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1 Cette thèse est dédiée aux 27 personnes qui ont accepté de participer à notre enquête, et, à travers elles, à toutes celles et à tous ceux qui traversent les épreuves de l'existence à la recherche du sens de la Vie. Dieu se cache dans les ruines du coeur (Proverbe soufi) ------------------------------------------------------------------ Thèse Bertrand Piccard, nov 1995, Fac. Méd. Lausanne 2 REMERCIEMENTS Que soient remerciés ici, amicalement et chaleureusement : Madame Ursula Brentano, e Claire Colliard, le Docteur François Méan, le Docteur Jean-Pierre Muller, Madame Anne Spagnoli, pour leur très précieuse collaboration dans l'élaboration du questionnaire de cette enquête; le Docteur Jean Bovet, pour ses conseils en épidémiologie statistique; Monseigneur Germain de St Denis, pour l'élan qu'il a su insuffler à notre recherche, le Professeur François Ferrero, pour ses conseils éclairés et sa bienveillance, et le Docteur Gérard Salem, directeur de thèse, pour sa disponibilité et son exigence, ainsi que pour la façon dont il a su nous faire abondamment profiter de ses immenses connaissances. ------------------------------------------------------------------ Thèse Bertrand Piccard, nov 1995, Fac. Méd. Lausanne 3 Résumé de thèse La souffrance des patients est considérée comme une des grandes ennemies du médecin, et, à ...

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1
      Cette thèse est dédiée aux 27 personnes qui ont accepté de participer à notre enquête, et, à travers elles, à toutes celles et à tous ceux qui traversent les épreuves de l'existence à la recherche du sens de la Vie.            
  
  
  
  
    ------------------------------------------------------------------Thèse Bertrand Piccard, nov 1995, Fac. Méd. Lausanne 
Dieu se cache dans les ruines du coeur     (Proverbe soufi)
2
le Docteur Jean Bovet, pour ses conseils en épidémiologie statistique;
 REMERCIEMENTS   Que soient remerciés ici, amicalement et chaleureusement :   Madame Ursula Brentano,  Madame Claire Colliard,  le Docteur François Méan,  le Docteur Jean-Pierre Muller,  Madame Anne Spagnoli,   pour leur très précieuse collaboration dans l'élaboration du  questionnaire de cette enquête;                          
Monseigneur Germain de St Denis, pour l'élan qu'il a su insuffler à notre recherche,
le Professeur François Ferrero, pour ses conseils éclairés et sa bienveillance,
et le Docteur Gérard Salem, directeur de thèse, pour sa disponibilité et son exigence, ainsi que pour la façon dont il a su nous faire abondamment profiter de ses immenses connaissances.
    ------------------------------------------------------------------Thèse Bertrand Piccard, nov 1995, Fac. Méd. Lausanne 
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Résumé de thèse   La souffrance des patients est considérée comme une des grandes ennemies du médecin, et, à ce titre est un des moteurs principaux de la recherche de nouveaux moyens de guérison. Il demeure pourtant de très nombreuses situations dans lesquelles la médecine reste impuissante à soigner des souffrances issues de maladies, de séquelles d'accidents ou d'événements de vie. Que deviennent alors ces patients? Comment gèrent-ils leur existence, quelle est leur évolution? Les épreuves n'ont-elles qu'un effet destructeur ou pourraient-elles avoir pour la personnalité un rôle constructif? Pourraient-elles même révéler des valeurs philosophiques ou spirituelles auxquelles des sujets n'auraient pas été sensibles auparavant? En d'autres termes, existe-t-il une pédagogie de l'épreuve permettant à certains patients d'utiliser leur souffrance pour favoriser leur évolution personnelle?  C'est ce que nous nous sommes proposé d'étudier dans cette thèse, en menant une enquête qualitative, à but non statistique, au moyen d'un questionnaire distribué au sein d'une population susceptible de collaborer à une telle recherche. Par des quetions ouvertes, nous laissons des sujets éprouvés par la vie expliquer eux-mêmes l'expérience qu'ils ont tirée de leur vécu et les ressources qu'ils ont développées pour leur évolution.  La revue de la littérature, dans les domaines tant psychiatrique que somatique, met en évidence des préoccupations semblables chez un petit nombre d'auteurs. Les quelques études menées dans ce domaine sur des sujets atteints d'affections spécifiques (surtout cancers, séquelles d'accidents et traumatismes psychiques) ont mis en évidence une majorité de réponses soulignant l'émergence de nombreux aspects positifs et constructifs dans la traversée d'un malheur.  Au moyen d'une méthodologie faisant appel à une grille d'analyse condensant es données brutes des biogrammes de nos sujets, nous avons catégorisé les réponses à notre questionnaire selon plusieurs axes:  - les sujets estiment-ils avoir évolué grâce à leur épreuve? - les sujets ont-ils découvert de nouvelles ressources intérieures? - en quoi les épreuves ont-elles modifié la compréhension de la vie?  Les résultats obtenus indiquent l'existence d'une pédagogie de l'épreuve et l'émergence à travers la souffrances de nouvelles préoccupations philosohiques ou spirituelles.  La discussion qui clôturera cette thèse tentera d'avancer quelques explications et soulignera l'importance que nous accordons à ces résultats dans notre rôle quotidien de thérapeute.
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 PLAN DE LA THESE
  LA PEDAGOGIE DE L'EPREUVE, UNE ENQUETE SUR L'ASPECT CONSTRUCTIF ET REVELATEUR DE LA MALADIE, DE L'ACCIDENT ET DU MALHEUR    I) Introduction   1) Contexte général  2) Définition des questions  3) Etapes  II) Travaux préalables  III) Méthodologie   1) Premier test : la méthode de l'entretien direct  2) Elaboration d'un questionnaire (tableau I)  3) Envoi du questionnaire et population touchée  4) Questionnaires remplis et retournés   IV) Recueil des données (corpus)   Tableau général des extraits synthétiques (tableau II)   V) Analyse du corpus et interprétations   1) Les épreuves vécues (tableaux III et IV)  2) Analyse de contenu à proprement parler (tableaux V et VI)  VI) Discussion   VII) Bibliographie   I)Introduction   1) Contexte général:  
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Est-il une notion plus universelle, plus directement inhérente à la condition humaine et à la vie en général, que la souffrance? Existe-t-il un autre sujet qui ait fait couler davantage d'encre, en matière religieuse, philosophique, littéraire ou médicale, et justifier ne serait-ce qu'autant de recherches d'explication? De toutes les cosmologies de l'histoire à tous les types de traitements médicaux, l'homme semble toujours avoir été partagé entre son espoir d'arriver à abolir totalement la souffrance et son besoin de lui donner, ou de lui trouver, un sens. Ces deux voies ont pu très longtemps rester complémentaires grâce aux liens étroits qui unissaient autrefois la médecine et la religion. Soulagement de la souffrance et explications symboliques se retrouvaient simultanément dans l'acte sacré de soigner. Pour Paracelse, il y a cinq siècles, le médecin et la médecine "ne sont rien d'autre que la compassion offerte par Dieu à ceux qui en ont besoin"[1]. Paracelse, il est vrai, ne représente pas l'archétype du scientifique clair et facilement compréhensible. Remontons alors un peu plus loin dans l'histoire pour nous tourner vers la figure inattaquable de Pythagore: celui-ci considérait que "jusqu'à un certain point, la maladie est un problème de dysharmonie entre le spirituel et les éléments terrestres de l'homme"[2, pg 55]. Et, encore plus proche du monde médical par le symbole qu'il représente, Hippocrate aurait lui-même suivi une initiation ésotérique au terme de laquelle il aurait reçu son nom du grand-prêtre Hiérophante [2, pg 60]. Force est pourtant de constater de nos jours que le divorce entre science et croyance a transformé cette double aspiration en un véritable clivage. Mardon-Robinson [3, pg 73] va même jusqu'à écrire, parlant de l'étymologie identique des mots âme et psychisme: "Paradoxalement, avec l'avènement de la psychologie moderne, le terme "psychique" s'est trouvé quelque peu dévié de son sens originel. N'oublions pas que le psychiatre était à l'origine le médecin des âmes mais, avec la montée du freudisme, il s'est peu à peu dressé contre l'esprit jusqu'à en nier l'évidence, et c'est toute une psychologie athée profondément matérialiste qui s'est mise en place en moins d'un siècle". Depuis quelques décennies, la médecine occidentale a investi des fortunes, avec un succès que personne ne conteste, pour inventer et développer des moyens de détection précoce autant que de traitements sophistiqués destinés à GUERIR. Les patients qui consultent recherchent un soulagement, voire si possible une supression, de leurs symptômes, de leur problème, de leur maladie... de leur souffrance. Les médecins sont de mieux en mieux équipés pour leur répondre, mais chaque échec ne fait ressortir que plus cruellement les limites du droit à la santé que l'OMS définit comme un état de complet bien-être physique, mental et social [4]. La souffrance continue à régner dans des domaines où la médecine est encore impuissante et la précarité du bien-être, comme de l'existence en général, restent du domaine du mystère. Si cette réflexion risque de déborder le sujet de ce travail, nous pouvons par contre nous demander quelle place la recherche inconditionnelle de la guérison complète
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laisse encore à la souffrance de ceux qui n'ont été que partiellement - ou pas du tout -soulagés. Ces derniers ne seraient-ils pas parfois ressentis comme des témoins gênants d'une science qui se voit forcée d'admettre ses limites? Nous pourrions dans certains cas nous le demander, comme par exemple lorsque nous constatons que le mot "souffrance" n'apparaît à aucun endroit du lexique d'un ouvrage comme celui que van der Kolk [5] consacre au traumatisme psychique! Steichen [6, pg 139] va dans notre sens lorsqu'il écrit : "Les ennemis traditionnels des médecins sont la souffrance, la maladie et la mort. Toute leur action diagnostique et thérapeutique est fondée sur le postulat que la souffrance est un désordre indésirable à éliminer dans les délais les plus brefs. " Si nous avons des raisons d'imaginer que la souffrance fait peur à de nombreux thérapeutes, consolons-nous en réalisant qu'il en a probablement été ainsi depuis longtemps. Mis à part des raisons de techniques thérapeutiques, ne pourrions-nous pas tirer de certains écrits l'hypothèse que c'est la sensibilité différente de Freud et de Ferenczi concernant la souffrance de leurs patients qui serait, du moins en partie, à l'origine de leur conflit? Si pour le premier, le but principal était d'échafauder une théorie explicative de la psyché, le second semble avoir été davantage "sensible à la souffrance, à la détresse" [7]. Bien loin de la résolution de la souffrance et de la guérison immédiate, religions et philosophies servent de leur côté de refuge à nombre de malades ou de personnes malheureuses, et leur place est grande, même si leurs liens avec la médecine sont ténus. Simone Weil souligne parfaitement ce clivage lorsqu'elle déclare dans une interview que le Christianisme n'a pas pour but de supprimer la souffrance, mais de lui donner un sens. Entre ces deux extrêmes, nous continuons pourtant à trouver des malades, des blessés, des traumatisés, bref des patients au sens étymologique de "ceux qui souffrent". C'est eux que nous nous proposons d'étudier dans cette thèse. Mais pas sous l'angle de leurs démarches extérieures et actives vers la médecine ou vers la philosophie afin de trouver soulagement ou sens à leur souffrance; au contraire en leur donnant la parole pour leur permettre d'expliquer eux-mêmes leur cheminement personnel et intérieur à travers les épreuves de leur existence, et surtout en étudiant leur propre compréhension de leur vécu ainsi que l'utilisation qu'ils en ont faite pour leur avenir. Afin de ne pas nous égarer dans les méandres des différentes façons de comprendre le mot "souffrance", nous avons décidé de nous en tenir à des situations dans lesquelles la définition de Cassell [8] s'applique: "la souffrance est la détresse engendrée par une atteinte actuelle ou potentielle à l'intégrité ou à l'existence de la personne entière." Dans le même article, l'auteur rajoute que la souffrance s'inscrit dans l'impossibilité ressentie de rester soi-même comme on se connaît ("preservation of myself as I know myself"), et qu'elle prend sa source dans l'incapacité du sujet à comprendre la raison de ce qui lui arrive. Il paraît important de mentionner ces deux corollaires (difficulté à se projeter différemment dans l'avenir et incapacité à trouver une cause) car nous y reviendrons probablement plusieurs fois dans cette thèse. D'autre part, tout au long de notre réflexion, il est plus que probable que la notion de souffrance sera étroitement liée à celle de traumatisme, ce qui nous pousse à proposer d'emblée deux définitions: Traumatisme: ensemble des troubles physiques ou psychiques occasionnés par une violence extérieure [9];
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Traumatisme psychique: "événement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l'incapacité où se trouve le sujet d'y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu'il provoque dans l'organisme psychique. En termes économiques, le traumatisme se caractérise par un afflux d'excitations qui est excessif relativement à la tolérance du sujet et à sa capacité de maîtriser et d'élaborer psychiquement ces excitations"[10]. Parler de traumatisme et de souffrance aujourd'hui ne peut se faire sans mentionner la notion moderne d'état de stress post-traumatisme, le fameux PTSD,étudié par Oppenheim [11], Barrois [12] et bien sûr Crocq [13], et détaillé dans le DSM IV [14]. En résumé, il s'agit d'un syndrôme dans lequel la victime d'un traumatisme particulièrement grâve revit constament l'événement avec des symptômes anxio-dépressifs, comme si son appareil psychique n'arrivait pas à métaboliser la souffrance liée au traumatisme.  2) Définition des questions: Jusqu'à maintenant, le traumatisme était surtout étudié par des analystes sous l'angle fantasmatique. Mais, comme l'écrit Jeanrichard dans un travail récent [15], "beaucoup de travaux actuels s'attachent à valoriser l'étiologie et l'impact des traumatismes réels". Dans cette thèse, nous parlerons bien de la souffrance causée par des traumatismes réels, par des faits vécus, qui couvrent aussi bien le champ des accidents et des deuils, que celui des maladies ou d'autres épreuves de l'existence, mais non pas sous l'angle habituel de leur impact psychodynamique. Il s'agira d'une étude sur les conséquences positives éventuelles que les patients eux-mêmes pourraient retirer de leur traumatisme et de la souffrance qui en a résulté. En tant que médecin, nous utilisons comme point de départ pour ce travail un certain nombre de réflexions et de questions que nous nous posons conjointement avec la Fondation Ling, Médecine-Psychologie-Culture. Cette fondation, présidée par le Dr Gérard Salem, privat-docent et Maître d'enseignement et de recherches à la faculté de médecine de Lausanne, fait figurer dans sa charte [16] un certain nombre de points importants pour comprendre le cadre de cette étude: -... rétablir une définition de la santé qui ne fragmente plus la personne humaine en compartiments examinés indépendament les uns des autres, et qui ne considère plus avec dédain lesattentes et interrogations philosophiques et spirituelles des individus  1  -... recherches portant sur une anthropologie du soin, visant par exemple à évaluerla part de référence rationnelle ou irrationnellechez les patients et les soignants (...) Souventles convictions profondes des patients comme des soignantsjouent un rôle primordial dans l'évolution d'une pathologie donnée. Un examen attentif permet de constater quela maladie est souvent le support implicite d'une quête spirituelle, d'une recherche de significationou de l'accomplissement d'une destinée. Et un peu plus loin: -... une recherche multidisciplinaire pourrait apporter des idées neuves,en valorisant le patient dans sa compétence à prendre soin de sa santé de façon responsable, et sans culpabilité inutile.
                                                 1 C'est nous qui soulignons. 
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Ce dernier point revêt une importance évidente, à une époque où la notion de "self help" (autodétermination) est encouragée par les organismes de santé publique soucieux de voir diminuer les coûts de la santé. Il nous semble par conséquent primordial d'étudier ce que des patients ont réussi par eux-mêmes, en dehors de tout cadre thérapeutique, à mettre en place comme mécanismes destinés à supporter ou alléger leur souffrance. Dans quelle mesure ces mécanismes sont-ils individuels ou au contraire pourraient-ils contribuer, en se généralisant, à élargir, voire approfondir, le concept de "self help"? En ce qui concerne les deux premiers points, la discussion est ouverte et pourrait servir de base aux premières questions à aborder dans cette thèse. Les patients ont-ils véritablement des attentes ou des interrogations philosophiques et spirituelles lorsqu'ils viennent consulter un médecin, ou au contraire lorsqu'ils renoncent à le faire? La raison de leur consultation sous-tend-elle vraiment une quête spirituelle ou une recherche de sens? Mais pourrait-on aller encore plus loin en se demandant si les patients n'ont pas déjà, parallèlement à toute consultation médicale, commencé à élaborer pour eux-mêmes un sens à leur souffrance, en l'inscrivant comme un élément fondamental de leur destinée? Si cette étude permettait de vérifier cette hypothèse, deviendrait-il alors possible d'envisager la souffrance, ou les épreuves de la vie, comme des étapes maturatives et constructives de la personnalité? Comme le suggère le deuxième point précité de la charte Ling, nous laissons la porte ouverte au domaine des références irrationnelles des patients et des soignants, mais aussi et surtout à la question de l'importance de leurs convictions profondes. C'est un risque que nous avons pleinement accepté de prendre, même pour un travail scientifique, après avoir été encouragés à le faire par un certain nombre d'auteurs. Parnas [17] ne déclarait-il pas récemment: "On se concentre sur les seuls signes visibles et par là-même, on néglige la subjectivité du patient (...) Je le répète, il faut considérer la subjectivité du patient. Il faut s'attacher à l'invisible, au non-dit". De son côté, Reverzy [7], parlant des efforts de Ferenczi pour soulager la détresse de ses patients, écrit: "Les théories et les techniques devront être constamment adaptées aux problèmes présentés par les patients, et le plus grand nombre devra pouvoir en bénéficier". Dans son livre "The Nature of Suffering and the Goals of Medecine", Cassel [18] insiste sur l'importance de comprendre la totalité de l'existence de la personne qui souffre, son passé, ses intentions futures, mais aussi ses valeurs personnelles, donc forcément ses références irrationnelles et ses convictions profondes. Mais nous aimerions nous attarder dans ce prélude encore davantage sur l'étude menée par Goerg, Zbinden et Duvanel [19] et financée par le FNRS: "Congruence patients-thérapeutes et dropout en psychiatrie ambulatoire publique". Ses conclusions font clairement ressortir que la poursuite d'un traitement psychiatrique "est liée au partage d'un même système de représentation et de valeurs quant au conditions d'une prise en charge" , et que "les probalités d'abandon de traitement sont plus grandes lorsque les patients ont des orientations de valeurs éloignées de celles que véhicule l'institution psychiatrique (...), ce que les thérapeutes saisissent (...) comme des demandes peu adéquates par rapport à leur pratique". Les "conditions d'une prise en charge" ont certes un caractère parfois technique (heures, tarifs, etc), mais "le système de représentation et de valeurs" est tout sauf rationnel. Sous cet angle-là, mettre en évidence - ou simplement laisser une place pour - les convictions
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philosophiques ou spirituelles profondes des patients et leurs attentes éventuelles dans ce domaine, forcera certes le soignant à sortir de son cadre de référence habituel. Mais cela ne lui permettra-t-il pas d'augmenter la compréhension qu'il aura de son patient, et par là-même de renforcer leur congruence et leur alliance thérapeutique? L'approfondissement du dialogue permettra peut-être au patient d'aborder des sujets "qu'on n'aborde pas chez le médecin" et de faire peu à peu mentir Stéphanos [20] lorsqu'il écrit: "Les traumatisés sont destinés à être les exclus de notre société". Cette discussion nous amène à résumer de la façon suivante les questions que nous nous posons:  a) Y a-t-il ou non, pour nos patients, une pédagogie de l'épreuve, c'est-à-dire une possibilité de maturation ou d'évolution psychique, sociale ou spirituelle, à travers les maladies, les accidents ou les malheurs de l'existence?  b) Quel rôle joue l'acceptation et l'appropriation de la souffrance par le patient dans l'évolution de sa santé, par opposition à une attitude de rejet et de lutte contre la souffrance?  c) Les patients qui ont vécu des expériences traumatisantes ont-ils développé des attentes ou des préoccupations philosophiques et spirituelles dont les médecins devraient tenir compte?  3) Etapes: Pour évaluer ces questions, nous allons procéder en trois étapes:  3.1. Revue de la littérature à la recherche d'études concernant le même sujet.  3.2. Enquête auprès de la population générale par le biais d'un  questionnaire, afin de recueillir des biogrammes.  3.3. Analyse du corpus des données et comparaison des  résultats avec nos hypothèses. En fonction des résultats obtenus, l'évaluation de ce problème pourra être développée par une série de questions subsidiaires qui seront traitées dans la discussion finale.  
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II) Travaux préalables En passant en revue la littérature consacrée au sujet qui nous intéresse ici, nous pouvons être frappés par une première évidence. Nous découvrons des auteurs pour lesquels la pédagogie de l'épreuve ainsi que la relation entre souffrance et spiritualité ne font aucun doute, et d'autres au contraire pour lesquels ce domaine ne mérite pas qu'on s'y attarde. Entre évidence pour les uns et désintérêt pour les autres, nous ne trouvons cependant que bien peu d'études ou d'enquêtes susceptibles de nous éclairer. Nous ne reviendrons pas sur les idées des fondateurs de notre pensée scientifique que sont Hippocrate et Pythagore, puisque nous avons déjà cité dans notre introduction leur conviction que souffrance et spiritualité sont étroitement liées. Du côté de la religion chrétienne, la pédagogie de l'épreuve ne fait non plus aucun doute, placée comme un nécessité sur le chemin de l'évolution spirituelle. Il s'agit d'un acte de foi, non démontrable, mais qui doit être exposé ici brièvement pour enrichir notre compréhension générale. L'histoire de Job [21] en est l'illustration la plus marquante. Cet homme pieux, riche et heureux est accusé par Satan de n'entretenir de bonnes relations avec Dieu que parce qu'il est comblé. Dieu le prive alors progressivement de tous ses biens jusqu'à le laisser dénudé physiquement et moralement; mais force est de constater qu'à travers ces épreuves, Job ne reniera jamais son attachement spirituel, prouvant ainsi un amour désintéressé et authentique. Dieu rend alors à Job encore davantage que tout ce qu'il lui avait pris. L'évèque de l'église orthodoxe de France, Monseigneur Germain de St Denis [22], donne une explication complémentaire de la souffrance, du sens de l'épreuve, dans le contexte des trois étapes de l'expérience de la Grâce: 1) visite inattendue de Dieu qui illumine et exalte: tout semble beau et facile; 2) Dieu se retire, l'expérience de communion n'est plus qu'un souvenir, l'exaltation prend fin aussi brusquement quelle est venue: c'est l'expérience, destinée à faire prendre conscience du manque; 3) Transformation de l'individu à travers l'épreuve dans le sens d'un rapprochement spirituel avec le divin, et une délivrance du monde des choses terrestres. Dans cette compréhension religieuse, la souffrance est encore augmentée, lors de la deuxième étape, par le comportement humain qui pousse à s'accrocher à la volonté - deposséder, d'accaparer plutôt que d'être, - deprofiter que donner, plutôt de chercher lapuissance plutôt que la présence à soi-même. -A titre anecdotique, constatons que des auteurs aussi différents et éloignés de la théologie chrétienne que Marx, Freud et Adler semblent avoir, chacun à sa façon, tenté de comprendre la souffrance humaine en étudiant isolément chacune des trois origines des épreuves décrites par l'Eglise: - Marx [23] cherchant le salut de la société en luttant contre la tendance àaccaparer; - Freud [24] cherchant l'équilibre individuel en essayant de tempérer la tendance à la jouissance pure; - et Adler [25] en introduisant dans sa théorie de la psyché la tendance humaine à exprimer une volonté dedomination et de puissance.
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Plusieurs psychiatres se sont intéressés à conceptualiser sur le plan psychologique ces notions religieuses, mais sans avoir pour but de s'attacher de façon prioritaire à faire disparaître la souffrance. Le premier d'entre eux, Janet, a laissé, dans l'étude de plusieurs cas de patients psychasthéniques, la porte ouverte à une approche spirituelle. Sous le titre explicite "De l'angoisse à l'extase" [26], il montre comment des anamnèses de souffrances physiques et psychiques ont débouché sur des vies spirituelles intenses et ont été, en quelque sorte, une voie vers l'extase. Pour lui, "les extases sont très souvent précédées par des périodes de dépression mélancolique et de vide" (p. 415), et "plus les souffrances ont été importantes, plus l'extase est profonde" (p.195). Madeleine, une patiente étudiée pendant 8 ans, ajoutait: "Quand j'ai beaucoup souffert, tout d'un coup les douleurs cessent et je jouis d'autant plus que j'ai souffert. Tout sert donc d'aliment au feu délicieux qui me brûle, même les souffrances, tout me sert d'échelons pour monter au ciel" (p.195). Et ailleurs: "Si la guérison est une grâce, la souffrance supportée avec résignation en est une autre" (p.78). Janet d'observer que des phases de rémission de plus en plus longues ponctuaient chaque période d'extase, jusqu'à permettre à Madeleine une fin de vie équilibrée en dehors de la Salpêtrière. Cette compréhension se retrouve également (p. 23) dans le récit que Madeleine a fait du décès d'une amie: "Elle remerciait Dieu de sa maladie qui avait été une grâce". On peut sentir Janet partagé entre plusieurs grilles de compréhension. D'un côté il démontre [27, pg 393] qu'un "grand nombre de malades douteurs (obsessionnels-compulsifs) s'abandonnent amoureusement à la divinité, cherchant de l'énergie dans la contemplation d'une statue de la Vierge, dans la pensée d'un bon Dieu qui recueille les petites âmes"; mais de l'autre, il s'associe à Murisier [28] pour penser qu'il faut "éviter de considérer trop isolément les ascètes religieux et d'embrouiller le problème psychologique par des discussions religieuses". L'époque étant fertile en discussions axées sur le thème qui nous intéresse, Fonsegrive [29] répond que "l'expérience mystique des saints les porte à la joie, le mysticisme des fous est triste; l'un exalte, l'autre déprime, on ne peut les confondre". Janet théorise ses observations en pensant que "l'abaissement de la tension psychologique, en diminuant l'action et la perception du réel, favorise la méditation: il donne aux malades une tendance à préférer l'idéal au réel, à aimer le mystérieux, le vague, à se tourner vers une vie différente." [27, pg 585] . Pour de Montmorand [30], l'explication de la vie psychique des mystiques est bien plus simple: "Dieu rend l'âme comme hébétée, afin de mieux imprimer en elle la véritable sagesse " . En fin de compte si Janet n'adopte pas une position tranchée, il montre une remarquable tolérance en écrivant [26, pg 203]: "Nous ne pouvons nous représenter les pensées du malade qu'en partant de ses actions visibles, et non en partant de notre propre pensée." Plus catégorique, Perry [31] s'est également intéressé à décrypter les pensées de malades schizophrènes. Il en est arrivé à analyser les décompensations psychotiques comme des possibilités offertes à l'être humain d'évoluer spirituellement; ces troubles sont pour lui des turbulences nécessaires à l'avènement d'une meilleure connaissance de soi et d'une vie émotionnelle plus intense.
   ------------------------------------------------------------------ Thèse Bertrand Piccard, nov 1995, Fac. Méd. Lausanne 
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