De l’étude de l’État hébreu à la démocratie La stratégie politique du  conatus spinoziste
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Article« De l’étude de l’État hébreu à la démocratie La stratégie politique du conatus spinoziste » Laurent BovePhilosophiques, vol. 29, n° 1, 2002, p. 107-119. Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante :http://id.erudit.org/iderudit/009567arNote : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.htmlÉrudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documentsscientifiques depuis 1998.Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Document téléchargé le 21 September 2011 01:3029n01.book Page 107 Wednesday, April 17, 2002 11:32 AMDe l’étude de l’État hébreu à la démocratieLa stratégie politique du conatus spinozisteLAURENT BOVEUniversité d’Amienslaurent.bove@wanadoo.frPHILOSOPHIQUES 29/1 — Printemps 2002, p. Philosophiques / Printemps 2002RÉSUMÉ. — De l’État le plus parfait dans la servitude, sont déduits, sur le plande la théorie philosophique de la constitution du corps politique, des ...

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« De l’étude de l’État hébreu à la démocratie La stratégie politique du conatus spinoziste »  Laurent Bove Philosophiques, vol. 29, n° 1, 2002, p. 107-119.    Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/009567ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.
Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca  
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De l’étude de l’État hébreu à la démocratie La stratégie politique du conatus spinoziste LAURENT BOVE Université d’Amiens laurent.bove@wanadoo.fr PHILOSOPHIQUES 29/1 Pirntemps2002,p.Philosophique/sPirntemps2002 RÉSUMÉ. — De l’État le plus parfait dans la servitude , sont déduits, sur le plan de la théorie philosophique de la constitution du corps politique, des enseigne-ments pour la compréhension de l’originalité de l’approche spinoziste de l’auto-organisation du corps collectif en général et de la démocratie en particulier. C’est dans et par l’examen historique et politique de l’effort de persévérance in suo statu que Spinoza a élaboré sa théorie du conatus et ce à travers l’étude d’un indi-vidu collectif, l’État hébreu. On ne peut pas détacher la théorie du conatus de la connaissance du procès concret d’actualisation d’une essence singulière, et les concepts d’ habitudo, de consuetudo , d’ ingenium , de dispositio , conduisent à con-cevoir l’effort comme une pratique stratégique d’affirmation et de résistance, dont le régime peut être d’hétéronomie ou d’autonomie. Stratégie n’a pas un sens téléologique et instrumental : c’est la logique causale de chaque être dans son effort singulier pour persévérer en son être. Ainsi est mise à jour une onto-logie politique spinoziste de la stratégie qui éclaire, pour tout régime, le rapport de la multitude à ses institutions. ABSTRACT. — From the most perfect state during its servitude, precepts may be deduced on the level of philosophical theory regarding the constitution of the political body, which help one to understand the uniqueness of the Spinozistic approach to the self-organization of collective bodies in general, and democra-cies in particular. It is in and through a historical and political examination of the effort to persevere in suo statu that Spinoza elaborated his theory of the conatus , and he did so through the study of a collective individual, that of the Hebrew state. The theory of the conatus cannot be separated from a recognition of the concrete process of actualization of a singular essence ; the concepts of habi-tudo , consuetudo, ingenium , and dispositio lead us to understand the effort as a practical strategy of affirmation and resistance, whose form may either be of het-eronomy or of autonomy. Strategy does not have any teleological or instrumen-tal meaning : it is the causal logic of each being in his singular effort to persevere in his being. We can thus see how a Spinozistic political ontology of strategy emerges that may account for the relationship between the multitude and its institutions within all governments.
Spinoza est mort en laissant inachev é un Trait é Politique et le chapitre qu il souhaitait consacrer à la d é mocratie. Or, de l ’é tude de l organisation politique la plus parfaite dans la servitude ( à savoir la th é ocratie h é bra ï que é tudi é e, elle, dans le Trait é Th é ologico-Politique) , nous pouvons d é duire, sur le plan de la th é orie philosophique de la constitution m ê me du corps politique, des ensei-gnements des plus utiles pour la compr é hension de l originalit é de l approche spinoziste de l auto-organisation du corps collectif, en g é n é ral, et de la d é mo-cratie en particulier. PHILOSOPHIQUES 29/1 — Printemps 2002, p. 107-119
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1. Unaqu æ que res, quantum in se est, in suo esse perseverare conatur , in é d. Gebhardt, Carl, Spinoza Opera , Heildelberg, Carl Winters Universit æ tsbuchhandlung, 1982, r éé d. 1972, t. II p.146. 2. Unaqu æ que res in suo statu, quantum in se est, conetur perseverare ..., Ibid . t. III p.189, traduction fran ç aise d Appuhn, Charles, in Garnier Flammarion t. II p.262. 3. Avant le TTP on peut lire d é j à dans le Court Trait é , qu « aucune chose ne peut par sa propre nature tendre à l an é antissement d elle-m ê me, mais qu au contraire chaque chose a en elle-m ê me une tendance à se maintenir dans le m ê me é tat et à s ’é lever à un meilleur » ( CT V, De la Providence de Dieu 1 et 2) ; dans l Appendice g é om é trique du CT II, 6, Spinoza é voque « l amour naturel, qui est en chaque chose, de conserver son corps » ; dans les Pens é es M é ta-physiques c est tout d abord, dans la premi è re partie ch. VI, que Spinoza identifie la chose à « la tendance qui est en elle à conserver son ê tre » (Gebhardt t. I p. 248 ; Appuhn t. I pp.353-354) ; dans le ch. VI de la partie II, c est la « vie » elle-m ê me qui est identifi é e à « la force par laquelle les choses pers é v è rent dans leur ê tre ... per quam res in suo esse perseverant » ( Ibid t. I p.260 ; ibid. t. I pp.368-369). Remarquons aussi que, dans sa lecture des Principes de la Philosophie de Descartes , Spinoza aborde la question du repos « et » du mouvement (ou de leur « rapport » ) d un point de vue essentiellement dynamique (cf. L é crivain, Andr é , « Spinoza et la physique cart é sienne » , dans les Cahiers Spinoza 1, 1977 et 2, 1978 é d. R é plique, pp. 235-265 et 93-206). Mais ce n est qu ’à partir du TTP que cette dynamique (cette puissance, ce droit de nature ou cet effort de pers é v é rance) va ê tre pratiquement con ç ue comme un processus constitutif dont l ana-lyse de l ’É tat h é breu é claire les principes.
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Nous partirons pour cela de l ’é tude du concept de conatus . Ce concept est à proprement parler introuvable dans le texte du TTP alors qu il est central dans l É thique , telle que Spinoza nous l a laiss é e. Si l on cherche en effet, dans le TTP , le concept de conatus en tant qu il d é finit l essence actuelle d une chose ou l effort m ê me que cette chose fait pour pers é v é rer dans son ê tre on ne le trouvera pas. La proposition 6 d É thique III affirme : « Chaque chose, autant qu il est en elle s efforce de pers é v é rer dans son ê tre » 1 . Dans le chapitre XVI du TTP on trouve cette autre formulation : « Chaque chose, autant qu il est en elle [de puissance] s efforce de pers é v é rer dans son é tat » 2 . Pers é v é rer « dans son é tat » et non « dans son ê tre » , comme le dit É thique III, 6. Nous voudrions montrer que c est, premi è rement, dans et par l exa-men historique et politique de cet effort, toujours particulier, de pers é v é rance en son é tat ( in suo statu ) ou ce qui signifie la m ê me chose de pers é v é rance dans et par des dispositions particuli è res, que Spinoza a é labor é sa th é orie du conatus et ce essentiellement à travers l ’é tude d un individu collectif, l ’É tat h é breu 3 , deuxi è mement, et par cons é quent, qu on ne peut pas d é tacher la th é orie du conatus des é tudes particuli è res des essences individuelles, soit de la connaissance effective du proc è s concret d actualisation d une essence singu-li è re. Les conatus sont des pratiques. Et il y a autant d esp è ces de conatus qu il y a d individus r é els. La notion de conatus est certes universelle mais elle enve-loppe aussi, dans ses d é veloppements concrets, les concepts th é oriques n é ces-saires à sa propre explication, en tant qu essence individuelle. Or ce sont ces concepts r é currents d habitude ( habitudo ), de coutume ( consuetudo ), de com-plexion propre ( ingenium ) de disposition ( dispositio ) qui nous conduisent à concevoir la nature de l effort comme une pratique strat é gique d affirmation et
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de r é sistance, ou comme proc è s d auto-organisation collective dont le r é gime peut ê tre d h é t é ronomie ou d autonomie, selon certaines proportions entre activit é et passivit é . Nous n emploierons pas ici la notion de strat é gie en un sens t é l é ologique et instrumental. La strat é gie est la logique causale de chaque ê tre dans son effort singulier pour pers é v é rer en son ê tre. Et notre projet est ainsi d ’é tudier, chez Spinoza, une ontologie politique de la strat é gie ou (c est la m ê me chose) de la puissance actuelle et constituante 4 . Les textes o ù il est question de la naissance, de l organisation et de l his-toire de l ’É tat h é breu (essentiellement les chapitres V et XVII-XVIII du TTP ) r é v è lent à l analyse, et du point de vue qui nous int é resse, deux lignes possi-bles d interpr é tation qui signalent bien la position de charni è re de cette é tude dans l ’é laboration conceptuelle du syst è me de l É thique .
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1. La théocratie hébraïque à la lumière de l’appendice d’Éthique I On peut lire en effet, tout d abord, les textes du TTP , concernant l ’É tat h é breu, à la lumi è re de l appendice de la partie I de l É thique qui, à la suite du para-graphe 58 (num é rotation Bruder) du Trait é de la R é forme de l Entendement, pose la relation inversement proportionnelle entre la puissance de comprendre et la puissance d imaginer : moins notre esprit comprend, plus il a une grande puissance de fiction ; plus notre esprit comprend, moins il imagine 5 . Relation qui est r é affirm é e comme une v é rit é universelle au d é but du chapitre II du TTP , « Des Proph è tes » 6 . Dans l appendice d É thique I, en d é crivant du point de vue de l igno-rance et de la crainte la production imaginative d une repr é sentation du monde ou d une codification du r é el comme une exigence vitale commune à tous les hommes, Spinoza voyait d é j à dans l ’é pig é n é tisme du pr é jug é finaliste comme fiction la matrice d une v é ritable constitution imaginaire de la r é a-lit é humaine. Et selon une n é cessit é pr é sent é e comme logiquement in é luctable,
4. Ce texte est une synth è se et un prolongement de la position soutenue dans Bove, Lau-rent, La Strat é gie du Conatus. Affirmation et R é sistance chez Spinoza , Paris, Vrin 1996 (parti-culi è rement dans les chapitres VII, 3 ; VIII, 1 ; IX, 1). Nous avons examin é par ailleurs, et dans le m ê me esprit, la filiation Spinoza-Machiavel : « Le r é alisme ontologique de la dur é e chez Spi-noza lecteur de Machiavel » , é tude publi é e dans La Recta Ratio. Criticiste et spinoziste ? Hom-mage en l honneur de Bernard Rousset, dans é d. Bove, Laurent, Groupe de Recherches Spinozistes, Paris, Presses de l Universit é de Paris-Sorbonne 1999. Sur le rapport production-constitution comme « pivot de la projectualit é spinoziste » , cf. le grand livre d Antonio Negri, L anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez Spinoza , PUF, Paris, 1982. 5. Quo mens minus intelligit,& tamen plura percipit, eo majorem habeat potentiam fingendi, & quo plura intelligit, eo magis illa potentia diminuatur, TRE , Gebhardt, t.II p.22 ; Appuhn, t.I (37) p.199. 6. Nam qui maxime imaginatione pollent, minus apti sunt ad res pure intelligendum, & contra, qui intellectu magis pollent, eumque maxime colunt, potentiam imaginandi magis tem-peratam, magisque sub potestatem habent, & quasi freno tenent, n è cum intellectu confundatur , (Gebhardt, t. III p.29 ; Appuhn, t. II p.50).
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7. Cf. Gebhardt, t. III p.75 ; Appuhn, t. II p.108. 8. TTP II, Gebhardt, t. III p. 41 ; Appuhn, t. II p. 61.
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Spinoza tirait les cons é quences religieuses et politiques catastrophiques pour la v é rit é et la libert é , et plus g é n é ralement pour le bonheur du genre humain de cette matrice t é l é ologique devenue superstition et tyrannie. Les hommes ont une n é cessit é vitale de la repr é sentation d un ordre, d un sens et dans l ignorance ils sont n é cessairement conduits à la perversion morti -f è re de cet ordre et de ce sens dans la superstition et la tyrannie. Dans le TTP l existence de la th é ocratie h é bra ï que appara î t alors comme la solution, propre à un peuple barbare, de cette contradiction qui conduit les hommes à combat-tre pour leur servitude comme s il s agissait de leur salut. Dans l ’É tat h é breu, en effet, c est la repr é sentation finaliste imaginaire et superstitieuse qui, deve-nue institution, é lev é e au rang de la Loi politique intangible d un Dieu souve-rain, assure le fondement et le maintien de la vie heureuse, tant sur le plan individuel que collectif. É thique I appendice nous é vite donc d é j à de r é duire l ordre symbolique de la th é ocratie h é bra ï que, son univers propre de significations et de valeurs, à la simple technique politique d un l é gislateur g é nial, comme pourraient nous le faire croire, au premier abord, certaines expressions du TTP , comme par exem-ple chapitre V, « Moses... divino religionem in Rempublicam introduxit » 7 . L ’é tude de l ’É tat h é breu nous donne au contraire à lire, dans la totalit é de son sens, la th è se plus sp é cifiquement spinoziste de la constitution de l individualit é propre du corps collectif en fonction d un syst è me de significations imaginaires dont É thique I appendice nous avait livr é la gen è se. Ce que montrent clairement les chapitres V et XVII du TTP , c est que, comme les hommes en g é n é ral (abstraction faite de la soci é t é , c ’é tait la pers-pective de l appendice), chaque soci é t é doit aussi, dans la repr é sentation, d é finir son identit é (c est-à -dire son image propre) dans sa diff é rence avec les autres soci é t é s, d é finir é galement (mais c est la m ê me chose) le sens de son existence, son rapport au monde, aux autres (qu il faut aussi signifier), et aussi son rapport à soi, à ses besoins, à ses d é sirs, à ses significations, à ses valeurs. C est ce que font les H é breux qui, selon une fiction finaliste singu-laris é e, s attribuent en exclusivit é le nom de filios Dei . En d é finissant ainsi, tant dans l imaginaire que dans le r é el des institu-tions et de la vie que cet imaginaire a institu é , l utile propre d un peuple barbare, et en instaurant les moyens de la satisfaction tant des d é sirs que des besoins, l ’É tat h é breu s est é lev é à une organisation rationnelle de la vie com-mune. Et c est en ce point que l ’é tude de la th é ocratie h é bra ï que exc è de la pro-bl é matique d É thique I appendice. Car en pensant l organisation d un peuple, que Spinoza tient pour un peuple-enfant enti è rement priv é de raison 8 , comme une organisation é minemment rationnelle, Spinoza est en effet pass é de la con-sid é ration de l impuissance de la multitude ignorante à se gouverner seule à la consid é ration de sa puissance propre malgr é cette ignorance à s auto-
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9. TTP VI, Gebhardt, t. III p. 81 ; Appuhn, t. II p. 117. 10. TTP XVII, Gebhardt, t. III p. 206 ; Appuhn, t. II p. 283.
2. Le conatus -habitude de l’État hébreu Dans le chapitre XVII comme dans bien d autres passages du TTP c est tout d abord sur la puissance des consuetudines de l accoutumance ou de l habitude que Spinoza insiste plus particuli è rement pour expliquer ce qui fait la premi è re « force » du peuple h é breu, dont la valeur, dit-il, d é pend de « l opinion seule » . Or les opinions ne sont contract é es qu ’« en vertu d habi-tudes acquises » 9 . Et c est selon ces habitudes ou ces opinions contract é es que les H é breux ont é t é conduits à passer un premier pacte avec Dieu : Puisque les H é breux ne transf é r è rent leur droit à  personne d autre, que tous é galement, comme dans une d é mocratie, s en dessaisirent et cri è rent d une seule voix tout ce que Dieu aura dit (sans qu aucun m é diateur f û t pr é vu), nous le fe-rons , tous en vertu de ce pacte rest è rent enti è rement é gaux ; le droit de consulter Dieu, celui de recevoir et d interpr é ter ses lois, appartint é galement à tous, et d une mani è re g é n é rale tous furent é galement charg é s de l administration de l ’É tat. Pour cette cause donc, à l origine, tous all è rent vers Dieu pour entendre ses commandements ; mais, à l occasion de ce premier hommage , ils eurent un tel effroi et entendirent la parole de Dieu avec un é tonnement tel qu ils crurent leur heure supr ê me venue. Pleins de crainte donc ils s adressent de nouveau à Mo ï se.. 10 . Comment expliquer un tel effroi ? Tout d abord par la rupture brutale et inattendue du tissu associatif de l habitude qu engendre la nouvelle situa-tion. L ’é tonnement des H é breux, lors du premier pacte, s explique par leur impuissance-panique à int é grer et à interpr é ter une nouvelle image de Dieu, à la fois singuli è re et bouleversante, d autant plus angoissante qu elle leur est plus é trang è re. Et ceci à cause de la nouveaut é de leur propre situation : situa-tion in é dite d attente de commandements, jamais encore rencontr é e, situation qu ils ont eux-m ê mes cr éé e en d é sirant passer un pacte politique avec Dieu, pacte qui ne faisait pourtant pour eux que prolonger leurs habitudes, et qui les
organiser rationnellement. C est dire que la puissance souveraine de la multi-tude est alors con ç ue comme premi è re politiquement, que la multitude pos-s è de la puissance politiquement constituante, que le proc è s d é mocratique est donc lui-m ê me constituant de la politique et de l histoire, m ê me si la d é mo-cratie, comme pratique effective de la citoyennet é et comme r é gime, est tou-jours historiquement à faire. D o ù la n é cessit é et la possibilit é d une seconde perspective de lecture de ces chapitres du TTP , qui nous conduit plut ô t à exa-miner le ou les concepts mis en œ uvre par Spinoza, comme autant d outils, afin de r é fl é chir ce proc è s historique auto-organisationnel de cette chose par-ticuli è re qu est l ’É tat h é breu. Pour aborder cette seconde perspective, reve-nons à la constitution m ê me de l ’É tat h é breu, soit au moment du pacte.
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expose à pr é sent à une é tranget é radicale. Car le pacte exige de Dieu (c est-à -dire, en fait, de l imagination m ê me des H é breux) la r é solution de probl è mes que, jusqu ’à ce jour, cette imagination n avait jamais é t é accoutum é e, ni à poser ni encore moins à r é soudre. D o ù la peur panique qui est l effet de ce v é ritable traumatisme que vivent les H é breux, car la situation à laquelle ils sont confront é s d é borde les limites de leur tradition, de leur m é moire, des liaisons tiss é es par l habitude, c est-à -dire le champ structur é de possibilit é de leur exp é rience. Arr ê tons-nous sur cette notion d ’ « Habitude » qui é claire le proc è s du pacte. Qu entend Spinoza sous ce th è me r é current ? Essentiellement la puis-sance constitutive d un corps dans la liaison de ses propres affections, soit l exercice m ê me du conatus ou, sur le plan pratique de la pers é v é rance, un effort d affirmation et de r é sistance. En effet, aucune chose n a rien en elle par quoi elle puisse ê tre d é truite c est-à -dire qui ô te son existence, mais au contraire elle est oppos é e à tout ce qui peut ô ter son existence ; et ainsi, autant qu elle peut et qu il est en elle, elle s efforce de pers é v é rer dans son ê tre 11 . Dans le TTP la notion d Habitude est mise en œ uvre afin d expliquer l activit é organisatrice d un corps, comme dans l ’é pisode du contrat qui est un moment et une forme plus complexe de la dynamique associative de la nation h é bra ï que (comme corps) dans son effort d affirmation singuli è re et de r é sis-tance aux forces de dissolution tant externes qu internes. Dynamique de l Habitude qui est le proc è s m ê me d auto-organisation des affections selon les lois d association des images, lois de la contigu ï t é , de la ressemblance, de l imi-tation, voire de l association causale lorsque, dans et par l imagination, une cause est associ é e à un affect. C est cette conception de l Habitude que l on retrouvera aussi bien dans l É thique 12 que dans le Trait é Politique o ù l usage de la notion de consuetudo exprimeladimensiondynamiqueetconstitutivedu corps collectif : « Tous les hommes barbares ou civilis é s, nouent partout des coutumes ( consuetudines ) et forment une soci é t é civile » 13 . Et cette contraction est bien, pour Spinoza, celle de l Habitude comme activit é auto-organisatrice du corps, dans son effort de pers é v é rance. Cette dynamique de l Habitude est aussi constitutive de la dur é e m ê me de ce corps, c est-à -dire de sa « continuation ind é finie de l existence » (selon la d é finition 5 d É thique II). C est ainsi qu il y a une dur é e ou un rythme propre de chaque corps en sa pers é v é rance. C est la r é alit é du temps propre que chaque indi-vidu (homme ou soci é t é ) produit en se produisant, dans et par la dynamique associative de ses affections.
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11. É thique III, proposition 6. 12. É thique , scolie de la proposition 18 partie II et scolie de la prop. 44 partie II. Pour le commentaire de ces passages, cf. Bove, La Strat é gie du Conatus , ch. I pp. 19-46. 13. TP I, 7 et aussi Eth. IV app. ch.12 et 26.
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3. La vertu propre de Moïse Le g é nie de Mo ï se qui est en osmose quasi totale avec l esprit de son peuple dont il partage les pr é jug é s fut, selon Spinoza, de ne prescrire que ce qui n entre pas en contradiction avec les habitudes des H é breux mais qui, au con-traire, donne à celles-ci leur pleine efficience politique pour le bien-ê tre mat é -riel de ce peuple. Spinoza le constate ( à travers l efficience du don proph é tique de Mo ï se), mais il ne l explique pas. Nous savons seulement que Mo ï se ima-gine ce que le peuple h é breu c est-à -dire le complexe donn é des coutumes et des habitudes acquises sans lui, n avait pas é t é capable d imaginer : à savoir des institutions stables pour le nouvel É tat. Mo ï se c est donc l imagination productive du corps du peuple h é breu, celle par laquelle ce corps s ’é l è ve à une plus grande complexit é et par l à m ê me à l aptitude de poser ad é quatement le probl è me de sa survie et à imaginer le cas politique de sa solution. Or que serait cette imagination politiquement inventive qui va d é cider des lois si elle n ’é tait pas d é j à aussi une m é moire, celle du corps du peuple h é breu lui-m ê me ? Mo ï se d é cide certes des lois mais cette d é cision, comme le dit par ailleurs Spinoza dans le scolie de la proposition 2 d É thique III, « ne se distingue pas de l ima-gination elle-m ê me ou du souvenir » 14 . C est ce qui é claire l inh é rence de Mo ï se au c œ ur du peuple h é breu. Mo ï se n est pas l esprit de ce corps qui, de l ext é rieur, le conduirait. Mo ï se, souligne Spinoza en TTP XI, « n a jamais fait un raisonnement v é ritable » 15 ! Mo ï se c est le corps m ê me du peuple h é breu, sa m é moire, à un stade sup é rieur de perfection, c est-à -dire de puissance ima-ginante auto-organisatrice.
14. Cf. Gebhardt, t. II p. 144 ; Appuhn, t. III p. 140. 15. Ibid ., t. III p. 153 ; ibid ., t. II p. 207.
L Habitude d é signe donc, dans le TTP , la puissance de l ensemble des dynamismes associatifs par lesquels se constitue une aptitude historique pro-pre du corps collectif (une dispositio ) soit les associations par lesquelles se sont nou é es les m œ urs et les coutumes (les consuetudines ) de telle ou telle nation et cela par contigu ï t é , ressemblance, imitation, logique du plaisir et m ê me, selon la complexit é sup é rieure du corps collectif devenu politique, les associations de l imagination recognitive et causale qui d é passent les affec-tions li é es et l affect qui leur est corr é latif vers la constitution de nouvelles formes de liaisons qui, selon le mouvement du d é sir collectif qui se porte vers elles en les instituant, sont d é sign é es comme les nouvelles valeurs, les nou-velles causes de s é curit é et de paix pour la nation enti è re. D o ù l importance dans le dispositif de l Habitude du Corps du peu-ple h é breu de la vertu propre de Mo ï se qui va donner à ce corps, lors d un second pacte (apr è s l impossibilit é du premier) et dans l effort m ê me d auto-organisation collective de ce corps, une complexit é sup é rieure : celle d un v é ritable corps politique.
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114 · Philosophiques / Printemps 2002
16. TTP I, Gebhardt, t. III p. 20 ; Appuhn, t. II p. 36. 17. TTP II, ibid. , p. 31 ; ibid. , p. 51.
Il est vrai que par les seuls m é canismes de l habitude, le corps social n a encore ni objet ni but repr é sent é s comme tels : c est sa condition pr é -politi-que. À ce stade é l é mentaire, lors du premier pacte, le peuple h é breu est pris de vertige et d ’é tourdissement face à la richesse d une r é alit é qu il n a pas les moyens de ma î triser. Or, avec Mo ï se qui dialogue avec Dieu « comme un compagnon et sans é pouvante » 16 , soit comme avec un familier, le corps du peuple est capable, dans un second pacte, d une conciliation sup é rieure. Le corps du peuple est analogue en cela à un corps plus complexe qui, sur la base de son aptitude à lier ses affections, est capable aussi de ressentir de la joie ou de la tristesse, mais aussi de se repr é senter (d halluciner) ou de recon-na î tre la « cause » de cet affect (de vivre ainsi, selon É thique III, 13 scolie, un « amour » ou une « haine » ) et par cons é quent de conduire son existence, selon cette association causale, en fonction de l utilit é ou de la fin qu il ima-gine ê tre la sienne, c est-à -dire selon une logique (en derni è re instance amou-reuse) de nature t é l é ologique. En ce qui concerne l histoire particuli è re du peuple h é breu c est donc avec Mo ï se que le conatus -Habitude du corps collectif entre dans un fonc-tionnement t é l é ologique. Et pour un corps collectif, la t é l é ologie est celle-m ê me d une direction politique c est-à -dire la formation de l imperium . Mo ï se est donc celui par qui le corps social h é breu devient l é gislateur, c est-à -dire devient capable d imaginer avec « vivacit é » une loi politique d auto-organisation, d en anticiper ses effets et ses bienfaits. Loi d auto-organisa-tion en ce qu elle est issue des habitudes de ce peuple, qui ne peut ainsi qu y adh é rer, y consentir, mais loi qui é l è ve aussi le corps collectif à un nouveau r é gime des affects et des id é es imaginatives qui leur sont corr é latives. C est ainsi selon le m ê me mouvement du d é sir, qu un homme produit, identifie, pr é sentifie l objet-cause de sa joie et que l imagination du peuple h é breu produit-identifie-pr é sentifie les institutions qui garantiront sa s é cu-rit é . Les liaisons propres de l imagination sont donc recognitives et causales c est-à -dire productives de nouvelles formes, d une nouvelle objectivation hallucinatoire du r é el. Ainsi Mo ï se imagine-t-il « les choses r é v é l é es tr è s vive-ment, comme nous avons accoutum é de faire quand, pendant la veille, nous sommes affect é s par des objets » 17 . C est donc selon le m ê me proc è s halluci-natoire et d é sirant que sont produits les objets d amour et les institutions ; et celles-ci seront d autant plus ajust é es à la complexion propre d un peuple, à son ingenium , qu elles seront dans une continuit é novatrice des consuetudi-nes et non pas, comme les utopies, tourn é es contre elles. Mais à la diff é rence des objets du d é sir humain qui, m ê me lorsqu il s agit d autres ê tres humains, ne r é alisent pas n é cessairement le statut imaginaire de cause finale que leur conf è re le d é sir qui se porte vers eux, les institutions se constituent r é ellement comme causes des affects collectifs, r é alisant ainsi historiquement la causa-
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