dû expliquer ce quest un avouédappel nepeut quen être convaincu. Aux États-Unis, non seulement nexiste-t-il quune seule profes-sion mais lon ne sépare même pas lavocat du juriste dentreprise. Ce qui fait discussion à lheure actuelleest la création deProfessional Partnerships, que lon peut qualifier de SCP pluridisciplinaires. Celles-ci associeront notamment avocats etexperts-comptables, en vue de ce qui constitue le souci permanent des professionnels du droit: la plus grande efficacité à légard des clients.
Au-delà du statut professionnel, il existe une pénétration du mode américain qui sest opérée à partir des années soixante, avec le développement des investissementsaméri-cains en France. Les investisseurs recouraient àdes cabinets américains, quelques-uns installés depuis longtemps, dautres, en nombre croissant, ouvrant des bureaux à mesure des besoins. Comme ilfallait à un certain stade recourir à des juristes français, ceux-ci ont pu découvrir une pratique professionnelle bien différente de celle ayant cours en France: cabinets tout à fait polyvalents, travail déquipe, facturation des honoraires à lheure –à des tarifs inimaginables en France à lépoque, mais liés à une disponibilité totale et à un service de première qualité. Cescabinets ont recruté un nombre croissant de Français, àtel point quaprès un certain nombre dannées, le conquérant sest trouvé dune manière conquis, le nombre des associés français dépassant souventcelui des Américains; mais lemodus operandiest bien celui du cabinet dorigine eta exercé une influence considérable au-dehors. En particulier, beaucoup de jeunes avocatsont quitté ces cabinets après quelques années pourfonder le leur et ont ainsi répandu les méthodes acquises.
On ne constate absolument rien de semblable dans lenseignement du droit. La constatation ici est simple: cest celle dune ruée vers leslaw schoolsaméricaines, qui nest pas propre aux étudiants français car lattraction estmondiale. Ceslaw schools nen finissent pas douvrir chaque année de nouvellesformations dites LL. M.,pour répondre àla demande détudiants étrangers (dautant que ceci est devenu pour elles une
[p. 7-11]
B. AUDIT
Arch. phil. droit45 (2001)
INTRODUCTION 11 source de revenus appréciable). Or ce nestpas seulement la connaissancedu droit américain qui justifie cet engouement; cest également lorganisation de lenseigne-ment. En quoi se distingue-t-elle de la nôtre? Tout dabord, ce nest pas un enseignement de masse(lidée dun amphithéâtre conçu pour recevoir plusieurs centaines détudiants fait sourire). Lenseignement nedescend pas du haut vers le bas, cest un échange. Il nestpas reçu de manière passive mais suppose un lourd travail préalable (à vrai dire, est-il permis depenser, beaucoup plus utile que le cours lui-même, dont on ne retire souventpas grand-chose). Enfin et surtout, il ne fait pas appel à la mémoire, mais à la réflexion etau raisonnement, comme en témoigne la pratique usuelle des examens à livreouvert (et même rédigés chez soi). Cette formation prépare donc parfaitement au monde réel, dans la mesure où le praticien de haut niveause distingue parla capacité à traiter des situations qui nentrent pas dans les schémas déjà connus: on la vu il y a un instant à propos des contrats. Ce nest pas, heureusement, que le système ne présente que des avantages. Le coût financier pour létudiant est énorme, et lonme permettra doser affirmer quil ne reflète en rien une différence dumême ordre, ou même approchante, dans la qualité des études. Le civiliste qui est amené à enseigner auxÉtats-Unis peut également sirriter à loccasion dêtre entraîné dans des discussions sur des questions quipour lui sont réglées depuis plusieurs siècles. Mais aussi, il aura ainsi parfois loccasion de remettre en ques-tion certains dogmes quila reçus puis propagés. Un bon exemple – dactualité dans le cadre dun projet de convention universelle sur la compétence des tribunaux en matière civile et commerciale – est notre vieillerègle de procédureActor sequitur forum rei. Règle de droit naturel, enseigne-t-on aux étudiants françaispas au défendeur de: ce nest se déranger, par hypothèse il ne réclame rien. Présenter cette règle comme allantde soià un auditoire pour lequel elle nexiste pas amène à prendre conscience que le demandeur nest pas toujours un gêneur, un trouble-fêtequil convient de décourager, et que la jus-tice veut au contraire parfois quil puisse saisir un autre tribunal. Au demeurant, nous admettons nous mêmes denombreuses exceptions à cette règle présentée comme fonda-mentale, ce qui met en relief le caractère très théorique de notre approche.
Par quoi lon revient aufonddogmatisme etet empirisme,: rationalisme pragmatisme, droit écrit et pratique évolutive, tels sont je nen doute pasdes thèmes qui seront évoqués de manière récurrente au cours des travaux qui souvrent.
Université Paris II 12place du Panthéon 75005 Paris
[p. 7-11]
B. AUDIT
Arch. phil. droit45 (2001)
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents