« Ceci n est pas une thèse »
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« Ceci n'est pas une thèse »Extrait du Collectif PAPERAhttp://www.collectif-papera.org/spip.php?article651« Ceci n'est pas une thèse »- Doctorants et docteurs précaires en lutte ! - L'actu des doctorants et docs non titulaires - Date de mise en ligne : jeudi 29 avril 2010Description :À n'en pas douter le titre de ce court papier pourra figurer comme sous-titre à la propre thèse de l'auteur dans quelques années… si seulement ce dernier nedevait pas craindre les retombées négatives que ses opinions pourraient avoir sur son avenir dans les Humanités. Doctorant de son état, sa date de naissance leplace entre deux âges : celui où le terme de « thèse » signifiait un labeur de plusieurs lustres si ce ne sont des dizaines d'années. Mais force lui a été de constaterla mutation d'une activité qu'il considérait comme le parangon de la recherche scientifique en un triste exercice relevant autant de la stratégie sociale que de lacourse contre la montre administrative.Collectif PAPERACopyright © Collectif PAPERA Page 1/3« Ceci n'est pas une thèse »À n'en pas douter le titre de ce court papier pourra figurer comme sous-titre à la propre thèse de l'auteur dansquelques années… si seulement ce dernier ne devait pas craindre les retombées négatives que ses opinionspourraient avoir sur son avenir dans les Humanités. Doctorant de son état, sa date de naissance le place entre deuxâges : celui où le terme de « thèse » signifiait un labeur de plusieurs lustres ...

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Extrait

« Ceci n'est pas une thèse »
Extrait du Collectif PAPERA
http://www.collectif-papera.org/spip.php?article651
« Ceci n'est pas une thèse »
- Doctorants et docteurs précaires en lutte ! -
L'actu des doctorants et docs non titulaires -
Date de mise en ligne : jeudi 29 avril 2010
Description :
À n'en pas douter le titre de ce court papier pourra figurer comme sous-titre à la propre thèse de l'auteur dans quelques années… si seulement ce dernier ne
devait pas craindre les retombées négatives que ses opinions pourraient avoir sur son avenir dans les Humanités. Doctorant de son état, sa date de naissance le
place entre deux âges : celui où le terme de « thèse » signifiait un labeur de plusieurs lustres si ce ne sont des dizaines d'années. Mais force lui a été de constater
la mutation d'une activité qu'il considérait comme le parangon de la recherche scientifique en un triste exercice relevant autant de la stratégie sociale que de la
course contre la montre administrative.
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« Ceci n'est pas une thèse »
À n'en pas douter le titre de ce court papier pourra figurer comme sous-titre à la propre thèse de l'auteur dans
quelques années… si seulement ce dernier ne devait pas craindre les retombées négatives que ses opinions
pourraient avoir sur son avenir dans les Humanités. Doctorant de son état, sa date de naissance le place entre deux
âges : celui où le terme de « thèse » signifiait un labeur de plusieurs lustres si ce ne sont des dizaines d'années.
Mais force lui a été de constater la mutation d'une activité qu'il considérait comme le parangon de la recherche
scientifique en un triste exercice relevant autant de la stratégie sociale que de la course contre la montre
administrative.
Les sciences humaines n'avancent plus. Du moins en France. Pour simple illustration, la toute récente publication
(janvier 2010) d'un colloque sur la « cumulativité » en sciences sociales, terme cachant habilement l'interrogation
maîtresse de ses participants : qu'en est-il du progrès en sciences sociales ces dernières décennies ? À notre sens,
poser la question est déjà y répondre. Et la tendance qu'ont les différents acteurs de la sphère des Humanités de
masquer leur réflexion sous les néologismes ou les emprunts (« cumulativité ») n'entrave en rien l'établissement du
constat précédent. Ils sont plutôt les marqueurs d'un incontestable surplace épistémologique.
Il faut considérer la mutation de la « thèse » mentionnée précédemment comme le dernier avatar de ce long
processus de stérilisation de la pensée sociale française. Où sont donc nos André Leroi Gourhan, Claude
Levi-Strauss, Marc Bloch… du XXIe siècle ? La République n'a jamais officiellement disposé d'autant de
chercheurs en sciences sociales et pourtant elle ne peut faire émerger de grandes figures scientifiques. Autre signe
de cet état de fait, la prééminence dans les séminaires des références à tel ou tel acteur des sciences humaines du
début ou du milieu du XXe siècle. Dans certains cas ces réunions tournent au débat d'idées entre les différents «
hagiographes » présents. Centrées sur un décorticage des concepts de maîtres à pensée disparus, ces réunions se
montrent alors incapables de transmettre le coeur même des idées de ces penseurs à la jeune génération.
Pourquoi cet état de fait ? L'auteur de ces lignes ne remet pas en cause les qualités intrinsèques des chercheurs. À
travers l'exemple emblématique de ce qu'est devenue la « thèse », il souhaite dénoncer un système handicapant le
développement des sciences humaines. Ainsi, en premier lieu le décalque aux Humanités du modèle de thèses
adopté en sciences expérimentales et en Mathématiques. Soit principalement le carcan des trois années. Comment
un rythme de recherche adopté en relation avec le monde industriel, peut-il avoir un quelconque sens en histoire, en
sociologie ou en archéologie ? La logique de rentabilité du capital investi par l'industrie dans la recherche, si elle est
compréhensible, ne peut s'appliquer aux Humanités. Les concepts développés par ces dernières n'ont pas de
rendement économique direct et ne sont donc que très rarement financés par des entreprises. Quand bien même le
seraient-ils, il s'agit principalement de faire-valoir à la portée réduite réalisé dans le cadre de mécénats.
Nous ne débattrons pas ici de la question de l'utilité des sciences sociales, pour nous fondamentales. Nous
rappellerons uniquement que seules les Humanités sont à même de porter ou de remettre en cause les idéologies
qui ont formé, forment et formeront les cadres conceptuels d'action de l'ensemble d'une société. Nous insistons donc
sur le fait qu'il appartient à l'État de favoriser la réflexion dans ces domaines, et ceci principalement grâce ses
universités. Or, à vouloir intégrer des logiques d'un monde qui n'est pas le sien (celui de l'entreprise, du privé), ces
dernières sont en train d'échouer. Ainsi l'adoption du modèle « industriel » de la thèse en trois ans. Si la durée des
thèses posait un problème, un peu de raison aurait vu les chercheurs calculer la durée d'élaboration des thèses en
sciences humaines au cours du siècle dernier et proposer un cadre temporel adéquat. Mais comme nous l'avons vu,
cette contrainte de durée n'obéit à aucune logique scientifique, mais à une logique industrielle.
Cette limitation de durée des thèses entrave la recherche scientifique. Mais, plus grave, ce phénomène est décuplé
par une confusion entretenue par le monde universitaire. La thèse est en effet l'épreuve obligatoire pour postuler au
poste de maître de conférences. Cette association thèse/fonction universitaire implique une conséquence déplorable
: la thèse a cessé d'être l'affirmation argumentée d'une position scientifique, mais le moyen d'une stratégie sociale.
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La science passe alors au second plan pour des comportements peu reluisants. Ainsi les jurys de complaisance qui
permettent d'assurer à un poulain une soutenance sans surprise et au directeur de recherche un nouveau « succès »
pour son école de pensée. Ou le bridage scientifique de doctorants qui ne souhaitent se mettre à dos aucune
personne pour préserver leur chance de trouver un poste. Le résultat se traduit par des cohortes de thèses fades et
surtout sans prise de risques ; ce dernier étant le véritable moteur du progrès scientifique.
Logique industrielle, logique sociale, la thèse est dénaturée. Si l'Université a besoin d'une épreuve pour
présélectionner ses futurs maîtres de conférences qu'elle abandonne l'intitulé « thèse » pour celle-ci. Mais qu'elle
rétablisse la thèse comme l'activité de prise de position scientifique maîtresse.
Deux points alors. Premièrement, d'aucuns prétendront que l'épreuve d'« habilitation a dirigé des recherches »
(HDR) a remplacé de fait l'antique « thèse d'état », même si les autorités s'en défendent (cf. circulaire nº 89-004 du 5
janvier 1989). Cela pourrait être vrai. Mais l'exercice est biaisé à la base : dans les faits, il s'agit avant tout d'un
moyen pour les maîtres de conférences d'accéder au statut de professeur. Nous retrouvons l'opposition stratégie
sociale/activité scientifique. Cette épreuve se résume alors à une compilation des travaux et à l'égohistoire d'un
maître de conférences ; étant en outre pratiquée principalement par des personnes déjà statutaires des universités et
conférant la possibilité d'encadrer des thèses, la boucle est bouclée et le sérail se coopte. La stérilité des Humanités
françaises trouve en grande partie son explication ici.
Deuxièmement, comment adapter le mécanisme des allocations de recherche attribuées aux jeunes doctorants pour
trois ans ? Du fait des réformes, celui-ci a déjà muté en contrat à durée déterminé de un an renouvelable trois fois. À
n'en pas douter, l'étape suivante verra disparaître la logique des trois ans pour une redistribution du financement
tous les ans. La précarisation des jeunes doctorants augmentera. Couplé à l'impératif des trois années, de plus en
plus appuyé par les autorités, il est certain que le nombre de nouvelles thèses va chuter. En passe d'être privée de
sang jeune, l'Université est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise.
Or on n'empêchera personne de s'intéresser à la logique spatiale des lieux de pouvoir au Moyen Âge, à l'histoire des
églises de Bourgogne ou à celle d'une région. De plus, les chercheurs qui se consacrent à ces sujets ne sont pas
forcément intéressés par une position au sein de l'Université. Ainsi, si l'Université maintient la confusion des genres
sur la thèse en voulant jouer sur les deux tableaux évaluation scientifique/qualification à un poste, il est clair qu'elle
perdra le monopole du jugement de travaux scientifiques. On verra des instituts, des associations ou tout autre
regroupement fédérant des scientifiques (des « universités populaires » ?) organiser des soutenances et donner son
approbation (ou marquer sa désapprobation) à tel ou tel travail qui n'aura pu être mené au sein du carcan
scientifico-administratif de l'Université.
par
Gabriel Sarran
, un doctorant entre deux âges
Post-scriptum :Illustration : Olga Feldman
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