Etude sur la gouvernance au Burundi.
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ETUDE SUR LA GOUVERNANCE AU BURUNDI Consultant : Dr Elias SENTAMBA Rapport définitif, Mai 2005 Table des matières I.Notion de gouvernance : entrevue théorique……………………………………………. 3 1.La gouvernance comme paradigme de conduite des affaires publiques…………….. 4 2. La gouvernance comme nouveau modèle de management public………………….. 8 II.Une gouvernance centrée sur l’Etat : un contenu en trompe-l’œil ?….…. 10 1.Une tradition de gestion politico-administrative plutôt autoritaire………………….. 1013 1°Le cas de la sylviculture…………………………………………… 2° Le cas de l’élevage………………… 14 3°Le cas de l’agriculture……………………………... 20 2. L’ « Avant-et-après-Arusha » : du pareil au même ?………………………………... 23 III.Un Etat trop surplombant vis-à-vis de la « société civile »……………. 26 1.Entrevue théorique de ce qu’est la « société civile »………………………………….. 26 2.Qu’en est-il de la « société civile » au Burundi ?……………………... 29 IV.Un Etat prédominant vis-à-vis du secteur privé……………………………………….. 31 1.La « bonne gouvernance » ne se décrète pas par l’Etat……………………………… 31 2.Un long chemin à parcourir…vers la « bonne gouvernance »………………………. 34 1°Association des Transporteurs de Personnes Rémunérés(ATRP)……………… 35 2°Association des Sociétés Pétrolières du ...

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ETUDE SUR LA GOUVERNANCE AU BURUNDI  Consultant : Dr Elias SENTAMBA  Rapport définitif, Mai 2005
Table des matières I.Notion de gouvernance : entrevue théorique.3  1.La gouvernance comme paradigme de conduite des affaires publiques..4  2. La gouvernance comme nouveau modèle de management public..8 II.Une gouvernance centrée sur lEtat : un contenu en trompe-lil ?..10  1.Une tradition de gestion politico-administrative plutôt autoritaire..10  1°Le cas de la sylviculture13  2° Le cas de lélevage14  3°Le cas de lagriculture...20
 2. L « Avant-et-après-Arusha » : du pareil au même ?...23 III.Un Etat trop surplombant vis-à-vis de la « société civile ».26  1.Entrevue théorique de ce quest la « société civile »..26  2.Quen est-il de la « société civile » au Burundi ?...29 IV.Un Etat prédominant vis-à-vis du secteur privé..31  1.La « bonne gouvernance » ne se décrète pas par lEtat31  2.Un long chemin à parcourirvers la « bonne gouvernance ».34  1°Association des Transporteurs de Personnes Rémunérés(ATRP)35  2°Association des Sociétés Pétrolières du Burundi(ASPB)..37  3°Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations  Economiques(OLUCOME)39 V.Les défis et esquisse de solutions...42  1.Le défi de la démocratie..42  2.Le défi de lEtat de droit.43  3.Le défi du binôme responsiveness/problem solving...44  4.Le défi des « appétits dEtat »..46  Conclusion.47  I.Notion de gouvernance : entrevue théorique. Sil est devenu quasi incontournable dans tout discours portant sur la conduite des affaires publiques (à partir des années 80 et 90 respectivement en Occident et en Afrique), le concept de gouvernance était bien connu dans la littérature anglo-saxonne. A lorigine le terme « governance» était pratiquement synonyme du mot français« gouverne», les deux signifiant pilotage des bateaux et relevant étymologiquement de lancien latin et du grec. Néanmoins, cette synonymie est allée diminuant lorsque lacception anglo-saxonne en est venue à désigner la gestion des institutions et des affaires publiques alors que « gouverne » restait confiné à lunivers des marins. Bob JESSOP résume bien lhistorique du concept « gouvernance » en ces termes : «à la manière de gouverner, guider ou diriger la et Au départ il faisait référence à laction conduite et recouvrait partiellement le "gouvernement". Longtemps son usage est resté circonscrit pour lessentiel auxquestions constitutionnelles et juridiques concernant la conduite des affaires de lEtat" et/ou la direction de certaines institutions ou professions " caractérisées par la multiplicité des parties prenantes depuis une quinzaine dannées,. Or,
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poursuit B. JESSOP,opère un retour en force dans de nombreux contextes et devientce terme un mot passe-partout à la mode() Sil a été remis en usage, cest sans doute avant tout à cause de la nécessité de distinguer entre "gouvernance" et "gouvernement". Ainsi gouvernance désignerait les modes de gouvernement et la manière de gouverner, et "gouvernement", les institutions et agents chargés de "gouverner"1(cest nous qui soulignons). Lidée maîtresse de laerovncnaeg(rendue en français par «gouvcnerean» faute de mieux) peut donc être résumée en une phrase : des affaires de lail sagit dun mode de régulation collectivité ou de lEtat, où laccent est mis sur linter-action entre des organisations /institutions publiques et privées et/ou des acteurs individuels, dans laquelle aucun protagoniste (fût-il lEtat, le gouvernement) nest censé dicter sa loi.Cest cetteensiondmi inter-active réduisant pratiquement lancienne publique »« puissance au rang de simple protagoniste parmi tant dautres (privés en loccurrence) et disputant à lEtat sa traditionnelle volonté générale qui constitue le soubassement de la gouvernance. Jean LECA fait bien ressortir cette dimension : «Le terme traditionnel anglais de governance tend alors à désigner désormais un mode de coordination sociale ne présupposant pas lautonomie, encore moins la souveraineté dun gouvernant public, mais consistant dans linteraction dune pluralité dacteurs 2 "gouvernants" qui ne sont pas tous étatiques ni même publics ». Cela dit, il importe de tirer du concept de gouvernance ses implications théoriques en tant quobjet et/ou outil de gestion des affaires publiques dune part et comme modèle de management public dautre part. 1. La gouvernance comme paradigme dans la conduite des affaires publiques. Comme on peut le voir chez Thomas KUHN à propos des révolutions scientifiques3, la gouvernance peut être considérée comme un paradigme qui est venu disputer puis prendre petit à petit le pas sur un autre paradigme, celui de ladomination bureaucratique weberienne. Il convient de rappeler que la caractéristique fondamentale de la domination légale-rationelle4est, dabord et avant tout, la rationalité qui découle de la connaissance et de lexpérience des fonctionnaires uvrant théoriquement pour lintérêt général. Qui plus est, le respect des règles communes pour tout le monde et quels que soient les domaines dintervention (économique, social, administratif, etc.) est doublé de la continuité. Tout cela est censé induire la prévisibilité du comportement des acteurs et du traitement des dossiers : «ladministration bureaucratico-monocratique,écrivait Max WEBER, par sa précision, sa permanence, sa discipline, son rigorisme et la confiance qu elle inspire, par conséquent son caractère de prévisibilité pour le détenteur du pouvoir comme pour les intéressés, par 1 le cas du développement économique : in », JESSOP(B.) « Essor de la gouvernance et ses risques déchecs Revue internationale des sciences sociales, n°155, mars 1998, pp. 33-34. 2apprendre sur le gouvernement démocratique »,LECA (J.) « Ce que lanalyse des politiques publiques pourrait in Revue française de science politique, vol.46, n°1, 1996, p.126 3 KUHN (T-S.), Structure des révolutions scientifiques, Paris, Ed Flammarion, 1990. 4 à côté de la etA côté de la domination traditionnelle dune part où le système de pertinence obéit à la tradition de la domination charismatique dautre part, où tout est lié au respect dévolu à la personne du chef, cf. WEBER(M.) Economie et société : les catégories de la sociologie, t1, Paris, Ed.Pocket, 1995, p.289.
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lintensité et létendue de sa prestation, par la possibilité formelle universelle quelle a de sappliquer à toutes les tâches, perfectible quelle est du point de vue technique afin datteindre le maximum de rendement- cette administration est, de toute expérience, la forme de pratique de la domination la plus rationnelle. Dans tous les domaines (Etat, Eglise, armée, parti, entreprise économique, groupement dintérêt, association, fondation, etc.), le développement des formes "modernes" de groupement sidentifie tout simplement au développement et à la progression constante de ladministration bureaucratique »5.Dans cette perspective,ladministration bureaucratique surplombe lesgroupes dintérêt privés, elle est première par rapport auxacteurs de la société civiledans la mesureoù tous les administrés sont tenus de respecter sa volonté, cest-à-dire la « volonté générale ». Cela est, dans ce modèle, dautant plus compréhensible que la domination bureaucratique était censée agir de manière impersonnelle : « Sans haine et sans passion,écrit M. WEBER, et de là, sans "amour sans et " " enthousiasme", sous la pression de simples concepts de devoir, le fonctionnaire remplit sa fonction " sans considération de personne", formellement de manière égale et pour "tout le monde", cest-à-dire pour tous les intéressés se trouvant dans la même situation de fait »6. En simplifiant quelque peu les choses, on pourrait distinguer avec Bertrand BADIE et Pierre BIRNBAUM que certains Etats occidentaux ont poussé plus loin ce modèle que dautres7: ainsi les Etats comme lAllemagne et la France avaient accordé beaucoup dimportance à la domination bureaucratique (dans leur processus de formation et de gouvernement). En revanche les pays anglo-saxons avaient, selon lesdits auteurs, accordé plus dimportance aux associations et groupes dintérêt privés dans la formation et la régulation des Etats8. Malgré cette différence dorientation « génétique », il nen reste pas moins que cest le modèle de bureaucratie weberienne qui a prévalu dans la conception et la conduite des affaires publiques avant la fin des années soixante dix. Pour sen convaincre, il suffit de penser à lEtat providence, à la planification centralisée, (cf.Planning Programming Budgeting Systemaux Etats-Unis, sa version française Rationalisation des Choix Budgétaires). Le modèle bureaucratique simposait comme « normal », ce qui justifiait dautant plus lapprocheTop-Down (i.e. du sommet à la base) que lEtat sappuyait sur les experts légitimés par la rationalité techno-scientifique. Dans cette perspective, le public destinataire navait quà exécuter les politiques/actions promues den haut ; il navait donc pas droit au chapitre9 à 10 partir du moment que tout était décidé par le « sommet de lEtat » . Cela dit, il importe de dire que si la rigidité technocratique a été dominante avant les années quatre vingt, il nen demeure pas moins que les théories mettant en cause le modèle étaient bien connues. Il sagit entre autres des approches ditesrégulationnistes11 outhéories se
5Ibid. pp.297-298. 6Ibid. p. 300 7BIRNBAUM (P.) La sociologie de lEtat. Paris, Grasset, 1979.BADIE (B.) et 8Pour plus de détail, voir chap.V. 9THOENIG (J-C), Lère des technocrates, Paris, Ed. LHarmattan, 1987. 10Pour reprendre le concept de Pierre BIRNBAUM : BIRNBAUM (P.), Les sommets de lEtat. Essai sur lélite du pouvoir en France, Paris, Seuil, 1977. 11approches qui mettaient en avant non la primauté de lEtat mais un management où lEtat neCest-à-dire des ferait que coordonner les activités des acteurs de la société civile et des opérateurs du secteur privé. En dautres termes, les théories régulationnistes prônaient lEtat minimum, fustigeaient un Etat soccupant de tout (de léducation à lintervention dans le domaine économique via les entreprises parapubliques).
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basant sur le systémisme et la complexité12 . théories Précisons au passage que ces dinspiration libérale mettaient davantage laccent surle rôle des privés,de la société civile. Ce faisant, ellesmettaient en cause le quasi-monopole de lEtat, notamment dans la conception et la conduite des actions publiques en faveur des franges défavorisées de la population (ces actions sont connues sous le vocable d« Etat providence » ou, en anglais, Warefare State). Il a fallu lémergence et la consolidation-domination de lidéologie néo-libérale pour que ces théories fassent lobjet de plus dattention et en viennent à structurer la façon de penser lEtat. Jean-Pierre GAUDIN montre à cet effet que le passage duparadigme bureaucratique (i.e. centré sur le « Tout-Etat ») àcelui néo-libéral a été marqué par les travaux de lEuropean Consortium of Political Research 1991 résumés par louvrage collectif dirigé par de KOOINMAN13: « Les sources dinspiration de la modern governance, cest-à-dire de lanalyse des interactions gouvernement-sociétéy semblent multiples : tantôt référence est faite à la "post-modernité" et à la dé-différenciation de laction qui va aujourdhui à lencontre des spécialisations wébériennes de ladministration de gestion classique ; tantôt appui est pris de préférence sur des thèses régulationnistes et lapproche systémique des boucles rétroactives ; tantôt encore on renvoie à l"éthique" pluraliste du pouvoir et aux travaux de Dahl»14(Cest nous qui soulignons). Bien plus, il faut noter que les défenseurs de la gouvernance ne limitent pas le systémisme-régulationnisme à lintérieur de la sphère étatique mais bien au-delà. A leurs yeux,lEtat ne doit plus être au-dessus des acteurs privés : il doit simplement nêtre quun des inter-acteurs, une des institutions autonomes appelées à sinfluencer mutuellement au travers dun jeu visant à trouver des solutions les plus raisonnables pour chacun des groupes dacteurs. De la sorte, lEtat cesse davoir le monopole de dire « le vrai » mais doitco-piloter,co-produire,co-manager  avec les acteurs privés : « Car avec la reconnaissance deces interlocuteurs mis tous sur le même pied que lEtat, acteurs locaux par la grâce de la décentralisation, opérateurs privés par le concours du libéralisme économique, acteurs associatifs par lappel à la citoyenneté, les dispositifs décisionnels semblent devenus,fait observer J-P. GAUDIN sur le terrain européen, plus fragmentés et multicentrés quil y a une génération. A cette situation correspondraient une façon concertée de gouverner et un art indirect de diriger qui, pour certains, répond au joli nom decnereanuvgo"" »15(Cest nous qui soulignons). 12Pour plus de détails, voir par exemple : DAHL (R.), Qui gouverne ? Paris, A. Colin, 1973 ; CROZIER (M.) et FRIEDBERG (E.), Lacteur et le système. Paris, Ed. Du Seuil, 1977LIKERT(R.), New Patterns of Management, New York, McGraw Hill, 1961 ; OLSON(M.), La logique de laction collective, Paris, PUF, 1978, etc. 13KOOINMAN (J.), dir., Modern Governance: New Governance-Society Interaction. Londres, Sage, 1993. 14 GAUDIN (J-P), « La gouvernance moderne, hier et aujourdhui quelques éclairages à partir des politiques : publiques françaises », Revue Internationale des sciences sociales, n°155, mars 1998, p.52. Voir aussi : GAUDIN (J-P), Pourquoi la bonne gouvernance ? Paris, Presses de Sciences Po, 1999, GAUDIN (J-P), Laction publique. Sociologie et politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2004. 15 GAUDIN (J-P.) Gouverner par contrat. Laction publique en question. Paris, Presses de Sciences Po, 1999, p.12.
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Le paradoxe inhérent à la théorie de gouvernance est quaprès avoir ravalé lEtat au rang des institutions et groupes dacteurs privés, les théoriciens veulent en même temps que cet Etat continue à jouer le rôle duprimus inter pares (e.i. premier parmi les égaux) le,dans la mesure où il doit assurer la« méta-gouvernance ».tout cas ce que laisse entendre Cest en Yanis PAPADOPOULOS: « La gouvernance appelle à son tour de la méta-gouvernance qui consiste () à organiser lauto-organisation des relations interorganisationnelles : en termes plus simples, formuler des règles de procédure, assurer la compatibilité des différents mécanismes parallèles, veiller à lintégration et à la cohésion sociale, fournir une juridiction dappel permettant de régler les disputes sur et autour de la gouvernance, etc. »16. Schématiquement, on devrait passer de la figure1 à la figure217. Figure1 S.P. Figure2 16 PAPADOPOULOS(Y.) Démocratie directe. Paris, Ed. Economica, 1998, p.263. 17Nous inspirons de louvrage : BRUYNE (P. de) &NKULU KABAMBA (O.), La gouvernance Nationale et Locale en Afrique sub-saharienne, Paris, Ed.LHarmattan, 2002, p.156.
 Etat
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S.P. S.C.
S.C.
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S.P. : Secteur Privé S.C : Société Civile En conclusion, nous pouvons dire que la gouvernance est un paradigme (dans le sens de Thomas Kuhn) dans la mesure où l'on ne saurait penser la conduite des affaires publiques sans sinscrire dans le moule de linteraction où les pouvoirs publics ne sont plus quune des parties prenantes. Avec la désacralisation de lEtat, lédition des codes de conduite et de ce qui devrait passer pour le « vrai » par les pouvoirs publicspassent dorénavant par la négociation permanente entre lEtat et les acteurs de la société civile et du secteur privé18: les groupes protagonistes obéissent, dans leur travail dedécodage-recodage du monde, moins aux oukases19 dun Etat surplombant quaux normes issues dune entente un tant soit peu minimale. En dautres mots et pour nous inspirer des travaux de Pierre LASCOUMES, chaque partie prenante ayant sa weltanschauung ou code, ladite entente permettant de maîtriser et dagir sur les situations problématiques consiste àtrans-coderles divers codes en un cadre de référence raisonnable pour les inter-acteurs, y compris lEtat20. Ce transcodage consiste, dans le contexte de gouvernance, en un référent dans lequel les « regards » des différents protagonistes trouvent leur « sens ». Cela nest pas éloigné delagiret dela communicationde Jürgen HABERMAS : «Lagir se définit par "maîtrise des situations" () présupposant linteraction dau moins deux agents. Cette pluralité et la présence d'une situation qui exige dêtre surmontée vouent laction sociale à la communication »21. A plus forte raison, la gouvernance est un paradigme universel puisquelle sous-tend, à partir des années 90, hors du terrain occidental où elle a émergé et où elle a conquis une autorité incontestable, les politiques de développement et autres actions initiées dans les pays du Tiers-Monde comme nous le verrons sur le Burundi à travers quelques exemples concrets. 2. La gouvernance comme nouveau modèle de management public. Il est vrai que le terme « gouvernance » est nouveau en tant que concept dans lanalyse des actions publiques ou comme outil de gestion des affaires publiques. Mais son contenu nen demeure pas moins ancien. On sait en effet que devant léchec de lEtat providence des
18 apprendre cela devrait Et doù la ; les différents acteurs que tout nest pas possible en même temps « priorisation » des actions dans le court, le moyen et le long terme ; que les intérêts de différents groupes peuvent se révéler contradictoires, doù la prise en compte des visions du monde des uns et des autres Bref, on a là la situation que Jürgen HABERMAS résumé par le concept de l « «lagir communicationnel ». Pour plus de détails, Voir HABERMAS (J.), Théorie de lagir communicationnel, Paris, Fayard, 1981. 19quoi on ne peut rien opposer/répliquer)Cest-à-dire les ordres contre 20Cf. LASCOUMES (P.), Léco-pouvoir, op. Cit.p. 22. 21GRONDIN (J.) « Rationalité et agir communicationnel chez Habermas », in Critique, février 1986, p. 45.
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années 60 et 70 en Occident22, des analyses notamment de la sociologie des organisations ont montré que la gestion bureaucratique des politiques ne donnait guère des résultats attendus. Une des principales raisons était que des acteurs sur terrain obéissaient plus à leurs propres logiques quà celles édictées den haut, par lEtat. Il sensuit quen dépit de leur caractère généreux, les politiques sociales naboutissaient que très rarement à leur objectif de départ23. Cest en partant de cette perspective que beaucoup danalystes, notamment de la sociologie des organisations ou du management, nont cessé de suggérer deprendre en compte, au cours de la décision, les points de vue des acteurs de terrain et cela dans nimporte quelle organisation24, le concept de« participation» étant leur maître-mot25. En dautres termes, force est de constater que « gouvernance » en tant quoutil de management permettant de prendre en compte et dintégrer, autant que faire se peut, les visions du monde et intérêts des différents protagonistes à laction, dans le souci de limiter les effets inattendus et par conséquent dinduire un comportement plus ou moins convergent, est finalement plus vieux que lon ne le croit.est nouveau, cest sa domination enCe qui tant que cadre de référence obligé, en tant que méthode de management « normale ».A partir du moment où les acteurs savèrent difficiles à gouverner dans lorientation dictée den haut, la question fondamentale est de savoir comment les rendre plus « gouvernables ». A ce propos, P. LASCOUMES nous semble poser le problème dans des termes assez pertinents. Partant des travaux de Jean LECA et de Patrick LE GALÈS26, cet auteur établit une parenté entre les concepts de« gouvernance »et de« gouvernabilité». Il soulève le questionnement suivant : « pour ces auteurs, la grande question contemporaine ne serait plusqui gouverne?  maiscomment rendre gouvernable?. On peut aussi,poursuit-il, formuler la question de façon suivante : comment sopère la problématisation politique des enjeux actuels ? Cest-à-dire non seulement comment sont rendus politiquement traitables les enjeux contemporains,
22Pour en avoir une idée rapide et synthétique, voir lun des pourfendeurs ultra-libéraux des politiques sociales, BENETON (Ph.), Le fléau du bien. Essai sur les politiques sociales occidentales (1960-1980). Paris, Ed. Robert Laffont, 1983. 23Voir par exemple les politiques en faveur des Noirs américains (dites «Affirmative Action») ou en faveur des pauvres (appelées «War on povertyle haut, ont essuyé des échecs plus ou») qui, décidées unilatéralement par moins cuisants. Il nest pas superflu de préciser au passage que ces politiques ont fait le bonheur des tenants de lindividualisme méthodologique qui trouvaient matière à tester les outils de la théorie des jeux, surtout que ces politiques allaient à lencontre du libéralisme dont relève ledit courant scientifique. Voir par exemple Raymond BOUDON en France, Thomas SCHELLING pour les Etats-Unis, Mancur OLSON dune manière générale, etc. : BOUDON (R.), Effets pervers et ordre social, Paris, PUF, 1989 ; SCHELLING (T), La tyrannie des petites décisions, Paris, PUF, 1980, OLSON(M.) Logique de laction collective, Paris, PUF, 1978. 24par exemple les travaux du groupe de sociologie des organisations oeuvrant autour de Michel CROZIER,Voir dont louvrage « Lacteur et le système » (op.cit.) résume les orientations théoriques. Consulter également de J-G. MARCH et H-A. SIMON (entre autres « les organisations », Paris, Dunod, 1965), etc. 25ce concept ait fait couler beaucoup dencre, notamment pour les politiques deIl nest donc pas étonnant que développement initiées dans les pays du Sud. Nous y reviendrons plus loin. 26 Jean LECA insiste sur lagrégation des demandes et intérêts divers ainsi que la direction impulsée à la collectivité par ajustement des intérêts et des demandes cf. LECA (J.) « LEtat creux » in ARCY (F. d) et ROUBAN (L.) éd. De la VèmeRépublique à lEurope. Hommage à Louis Quermonne. Paris, Presse de Science Po, 329-365 ; LE GALÈS met quant à lui laccent sur les interactions entre lEtat et la société civile lorsquil sagit de résoudre les problèmes de coordination par laction publique tout en réintroduisant le rôle des facteurs sociologiques classiques dans lorientation des politiques publiques. Cf. LE GALÈS (P.) « Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine » in Revue Française de Science Politique, 1995, Vol.45, n°1, pp.57-95
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mais aussi comment ceux-ci parviennent-ils à mobiliser les dispositifs sociaux et politiques de connaissance et de décision ? »(cest nous qui soulignons)27. Le doigt est mis non seulement sur lareprésentation sociale du problème en tant que situation soluble par laction humaine28 également sur maislinteraction sociétale obligéepour que chaque acteur (ou groupe dacteurs) trouve son compte, aboutisse à une solution acceptable. Cela mène au concept de« réflexivité »proposé par Clauss OFFE : « réflexivité incite les acteurs à raisonner sur leurs préférences de manière à se montrer critiques par rapport à leurs propres choix, à souvrir à lapprentissage de manière à mieux évaluer les conséquences de leurs actes, à davantage s autolimiter en développant lidentification à autrui. La réflexivité, cest le passage des rationalités locales et sectorielles à des formes de rationalité plus englobantes, de lautocentration à lempathie, de la myopie 29 aux visions à plus long terme  ». Aussi, pour être opérationnelle, une organisation se doit-elle dêtre, selon C. OFFE et Urlich K.PREUSS, à la fois «"fact-regarding "(as opposed to ignorant or doctrinaire), "future-regarding"(as opposed to myopic) and "other-regarding"(as opposed to selfish) »30. Cela dit, sil est indéniable que la gouvernance paraît, en tant quensemble de principes et dhypothèses sur un management alternatif, plus efficiente quune gestion bureaucratique dictée unilatéralement par le haut, il nen demeure pas moins que son efficacité opérationnelle reste à prouver. Bref, quelles soient appréhendées en termes de paradigme dans la conduite des affaires publiques ou de nouveau mode de management public des sociétés modernes, les théories de gouvernance ne sont quune sorte de type idéal dont lutilité est simplement de servir de « grille de lecture » des faits concrets. Bien entendu, il ny a pas à sétonner si ceux-ci sen éloignent ou sen rapprochent selon les cas. Aussi importe-t-il pour nous de jeter un coup dil sur les acteurs privés susceptibles de disputer ou non les ressources politiques à lEtat, afin de nous faire une idée sur la validité ou linvalidité dune telle rhétorique sur un pays du Tiers Monde comme le Burundi. II. Une « gouvernance » centrée sur lEtat : un contenu en trompe-lil ? Etant donné le parcours socio-historique de lEtat en Afrique en général et au Burundi en particulier, où lEtat a toujours été un « produit importé »31dOccident et imposé aux sociétés extra-occidentales, lautoritarisme ne peut que se révérer rémanent. Aussi la « bonne 27de la traduction  au transcodage. Lanalyse des processus de Rendre gouvernable : LASCOUMES (P.) « changement dans les réseaux daction publique » in CURAPP (Centre Universitaire de Recherches Administratives et Politiques de Picardie), La gouvernabilité. Paris, PUF, 1996 pp.326 28STONE (D.)Political Reason. New York, Harper Collins, 1988.Policy Paradox and et PADIOLEAU (J-G.), LEtat au concret.Paris, PUF, 1982. 29Cf. PAPADOPOULOS(Y.) op. cit. p. 298. 30« Democratic Institutions and Moral Ressources », in HELD (D.) Ed. PoliticalOFFE (C.) et PREUSS (K-U.), Theory Today. Cambridge, Politiy Press, 1991, pp.156-157. 31BADIE (B.), LEtat importé. Fayard, 1992.
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gouvernance » ne peut se consolider en un jour. Après nous avoir appesanti volontiers sur la gestion autoritaire des projets de développement (puisque léconomie burundaise est essentiellement agro-pastorale) montrant par-là que la « vérité » nest pas lapanage des experts, doù nécessité de prendre en compte les avis des destinatairesin fine, nous démontrerons que même le processus dArusha ne suit pas moins le mode du « haut en bas ». 1. Une tradition de gestion politico-administrative plutôt autoritaire. Dès les premières années de son implantation au Ruanda-Urundi, la puissance coloniale belge procéda à desactions publiques telles que la mise en place des routes permettant de relier entre eux les postes administratifs, la construction de bâtiments administratifs ou dinfrastructures diverses comme les dispensaires, les écoles, etc. Dans le même ordre didées, ladministration belge obligea les administrés à pratiquer lescultures dexportationcomme le café, le thé, le coton, etc. dans le double souci damener les indigènes à sacquitter de limpôt en monnaie dune part, et de générer les moyens financiers susceptibles de soutenir laction coloniale dautre part. Pour sen convaincre, il suffit de penser aux « Pouvoirs illimités [des] résidents quant à lobligation des indigènes à se livrer aux plantations de rapport (). Cest le début des petites plantations paysannes, essentiellement des caféiers arabica, dont les parcelles en « timbre-poste » caractérisent maintenant les paysages ruraux du pays »32 ,Pour reprendre les propos du professeur CAZENAVE-PIARROT. Par ailleurs, afin de répondre aux famines répétées qui frappaient régulièrement la colonie, ladministration belge imposa à chaque homme adulte et valide (HAV) lentretien duneparcelle des cultures anti-soudurecomme le manioc ou la patate douce, ainsi que la mise en culture des bas-fonds qui étaient jusqualors réservés à lembouche du bétail pendant la saison sèche33. Comme on pouvait sy attendre, ces actions connues sous le nom de« mise en valeur » ne rencontrèrent pas ladhésion des administrés. Cest ainsi que ladministration recourut aux sévices corporels pour recruter une main-duvre corvéable pour leur mise en uvre. Il nest donc pas étonnant que et impopulaires pour les contemporains devinrentces politiques restèrent par ailleurs discréditées par la mémoire collective, mémoire nourrie et relayée par certains travaux dhistoriens ayant focalisé lattention sur la violence de la mise en oeuvre de telles actions (du moins dans le monde de "ceux qui ont été à lécole") et par le discours politique à visée nationaliste quallaient tenir pour longtemps les nouvelles autorités de lEtat indépendant(pour dévidentes raisons de légitimation de leur propre pouvoir). A lindépendance, les nouvelles élites ont paradoxalement poursuivi la quasi-totalité des actions engagées par la puissance coloniale etmême la manière de les conduire. A notre avis, ceci peut sexpliquer par deux raisons au moins. Dune part, la plupart des politiques paraissaient rationnelles dès lors quelles étaient perçues du point de vue macro-économique ou à partir du pouvoir central. Ainsi les cultures dexportation comme le café étaient dautant plus reconduites que le nouvel Etat indépendant navait pas dautres sources de devises. De même, la transformation des corvées de la« mise au travail »en« travaux de développement communautaires », la poursuite desimpôts de capitation de la outaxe sur le bétail répondaient au besoin de ressources fiscales pour lEtat. Dautre part, laméthode autoritaire 32Burundi : une agriculture à lépreuve de la guerre civile » in Cahiers dOutre-CAZENAVE-PIARROT (A.), « Mer, 57(226/227, avril-septembre 2004, p.329. 33THIBON (C.), Histoire démographique du Burundi, Paris, karthala, 2004.
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de lEtat post-colonial(surtout dans la foulée des indépendances) pourrait être expliquée (entre autres) comme le fait que les élites nationales avaient étéformées dans le giron de ladministration colonialeleur éducation à lécole belge (groupe scolaire à la fois de par dAstrida) et de par lapratique administrativeà laquelle elles avaient été socialisées tout au long de la colonisation. Avec le temps, elles doivent avoir cru (à tort) non seulement à la pertinence de leur méthode (qui paraissait aller de soi) mais également au caractère unique et partant indiscutable de cette dernière. Ce faisant, ces élites-là doivent avoir pensé bien agir en obligeant y compris par force les administrés à y subsumer leurs actions. Même dans les décennies soixante-dix, quatre vingt et quatre vingt dix, cette méthode deconcevoir les actions publiques en amont du terrain de mise en uvrene semble guère avoir souffert dexception. Que cela concerne les actions initiées par le gouvernement de son propre chef (épargne obligatoire, les coopératives, le regroupement en villages, etc.) ou celles inspirées et financées par les organismes internationaux comme la Banque mondiale, lUnion européenne, etc.(sociétés régionales de développement SRD, projets de développement rural divers, associations/ONGs diverses et variées, etc.), les actions publiques sont toujours conçues au Centre les bureaux de la capitale Bujumbura) et dictées à la(cest-à-dire dans Périphérie(cest-à-dire sur terrain, notamment sur les collines )34. Dans une telle perspective, il nest pas surprenant que la plupart de telles actions connaissent sinon des échecs plus ou moins cuisants, du moins naboutissent quà des succès plutôt mitigés. Il convient de noter ici quendécidant unilatéralement ce qui est bon pour les administrés, et ce en leurs lieu et place, sans les avoirs consultés ni informés préalablement, les élites ont de tout temps perdu de vue que mêmerationnelle a prioritoute action politique est en réalitéune construction sociale du réel objet dintervention publique(cest-à-dire un des possibles et non le seul). Autrement dit, la rationalité dune politique est toujours relative dans la mesure où laction rationnelle à telle période de lhistoire et aux yeux de tel groupe dacteurs ne lest pas forcément à telle autre époque ni au regard de tel autre groupe dacteurs (y compris lorsquil est du même univers spatio-temporel). Une des principales raisons dune telle « subjectivité » est que contrairement à ce quavaient cru des chercheurs et acteurs partisans de la rationalisation des choix budgétaires35 les années soixante, la rationalité dans inspirée des sciences naturelles na guère de pertinence dans lunivers politique où les intérêts (matériels et/ou symboliques) souvent divergents inspirent les manières de voir le monde (dappréhender une situation, un problème) différentes et partant différentes façons desquisser des réponses à un contexte problématique ainsi perçu. Dans une telle optique, la façon donnée pour seule légitime peut dès lors être considérée comme le fait dun groupe dacteurs disposant de plus de ressources politiques que leurs concurrents réels ou potentiels, en ce quils aient puune représentation sociale comme plus/seule légitime. Nousimposer avons alors affaire à un phénomène de pouvoir, cest-à-dire le (quasi-)monopole de définir et de dire le « vrai ». Nous sommes là en présence de ce que les spécialistes des politiques publiques tels Pierre MULLER et Bruno JOBERT36 ont appelé« référentiel » :cette représentation (ou perception) sociale qui, lemportant sur beaucoup dautres, en arrive à passer pour seule « vraie » pour la simple raison que ses défenseurs ont des ressources 34 Pournous nous permettons de renvoyer à notre travail plus de détails,  SENTAMBA (E.), Représentations : sociales, Pouvoirs et développement local. Analyse critique dune politique publique : le projet agro-sylvo-pastoral de la province de Rutana (BURUNDI), Thèse de Doctorat en Science politique, UPPA, septembre 2001. 35Cela renvoie aux fameuses méthodes en vogue aux Etats-Unis (cf. Planning Programming Budgeting System, PPBS en sigle) et en France (cf. Rationalisation des Choix Budgétaires, RCB en sigle) pendant les décennies soixante et soixante dix. 36MULLER (P.) et JOBERT (B.), LEtat en action: politiques publiques et corporatisme. Paris, PUF, 1987.
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