Innovation et répétition : entre esthétiques moderne et post-moderne - article ; n°1 ; vol.1, pg 131-148
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Description

Sociologie de la communication - Année 1997 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 131-148
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 144
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Umberto Eco
Daedalus
Marie-Christine Gamberini
Innovation et répétition : entre esthétiques moderne et post-
moderne
In: Sociologie de la communication, 1997, volume 1 n°1. pp. 131-148.
Citer ce document / Cite this document :
Eco Umberto, Daedalus, Gamberini Marie-Christine. Innovation et répétition : entre esthétiques moderne et post-moderne. In:
Sociologie de la communication, 1997, volume 1 n°1. pp. 131-148.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_004357302_1997_mon_1_1_3835INNOVATION ET REPETITION :
Entre esthétiques et post-moderne moderne
Umberto ECO
Traduit et reproduit avec l'autorisation de Daedalus, journal de l'Académie
américaine des arts et sciences. Article extrait du numéro intitulé « The mov
ing image », 1987, volume 114 n° 4.
© Daedalus pour la version originale
© Réseaux Reader CNET - 1 997 pour la version française
131 — tisanat. Pour faire un parallèle avec les
sciences, l'artisanat et l'industrie consis
taient à appliquer correctement une loi
déjà connue à un cas nouveau. L'art, au
contraire (et, par art, j'entends aussi la li
ttérature, la poésie, le cinéma, etc.) corres
pondait plutôt à une « révolution scient
ifique » : chaque œuvre d'art moderne
établit une nouvelle loi, impose un nou
veau paradigme, une nouvelle façon de re
garder le monde.
L'esthétique moderne a souvent oublié
que la théorie classique de l'art, de la
Grèce antique au Moyen Age, ne tenait pas
tant à marquer une différence entre art et
artisanat. Le même terme (tekhnê, ars) ser
vait à désigner les prestations d'un coiffeur
ou d'un constructeur de bateaux et le tra
vail d'un peintre ou d'un poète. L'esthé
Ce n'est pas un hasard si l'esthétique tique classique n'était pas si soucieuse
modeme et les théories modernes de d'innovation à tout prix : au contraire, elle
l'art (j'entends par « » estimait souvent « belles » les bonnes oc
currences d'un type éternel. Même quand celles qui sont nées avec le Maniérisme, se
sont développées avec le Romantisme et la sensibilité moderne goûte la « révolu
ont été reprises de manière provocatrice par tion » accomplie par un artiste classique,
les avant-gardes du début du XXe siècle) ses contemporains appréciaient l'aspect
ont fréquemment identifié le message arti opposé de son œuvre, c'est-à-dire son res
stique avec la métaphore. La métaphore pect pour des modèles antérieurs (1).
Cela explique que Г esthétique moderne (celle qui est nouvelle, inventive, et non la
se soit montrée si sévère à l'égard des procatachrèse éculée) est une façon de dési
gner une chose par le nom d'une autre, et duits de type industriel des mass media.
de présenter ainsi la chose en question de Une chanson populaire, un spot publicit
manière inattendue. Le critère moderne aire, une bande dessinée, un roman poli
pour juger de la valeur artistique était la cier, un western, étaient envisagés comme
nouveauté, un degré d'information élevé. des occurrences plus ou moins réussies
d'un modèle ou d'un type donné. En tant La répétition agréable d'un motif déjà
connu était considérée par les théories mo que tels, on les trouvait plaisants, mais pas
dernes de l'art comme typique de l'art artistiques. De plus, cette pléthore d'agré
isanat — non de l'art — et de l'industrie. ments, de répétitions, de manques d'inno
Un bon artisan produit, tout comme une vation, était perçue comme un stratagème
fabrique industrielle, de nombreuses oc commercial (le produit devait satisfaire les
currences, ou tokens, d'un même type ou attentes de son public), et non comme la
mise en avant provocatrice d'une vision du modèle. On apprécie le type, et l'on appré
cie la manière dont l'occurrence se plie monde nouvelle (et difficile à accepter).
aux exigences du type, mais l'esthétique Les produits des mass media ont été assi
moderne ne reconnaissait pas en cela une milés à ceux de l'industrie dans la mesure
procédure artistique. C'est la raison pour où ils étaient produits en série, ce type de
production « sérielle » étant jugée étranlaquelle l'esthétique romantique a opéré
une distinction si soigneuse entre arts gère à l'invention artistique.
« majeurs » et « mineurs », entre art et
(1) Sur l'opposition entre innovation et répétition, voir mes livres L'œuvre ouverte, 1979, et Lector in
fabula, 1989.
133 Redondance et répétition pales caractéristiques de Nero Wolfe et de
dans les mass media ses partenaires, car il est important de
constater à quel point elles comptent pour
le lecteur de Stout. Nero Wolfe, natif du Selon l'esthétique modeme, les princi
pales caractéristiques des produits des Montenegro mais naturalisé américain de
mass media étaient la répétition, l'itéra puis des temps immémoriaux, est si invra
isemblablement gros que son fauteuil en tion, l'obéissance à un schéma préétabli
cuir doit être conçu exprès pour lui. Il est et la redondance (par opposition à l'i
épouvantablement paresseux. En fait, il ne nformation) (2).
Le procédé de Г itération est typique, quitte jamais sa maison et dépend, pour ses
par exemple, des publicités télévisées : enquêtes, de l'astucieux et brillant Archie
le spectateur regarde distraitement le Goodwin, avec qui il entretient perpétuel
déroulement d'un sketch, puis concentre lement une polémique acerbe et tendue,
son attention sur la phrase clé qui revient quelque peu tempérée par leur mutuel sens
de l'humour. Nero Wolfe est un véritable à la fin de la saynète. C'est précisément
sur cette réapparition prévue et attendue goinfre, et son cuisinier, Fritz, la vestale
que se fonde son plaisir, modeste mais du garde-manger, se tient en permanence
au service de ce palais éminemment rafirréfutable.
De même, la lecture d'un roman poli finé et cet estomac non moins éminem
cier suppose qu'on prenne plaisir à un ca ment avide. A côté des plaisirs de la table,
nevas d'intrigue donné. Ce canevas est si Wolfe cultive une passion absorbante et
important que les auteurs les plus célèbres exclusive pour les orchidées ; il en possède
ont fondé leur fortune sur son immuabilité. une collection inestimable dans la serre du
L'auteur joue en outre sur une série dernier étage de la villa où il réside. Passa
blement obsédé par sa gourmandise et ses continue de connotations (par exemple, les
particularités du détective et de son entou fleurs, doté d'une série de manies annexes
rage immédiat), à tel point que leur réap (goût pour la littérature érudite, misogynie
parition dans chaque histoire représente systématique, insatiable soif d'argent),
Nero Wolfe mène ses enquêtes - des une condition essentielle du plaisir de la
lire. Nous avons donc les « tics » désor chefs-d'œuvre de pénétration psycholo
gique - assis à son bureau, en soupesant mais historiques de Sherlock Holmes, la
vanité pointilleuse d'Hercule Poirot, la soigneusement les informations oralement
pipe et la vie conjugale sans histoires de fournies par Archie, en étudiant les prota
Maigret, et les célèbres manies des plus in gonistes de chaque événement contraints
trépides héros du roman noir. Les défauts, de lui rendre visite dans son bureau, en
les gestes, les habitudes du personnage dé discutant avec l'inspecteur Cramer (lequel
crit nous permettent de reconnaître en lui arbore toujours entre ses lèvres un cigare
un vieil ami. Ces traits familiers aident à méthodiquement éteint), en se chamaillant
« entrer » dans le récit. Quand notre auteur avec l'odieux sergent Purley Stebbins et,
favori écrit un roman d'où ses personnages enfin, en convoquant, suivant une mise en
habituels sont absents, nous ne voyons scène à laquelle il ne déroge jamais, les ac
même pas que la trame fondamentale de teurs de l'affaire à une réunion dans son
l'histoire reste identique : nous parcourons salon, généralement le soir. Là, par le biais
le livre avec un certain déta

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