Génie national et idéal savant : un défi pour la République des Lettres - article ; n°1 ; vol.54, pg 193-210
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2002 - Volume 54 - Numéro 1 - Pages 193-210
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Emmanuel Bury
Génie national et idéal savant : un défi pour la République des
Lettres
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2002, N°54. pp. 193-210.
Citer ce document / Cite this document :
Bury Emmanuel. Génie national et idéal savant : un défi pour la République des Lettres. In: Cahiers de l'Association
internationale des études francaises, 2002, N°54. pp. 193-210.
doi : 10.3406/caief.2002.1459
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2002_num_54_1_1459lft
GENIE NATIONAL ET IDEAL SAVANT :
UN DÉFI POUR LA RÉPUBLIQUE
DES LETTRES
Communication de M. Emmanuel BURY
(Université de Versailles et Institut Universitaire de France)
au LIIIe Congrès de l'Association, le 4 juillet 2001
L'usage du terme « République des Lettres » est devenu
aujourd'hui familier à tout chercheur qui consacre ses
études aux siècles que nos collègues historiens appellent
« modernes » (1) ; remis à l'honneur, notamment par les
nombreux travaux sur l'univers intellectuel des
Lumières (2), le terme renvoie à un complexe subtil où
s'entrecroisent topiques littéraires, procédures savantes,
réseaux concrets d'échanges et de communication, de
l'idéal le plus abstrait de commercium litterarium à la réali
té la plus matérielle (diffusion des livres, des périodiques
et des idées, par le biais notamment des correspondances
(1) II convient de mettre ici des guillemets dans la mesure où ces mêmes
siècles, dans le champ littéraire, sont en général désignés par l'adjectif
« classiques » : preuve, s'il en était besoin, de la fluidité incontrôlable des
catégories trop générales.
(2) Voir Fritz Schalk, « Von Erasmus' Respublica literania zur Gelehrtenre-
pubhk des Aufklarung », Studien zur franzosischen Aufklarung, Frankfurt am
Main, Klostermann, 1977, p. 143-163 , cf Ann Goldgar, Impolite learning.
Conduct and Community in the Republic of Letters, 1680-1775, New Haven,
London, Yale University Press, 1995. 194 EMMANUEL BURY
savantes) (3). Depuis les travaux pionniers de Paul
Dibon (4), la communauté française des chercheurs
n'ignore plus l'existence de ce champ spécifique, même si
elle n'a pas, semble-t-il, toujours pris la mesure du chant
ier, voire perçu l'intérêt intrinsèque d'enquêtes faites à
nouveau frais. De fait, le paysage de la République des
Lettres est un arrière-plan familier aux grandes synthèses
d'histoire des idées qui ont, depuis plus de cinquante ans,
charpenté notre représentation de l'univers intellectuel
des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles européens. Confronter cette
réalité complexe à la topique du « caractère des nations »
est particulièrement intéressant, même si cela ne va pas
sans un certain goût du paradoxe : en effet, cette topique
est issue d'une anthropologie humaniste, fondée sur les
textes de l'Antiquité et revivifiée par les synthèses opé
rées au XVIe siècle, chez un Bodin par exemple, ou chez un
Huarte. Elle appartient donc de plein droit à la culture
partagée par les citoyens de la République des Lettres,
dont la principale activité est précisément, au moins dans
un premier temps, l'apprentissage et l'étude de ces textes
fondateurs. Or, une part des attendus de la République
des Lettres repose sur l'idée d'une communauté qui excè
de tous les particularismes nationaux, au nom du partage
des savoirs : l'idéal socratique du « citoyen du monde »
est présent chez Erasme, et on le retrouve, à la fin du
XVIIe siècle, dans les entreprises d'un Pierre Bayle ou d'un
Jean Le Clerc. Dans le champ de la littérature française, il
est directement relayé par un chevalier de Méré (qui le
proclame explicitement) ou par un La Bruyère, qui se
(3) Pour les références détaillées aux ouvrages mentionnés, on se reportera
à la liste bibliographique en fin d'article ; ici, voir H. Bots et F. Waquet, éd.,
Commercium litteranum. La communication dans la République des Lettres 1600-
1750, 1994.
(4) Voir Dibon (1990) : ce volume regroupe une série impressionnante d'ar
ticles pionniers sur le sujet (statut des correspondances, notion de « commu-
mication », iter academicum, rôle des universités, etc.). Une des bibliogra
phies les plus récentes sur l'ensemble de la question se trouve dans Bots, H.,
et Waquet, F., La République des Lettres, 1997, p. 161-177. GÉNffi NATIONAL ET IDÉAL SAVANT 195
place ouvertement sous le signe d'Erasme, avant de trou
ver une expression accomplie chez Voltaire ; il semble
donc bien que l'idée d'une caractérologie fixe des nations
soit un obstacle majeur à l'édification même d'une Répub
lique des Lettres à l'échelle européenne.
*
* *
Aux espaces nationaux, politiques et confessionnels, la
réponse a été apportée d'emblée avec fermeté. Lorsqu'il
définit son projet des Nouvelles de la République des Lettres
en mars 1684, Bayle insiste sur la spécificité de cet espace,
qui bénéficie de certaines franchises à l'égard, notam
ment, des obligations confessionnelles ; voici en quels
termes il présente les éloges qu'il a décidé de consacrer
aux savants disparus, sans qu'entre en compte l'apparte
nance religieuse :
П ne s'agit pas de Religion, il s'agit de Science : on doit donc
mettre bas tous les termes qui divisent les hommes en diffé
rentes factions, & considérer seulement le point dans lequel
ils se réunissent, qui est la qualité d'Homme illustre dans la
République des Lettres. En ce sens là tous les Savans se doi
vent regarder comme frères, ou comme d'aussi bonne mai
son les uns que les autres (fol A6 r°).
Cette déclaration d'intention fait écho aux affirmations
programmatiques de Francis Bacon, quatre-vingts années
auparavant, au début du livre II de V Advancement of Lear
ning :
De même que le progrès du savoir repose beaucoup sur les
ordres et les institutions des Universités à l'intérieur du
même Etat ou du même royaume, de même il serait encore
plus avancé, s'il y avait plus d'intelligence mutuelle entre les
Universités d'Europe qu'il n'y en a à présent (p. 86-87). 196 EMMANUEL BURY
Une réelle volonté de « court-circuiter » les réalités ins
titutionnelles et politiques est donc partagée par ces
auteurs ; et cela est d'autant plus sensible que la Répub
lique des Lettres est, depuis ses origines, une conquête
continue, et sans répit possible, face à des situations de
conflits (militaires, confessionnels, juridiques) et des affi
rmations de corps. Dans les premiers cas, faut-il évoquer
les épisodes historiques contemporains de Pétrarque,
d'Erasme, de Lipse et Casaubon, ou, plus tard, de Bayle et
de Voltaire ? Entre les tensions du schisme, l'avènement
de la Réforme, l'explosion des guerres de religion, sans
parler plus tard de la Révocation de l'Édit de Nantes ou
de la guerre de Succession d'Autriche, il est frappant de
voir s'affirmer, avec une rare constance, la nécessité d'une
République des Lettres dont les réseaux, les amitiés, les
préoccupations en général subvertissent ou contrecarrent
les logiques propres du champ politique, diplomatique et
religieux. Cela ne s'opère pas sans conflit interne ou sans
ambiguïté : il suffit de songer à Juste Lipse, partagé entre
la quête d'un for intérieur tout stoïcien et la quête d'une
méditation théologique aux résonances augusti-
niennes (5), ou à Pierre Bayle, déchiré entre un « athéisme
critique » et la tentation du fidéisme (6). En aucun cas,
comme on le voit à propos de ces deux exemples, l'appar
tenance à la République des Lettres ne correspond à une
« position » établie et confortable. A cet égard, la thémat
ique des « caractères des nations », qui recouvre, dans le
cadre de pensée contemporain, une donnée anthropolo
gique apparemment irréductible, est un véritable défi
pour l'édification de cet espace culturel européen. On
(5) Voir la belle réflexion liminaire de

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