Entraide familiale, indépendance économique et sociabilité
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Une vision optimiste de l'entraide familiale s'est diffusée depuis deux décennies au moment précis où les sociétés occidentales redécouvraient la pauvreté et s'interrogeaient sur les missions de leur État-providence. La relative modestie du volume des échanges dans la parentèle et leur absence d'effet redistributif entre milieux sociaux remettent en cause cette image devenue classique des « solidarités familiales ». Les catégories populaires, principales destinataires des politiques publiques de protection sociale, sont celles où ces échanges sont les moins développés. La solidarité familiale s'exprime davantage à travers la cohabitation et des formes d'organisation domestique propres à la « famille étendue ». Parmi les professions intermédiaires, les jeunes ne sont pas incités à prendre leur indépendance de façon précoce et l'entraide reste prioritairement organisée dans le cadre de la famille nucléaire. Les relations d'entraide sont encore différentes parmi les ménages économiquement favorisés. Ces échanges sont une composante de leur sociabilité. Ils supposent des ménages « autonomes » ' stabilité de leurs membres, ressources financières suffisantes ... et qui ont le souci de préserver leur position socio-économique. Pour les père-mère, cette entraide s'inscrit dans un projet éducatif et suscite de leur part des efforts budgétaires importants, notamment pour établir leurs enfants comme membres du réseau de parenté. Plus qu'elle ne les corrige, l'entraide familiale accentue les clivages sociaux.

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Langue Français

Extrait

SOCIÉTÉ
Entraide familiale,
indépendance économique
et sociabilité
Nicolas Herpin et Jean-Hugues Déchaux*
Une vision optimiste de l’entraide familiale s’est diffusée depuis deux décennies au
moment précis où les sociétés occidentales redécouvraient la pauvreté et s’interrogeaient
sur les missions de leur État-providence. La relative modestie du volume des échanges
dans la parentèle et leur absence d’effet redistributif entre milieux sociaux remettent en
cause cette image devenue classique des « solidarités familiales ».
Les catégories populaires, principales destinataires des politiques publiques de
protection sociale, sont celles où ces échanges sont les moins développés. La solidarité
familiale s’exprime davantage à travers la cohabitation et des formes d’organisation
domestique propres à la « famille étendue ». Parmi les professions intermédiaires, les
jeunes ne sont pas incités à prendre leur indépendance de façon précoce et l’entraide
reste prioritairement organisée dans le cadre de la famille nucléaire. Les relations
d’entraide sont encore différentes parmi les ménages économiquement favorisés. Ces
échanges sont une composante de leur sociabilité. Ils supposent des ménages
« autonomes » – stabilité de leurs membres, ressources financières suffisantes – et qui
ont le souci de préserver leur position socio-économique. Pour les père-mère, cette
entraide s’inscrit dans un projet éducatif et suscite de leur part des efforts budgétaires
importants, notamment pour établir leurs enfants comme membres du réseau de parenté.
Plus qu’elle ne les corrige, l’entraide familiale accentue les clivages sociaux.
* Nicolas Herpin, chargé de mission à l’Insee, est directeur de recherche au CNRS. Jean-Hugues Déchaux est profes-
seur à l’Université Lyon 2 et chercheur à l’Observatoire sociologique du changement.
Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004 3’entraide familiale entre ménages est étu- deux décennies au moment précis où les socié-
diée d’ordinaire sous deux formes. Les ser- tés occidentales redécouvraient la pauvreté etL
vices rendus en sont la première composante s’interrogeaient sur les missions de leur État-
(Prouteau et Wolff, 2003 ; Attias-Donfut, providence est ici mise à l’épreuve en exami-
2000). La personne accomplit des activités de nant successivement l’ampleur de cette
type domestique censées améliorer le niveau de entraide, son incidence sur l’inégalité des
vie ou le bien-être d’une autre personne de sa niveaux de vie entre milieux socio-économi-
parenté, mais qui n’appartient pas à son ques et les raisons qui font de l’entraide fami-
ménage : faire la cuisine pour cette personne ou liale une forme d’échange plus active dans les
du jardinage, bricoler dans son ménage, faire milieux socio-économiques élevés. (1) (2) (3)
ses courses, ses démarches administratives,
l’aider à déménager, faire réciter les leçons à ses
enfants ou les garder (1). Le bénéficiaire peut
L’entraide familialeéventuellement compenser cette aide par des
activités en retour. En famille cependant, ces demeure modeste
prestations ne donnent pas lieu à échange
d’argent.
es volumes d’entraide familiale sont rare-
ment comparés à d’autres éléments permet-LLa seconde composante (2) implique, au con-
tant d’en apprécier la grandeur. Un double éta-traire, de l’argent sans pour autant qu’il s’agisse
lonnage, distinguant aide financière et aidenon plus d’échange marchand. En cela, cette
domestique, doit donc être mis en œuvre pourentraide financière diffère des ventes entre par-
apprécier l’importance de l’entraide familiale etticuliers de voitures d’occasion (ou autres équi-
cerner sa contribution au niveau de vie dupements) ou de services domestiques rémunérés
ménage. On analyse ensuite les circonstances de« au noir » qui sont une autre composante du
son offre et on oppose deux types d’aide selonrevenu du ménage. L’aide financière peut être
qu’il s’agit de faire face à des événementsen espèces. Elle prend alors des formes variées :
exceptionnels ou de gérer l’ordinaire des rela-de la pension alimentaire, à la suite d’une sépa-
tions de parenté.ration du couple, au don d’argent à l’occasion
d’un événement familial heureux ou d’un acci-
dent (Attias Donfut, 1996 ; de Barry, Eneau et
Deux mesures de l’aide domestiqueHourriez, 1996 ; Paugam et Zoyem, 1997). Elle
est régulière (par exemple, l’argent de poche
La durée du travail domestique pour uneversé par le père pour les enfants qui vivent dans
femme entre 18 et 64 ans s’élève, en 1998, àle ménage de la mère) ou occasionnelle (acci-
25 heures par semaine et pour un homme dansdent, don des père-mère (3) au ménage d’un
la même tranche d’âge à 14 heures (Chenu etenfant à l’occasion de la naissance d’un petit-
Herpin, 2002). Les services de cette nature neenfant). Elle peut aussi prendre la forme de
constituent pas une composante majeure decadeaux. L’aide financière est « en nature »
l’entraide familiale. L’enquête Réseau dequand le donneur règle le loyer du logement de
Parenté et Entraide (RPE), réalisée parson enfant étudiant (aide financière en nature
l’Insee en 1997, demandait aux personnes« régulière ») ou paie le voyage linguistique de
interrogées de dresser un bilan de l’entraideson petit-fils (aide financière en nature
entre père-mère, enfants indépendants, frères« occasionnelle »). Cette entraide familiale dif-
ou sœurs à l’âge adulte, grands-parents,fère de l’héritage dont l’attribution est encadrée
oncles ou tantes, cousins ou neveux au courspar des règles de droit (cf. encadré 1). En tant
d’une année (Déchaux et Herpin, 2003)qu’aide, l’attribution est liée à la situation bud-
(cf. encadré 2). Onze types d’aide offerte sontgétaire difficile du bénéficiaire. En tant que
cadeau, elle relève davantage de l’expression
des sentiments et de la vie affective. Dans
1. Le « coup de main », donné dans le cadre de l’exploitation
l’entraide, ce sont donc les relations privées agricole, artisanale ou commerciale d’un membre de la famille,
est aussi une forme d’entraide qui n’a pas été distinguée du bri-entre les ménages et les personnes qui régulent
colage ou du jardinage à des fins privées.
le montant et la nature des échanges. Ce qui 2. L’aide réticulaire (recommandation, « piston », informations,
etc.), qui constitue la troisième composante de l’entraide familialen’empêche pas que ces échanges puissent avoir
(Déchaux, 1994a), sera évoquée infra. Tout comme le servicedes conséquences économiques et sociales. rendu, cette composante est difficile à évaluer en quantité ou en
valeur monétaire.
3. L’expression « père-mère » désigne les parents au sens strictLa vision optimiste, voire idyllique, de
afin de ne pas les confondre avec les parents entendus comme
l’entraide familiale qui s’est diffusée depuis membres de la parenté, sans distinction.
4 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 373, 2004Encadré 1
ENTRAIDE FAMILIALE, DON/CONTRE-DON ET HÉRITAGE
L’entraide familiale est un transfert privé entre ména- certains objets a été faite par le défunt en tenant
ges appartenant au même réseau de parenté. Trois compte des goûts supposés de ses héritiers, les
traits la caractérisent. D’abord la gratuité. Les services besoins ou les goûts du destinataire (ou des destina-
offerts par le ménage A au ménage B peuvent faire taires) ne sont pas la motivation du donneur, ni dans le
l’objet, en retour, de services que le ménage B rend au montant de l’attribution ni dans son moment.
ménage A. Les services rendus peuvent s’échanger
entre plus de deux ménages, comme par exemple Le don/contre-don comme archétype
dans « l’échange généralis

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