Étude comparative de l’évolution des normes antidiscriminatoires ou égalitaires des articles 15
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Étude comparative de l’évolutiondes normes antidiscriminatoiresou égalitaires des articles 15 dela Charte canadienne des droitset libertés et 10 de la Charte desdroits et libertés de la personne:convergences et divergencesPierre BLACHERésuméJ’ai choisi d’explorer certains rapports entre les articles 15 dela Charte canadienne et 10 de la Charte québécoise. Mon proposest, plus précisément, de m’interroger sur la convergence et ladivergence qui peuvent avoir marqué leur évolution. La questionde la convergence posée ici porte surtout sur le mouvement desnormes. Celles-ci seront considérées dynamiquement. Il s’agit devérifier leur rapprochement ou leur éloignement sur une durée, entant que normes vivantes. J’ai choisi d’opposer deux momentsde l’interprétation jurisprudentielle de chacune par la Coursuprême: la première lecture et la lecture actuelle. Chaque fois,j’ai retenu quatre aspects des normes: leurs buts, la distinction oula différence de traitement, les motifs, et le caractère réel de la dis-crimination. La place prépondérante qu’occupe la méthode téléo-logique d’interprétation depuis un bon moment commande des’arrêter d’abord à la finalité de chaque norme. Les trois autresaspects sont ceux sur lesquels la Cour suprême prétend faire por-ter son attention depuis ses débuts quand elle applique ces nor-mes. Un tel exercice de comparaison des deux normes vise d’abordà rendre manifestes les contrastes et similitudes que la Coursuprême a ...

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Étude comparative de l’évolution des normes antidiscriminatoires ou égalitaires des articles 15 de laCharte canadienne des droits et libertéset 10 de laCharte des droits et libertés de la personne: convergences et divergences
Pierre BLACHE
Résumé J’ai choisi d’explorer certains rapports entre les articles 15 de laCharte canadienneet 10 de laCharte québécoise. Mon propos est, plus précisément, de m’interroger sur la convergence et la divergence qui peuvent avoir marqué leur évolution. La question de la convergence posée ici porte surtout sur le mouvement des normes. Celles-ci seront considérées dynamiquement. Il s’agit de vérifier leur rapprochement ou leur éloignement sur une durée, en tant que normes vivantes. J’ai choisi d’opposer deux moments de l’interprétation jurisprudentielle de chacune par la Cour suprême: la première lecture et la lecture actuelle. Chaque fois, j’ai retenu quatre aspects des normes: leurs buts, la distinction ou la différence de traitement, les motifs, et le caractère réel de la dis -crimination. La place prépondérante qu’occupe la méthode téléo -logique d’interprétation depuis un bon moment commande de s’arrêter d’abord à la finalité de chaque norme. Les trois autres aspects sont ceux sur lesquels la Cour suprême prétend faire por -ter son attention depuis ses débuts quand elle applique ces nor -mes. Un tel exercice de comparaison des deux normes vise d’abord à rendre manifestes les contrastes et similitudes que la Cour suprême a implicitement dégagés lors de ses interprétations et applications. Il permet ainsi de mieux discerner leur sens et d’éviter tant l’amalgame conceptuel que l’opposition excessive de
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leur mise en œuvre. Il a aussi pour but de préciser la convergence ou la divergence qui a marqué l’évolution des rapports entre les normes sous étude entre les deux lectures de la Cour suprême. Il mène enfin à apprécier la justesse de la relation établie entre les normes lors de chaque lecture. Celle-ci dépend en dernier ressort de la mesure dans laquelle le sens attribué à chaque disposition, hier ou aujourd’hui, respectait ou respecte la nature ou le but de chacune. C’est à ce dernier aspect qu’est consacrée la conclusion de l’article.
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Étude comparative de l’évolution des normes antidiscriminatoires ou égalitaires des articles 15 de laCharte canadienne des droits et libertéset 10 de laCharte des droits et libertés de la personne: convergences et divergences
Pierre BLACHE Section 1- Première lecture des normes égalitaires ou antidiscriminatoires des Chartes canadienne et québécoise par la Cour suprême: proximité ou éloignement? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 Sous-section 1- Éloignement des buts de l’article 15 et de l’article 10 selon la première lecture de la Cour suprême . . . . . . . . . . . . . 159 Sous-section 2- Proximité et éloignement entre les sens du concept de distinction ou différence de traitement sous les articles 15 et 10 selon la première lecture de la Cour suprême . . . . 163 Sous-section 3- Éloignement entre les éléments révélateurs du caractère discriminatoire d’une distinction ou différence de traitement sous les articles 15 et 10 selon la première lecture de la Cour suprême . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 1- Éloignement entre le sens des motifs mentionnés à l’article 15 et celui des motifs énumérés à l’article 10 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
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2- Éloignement entre les articles 15 et 10 quant à l’exigence de réelle discrimination. . . . . . . . . . 170 Section 2- Évolution des lectures des normes égalitaires ou antidiscriminatoires des Chartes canadienne et québécoise par la Cour suprême: convergence ou non, divergence ou non? . . . . . . . . . . . . . . 172 Sous-section 1- Convergence et divergence quant aux buts? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 Sous-section 2- Statu quo quant à l’exigence d’une différence de traitement fondée sur une caractéristique personnelle . . . . . . . . . 181 Sous-section 3- Convergence et divergence quant aux motifs des différences de traitement et quant à la détermination de la présence d’une réelle discrimination . . . . . . . . . 185 En guise de conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
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On nous a conviés à une réflexion critique sur laCharte cana-dienne des droits et libertés1vue du Québec. J’ai choisi de traiter de la question de l’égalité et de la non-discrimination2. Plus préci-sément, j’ai cru opportun de répondre à l’invitation en explorant certains rapports entre les articles 15 de laCharte canadienne3et 10 de la Charte québécoise4. Mais ces rapports sont variés. Ainsi peut-on se préoccuper surtout de la relation hiérarchique et s’interroger sur l’incompa -tibilité susceptible d’apparaître entre les deux dispositions. Celle-ci, on le sait, devrait être tranchée au bénéfice de l’article 15, selon le principe de la suprématie de la Constitution retenu à
1. Partie 1 de laLoi constitutionnelle de 1982, Annexe B, 1982 (R-U), c. 11; dans L.R.C. (1985), App. II, no44. 2. Égalité et non-discrimination sont souvent traités comme des synonymes. Mais ce n’est pas toujours le cas, comme je le ferai voir au long de la présente étude. Ainsi l’égalité désigne-t-elle parfois l’interdiction de classifier, c’est-à-dire de t r a i t e r d i f f é r e m m e n t d i v e r s e s c a t é g o r i e s d e p e r s o n n e s . V o i r : M a r c VANQUICKENBORNE, «La structure de la notion d’égalité en droit», dans L’égalité, vol. I, Travaux du Centre de philosophie du droit de l’Université libre de Bruxelles, Bruylant, Bruxelles, 1971, p. 176 à 189; et J. TUSSMAN et J. Ten BROOK, «The equal protection of the Laws», (1949) 37California Law Review 341. On ne saurait alors l’assimiler au droit à la non-discrimination lorsque celui-ci est conçu comme une protection contre des distinctions causant préjudice de façon injustifiée et qui reposent sur certains motifs reliés à des caractéristi-ques personnelles. Sur ces divers sens du mot discrimination voir: M. BOSSUYT, «L’interdiction de la discrimination dans le droit international des droits de l’homme», Bruylant, Bruxelles, 1976, p. 7-27; et B. HOUGH, «Equality Provi -sions in the Charter: Their meaning and interrelationships with Federal and Provincial Human Rights Acts» dans A.W. Mackay ed.,The Canadian Charter of Rights: Law practice revolutionized,(1982). 3.Supra, note 1. 4. L.Q. 1975, c. 6; L.R.Q., c. C-12; le premier paragraphe de l’article 15, dont il sera surtout question ici, se lit comme suit: «La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des dis -criminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.» Le premier para -graphe de l’article 10 est ainsi libellé: «Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinc -tion, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handi -cap.» Son second paragraphe se lit ainsi: «I l y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.»
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l’article 52 de laLoi constitutionnelle de 19825. Il s’agirait alors des rapports de force ou de subordination en quelque sorte. Mais les normes n’ont pas que des rapports hiérarchiques. Ainsi pour -rait-on se pencher sur l’influence conceptuelle réciproque de ces deux normes, chercher alors à identifier la dominante, et juger du résultat au regard du sens «véritable» de chacune6. Mon propos n’épouse aucune de ces deux perspectives qui ont en commun de supposer ou de démontrer une relation causale, la subordination ou l’influence, entre les normes sous étude. J’ai plu -tôt choisi de m’interroger sur la convergence et la divergence en un sens voisin de celui souvent retenu en Sciences naturelles et humaines7. L’on y désigne ainsi le fait pour deux phénomènes ou entités de se diriger vers un point commun ou de s’écarter, mais sans influence causale. Sans aller jusqu’à affirmer l’absence de relation causale, j’en ferai abstraction sauf dans les cas évidents. Aller plus loin aurait requis une démonstration que je ne pouvais offrir sans plus amples recherches. Mais que signifie se demander s’il y a convergence entre la norme de l’article 15 et celle de l’article 10? Comment y procéder? Est-ce utile? La question de la convergence posée ici porte d’abord sur le mouvement des normes. Celles-ci seront donc considérées dyna-miquement. Il s’agit de vérifier leur rapprochement ou leur éloi-gnement sur une durée, en tant que normes vivantes et donc en évolution. La convergence supposera un éloignement initial. Elle pourra être de plusieurs types: réciproque ou neutre si les normes tendent vers un sens distinct du sens initial de chacune, unilaté-rale si l’une ou l’autre se rapproche du sens initial que l’autre aura conservé. La divergence, quant à elle, postule un sens identique ou des sens fort rapprochés des normes au départ. Elle est aussi de divers types. On la qualifiera de réciproque si les deux normes s’éloignent, également ou à des degrés divers, de leur identité ou proximité originelle. Mais elle sera unilatérale si une seule des deux normes s’écarte du sens originel qu’elle partageait d’abord, ou presque, avec l’autre. 5. Annexe B de laLoi de 1982 sur le Canada, 1982 (R-U), c. 11; dans L.R.C. (1985), App. II, no44. 6. Voir en ce sens: A. MOREL, «La coexistence des Chartes canadienne et québé -coise: Problèmes d’interaction», (1986) 17R.D.U.S.49 et «L’originalité de la Charte québécoise en péril» dansDéveloppements récents en droit administratif, Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Éditions Yvon Blais, 1993, p. 65-89. 7. Le Grand Robert de la langue française, 2eéd., 2001, tome 2, p. 562.
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Comment repérer ces mouvements des normes? Il ne saurait s’agir ici d’en saisir l’évolution continue mais, seulement, de por -ter notre regard sur certaines étapes de celle-ci afin de mesurer l’évolution intervenue entre elles. On ne peut non plus englober dans cette évolution une étape initiale antérieure aux lectures des tribunaux ou de certains d’entre eux8. Car le sens des normes des articles 15 et 10 n’émergea vraiment qu’à travers l’élaboration qu’ils en firent. Enfin, cette saisie portera sur leurs aspects ou dimensions essentiels. Une appréhension qui viserait trop l’unité ou la globalité risquerait fort d’aboutir à une vision approximative et sans utilité pour une mise en œuvre respectueuse du sens de chacune. À l’opposé, un souci excessif de tous leurs aspects risque -rait de faire perdre la vue d’ensemble. J’ai choisi d’opposer deux moments de l’interprétation juris -prudentielle de chacune par la Cour suprême: la première lecture et la lecture actuelle. Chaque fois, j’ai retenu quatre aspects des normes: leurs buts, la distinction ou différence de traitement, les motifs, et le caractère réel de la discrimination. La place pré-pondérante qu’occupe la méthode téléologique d’interprétation depuis un bon moment commandait de s’arrêter d’abord à la fina-lité de chaque norme. Les trois autres aspects sont ceux sur les-quels la Cour suprême prétend faire porter son attention9depuis ses débuts quand elle applique ces normes. J’ai toutefois regroupé les deux derniers aspects. Ceux-ci constituent les deux facettes de la question de savoir plus précisément si la différence de traite-ment engendre de la discrimination, et elles sont à ce point indis-sociables que j’en traiterai même de façon unifiée dans la seconde section. Les deux sections de l’article sont consacrées, respective -ment, à la première et à la seconde lecture de ces normes. Dans chaque cas, et pour chacun des aspects déjà mentionnés, je com -pare les lectures de chacune. Dans la première section j’établis les
8. Sur les nombreuses interprétations avancées, quant au sens de l’article 15 en particulier, avant que la Cour suprême ne se prononce, on peut se reporter aux études suivantes: D. PROULX, «L’objet des droits constitutionnels à l’égalité», (1988) 29C. de D.567-598; M. GOLD, «A principled approach to Equality Rights: A preliminary inquiry», (1982) 4Supreme Court Reporter130-161; J. WOEHRLING, «L’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et la langue», (1984-1985) 30Revue de droit de McGill266-292. 9.Lawc.Canada, [1999] 1 R.C.S. 497, 520 où la Cour expose succinctement la démarche qu’elle estime suivre depuis son jugement dans l’affaireAndrews; et Forgetc.P.G. Québec, [1988] 2 R.C.S. 90, 98.
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positions relatives des normes selon la lecture initiale de la Cour suprême, à savoir leur grande proximité ou leur éloignement. Dans la seconde section, après avoir identifié les lectures actuelles des normes, je les situe l’une face à l’autre aujourd’hui et cherche à déterminer s’il y a eu ou non convergence ou divergence, et de quel type. Un tel exercice de comparaison des deux normes vise d’abord à rendre manifestes les contrastes et similitudes que la Cour suprême a implicitement dégagés lors de ses interprétations et applications. Il permet ainsi de mieux discerner leurs sens et d’éviter tant l’amalgame conceptuel que l’opposition excessive lors de leur mise en œuvre. Il consiste aussi à préciser la convergence ou la divergence qui a marqué les rapports des normes sous étude. Il mène enfin à apprécier la justesse de la relation établie entre ces normes à chaque lecture. Celle-ci dépend en dernier ressort de la mesure dans laquelle le sens attribué à chaque disposition hier ou aujourd’hui respectait ou respecte la nature ou le but de chacune. C’est à ce dernier aspect que je consacrerai la conclusion du pré-sent article. Section 1- Première lecture des normes égalitaires ou antidiscriminatoires des Chartes canadienne et québécoise par la Cour suprême: proximité ou éloignement? L’objectif est ici d’identifier la proximité ou l’éloignement entre ces normes tel qu’il résulte de la portée attribuée initiale -ment à chacune par la Cour suprême. Comme indiqué plus haut, leur complexité impose de les considérer sous quatre aspects essentiels: les deux premiers, leurs buts et les distinctions qu’elles visent, font l’objet des deux premières sous-sections. La troisième sous-section est consacrée aux deux autres aspects: les questions relatives aux motifs dont elles prohibent l’usage et le caractère proprement discriminatoire des conduites ou effets interdits. Voyons donc d’abord quel sens la Cour suprême a donné initiale -ment à chaque disposition sous ces aspects, et si elles furent per -çues comme similaires ou distinctes. Nous vérifierons ensuite, dans la seconde section, si elles ont convergé ou non ou divergé ou non à partir de leur distinction ou similarité première.
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Sous-section 1- Éloignement des buts de l’article 15 et de l’article 10 selon la première lecture de la Cour suprême C’est dans le célèbre arrêt rendu dans l’affaireAndrews10que la Cour suprême identifia d’abord le but de l’article 15. Elle s’y trouvait contrainte car elle avait opté précédemment11en faveur d’une interprétation téléologique des droits et libertés sous la Charte canadienne. Selon cette méthode les répercussions du but sur l’interprétation devaient être considérables puisqu’elle con -sistait, une fois le but identifié, à en inférer la définition du droit ou de la liberté en cause12. Le choix qu’effectua la Cour devait effectivement influencer beaucoup, sinon dicter, les conclusions auxquelles elle parvint ensuite sur les trois autres aspects essen -tiels de la norme édictée à l’article 15. La Cour devait trancher entre deux interprétations plausi -bles. Il était tout à fait possible de voir dans l’article 15 une norme inspirée de la disposition égalitaire du quatorzième amendement américain et de son histoire13. Il suffisait de ne pas faire de la pré-sence de la discrimination une condition nécessaire à toute atteinte aux «droits à l’égalité»14. La disposition aurait alors été lue comme prohibant toute classification qui ne satisfasse pas au moins à un test du type de celui de rationalité minimale développé par la jurisprudence américaine sous le quatorzième amende-ment15. Elle aurait aussi interdit plus particulièrement toute dis-crimination, soit avec la même rigueur ou selon une rigueur variable selon qu’elle aurait eu trait à un motif énuméré ou non16. En gros, l’on aurait alors pu parler d’une norme égalitaire puis -qu’elle aurait été applicable à toute distinction17.
10.Andrewsc.Law Society of British Columbia,[1989] 1 R.C.S. 143. 11.Big M Drug Mart Ltd. c.R., [1985] 1 R.C.S. 295, 344. 12.Ibid. 13. À ce propos voir Laurence TRIBE,American Constitutional Law, 2nd ed., The Foundation Press inc., 1988, 1435-1439; et J. TUSSMAN et J. Ten BROOK, supra, note 2. 14. Le texte français du paragraphe 15(1) est tout à fait compatible avec cette inter -prétation puisque le jeu des virgules permet d’y lire la prohibition de la discri -mination comme une partie, vraisemblablement la plus importante, de la prohibition des inégalités concernant la loi. 15. Laurence TRIBE,supra, note 11, p. 1439-1443. 16. J. WOEHRLING , «L’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et la langue», (1984-1985) 30Revue de droit McGill266, 282. 17. P.W. HOGG,Constitutional Law of Canada(2nd ed. 1985), Carswell, Toronto, p. 800-801.
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La Cour rejeta cette interprétation et attribua à l’article 15 une finalité axée sur le concept de discrimination. Alors que le texte français de l’article 15 se prêtait au moins autant à la pre -mière interprétation18qu’à celle-ci, sa formulation anglaise y don -nait davantage ouverture19. Mais elle évita de s’arrêter beaucoup au texte, comme le lui reprocha d’ailleurs le juge La Forest dans la même affaire20. Et elle conclut que l’article 15 fournissait une garantie contre la discrimination par la loi, discrimination dans laquelle elle voyait l’incarnation des «pires dénégations de l éga -lité»21. De plus, cette discrimination n’existe que s’i l y a préjudice, c’est à dire si la distinction «a pour effet d’imposer...des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avanta -ges offerts à d’autres membres de la société»22 . Le 1erseptembre 1988, dans l’affaireForget23, à peine cinq mois avant son jugement dans l’affaireAndrews, la Cour suprême avait révélé quel but elle assignait à l’article 10 de laCharte québé-coise. Sans doute n’y parvint-elle pas en adoptant ostensiblement une démarche téléologique comme elle l’avait fait dans l’affaire Andrews. Mais c’est bien parce que les règlements québécois contestés ne produisaient pas le mal social que l’article 10 avait pour but ultime de combattre qu’elle les jugea valides, même s’ils avaient pour effet une différence de traitement fondée sur la langue au sens de l’article 10. Quel était ce mal social qu’elle jugeait absent? À ce propos la Cour était confrontée à deux thèses. Une première consistait à voir dans l’article 10 une prohibition de toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur un motif y énuméré quant à la reconnaissance ou à l’exercice d’un droit de la personne. La norme, ainsi lue, excluait toute prise en compte de pertinence à l’étape de sa mise en œuvre. Il s’agissait non pas d’une conception axée sur la discrimination comme telle mais sur certaines discriminations identifiables par les motifs employés. Comment concilier cette interprétation avec le concept admis de
18.Supra, notes 4 et 14. 19. Il se lit comme suit: «Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimi -nation and, in particular, without discrimination based on race, national or eth -nic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.» 20.Supra, note 10, p. 193-194. 21.Supra, note 10, p. 172. 22.Supra, note 10, p. 174. 23.Supra, note 9.
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discrimination qui incorporait la non-pertinence24? En considé-rant que le législateur avait lui même établi la non-pertinence de tout recours aux motifs énumérés à l’article 10 en les énumérant de façon exhaustive25. Et cela, nonobstant l’ampleur du domaine régi par l’article 10 qui s’étend sur tous les «droits de la personne», alors que les lois canadiennes antidiscriminatoires ne portent que sur un nombre limité de secteurs d’activité. La Cour rejeta ce point de vue et s’interrogea sur la perti -nence de la distinction sous étude. Elle choisit cette voie essentiel -lement parce qu’elle préféra voir dans l’article 10 une norme égalitaire26plutôt qu’antidiscriminatoire. Elle estimait en effet se trouver devant un texte qui prohibait toute distinction, exclusion, ou préférence sans requérir la présence de préjudice. Bien que limitée à certains motifs, et distincte du quatorzième amende -ment américain, la prohibition de l’article 10 était en réalité une interdiction de classifier sous certains motifs. Le second para-graphe de l’article 10 assimile d’ailleurs discrimination et atteinte à l’égalité27. On peut penser que c’est parce que la Cour estimait irréaliste d’obliger les sujets de droit, et en particulier le législa-teur28, au respect d’une norme aussi stricte qu’elle jugea que l’article 10 visait seulement les distinctions non pertinentes con-cernant les droits et libertés de la personne et fondées sur l’un des motifs énumérés de façon exhaustive dans cette disposition. Dans l’affaireForget29elle estima que le règlement québécois ne man-quait pas de pertinence et conclut qu’il respectait l’article 10. La Cour suprême attribua donc initialement des buts bien distincts aux articles 15 et 10. D’une part, le premier protégeait 24.Supra, note 2. 25. D. PROULX, «Égalité et discrimination dans la Charte des droits et libertés de la personne: étude comparative», (1980) 10Revue de droit de l’Université de Sherbrooke381, 547-548. 26. Au sens où elle ne supposait pas la présence d’un préjudice car elle visait aussi les préférences. Voirsupra, note 2. 27. La discrimination y est simplement identifiée comme le fait de compromettre ou détruire le droit à l’égalité conféré au premier paragraphe. Voirsupra, note 4. 28. Cette conception est retenue par plusieurs: P. BLACHE, «Les méandres du concept d’égalité et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne», (1986) 17Revue de droit de l’Université de Sherbrooke85, 103 à 108; H. BRUN et G. TREMBLAY,Droit constitutionnel, 3eéd., 1997, Éditions Yvon Blais, Cowansville, p. 1079; J. WOERHLING, «L’obligation d’accommodement rai -sonnable et l’adaptation de la société à la diversité religieuse», (1998) 43Revue de droit de McGill375, 364. 29.Supra,note 9, p. 102 à 104.
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