Juan Valera et la liberté religieuse - article ; n°1 ; vol.8, pg 407-440
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Description

Mélanges de la Casa de Velázquez - Année 1972 - Volume 8 - Numéro 1 - Pages 407-440
34 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Paul Drochon
Juan Valera et la liberté religieuse
In: Mélanges de la Casa de Velázquez. Tome 8, 1972. pp. 407-440.
Citer ce document / Cite this document :
Drochon Paul. Juan Valera et la liberté religieuse. In: Mélanges de la Casa de Velázquez. Tome 8, 1972. pp. 407-440.
doi : 10.3406/casa.1972.1062
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/casa_0076-230X_1972_num_8_1_1062JUAN VALERA ET LA LIBERTÉ RELIGIEUSE
Par M. l'abbé Paul DROCHON
Ancien Membre libre de la Section Scientifique
Dans l'Espagne absolutiste, l'unité de foi catholique ne fut jamais
sérieusement compromise. L'Eglise et l'Etat, liés par des intérêts com
muns, se chargeaient de maintenir l'orthodoxie. Mais avec l'invasion
napoléonienne, les idées libérales, déjà introduites à la fin du XVIIIe
siècle, firent leur chemin dans les esprits. Il fallait, disait-on, donner à
l'Espagne l'occasion d'entrer dans le concert des nations européennes, en
abolissant l'Inquisition qui l'assujettissait à «l'obscurantisme» du Moyen
Age; le prestige de l'Eglise sur les structures sociales et les mentalités
populaires était abusif; il l'était aussi sur les individus: de quel droit le
fait d'être Espagnol entraînait-il l'obligation d'être membre de l'Eglise?
L'Espagne serait-elle éternellement le pays «des pois chiches et de la foi
catholique», comme disait Galdôs? Aussi les Cortès constituantes du
XIXe siècle, à partir de 1837, ont-elles examiné le droit des personnes à
pratiquer la religion de leur choix. Telle est bien, en définitive, l'essence
de la liberté religieuse.
Il est évident que le passage d'une religion officielle et pratiquement
obligatoire pour tous à une sorte de laïcisme d'Etat et de liberté des
cultes est lourd de conséquences. Il conduit à redéfinir la personnalité
de l'Etat, les fondements de la morale, les fonctions de l'Eglise dans la
société. Il est le passage d'une chrétienté encore médiévale par certains
côtés, à une société ouverte aux aspirations de son temps et sensible à
l'individualisme religieux. Si bien que le mouvement révolutionnaire du
XIXe siècle espagnol peut apparaître comme une tentative de sécula
risation de la société et des personnes. Aussi la question de la liberté
religieuse est-elle une des clés qui donnent accès à la connaissance de
l'Espagne constitutionnelle.
Beaucoup d'écrivains de cette époque ont exprimé leur avis sur ce
sujet qui les passionnait et alimentait les polémiques de presse. Parmi
eux, un homme d'une culture raffinée, très attentif aux réalités de son
temps: Juan Valera. PAUL DROCHON 408
L'occasion semblerait bonne de décrire le «christianisme» de Juan
Valera, tel qu'il apparaît à travers sa vie et son œuvre. Mais ce serait
un thème immense auquel convient peu le cadre d'un article. Il s'agit
seulement de savoir comment don Juan a réagi devant l'un des problèmes
majeurs des années 1850-1880. Etait-il pour ou contre la liberté religieuse?
Reconnaissait-il à l'Etat le droit de surveiller la moralité des citoyens?
Souhaitait-il la séparation de l'Eglise et de l'Etat? xQue pensait-il de l'i
ntolérance et de ses rapports avec le développement culturel de son pays?
Au cours de cette recherche, aucune référence ne sera faite à son
œuvre romanesque, où l'on trouverait sans doute une masse de rense
ignements épars, mais d'une interprétation délicate. En revanche, seront
exploitées les œuvres (lettres, essais, discours) dont le caractère ne laisse
aucun doute sur ses sentiments réels.
JUAN VALERA SOUHAITAIT-IL LA LIBERTÉ RELIGIEUSE
POUR SON PAYS?
Pour que la question se présente sous le jour de la psychologie de l'
écrivain, il est important de recueillir la déclaration suivante qui date de
1865:
«Moi aussi j'ai été et je suis non seulement catholique (Ce serait
une chose bien banale de ma part, car il n'y a pas d'Espagnol
qui ne le soit)... je vais dire plus: je suis un amant passionné de
notre religion. Mais... je n'explique pas cet amour de la religion
catholique comme certains aujourd'hui... c'est-à-dire comme un
parapet, un moyen, pour les classes inférieures de la
société, de vivre résignées... tandis que les classes supérieures
jouissent des biens que leur a octroyés la fortune» x.
C'est devant l'Assemblée nationale que Valera proclame ainsi ses cro
yances. Il se dit donc chrétien à la fois par tradition et par un choix per
sonnel. Sa conception de l'homme, de l'histoire, de la politique, du savoir,
de la vie sociale en général, s'enracine dans la foi. Que cette foi se con
fonde avec un besoin de sécurité; qu'il ait pris parfois ses distances, s'il
faut l'en croire lui-même, vis-à-vis de la morale chrétienne 2; ou qu'il
1 Discours aux Cortè.3, 7 février 1865. Obras complétas de Juan Valera publicadas por
Carmen Valera, t. L, Discursos pollticos, p. 153-163. (Dans la suite de ces notes,
l'ouvrage sera mentionné sous le sigle Disc, polit.)
* Voir en particulier ses lettres de Saint-Pétersbourg à don Leopoldo Augusto Cueto. JUAN VALERA ET LA LIBERTÉ RELIGIEUSE 409
se soit souvent complu dans un esthétisme éloigné de toute mystique...
tout cela n'efface pas l'empreinte spiritualiste qui lui vient de son édu
cation. Ce trait de sa personnalité est un trait de lumière sur les analyses
qui vont suivre.
UN TRADITIONALISME MODERE
Une première constatation s'impose: Juan Valera n'a pas toujours
été libéral en matière de religion. Par exemple, dans un discours à l'A
ssemblée nationale, en 1865, il rappelle qu'il a souvent critiqué «l'idée
de la liberté des cultes et de conscience en Espagne», à cause de la menace
du protestantisme. Aujourd'hui, dit-il, cette menace s'est dissipée, et
ceux qui sortent de l'Eglise catholique le font pour abandonner toute
religion. C'est pourquoi la liberté des cultes reste inopportune 1.
Deux ans plus tôt, il avait écrit à don José Luis Albareda que Nocedal
se trompait en l'accusant de défendre cette liberté.
«Ni le Contemporâneo dans aucun de ses articles, ni moi-même
par écrit ou par la parole, n'avons jamais défendu chose semb
lable... Tous nous sommes et voulons continuer à être catholi
ques... Il est donc absurde, tout à fait inopportun, anachroni
que et même ridicule, selon notre façon de voir... de demander
la liberté des cultes pour l'Espagne» 2.
Valera n'ignore pas que les «librecultistas» entendent réaliser une
harmonie entre, d'une part, l'Eglise jusque-là retranchée derrière ses
dogmes et ses traditions, et d'autre part la société moderne animée
par le progrès et avide de libertés. Mais, à son avis, c'est là une erreur
fondamentale, car il ne voit pas de rapport entre le Royaume de Dieu
et le développement des techniques. Celui-ci s'oppose même à celui-là:
la cité terrestre est édifiée par l'homme, la cité de Dieu est surnaturelle
et ce sont les anges qui l'édifient.
Répondant un jour à Nocedal qui proposait saint François d'Assise
en modèle à la société, il fait ressortir que le message du Poverello est
d'ordre poétique et mystique, mais non pas social. Si chaque homme vi
vait comme saint François, ce serait une catastrophe pour l'humanité.
Tout le monde mourrait. Et il conclut:
1 Discours du 16 février 1865, en réponse aux allusions du député Hurtado. (Disc,
polit., p. 169-189.)
2 Cartas al Sr. don José Luis Albareda in Obras complétas, Aguilar. Madrid, 1942,
t. II, p. 1.755. PAUL DROCHON 410
«La religion est une chose beaucoup plus élevée et immensé
ment supérieure à toutes les questions sociales, parce que c'est
la question de l'homme, dans son aspiration vers l'infini et vers
l'éternel. Elle est au-dessus de ces questions de nourriture et
d'existence que sont les questions sociales. La religion n'a rien
à voir avec les questions sociales» 1.
On pourrait se demander si ces propos trahissent un certain angélis-
me, tare habituelle de la religiosité traditionaliste, ou s'ils témoi
gnent d'une remarqu

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