Essence et utilité: la classification des plantes cultivées en Chine - article ; n°10 ; vol.10, pg 13-26
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Extrême-Orient, Extrême-Occident - Année 1988 - Volume 10 - Numéro 10 - Pages 13-26
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 35
Langue Français
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Extrait

Francesca Bray
Essence et utilité: la classification des plantes cultivées en
Chine
In: Extrême-Orient, Extrême-Occident. 1988, N°10, pp. 13-26.
Citer ce document / Cite this document :
Bray Francesca. Essence et utilité: la classification des plantes cultivées en Chine. In: Extrême-Orient, Extrême-Occident. 1988,
N°10, pp. 13-26.
doi : 10.3406/oroc.1988.869
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/oroc_0754-5010_1988_num_10_10_869- Extrême-Occident 10 - 1988 Extrême-Orient
Essence et utilité : .
la classification des plantes cultivées en Chine *
Francesca Bray
Deux millénaires de bureaucratie - voici comment nous expliquons souvent
la Chine. Et qui dit dit dossiers, casiers, rangement et
classification. Il serait difficile de contester que l'appartenance de la plupart des
savants chinois à la classe bureaucratique ait pu fortement influencer
l'évolution de la pensée scientifique en Chine, et en général on ne considère
pas ce rôle comme positif. Needham, par exemple, lie le développement
d'idées "proto-scientifiques" à la pensée taoïste en conflit avec le
confucianisme des bureaucrates. Nakayama, à propos de l'évolution des études
astronomiques en Chine, voit "l'esprit classificatoire" des érudits chinois
comme inhibant l'analyse (1):
For the Chinese, to engage in scholarship meant to record and classify.
Whatever the phenomenon, it was duly noted and put in one of the several
compartments set up for classification purposes. Once this had been done,
however, the scholar's job was finished. .
En soi, la classification n'a rien de néfaste; on pourrait même soutenir
qu'elle mène naturellement à l'analyse précise de caractéristiques et de
relations, et que par là elle est la base même d'une science de la nature. Ce qui
devrait peut-être nous étonner, c'est que ces érudits chinois qui classifiaient
tout n'aient pas fait le saut de la classification de la nature à ce que nous
appelons "science", par exemple de la connaissance des plantes jusqu'à la
botanique (2).
Ce que l'on a pu reprocher aux érudits chinois qui s'occupaient de la nature,
ce n'est pas leur acharnement à la tâche classificatoire mais plutôt le fait de ne
(*) Je remercie Karine Chemla et Georges Métailié pour les suggestions qu'ils
m'ont faites à propos de cet article. .
13 Classification des plantes cultivées en Chine
pas avoir réalisé des classifications cohérentes, ni même des systèmes de
classification qui allaient en se perfectionnant Si la classification des plantes
dans une pharmacopée chinoise du douzième siècle nous semble aussi
irrationnelle, incomplète et incohérente que celle d'une pharmacopée des
premières années de notre ère, ne faut-il pas en conclure que les érudits
chinois, tout bureaucrates qu'ils fussent pour la plupart, ne savaient pas
classifier? Ce que suggère Nakayama, c'est qu'un savant chinois se souciait
seulement d'élaborer un casier servant de fourre-tout; s'il n'arrivait pas à caser
toutes ses données, alors il rajoutait des cases ("animaux peints au pinceau à
poils de chameau", "animaux ne figurant pas dans cette classification",
inventions pures de Borges qui pourrtant ne sonnent pas faux...). Peu lui
importait, selon Nakayama, de construire un réseau logique de catégories
exclusives, liées entre elles. A ce moment, ne faudrait-il pas parler de simple
rangement plutôt que de classification?
Or une recherche obsessionnelle de la cohérence est un trait marquant de
l'esprit scientifique occidental, mais un trait qui nous amène parfois à idéaliser
nos propres réalisations et à en sous-estimer d'autres. Car il n'existe pas un
seul principe valable de classification, comme il n'existe pas un système
unique de classification naturelle (3). D'ailleurs la "classification naturelle"
n'est qu'un idéal; la mesure dans laquelle il est réalisable dépend autant des
critères de chinois choisis que du niveau des connaissances.
Toute classification de la nature est nécessairement artificielle, dans la mesure
où il faut limiter et donc choisir plus ou moins arbitrairement les critères
employés (4).
Il semble que le souci de trouver le système de classification, ou même le
meilleur système unique, ne se trouve pas chez les Chinois, et qu'ils aient
plutôt considéré que la complexité des phénomènes naturels entraînait
l'emploi simultané de plusieurs systèmes d'analyse (5):
[The illness] is almost always analytically categorised in the terms of more
than one classification scheme... these methods, however harmoniously
they may be used together, are theoretically discontinuous... the specific
substances or phenomena which are classified escape any complete
encompassment by the classes themselves.
En ce qui concerne les maladies, cette méthode n'a peut-être rien de
surprenant puisque, comme l'on a souvent remarqué, les maladies sont
considérées en médecine chinoise (raisonnablement, d'ailleurs) comme un
processus dynamique assujetti aussi bien aux caractéristiques individuelles de
l'organisme atteint et à l'influence de l'environnement qu'au seul agent
pathogène. "Au lieu de choisir une seule case dans une grande structure rigide,
le médecin évalue les relations polyvalentes d'un petit nombre de caractéris-
14 Classification des plantes cultivées en Chine
tiques qui s'appliquent à chaque cas clinique" (6). Rien qu'à voir la parenté
étroite entre médecine et pharmacopée, nous nous doutons que la "science" des
plantes en Chine a aussi affaire à des "relations polyvalentes".
Dans la tradition d'Aristote, la classification des espèces sert d'instrument
d'analyse de leur nature essentielle et de la causalité des relations entre les
espèces ainsi identifiées. Cette optique a nécessité, à travers les siècles,
l'élaboration de systèmes d'identification et de differentiation de plus en plus
précis: la taxonomie a été suppléée par la physiologie puis par la génétique.
Zoologie et botanique sont devenues de plus en plus "objectives" ou
"objectivistes" (le deuxième qualificatif indiquant certaines réserves relatives
aux prétentions du premier) au fur et à mesure que les catégories fondées sur
des critères physiques ont supplanté les catégories fondées sur l'utilité. C'est
de ce souci d'objectivité qu'est née la botanique systématique occidentale et ses
catégories qui se veulent à la fois exhaustives et exclusives (7).
En Europe, donc, la classification des plantes a évolué en quelque sorte en
parallèle avec un savoir non-systématique pharmacologique qui ne se préoc
cupait guère que des usages des plantes, et qui était un savoir encyclopédique
plutôt que définitionnel. Cette séparation se manifeste dès l'époque de
Théophraste: les écrivains hippocratiques qui étaient ses contemporains ne se
souciaient nullement des relations botaniques entre les plantes qu'ils
décrivaient mais seulement de leur utilité en tant que drogue ou aliment (8).
Les botanistes, pour leur part, ne tenaient pas compte dans leurs classifi
cations des qualités pharmacodynamiques, si difficiles à définir. Il est à noter
aussi que les classifications scientifiques européennes des espèces et variétés
prennent comme point de départ les ressemblances physiques et les
compatibilités correspondantes de croisement qui préoccuppent davantage les
cultivateurs (ayant affaire aux plantes vivantes) que les apothicaires.
Needham note qu'en Europe la distinction entre attitudes philosophiques et
utilitaires dans l'étude des plantes se fait très nette à partir de la Renaissance,
tandis que "l'histoire naturelle en tant que telle se trouvait toujours emmêlée
en Chine à des besoins pratiques pharmaceutiques"; mais il prétend qu'en
Chine également l'étude des plantes se libère petit à petit de ces aspects
pratiques (9). Cela semble loin d'être justifié, pourtant, par les configurations
classificatoires des ouvrages traitant des plantes. En Chine les savants qui
s'occupaient de la classification des plantes n'ont jamais eu l'idée d'éliminer
les critères utilitai

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