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Logié Page 1 05/09/2004 COMMENT ORGANISER DURABLEMENT LA VIE HUMAINE SUR TERRE ? Depuis trente ans, de nombreux écrits de sociologues, d’économistes, de biologistes, 1de philosophes nous alertent : les ressources naturelles de notre planète sont limitées ; leur utilisation au service d’un processus d’accroissement infini des biens et services, appelé « développement » détruit massivement l’environnement naturel et met en péril la communauté humaine toute entière. La « machine » semble aujourd’hui incontrôlable, tant les notions de « progrès » ou de « croissance », associées au concept de développement ont subverti les représentations de bien-être. Malgré les dégradations de l’environnement (souvent spectaculaires), malgré la détérioration des conditions quotidiennes de survie des trois quarts de l’humanité et malgré l’étouffement parfois brutal des identités culturelles, la « fausse bonne idée » que les « retards » supposés ou réels en termes de « biens » peuvent être comblés par l’industrialisation en concentrant les moyens de production entre un petit nombre de « capitalistes » reste répandue, justifiant l’asservissement des activités humaines au pouvoir de l’argent. Au nom d’une répartition spatiale et temporelle de la production, des peuples qui ont traversé des siècles en déployant des trésors d’intelligence et de technicité, sont aujourd’hui plongés dans la dépendance ou dans la guerre. Dans ces conditions on peut s’inquiéter avec Théodore Monod ...

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05/09/2004
C
OMMENT ORGANISER DURABLEMENT LA VIE HUMAINE SUR TERRE
?
Depuis trente ans, de nombreux écrits de sociologues, d’économistes, de biologistes,
de philosophes nous alertent
1
: les ressources naturelles de notre planète sont
limitées ; leur utilisation au service d’un processus d’accroissement infini des biens et
services, appelé « développement » détruit massivement l’environnement naturel et
met en péril la communauté humaine toute entière. La « machine » semble
aujourd’hui incontrôlable, tant les notions de « progrès » ou de « croissance »,
associées au concept de développement ont subverti les représentations de bien-
être. Malgré les dégradations de l’environnement (souvent spectaculaires), malgré la
détérioration des conditions quotidiennes de survie des trois quarts de l’humanité et
malgré l’étouffement parfois brutal des identités culturelles, la « fausse bonne idée »
que les « retards » supposés ou réels en termes de « biens » peuvent être comblés
par l’industrialisation en concentrant les moyens de production entre un petit nombre
de « capitalistes » reste répandue, justifiant l’asservissement des activités humaines
au pouvoir de l’argent. Au nom d’une répartition spatiale et temporelle de la
production, des peuples qui ont traversé des siècles en déployant des trésors
d’intelligence et de technicité, sont aujourd’hui plongés dans la dépendance ou dans
la guerre. Dans ces conditions on peut s’inquiéter avec Théodore Monod de l’issue
de l’aventure humaine
2
.
C’est à l’aune de cette préoccupation de survie de l’humanité qu’il faut interroger le
concept de « développement durable ». Certains arrêteront ici leur lecture, crieront
haro sur les prophètes de malheur et continueront obstinément à ne pas voir que
l’humanité va dans le mur. Les signes nombreux et répétés de l’évolution de
l’humanité vers le chaos ne sont pas encore assez visibles pour provoquer un
changement significatif des représentations, des comportements, des institutions et
des relations entre les hommes
3
. On ne peut sortir de l’état d’impuissance et
d’affolement où conduit l’absence d’issue imaginable, que si l’on trouve une grille de
compréhension du fonctionnement des sociétés locales et de la société humaine
qu’ensemble elles constituent. Dans ce tunnel d’une obscurité angoissante dans
lequel nous sommes plongés, ce que propose Nicanor Perlas
4
, à partir d’une
expérience acquise dans son pays, Les Philippines apparaît comme une lueur
d’espérance. Sa grille d’analyse éclaire non seulement le fonctionnement de
l’humanité dans son ensemble, mais également celui des diverses communautés
humaines et des territoires qui la composent et même les comportements individuels.
L
ES TROIS SPHERES DE LA SOCIETE
Pour ce militant, le fonctionnement de la société résulte de l’articulation des trois
sphères de l’activité humaine : la sphère économique, la sphère politique et la sphère
culturelle. Au sein de ces trois sphères, des « institutions-clés » détiennent des
pouvoirs. C’est ainsi qu’au sein de la sphère économique, « les entreprises et le
marché » détiennent le pouvoir de produire et de distribuer des biens et des services
pour satisfaire les besoins fondamentaux des sociétés humaines. C’est ainsi que
1
Cf.
Que la crise s’aggrave
François Partant Solin 1979 qui fustige la destruction des ressources naturelles ;
La
convivialité
Yvan Illich Seuil 1963 avec les dangers d’une industrialisation généralisée
2
Et si l’aventure humaine devait échouer ?
Théodore Monod Grasset 2002
3
Décoloniser l’imaginaire La pensée créative contre l’économie de l’absurde
Serge Latouche Parangon 2003
4
Cf.
La société Civile le 3
ème
pouvoir : changer la face de la mondialisation
, Nicanor Perlas Yves Michel 2003. Ce
sont les thèses développées dans cet ouvrage qui inspirent la présente note. Se reporter à l’ouvrage.
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dans la sphère politique, « l’Etat » détient le pouvoir de fixer les règles qui permettent
à tous de jouir de droits et de remplir des devoirs. C’est ainsi que dans la sphère
culturelle, la « Société civile » et les institutions qui la composent ont le pouvoir de
défendre et de promouvoir les valeurs correspondant au bien commun de l’humanité.
Le fonctionnement de la société est équilibré si les institutions-clés de chacune de
sphères de la société acceptent de reconnaître les autres et établissent avec elles
des relations « tri-articulées ».
Une telle situation est rarement réalisée. Dans la pratique, on est plus souvent en
présence d’une domination exorbitante de l’une des sphères sur les autres, par
exemple, la « mondialisation élitaire » qui naît de la concentration des capitaux et du
pouvoir correspondant, ou encore l’Etat totalitaire qui refuse aux individus l’exercice
de droits humains. On peut aussi se trouver dans une situation où l’Etat et le marché
font alliance en ignorant la sphère culturelle, se privant de la dimension sociétale qui
lui donnerait sa vitalité. Une institution-clé d’une sphère de la société peut intervenir
légitimement si la domination des autres sphères devient insupportable. C’est ce qui
se passe actuellement avec l’émergence de la Société civile, face à la mondialisation
élitaire. En effet, après l’effondrement du mur de Berlin, et celui du « socialisme
réel », le capitalisme est seul à occuper le terrain : il s’est engouffré dans la brèche et
a accéléré le processus de sa concentration en provoquant des dérèglements
dévastateurs. Les Etats face aux multinationales ont abdiqué une part de plus en
plus grande de leur pouvoir aux organisations internationales dominées par les plus
puissants d’entre eux. Les règles de la mondialisation élitiste se sont alors imposées
au reste du Monde. En 1997, on voit pour la première fois à Seattle, des institutions
de la Société civile s’opposer à la mondialisation élitiste, avec un succès réel. Depuis
lors la Société civile ne cesse de peser dans les choix des régulations
internationales. Mais une des conditions d’émergence de la Société Civile comme
troisième pouvoir, c’est qu’elle prenne conscience de la nature culturelle de son
pouvoir et qu’elle trouve les moyens de créer les conditions d’une réelle négociation
avec le gouvernement et le marché.
L’
AGENDA
21
5
DES
P
HILIPPINES
L’agenda 21 des Philippines veut relever le défi de la mondialisation élitaire qui avec
la croissance économique entraîne « des formes moins désirables de croissance ». Il
propose un modèle de développement qui se veut une réponse à ce défi. Il considère
d’abord que la mondialisation élitaire entraîne un développement non durable :
-
une croissance sans racines (homogénéisation culturelle, usure des valeurs
culturelles, modèle de consommation, de production et de distribution non
« durable », matérialisme croissant) ;
-
une croissance sans voix (structures politiques non équitables, corruption,
manque de volonté politique, népotisme et dynasties politiques) ;
-
une croissance sans emploi et sans scrupule (les stratégies agro-industrielles et
les politiques de croissances sont insuffisamment planifiées ; haut taux
d’endettement, libéralisation unilatérale, etc…) ;
5
L’agenda 21, « ce qui doit être fait au cours du 21
ème
siècle », est une proposition complémentaire de la
déclaration générale du sommet de la Terre à Rio ; il s’agit dun plan globalconçu pour les gouvernements, les
institutions, les acteurs civiques économiques et sociaux, qui doit trouver sa traduction à toutes les échelles sous
la forme d’agenda 21 locaux.
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une croissance sans avenir (dégradation de l’environnement, bio-prospection,
bio-piraterie, perte de biodiversité).
Reconnaissant que la mondialisation a profondément affecté de nombreux aspects
de la vie dans le pays, en particulier son écologie, son peuple, sa culture, sa
spiritualité, sa politique, son économie et sa vie sociale, l’agenda 21 des Philippines
considère que la solution au problème du développement non durable ne peut pas
être simplement économique et environnemental. Il récuse une image bi-partite de la
société que ce soit sa version japonaise (forte présence de l’Etat dans l’économie) ou
sa version étasunienne (forte présence du marché dans l’Etat). Dans une « image bi-
partite » de la réalité sociale, qui porte surtout sur les institutions et les processus
économiques et politiques, les hommes, la nature, la culture, la spiritualité et les
considérations sociales ont disparu. C’est pourquoi l’agenda 21 propose une image
tripartite de la vie sociale.
Être humain
Nature
La vie culturelle est la sphère de la liberté, la vie politique celle de l’égalité et de la
justice, et la vie économique, celle de la fraternité et de la sororité c’est-à-dire celle
de la solidarité.
L’Agenda 21 prône constamment la participation simultanée de la société civile, du
gouvernement et des entreprises à tous les niveaux d’engagement : dans les
villages, les villes, les provinces, les régions et au niveau national. Nicanor Perlas
explique que cette participation peut s’exercer au sein de partenariats tri-sectoriels
(ou processus tri-articulés). La société civile peut répondre à cette exigence parce
que ses réseaux sont présents dans presque toutes les provinces des Philippines.
L’Agenda 21 définit comme suit le rôle des institutions-clés des trois sphères de la
vie sociale :
-
« Le gouvernement est l’acteur clé de la sphère politique dont la principale
préoccupation sociale et le principal processus sont l’instauration d’une
gouvernance démocratique, participative, et l’élaboration des lois visant à garantir
les droits humains de tous les citoyens, notamment les droits de justice et
d’égalité. »
SOCIETE
D
E
V
E
L
O
P
P
E
M
E
N
T
D
U
R
A
B
L
E
CULTURE
Société
civile
POLITIQUE
gouvernement
ECONOMIE
Monde des
affaires
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« Les entreprises sont les acteurs clés de la sphère économique dont la
principale préoccupation sociale et le principal processus sont une production et
une distribution mutuellement bénéfiques de biens et de services dans le but de
subvenir aux besoins physiques des être humains. »
-
« La Société Civile est l’acteur clé de la sphère culturelle dont la principale
préoccupation sociale et le principal processus sont le développement des
facultés sociales et spirituelles des êtres humains, afin entre autres, de faire
reculer les limites du savoir, de parvenir à des valeurs claires et cohérentes et de
défendre l’intérêt public. »
L’Agenda 21 est conscient de la polarité entre l’individu et la société : l’individu a des
droits et des responsabilités ; il y a à la fois reconnaissance de la personne et de
l’engagement envers la communauté. De même l’Agenda 21 met en évidence deux
conceptions de la nature : celle considérée en tant que ressource pour la production
de biens en préconisant alors une utilisation responsable des « dons de la nature ».
Mais, la nature est aussi envisagée selon une conception plus fine et revisitée de
l’écologie profonde, qui lui reconnaît une intégrité propre, une valeur intrinsèque,
indépendamment de son aspect utilitaire pour les êtres humains. La recherche d’un
développement durable constitue une perspective stimulante pour les processus de
tri-articulation qui interviennent dans les interactions complexes entre la nature, les
individus et les différentes sphères de la société. Le développement durable intégré
comporte sept dimensions : le développement spirituel et humain (être humain), le
développement social (société), le développement culturel (culture et société civile),
le développement économique (monde des affaires), le développement politique
(gouvernement) et le développement écologique (nature).
L
E DEVELOPPEMENT
«
DURABLE
,
GLOBAL ET INTEGRE
»
Un développement durable conventionnel n’équivaut souvent qu’à un développement
économique sain pour l’environnement, ce qui suppose la tentative quasi impossible
de rendre les modèles néo-libéraux compatibles avec les besoins environnementaux.
À supposer que cette tentative puisse être mise en oeuvre, son succès reste
hautement improbable. Cette approche est insuffisante car trop étroite. Souvent les
intérêts
des
acteurs
économiques
dominent
encore
les
discours
sur
le
développement durable conventionnel. En revanche le développement « durable,
global et intégré » part du principe que les acteurs représentant les trois sphères de
la société mettront en avant leurs intérêts respectifs, en s’engageant de manière
consciente dans cette interaction. Il prend en compte sept dimensions du
développement : l’économique, le politique, le culturel, le social, l’écologique,
l’humain et le spirituel. La version globale et intégrée du développement durable
s’énonce à travers quinze principes figurant dans le tableau joint.
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Les quinze principes du développement durable global et intégré
. développement de toutes les potentialités humaines
. science holistique et technologie appropriée
. sensibilité culturelle, morale et spirituelle
. autodétermination
. souveraineté nationale
. respect de la différence de sexe
. paix, ordre et unité nationale
. justice sociale, équité inter et intra-générationnelle, équité spatiale
. démocratie participative
. viabilité des institutions
. développement économique viable, sain et pluriel
. population prospère
. respect de l’environnement
. équité géographique et gestion des ressources sur une base communautaire
. coopération mondiale.
L
E PASSAGE DU NATIONAL AU LOCAL
L’agenda 21 des Philippines s’attaque aussi à la difficulté de passer d’un modèle de
politique national à un programme local d’action et de mise en oeuvre. Les
collectivités locales sont invitées à formuler et à réaliser leurs propres « plans de
développement durable localement intégrés » (DDLI). En effet, une approche centrée
sur un territoire est nécessaire pour tenir compte de l’étroite imbrication des
problèmes rencontrés à l’ère de la mondialisation. Le partenariat tri-articulé entre
société civile, gouvernement et entreprises est au coeur du DDLI. Les points d’entrée
sont nombreux : gestion de l’environnement, micro-crédit, agriculture durable etc…
Les problèmes rencontrés pour instaurer un développement durable sont nombreux :
besoin de formation permanente à la gestion du développement durable,
changement des équipes politiques locales et continuité de la mise en oeuvre des
projets de développement durable, partage d’une prise de conscience de
l’importance des DDLI dans tous les secteurs de la société. À cette fin un schéma
spécifique d’éradication de la pauvreté a été défini qui tient compte de la nature
multidimensionnelle de la pauvreté.
Initiatives pour l’éradication de la pauvreté
Initiatives économiques
Crédit adapté, prix et marché équitables, rythme de récolte
approprié, polyculture de denrée de base, mélange
judicieux de cultures de subsistance et de culture de
rapport à forte rentabilité, orientation vers une économie
associative, partenariats stratégiques avec des entre
prises agricoles socialement responsables, renforcement
des coopératives agricoles.
Initiatives politiques
Routes reliant les fermes au marché et infrastructures pour
l’irrigation, aide aux travaux post-récolte, reforme agraire et
limitation
des
conversions
de
terres,
lois
contre
l’exploitation du travail agricole, débouché du commerce
équitable pour les produits de l’agriculture
Initiatives culturelles
Assistance technique, utilisation des savoirs indigènes et
des technologies appropriées, apprentissage et formation,
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éducation et élaboration de valeur, science répondant aux
besoins des pauvres, partenariats stratégiques avec la
société civile.
Initiatives sociales
S’attaquer aux inégalités sociales qui accroissent les taux
des fécondités des populations rurales pauvres, réaction
rapide aux catastrophes naturelles, impact sur le marché
agricole des tendances démographiques
Initiatives écologiques
Choix des cultures en fonction de la variabilité des
conditions climatiques, cultures adaptées aux spécificités
des sols indigènes, pour la planification concrète, s’inspirer
du modèle des zones de développement durable de
l’agriculture et de la pêche.
Initiatives humaines
Eviter les produits chimiques toxiques qui nuisent à la
santé
humaine,
alimentation
humaine
appropriée,
améliorer la créativité des individus et leurs compétences
en gestion des ressources
Initiatives spirituelles
Se fonder sur les valeurs spirituelles qui améliorent la
productivité agricole, donner du sens : l’agriculture, un
mode de vie.
L
ES CONDITIONS D
EMERGENCE DE LA TRI
-
ARTICULATION DES SPHERES DE LA SOCIETE
Le « social » (ou sociétal) est ce qui émerge au niveau supérieur par l’interaction des
différentes sphères de la société. La société sera « saine » si les trois sphères se
reconnaissent, se confortent mutuellement et si elles développement leurs initiatives
en étant conscientes de leur impact potentiel sur les deux autres. La société sera
« malsaine » si l’une des sphères domine et essaye de soumettre les deux autres.
C’est ainsi que dans la « mondialisation élitaire », la sphère économique impose sa
domination sur les intérêts légitimes des sphères politiques et culturelles. Les
institutions-clés de cette sphère se comportent comme si les pouvoirs des autres
sphères n’existaient pas. Une institution-clé doit donc avoir clairement conscience de
sa sphère d’appartenance et du pouvoir institutionnel qu’elle détient au sein d’un
monde tripolaire. L’absence de conscience de ces appartenances respectives pour
une institution peut conduire à certains risques comme la « récupération ou
l’instrumentalisation ». On sera dans ce cas lorsqu’un gouvernement veut décider du
contenu de l’éducation ce qui est manifestement du rôle des institutions de la sphère
culturelle, au lieu de se borner de jouer son rôle qui est d’assurer le droit à
l’éducation pour tous.
On a particulièrement besoin de clarifier la signification attribuée à la « Société
civile », institution-clé de la « sphère culturelle ». Une première signification consiste
à appeler Société civile un ensemble d’institutions culturelles activement engagées, à
travers des manifestations ou des partenariats divers, dans la construction d’une
mondialisation orientée vers un développement durable vrai ou un développement
durable global et intégré : ce sont par exemple les ONG (Organisations non
gouvernementales) qui ont manifesté à Seattle. Une seconde signification consiste à
considérer que la société civile est composée d’institutions culturelles impliquées ou
non dans le débat sur la mondialisation et le développement . Elle comprend alors
non seulement les institutions citées ci-dessus, mais aussi les médias, les groupes
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religieux, les fondations, les organisations bénévoles, les groupes professionnels, les
milieux universitaires, ainsi que les « autres organisations dont l’activité immédiate
ou dominante ne présente pas un caractère économique ou politique ». Une
troisième signification est la société dans son ensemble et non seulement sa sphère
culturelle : ce pourrait être le cas si les valeurs de la société civile (sphère culturelle)
parviennent à imprégner les sphères politiques et économiques. On aurait alors une
« société véritablement civile », ce qui n’existe pas aujourd’hui.
C’est pourquoi chaque organisation qui se sent faire partie de la société civile doit
faire l’effort de prendre conscience de ce qu’elle est, des valeurs qu’elle porte et de la
nécessaire alliance à constituer avec les autres organisations de la sphère culturelle
pour ensemble trouver la place qui est la leur dans le fonctionnement tri-articulé de la
société.
Nicanor Perlas distingue ainsi diverses étapes pour l’avènement d’une tri-
articulation : une tri-articulation « de fait » (assimilable à l’enfance), c’est la situation
connue
depuis
Seattle ;
une
tri-articulation
« consciente »
(assimilable
à
l’adolescence), c’est la situation de l’Agenda 21 des Philippines ; une tri-articulation
« avancée » (assimilable à l’âge adulte).
Une tri-articulation avancée pourrait par exemple réunir les situations suivantes :
-
le
gouvernement
s’abstient
de
contrôler
l’éducation,
qui
relève
de
la
responsabilité de la sphère culturelle ;
-
les entreprises cessent de considérer le travail comme une marchandise et de
parler de marché du travail comme si la « capacité de travailler » des êtres
humains était un simple bien qu’on peut acheter ou vendre selon la « loi » de
l’offre et de la demande ;
-
la nature et notamment les terres agricoles cessent d’être des marchandises dans
le système économique ; au stade de la tri-articulation avancée on a compris que
la seule solution à long terme est de confier la gestion des terres à des fondations
et cette solution est mise en oeuvre à grande échelle ;
-
l’engagement de la société civile ne se réduit plus à la critique : son rôle et sa
tâche sont largement reconnus et institutionnalisés. Ainsi, les dons provenant des
excédents de l’économie sont directement versés à la Société Civile comme un
droit et non comme un geste de bonté arbitraire de la part de telle ou telle
institution du monde économique. Les entreprises et le gouvernement
comprennent et apprécient pleinement le rôle de la société civile, notamment sur
le plan de la formation du capital social, humain et écologique, si essentiel pour
revivifier en permanence le Marché et l’Etat
L
A CONSTRUCTION DE LA
S
OCIETE CIVILE
:
UNE TACHE ESSENTIELLE ET PERMANENTE
La société civile découvre son pouvoir en avançant
6
. Mais elle peut être gênée par le
manque de discernement de son identité. En effet, au moment où elle émerge en
tant que troisième force mondiale aux côtés du Marché et des Etats, la Société Civile
n’a pas une idée claire de sa différence, ni de la source de sa force ou de ses
faiblesses. Certains de ses responsables sont eux-mêmes complices, préférant que
le terme de Société Civile reste vague et imprécis. Il est nécessaire de résoudre cette
6
Les zapatistes au Mexique, « People Power» aux Philippines, la chute du mur de Berlin, la rapide destitution
des régimes totalitaire d’Europe de l’Est et d’Amérique latine, pouvoir des consommateurs sur la stratégie des
firmes
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crise d’identité en posant honnêtement la question de la véritable nature de la
Société Civile et de son pouvoir culturel. Si on ne le fait pas on risque de trouver des
conséquences négatives à long terme tant pour la société civile que pour l’ensemble
de la Société. Un exemple peut illustrer ce point : de plus en plus fréquemment,
d’anciens responsables de la Société Civile entrent dans la sphère de l’Etat en
acceptant des postes de hauts fonctionnaires ou mêmes de ministres. Après avoir
suscité de grands espoirs parmi leurs collègues de la Société Civile, de tels promus
se transforment souvent en âpres opposants à la Société Civile. Ce revirement du
coeur a une explication. Elle réside dans une affection appelée « rouille »
7
. Pour les
institutions de la Société Civile, cette maladie peut conduire au risque de
récupération.
La nécessaire prise de conscience de la nature de la société civile et de son pouvoir
culturel doit faire l’objet d’une démarche volontaire des individus qui la constituent.
Des individus de plus en plus nombreux que Nicanor Perlas appelle les « créatifs
culturels » partageant de manière consciente et organisée des valeurs culturelles
peuvent subvertir les institutions des autres sphères de la société à la condition de
ne pas être atteints de rouille : « un militant de la Société Civile entaché de rouille
entrera dans un dialogue, une négociation ou une relation de partenariat avec des
oeillères qui l’empêcheront de voir la récupération s’enrouler lentement autour de sa
victime inconsciente ».
Quatre tendances apparaissent dans la société civile mondiale : ceux qui pratiquent
essentiellement la contestation et la critique ; ceux qui s’engagent dans une relation,
mais risquent de se faire récupérer ; ceux qui s’engagent dans une relation et
mettent en place des initiatives dans le sens d’un développement durable, global et
intégré grâce à un dialogue ou un partenariat tripartite authentique ; ceux qui
réalisent des expériences alternatives concrètes de terrain.
Un traumatisme menace la société civile, malgré la part de vérité qui réside dans
chacune de ses positions : les forces qu’elle constitue risquent de se diviser et de se
saper mutuellement faute d’une entraide suffisante ou en se critiquant mutuellement.
Les intentions sincères d’engager un partenariat tripartite au sein de la
mondialisation élitaire peuvent ajouter de la confusion au sein de la Société Civile qui
devra être capable de discerner la vraie coopération et les tentatives subtiles de
récupération. La vraie compréhension de ce qu’est la Société Civile ne s’obtient que
par des progrès individuels dans la mobilité intérieure et la connaissance de soi. Le
chemin pour y parvenir est toujours douloureux. Pour atténuer ce traumatisme, il faut
d’abord savoir respecter les différentes approches tactiques et stratégiques qui ont
toutes leur utilité (la critique, le refus, l’engagement critique). Ce respect peut encore
être plus fort si l’on parvient à établir des relations de confiance et des relations
stratégiques sur la base de ces différences. Au delà d’une attitude de tolérance
passive, les militants peuvent évaluer activement l’importance et la force des
différentes approches contre la mondialisation élitaire : cette compréhension et cette
appréciation mutuelles de la contestation et de l’engagement peuvent neutraliser les
tentatives de récupération et de division de la Société civile.
7
Cette maladie trouve son nom dans la traduction d’un acronyme anglais signifiant « reste d’un étatisme non
résolu » : RUST (rest of unresolved Statism). La proximité du pouvoir peut attirer et récupérer les individus les
mieux intentionnés.
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