Habitat et territoire yukuna - article ; n°1 ; vol.61, pg 107-139
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Description

Journal de la Société des Américanistes - Année 1972 - Volume 61 - Numéro 1 - Pages 107-139
33 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 7
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Pierre-Yves Jacopin
Habitat et territoire yukuna
In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 61, 1972. pp. 107-139.
Citer ce document / Cite this document :
Jacopin Pierre-Yves. Habitat et territoire yukuna. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 61, 1972. pp. 107-139.
doi : 10.3406/jsa.1972.2115
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1972_num_61_1_2115HABITAT ET TERRITOIRE YUKUNA
par Pierre-Yves JACOPIN
Habitat, territoire.
Lorsqu'iï s'agit d'une population amazonienne, ces mots sont immédiatement
évocateurs. On songe à la grande maison collective, à la maloca où habitent
plusieurs familles et qui est le siège d'une multitude d'échanges internes et
externes, rituels et profanes, à la fois individuels et collectifs, symboliques
et matériels. On songe aux terrains de chasse, à la pêche, à la cueillette. On
songe aussi à la guerre et aux règles de respect ou de transgression territoriales
(qui en sont aussi bien la conséquence que la cause la plus directe). On songe
aux chemins et aux cours d'eau qui organisent ces espaces, les délimitent et per
mettent de s'y orienter. On songe aussi à l'aménagement des chagras, aux brûlis
et à l'horticulture féminine. Et pourtant s'il existe des mots — souvent plu
sieurs — pour parler de tout ce que l'habitat et le territoire peuvent évoquer
pour nous, ceux-ci n'ont cependant pas de contrepartie directe en langue
yukuna 1.
Les Yukuna n'ont que très peu de manières d'exprimer des réalités coupées
de leurs relations fonctionnelles, en dehors de leurs situations concrètes. Ceci
ne veut pourtant pas dire que ces notions n'aient pas d'existence pour les Yukuna,
mais plutôt qu'ils ne les envisagent jamais sous une forme aussi abstraite que
dans notre société, que pour notre mode de production. Car un tel problème
« de langue » se pose d'emblée par rapport à ce que l'on pourrait appeler le mode
de production, par simple analogie avec la société industrielle, c'est-à-dire
par rapport à l'ensemble (collectif et individuel) des pratiques sociales. Tout
se passe donc comme si les Yukuna ne s'étaient pas donné des formes d'abstrac-
1. Les données ethnographiques ont été recueillies entre septembre 1969 et septembre
1971, période durant laquelle nous avons fait quatre séjours et passé environ dix-huit mois
avec les Yukuna proprement dits. Cette mission était financée exclusivement par le Fonds
National Suisse de la Recherche Scientifique.
Notre reconnaissance va d'abord aux Indiens auxquels ces notes sont dédiées. Nous sommes
cependant aussi particulièrement redevable de l'aide chaleureuse de la famille Schauer et
des pilotes du Summer Institute of Linguistics, ainsi que de l'appui très bienveillant du Père
Capucin Antonio Jover ; si à eux va notre reconnaissance, nous n'oublierons pourtant pas
non plus les autres habitants du Miriti qui à un moment ou à un autre, à des degrés divers
nous ont toujours prêté assistance. SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES 108
tion généralisante, ou, pour mieux dire, comme si leur pratique était inductrice,
déterminée par un rapport à la réalité qui permet de faire l'économie des modes
de représentation synthétique décollés du réel. Pour les Yukuna, toute méta
physique dans l'acception moderne du terme (et comme domaine séparé) ne
saurait avoir de sens.
Zone d'occupation YUKUNA
Zone BORA et M IRAN A ( 1970 )
De plus les mots habitat et territoire ont une connotation éthologique évi
dente, c'est-à-dire justement celle d'une démarche scientifique qui est la plus
étrangère aux schémas Yukuna d'appréhension et d'explication de la réalité.
Car si, dans les sciences contemporaines, la frontière entre l'espèce humaine
et les espèces naturelles devient de plus en plus fluctuante et ténue, ceci ne
signifie pas pour autant que l'on puisse se fonder sur les catégories biologiques ;
surtout lorsqu'on sait que ces renvois sont la plupart du temps entachés des
présupposés individualistes et évolutionnistes que l'on trouve encore à la base
de la plupart des recherches biologiques et qui éliminent l'aspect social et col
lectif des phénomènes d'adaptation (ou qui n'en font qu'une propriété rapportée).
Que pouvons-nous faire alors pour éviter les descriptions ou les pièges de
l'ethnocentrisme insouciant ? Certainement pas une nouvelle théorie critique HABITAT ET TERRITOIRE YUKUNA 109
qui ne ferait finalement que poursuivre et s'inscrire, d'une manière ou d'une
autre, dans la même perspective d'interprétation spéculative. On voit mal
en effet comment une critique strictement méthodologique, et par conséquent
nécessairement théorique et abstraite, permettrait de transformer concrètement
la dialectique positiviste classique séparant en deux temps la pratique et la
théorie, et évidemment dans le cas particulier, celle de l'observation sur le
terrain (participante ou non) et celle de la rédaction en chambre. Peut-être
que la solution radicale est alors une fois de plus, comme sur le terrain, de s'accro
cher aux réalités vécues et de s'attacher à ce qui pour les Yukuna eux-mêmes,
de leur propre aveu, fait office d'explication consciente du réel : le discours
mythique. Ce faisant il faudrait évidemment pouvoir se référer à l'ensemble
du système mythique et aux résonnances que les mythes évoquent, non seul
ement pour l'observateur étranger, mais surtout pour les Yukuna eux-mêmes
dans leurs pratiques. Cette tâche dépasse encore nos possibilités et c'est pour
quoi nous nous en tiendrons, dans un premier temps, au découpage le plus
immédiat : nous ne retiendrons du discours mythique que ce qui fonde l'exi
stence de la maloca et ce qui pour les Yukuna tient lieu de seule explication
rationnelle de leur résidence. Nous tenterons donc de répondre à cette ques
tion : habitat, territoire, qu'est-ce pour les Yukuna ? Mais auparavant il nous
faut brièvement les situer.
Situation.
Traditionnellement les Yukuna se trouvent sur les berges du rio Miritipa-
raná, affluent du Caqueta — qui au Brésil prend le nom de Japurá et se jette
dans l'Amazone à Tefé — au nord de La Pedrera, petit village colombien à la
frontière du Brésil. Le pays yukuna est traversé transversalement par la grande
bande rocheuse qui va probablement des rapides de Jurupari sur le rio Vaupès,
jusqu'au terrible défilé d'Araracuara, en passant par le Piraparaná. Actuelle
ment les Yukuna ne s'établissent pas plus haut que les premiers grands rapides
qui partagent le Miriti en deux, lorsqu'il rencontre la zone rocheuse, à 500 km
de La Pedrera. A cet endroit on trouve une mission de capucins espagnols
(dépendante de Leticia), établie là depuis 1952, ce qui fait que paradoxalement
les groupes aujourd'hui les plus touchés par la pénétration blanche se trouvent
le plus haut sur le fleuve. Mais si l'on s'écarte alors des rives du Miriti, on ren
contre les malocas qui suivent encore (relativement) le mode de vie le plus
traditionnel.
Les Yukuna ont subi les grandes épidémies de maladies infectieuses apport
ées par les blancs ; particulièrement celle de rougeole qui, durant la guerre
de 1932 entre le Pérou et la Colombie, détruisit à tout jamais l'équilibre démo
graphique, faisant probablement périr plus de 60 % de la population. Pourtant
celle-ci compte encore environ un demi-millier d'âmes et est en léger accroisse
ment. Actuellement les Yukuna sont constitués de quatre groupes exogamiques,
dont trois possèdent encore leur propre langue : il s'agit des Yukuna propre
ment dits, des Matapi (au nombre de 200, qui parlent aussi le Yukuna) pour
le Miritiparaná, des Tanimuka et des Letuama (environ une centaine et parlant
leurs langues propres) qui vivent sur le bassin du Guakaya, affluent du Miriti 110 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
et plus au nord sur le Popeyaca, affluent de l'Apaporis. Le Tanimuka
et le Letuama, langues bien distinctes, sont probablement apparentés à la
famille linguistique tukano, tandis sur le Yukuna est classé parmi les langues
arawak. Bien que le terme Yukuna soit ainsi plutôt une appellation générique
donnée par les Blancs, ces populations forment une aire culturelle homogène
par rapport au

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