Du Symptôme au sacrifice. Histoire de Khady Fall - article ; n°2 ; vol.14, pg 31-77
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Description

L'Homme - Année 1974 - Volume 14 - Numéro 2 - Pages 31-77
47 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1974
Nombre de lectures 142
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Extrait

Andras Zempléni
Du Symptôme au sacrifice. Histoire de Khady Fall
In: L'Homme, 1974, tome 14 n°2. pp. 31-77.
Citer ce document / Cite this document :
Zempléni Andras. Du Symptôme au sacrifice. Histoire de Khady Fall. In: L'Homme, 1974, tome 14 n°2. pp. 31-77.
doi : 10.3406/hom.1974.367444
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1974_num_14_2_367444DU SYMPTOME AU SACRIFICE
Histoire de Khady Fall
par
ANDRAS ZEMPLÉNI
Plus soucieuse de spéculer sur les contenus que d'interroger les méthodes de
Totem et tabou, la psychanalyse se crut longtemps déliée des exigences de sa
pratique en procédant à l'interprétation des faits socio-religieux « primitifs ».
Qu'elle se transportât — avec Roheim — sur le terrain, sa démarche n'en consistait
pas moins en une exégèse des productions collectives — mythes, rites, croyances,
institutions sociales — de certaines sociétés afin de formuler des énoncés sur un
sujet abstrait ou sur des individus dont il était entendu qu'ils n'accéderaient
jamais à la place du sujet parlant dans un champ analytique. Démarche qui mit
la culture à la place du sujet et fit peu de cas, même en théorie, des positions que
ces individus pouvaient et devaient occuper par rapport aux institutions de leur
propre société. L'avènement de la clinique psychanalytique hors Occident permit
certes aux analystes de rencontrer quelques-uns de ces individus. Mais, pour
reprendre les termes des auteurs à' Œdipe africain1, le dialogue ne put s'engager
qu'avec ceux qui se montrèrent « capables de formuler une demande personnelle »,
autrement dit de se négativer par rapport aux déterminations traditionnelles,
et plus particulièrement socio-religieuses, de leur milieu d'origine. Le changement
socio-culturel se révéla ainsi comme la condition déterminante de l'exercice de la
psychanalyse. Les autres, ceux de la brousse, les usages qu'ils faisaient de leurs
institutions familiales, de leurs croyances et religion, de leurs rites... restèrent
inaccessibles à la clinique et ne purent être reconstitués, ici et là, qu'à travers le
miroir déformant d'un nouveau type d'individu.
Le même problème de méthode se présente sous un autre jour en anthropologie
religieuse. Malgré de remarquables exceptions2 et en dépit de professions de foi
répétées, les ethnographes décrivent rarement la religion à travers les usages
1. E. et M.-C. Ortigues 1966.
2. Citons seulement V. W. Turner 1968.
L'Homme, avr.-juin 1974, XIV (2), pp. 31-77. ANDRAS ZEMPLENI 32
particuliers qu'en font les groupes sociaux et les individus. Sur le terrain, ethno
graphe et informateur se retrouvent souvent complices d'un même abus de
généralisation, pour ne pas dire d'une commune dénégation. L'intérêt du premier
va à la description des « faits religieux » qu'il a tendance à considérer comme des
éléments constitutifs d'un système religieux. La diversité, voire l'incohérence
apparente de ces « faits » — représentations, rites, symboles — , l'incite rarement
à remonter à la diversité des usages, à l'histoire de ceux qui les lui rapportent ;
il y voit plus volontiers des variantes ou des versions, c'est-à-dire des écarts que
la tradition a instaurés pour on ne sait quelle raison par rapport à une origine
commune. Au lieu mythique où se situe cette origine réside son véritable inter
locuteur : « le Yoruba », « le Dogon »... le « on ». Sujet abstrait en qui les actes et
les croyances, les émotions et les attitudes typiques ou atypiques, les « variantes »
et les « versions » trouveront leur dénominateur commun. Et même s'il n'y est pas
expressément invité, l'informateur n'hésitera pas à occuper la place commode
que l'imaginaire de l'ethnologue lui propose. A parler de ce lieu calme que lui
ménage le pronom neutre, il peut invoquer la voix de ses ancêtres, la voix de
sa collectivité pour masquer sa propre subjectivité. Mieux encore, ce qui dans
son discours sur les esprits, la magie, les rites domestiques... a rapport à son
histoire, à ses identifications, à sa parole d'individu, reçoit ainsi le bénéfice narcis
sique, le prix de la conformité. Alors, pourquoi refuser un jeu joué à l'avance ?
Jeu qui fait passer d'emblée le particulier d'une histoire articulée pour le général
d'une société polyvoque et nous vaut, selon le cas, l'éparpillement monotone ou
la cohérence désincarnée des descriptions.
Fussent-elles destinées à apaiser la mauvaise conscience de l'ethnographe,
les autobiographies et les « histoires de vie » ne s'affranchissent pas nécessairement
de ce régime de la parole ni du pesant exotisme de certaines descriptions. Car en
l'absence d'une « demande personnelle », disons de guérison, c'est la demande de
l'ethnographe qui structure les entretiens. Et cette demande, pour être général
ement motivée à obtenir, sinon des informations, du moins le « vécu » ou 1' « illustra
tion par l'intérieur » des « faits religieux »x, soutient rarement l'effort de retour
sur soi qui permettrait à 1' « informateur » de s'énoncer en tant qu'individu
particulier. Pourtant, c'est ce que j'aimerais montrer dans l'étude de cas qui suit,
la position de l'ethnologue — et celle de son interlocuteur — n'est pas incompat
ible a priori avec les exigences d'une démarche clinique cohérente. Faute de
pouvoir analyser les fantasmes du sujet à travers leurs transformations dans une
relation transférentielle, il peut, sous certaines conditions, se servir d'autres
moyens.
Ainsi, Khady Fall, la prêtresse et possédée wolof à qui je céderai bientôt la
i. Pour un historique et une évaluation générale de cette méthode, cf. L. L. Langness
[1965]. DU SYMPTOME AU SACRIFICE 33
parole, m'a relaté sa vie sous la forme d'une série d'épisodes qu'elle a vécus comme
autant de moments forts d'un destin voulu par ses rab, esprits ancestraux de son
lignage ou alliés personnels. On verra que les rab qu'elle nomme au cours de son
récit occupent des positions symboliques déterminées dans son histoire et remp
lissent des fonctions spécifiques qu'il est possible d'articuler. Il m'est vite apparu
que l'analyse de ces positions et fonctions — ou plus généralement de l'usage des
signifiants religieux dans le processus de résolution d'un problème personnel
somme toute banal mais pensé dans et exprimé par le langage des rab — ne pouvait
se faire qu'en un temps distinct de celui des entretiens. En effet, à la différence
des consultants de l'hôpital1, le langage des rab — ou plus largement, celui des
interprétations persécutives traditionnelles2 — était le seul registre d'expression
« psychologique » acceptable pour Khady. Registre d'expression que la psychanal
yse définit en termes d'inversion et de projection des souhaits ou des pulsions
agressifs3. A se situer sur un tel registre, Khady pouvait tout dire4, sauf ce qui
l'aurait contrainte à reconnaître dans les volontés des rab son propre désir...,
sauf ce qui l'aurait conduite à assumer son destin d'individu. Aussi, la règle
fondamentale que j'ai cherché à suivre pendant les entretiens était-elle de ne
jamais franchir les limites que ce mode d'expression assignait à son discours.
Si j'ai formulé des remarques — pour l'inviter à clarifier ou à approfondir tel
détail de son récit — , je l'ai fait dans le langage des possédées et en me référant à
ce que je savais par ailleurs du culte des rab et de la possession chez les Wolof.
Si j'ai avancé — rarement — des « interprétations », je me suis évidemment
abstenu de tout vocabulaire psychologique. Dans la mesure du possible, je me suis
également retenu de lui demander des informations générales sur les esprits
ancestraux ou les rites de possession. S'il est vrai que son autel domestique
(présenté en annexe) m'a servi au départ de véritable « guide d'entretien », j'ai
vite appris à considérer cet espace symbolique comme une sorte de projection
de son histoire personnelle que mes questions devaient explorer en tant q

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