L'initiation d'un initiateur : André Siegfried - article ; n°1 ; vol.106, pg 27-41

Alain Garrigou

Description

Actes de la recherche en sciences sociales - Année 1995 - Volume 106 - Numéro 1 - Pages 27-41
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: Actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales
• Publié le: 01 janvier 1995
• Nombre de lectures: 41
• Langue: Français
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Extrait

Monsieur Alain Garrigou
L'initiation d'un initiateur : André Siegfried
In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 106-107, mars 1995. pp. 27-41.
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Garrigou Alain. L'initiation d'un initiateur : André Siegfried. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 106-107, mars
1995. pp. 27-41.
doi : 10.3406/arss.1995.3133
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1995_num_106_1_3133:
Alain Garrigou
L'initiation d'un initiateur
André Siegfried et le «Tableau politique de la France de l'Ouest*»
conçoit mal que le même homme ait pu s'engager en N 1902, j'avais vingt-sept ans et je désirais faire
politique avec des convictions profondes d'homme de une carrière politique, souhaitant trouver une
gauche et qu'il ait pu les engager dans son travail après circonscription pour entrer à la Chambre des
avoir renoncé à la carrière politique. Cette force des députés1. » Par ce témoignage tardif de 1956, André Sieg
convictions se conçoit mieux si on se rappelle qu'André fried se penchait sur ce qu'il appelait une « aventure »
Siegfried était entré en politique en 1902, dans la avec la distance que lui conférait l'âge (quatre-vingt-un
conjoncture de mobilisation de l'affaire Dreyfus et du ans) et la réussite (d'un académicien). L'auteur du
Bloc des gauches, dans une terre de mission face à un Tableau politique de la France de l'Ouest rappelait plus
aristocrate fortuné et dans une confrontation archétypale. qu'un lointain épisode « Quant à moi, concluait-il, je ne
Sans avoir cette force d'évocation, les combats électoraux regrette pas cette aventure car, du point de vue de la rai
ultérieurs dans la deuxième circonscription du Havre son, je compris ce que c'était que la politique électorale
opposèrent André Siegfried à un député catholique et en la pratiquant dans son détail... Pour mon éducation
conservateur. En outre, les convictions étaient en quelpolitique et même pour mon éducation géographique et
que sorte le point d'honneur d'un prétendant décidéma connaissance de la France et de la province, cette
ment toujours prisonnier de son statut d'héritier que ce expérience fut pour moi extrêmement précieuse. » Sans
soit à Castellane ou au Havre, dans la circonscription voiconstituer une preuve, il n'est pas négligeable qu'André
sine de celle de son père. La consolidation de la convicSiegfried confirme l'importance de son expérience de
tion était encore en rapport avec la solidité des obstacles candidat et, précisément, celle de sa première tentative
à sa carrière politique mais aussi sociale qu'André Siegbas-alpine à Castellane dans la genèse de sa géographie
fried rencontrait dans la personne d'élus conservateurs. électorale2. Il signalait un lien entre le savoir pratique
des politiciens et sa propre entreprise de constitution
d'un savoir sur la politique. Cela mérite qu'on s'y arrête
* A. Siegfried, Tableau politique de la France de l'Ouest sous la trocontre l'amnésie nécessairement inscrite dans l'effort isième République, Paris, A. Colin, 1913.
d'autonomisation d'un savoir et contre le recouvrement 1 - A. Siegfried, « Note sur mes campagnes électorales dans les Basses-
du projet par la canonisation de l'œuvre. Alpes », reproduite dans J. Gastinel, « Histoire anecdotique des élections
dans l'arrondissement de Castellane de 1898 à 1905», Bulletin de la Dans le Tableau politique de la France de l'Ouest,
Société scientifique et littéraire des Alpes-de-Haute-Provence, 274, l'importance des convictions politiques de l'auteur appar juillet-décembre 1974, p. 71-74. Notre enquête a été lancée à partir du
aît mal. L'ambition scientifique conduit à marquer la dossier de contestation de l'élection de Castellane de mai 1902 (Arch,
nat., C 7180). Dans les archives départementales des Alpes-de-Haute- mise à distance des positions politiques mais la lecture Provence (anciennes Basses-Alpes), les documents concernant directrétrospective effectuée à partir de l'existence d'un savoir ement André Siegfried sont rares. Je remercie Armelle Le Goff et Eric
Phélippeau qui m'ont permis d'accéder à leurs dossiers. spécialisé en redouble les effets. Au regard du statut
2 - Sans s'être arrêté sur l'expérience bas-alpine, Pierre Favre a soutenu scientifique conquis par l'œuvre, du passé conservateur que le Tableau politique procédait d'une « revanche symbolique à la de celui qui devint professeur à l'École libre des sciences défaite... »; P. Favre, Naissances de la science politique en France
politiques, académicien et éditorialiste du Figaro, on (1870-1914), Paris, Fayard, 1989, p. 275. :
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En l'occurrence, il fallait des ressources mais aussi de corruption3. » En plaçant la candidature d'André Sieg
l'obstination pour attendre de «se ranger», à l'âge de fried sous le signe de la lutte contre la corruption, l'admi
trente-six ans, par l'accès à un statut professionnel. L'att nistration légitimait son soutien. Tout en se vantant de
achement à des convictions militantes s'expliquait en mener une campagne de principes, il eût paru quelque
outre par la situation particulière des candidatures de peu naïf de s'en tenir là et d'éviter d'employer les procé
Castellane. dés dénoncés. Quoique moins impressionnante, la for
Dans une circonscription souvent dénoncée comme tune d'André Siegfried le qualifiait pour défier le député
un «bourg pourri», la candidature d'André Siegfried pre de Castellane et se présenter dans un lieu où il était
nait des allures de croisade morale contre les pratiques impossible d'échapper à d'importantes dépenses celles
corruptrices d'un richissime député accusé d'acheter de toute campagne électorale - tracts, affiches, déplace
massivement les voix. Les appréciations administratives ments - et celles, plus importantes, imposées par la pré
portées sur les candidats ne laissaient pas douter de la sence d'un député généreux dont, dans les conditions
faveur préfectorale. Très critiques à l'égard du député d'alors, la fortune était à même de dissuader bien des
sortant, elles étaient élogieuses pour le nouveau venu. rivaux.
La fiche d'André Siegfried le gratifiait de la profession André Siegfried suggérait humoristiquement cette ra
d'avocat et énumérait ses qualités « Antécédents fils ison de sa première expérience bas-alpine en évoquant
d'un ancien ministre. Valeur personnelle assez grande.
Parole facile. Degré d'influence et moyens d'action est
appuyé par tous les groupements politiques (illisible) la 3 -AD, Alpes-de-Haute-Provence, 3 M 7.
Les candidatures d'André Siegfried à Castellane
« II se trouvait que M. G. -A. Hubbard, député de Sisteron, collègue de mon père, lui exprima le désir de trouver un can
didat de principes républicains pour soutenir le drapeau de la République à Castellane1. » Comme André Siegfried, Gustave
Hubbard appartenait à l'establishment républicain. Il choisissait un homme offrant toutes les garanties pour conquérir la ci
rconscription voisine de Castellane. En 1898, Boni de Castellane y avait remporté un large succès sur le candidat républicain
Deloncle. Contrairement à ce que suggérait son nom, ce dandy parisien n'avait aucune attache familiale à Castellane. Ce
nom l'avait largement servi pour vaincre le député sortant mais aussi les ressources d'un riche mariage avec l'héritière amér
icaine Anna Gould. Sorte d'injure au sens de l'histoire républicain, ce succès d'un noble ne pouvait s'expliquer que par la
corruption. Tout en se déclarant républicain, Boni s'était constamment opposé aux gouvernements de la législature.
L'arrivée du candidat « exotique » qu'était André Siegfried avait été préparée : «Je répondis donc à M. Hubbard que j'a
cceptais en principe de poser ma candidature, si elle m'était proposée par le comité républicain compétent. Je reçus donc
une invitation qui provenait du comité républicain... Ces messieurs me demandaient de venir prend