Du « roi magique » au « roi divin » - article ; n°3 ; vol.25, pg 668-698
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1970 - Volume 25 - Numéro 3 - Pages 668-698
31 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1970
Nombre de lectures 31
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Laura Makarius
Du « roi magique » au « roi divin »
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 25e année, N. 3, 1970. pp. 668-698.
Citer ce document / Cite this document :
Makarius Laura. Du « roi magique » au « roi divin ». In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 25e année, N. 3, 1970. pp.
668-698.
doi : 10.3406/ahess.1970.422250
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1970_num_25_3_422250ET HISTOIRE ANTHROPOLOGIE
Du roi magique au « roi divin »
Depuis que Frazer a rapproché les premiers rois de Rome des potentats bar
bares d'Afrique et d'Asie1, le problème posé par la nature du « roi divin » n'a
guère avancé vers sa solution, malgré l'accumulation de données ethnologiques
nouvelles. En étudiant l'ensemble des tabous qui réglementent le comportement
des chefs, des rois et des prêtres des sociétés tribales, ainsi que celui de leurs sujets
à leur égard, l'auteur du Rameau ďOr avait envisagé le phénomène sous l'angle
permettant d'en apercevoir les aspects les mieux définis et donc les plus aptes à en
livrer l'explication. Paradoxalement, toutefois, une telle approche, féconde en elle-
même, a contribué à « bloquer » le problème : les comportements observés par les
membres de la société à l'égard des souverains, qu'ils n'osent ni toucher ni regar
der, comme si de leur présence émanait un inexprimable danger — indiqueraient,
selon les conceptions ethnologiques courantes, que ces personnages appartiennent
à la sphère distante et séparée du « sacré ». On se contente alors de justifier les tabous
par le caractère « surnaturel » des êtres qu'ils investissent. Irstam, par exemple,
auteur d'un ouvrage relativement récent sur le roi « sacré » en Afrique, explique
les interdits qui l'entourent par la nature « divine » ou « sacrée » qui serait la sienne 2.
Or si c'est le tabou qui fait considérer le roi comme « sacré », son caractère « sacré »
ne saurait être invoqué pour expliquer le tabou : on s'enferme ainsi dans un cercle
vicieux, le tabou vient à participer du caractère mystérieux du « sacré » et le pro
blème demeure entier.
L'étude des tabous entourant les rois des sociétés tribales, par contre, est apte
1. Frazer, V. The Golden Bough, vol. I et II et en particulier, vol. П, pp. 1-6 et 376-387. L'ex
pression « roi divin » est employée, dans notre texte, dans son acception purement conventionn
elle, pour indiquer un type déterminé de souverain ou de chef. Le présent article fait partie d'une
série de publications (1968-1970) dans lesquelles l'auteur reprend les études, dédiées aux diverses
catégories de « violateurs d'interdit » (jumeaux, forgerons, rois, tricksters et clowns rituels), cons
tituant cinq chapitres d'un livre à paraître prochainement.
2. Irstam p. 78.
668 ROI MAGIQUE AU « ROI DIVIN » L. MAKARIUS DU
à éclairer le problème de la royauté primitive, parce qu'elle offre un point de départ
extérieur à celle-ci et plus général. Ces tabous, en effet, ne sont pas particuliers aux
rois. Ils s'appliquent également à des individus qui n'appartiennent pas à la caté
gorie des souverains et qui, de plus, n'ont rien de « divin » ou de « sacré ». Bien que
« redimensionnés » à la mesure de la royauté, les interdits qui frappent les rois sont,
ainsi que Frazer l'avait remarqué, de même nature que ceux frappant les personnes
qui saignent ou qui ont versé le sang x : femmes menstruantes ou accouchées, jeunes
filles à la puberté, blessés portant des plaies ouvertes, meurtriers, etc. Or, ce qui
explique la condition tabou de ces personnes peut expliquer aussi la condition
tabou de ces rois.
Le sang étant porteur du plus grand des dangers (quand il n'est pas investi d'une
signification particulière tendant à écarter précisément ce caractère dangereux),
il est couvert par un tabou rigoureux qui en défend le contact et parfois la vue 2.
Les personnes qui constituent une source de contagion sanglante — soit qu'elles
saignent elles-mêmes, soit qu'elles soient venues en contact avec le sang, soit encore
qu'elles aient enfreint, volontairement ou non, le tabou du sang — sont soumises
au même ensemble d'interdits de contact et d'interdits sexuels et alimentaires, qui
représentent autant de mesures de protection contre le danger sanglant.
Le roi ne saignant pas et ne se caractérisant pas en tant que meurtrier, il faut
présumer qu'il se trouve sous le tabou du sang parce qu'il a enfreint de quelque
manière ce tabou, et a donc réalisé un contact avec le sang qui le rend aussi dange
reux que les femmes menstruantes et les meurtriers 3. A la question de savoir quelle
est la violation qu'il commet, la réponse se présente immédiatement, car elle fait
partie des données du problème : c'est la violation du tabou de l'inceste. Il est
notoire, en effet, que les chefs et les rois des sociétés barbares ou archaïques, que
Frazer a appelés « rois divins », descendent de familles incestueuses et commettent
rituellement l'inceste 4.
1. « Entre ce que l'on appelle l'impureté des filles pubères et la sainteté des hommes sacrés, il
n'y a pas de différence matérielle dans l'esprit de l'homme primitif. » 1911-1915, vol. X, p. 97 ;
vol. 1П, p. 224.
2. Durkheim, p. 50 ; Makarius, 1961, p. 52 sq.
3. L. Makarius, 1968, p. 29 sq. Pour le propos précédent v. L. Makarius 1969 A, p. 19 n.2.
4. Ainsi que nous le constaterons en nous livrant à une analyse des matériaux concernant
l'inceste royal en Afrique, ceux-ci nous présentent un mélange de données précises, de références
mythiques, de faits substitutifs, de manifestations symboliques et de situations exigeant un effort
d'interprétation. Nous devons à Luc de Heusch l'étude des expressions symboliques qui permettent
à la tradition de l'inceste royal de survivre sans heurter de front la prohibition de l'inceste. Les
analyses de De Heusch décèlent un symbolisme incestueux dans des cas où la pratique de l'inceste
n'a plus lieu, ou n'est pas évidente. Il fait apparaître avec beaucoup de finesse la tradition de l'in
ceste maternel du roi, révélée par l'éloignement définitif de la mère, comme chez les Nyoro, ou par
sa mise à mort lors de l'intronisation de son fils, comme chez les Yoruba. Dans ce dernier cas, le
roi est nanti d'une mère officielle, la lya Oba, dont la présence, lors d'un rite annuel, serait un rappel
de l'inceste maternel des ancêtres mythiques (p. 124 sq.). Chez les Nyoro, deux femmes, choisies
dans le clan du souverain, sont nommées ses « petites mères », chargées de prendre soin
de sa couronne et de garder son cordon ombilical et d'autres déchets organiques. Elles sont ainsi
en quelque sorte identifiées à la mère, et comme elle ont accès à la couche du souverain, « elles
réalisent manifestement au nom de la mère éloignée, interdite, un inceste maternel substitutif »
(p. 73 sq.). Ainsi « s'éclaire la règle, fondamentale, de l'éloignement de la mère réelle : elle est éloi
gnée parce que rapprochée ; rapprochée intimement sur le plan symbolique où l'inceste apparaît
nécessaire ; éloignée en réalité parce que cet inceste est en même temps monstrueux » (pp. 74-75).
Si la démarche de De Heusch est particulièrement efficace pour débusquer l'inceste maternel,
considéré comme plus choquant que l'inceste avec la sœur, et donc plus apte à se réduire à des
669 ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE
L'inceste fait partie des coutumes royales. Il est souvent pratiqué, ouvertement
ou sous quelque forme déguisée, lors des cérémonies d'investiture, et trouve des
références dans les mythes d'origine des dynasties. Alors que les magiciens, certains
expressions symboliques, il est toujours nécessaire de tenir compte d'une « véritable volonté de di
ssimulation » (p. 89) du phénomène incestueux. Dans l'examen des données africaines, sans faire
nôtres les positions psychologiques et méthodologiques de De Heusch, nous constaterons que des
processus divers

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