L’ouverture des marchés, l’intensification de la concurrence, l’essor  technologique et les changements
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VOLUME 10 NUMÉRO 2Mai 2010 Des PME face à la délocalisation : accepter, refuser, calculer, innover Éditorial Délocaliser les activités de production ont répondu à ces pressions par une ou sous-traiter à l’étranger sont deux révision de leur planification sujets auxquels bon nombre de stratégique. Dans les deux cas, dirigeants de PME ont eu à réfléchir lorsque la décision est bien mesurée au cours des dernières années. Sujets et planifiée, elle donne lieu à de tabous, évidemment, puisqu’on n’y nouvelles opportunités d’affaires au voit que les effets négatifs sur profit de l’entreprise dans son l’emploi ou la perte de savoir-faire au ensemble et souvent, de l’emploi au profit principalement des pays à bas niveau local. Les témoignages coûts de main-d’œuvre. Cette vision suivants de trois chefs d’entreprise « partielle » des enjeux de la décision manufacturière français apportent un contribue grandement à l’isolement éclairage différent sur la décision de Bulletin du chef d’entreprise qui fait face à sous-traitance à l’étranger et ses des impératifs de réduction de ses conséquences économiques. Qu’il soit InfoPME coûts de production. De plus, elle permis, par la suite, de discuter Le bulletin InfoPME a pour laisse dans l’ombre toute la réflexion ouvertement de ces questions de objectif de présenter des stratégique que doit mener le localisation des activités de statistiques fidèles et à jour sur l’état des PME, des dirigeant pour répondre à ...

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Langue Français

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VOLUME 10
NUMÉRO
Mai
2
2010
Des PME face à la
délocalisation : accepter,
refuser, calculer, innover
Éditorial
Délocaliser les activités de production
ou sous-traiter à l’étranger sont deux
sujets auxquels bon nombre de
dirigeants de PME ont eu à réfléchir
au cours des dernières années. Sujets
tabous, évidemment, puisqu’on n’y
voit que les effets négatifs sur
l’emploi ou la perte de savoir-faire au
profit principalement des pays à bas
coûts de main-d’oeuvre. Cette vision
« partielle » des enjeux de la décision
contribue grandement à l’isolement
du chef d’entreprise qui fait face à
des impératifs de réduction de ses
coûts de production. De plus, elle
laisse dans l’ombre toute la réflexion
stratégique que doit mener le
dirigeant pour répondre à ces mêmes
impératifs de coûts. On sait toutefois
que les solutions à des réductions
substantielles de coûts ne se trouvent
pas
toujours
dans
les
pays
développés et que la décision de
travailler avec des firmes des pays en
développement est une décision
d’affaires et parfois de survie, au
même titre que celle qui consiste à
exporter ses produits. Mais on sait
aussi que plusieurs dirigeants de PME
ont répondu à ces pressions par une
révision
de
leur
planification
stratégique. Dans les deux cas,
lorsque la décision est bien mesurée
et planifiée, elle donne lieu à de
nouvelles opportunités d’affaires au
profit de l’entreprise dans son
ensemble et souvent, de l’emploi au
niveau
local.
Les
témoignages
suivants de trois chefs d’entreprise
manufacturière français apportent un
éclairage différent sur la décision de
sous-traitance à l’étranger et ses
conséquences économiques. Qu’il soit
permis, par la suite, de discuter
ouvertement de ces questions de
localisation
des
activités
de
production afin de briser l’isolement
du chef d’entreprise.
Bulletin
InfoPME
Le bulletin InfoPME a pour
objectif de présenter des
statistiques fidèles et à jour
sur l’état des PME, des
chroniques sur des thèmes
d’actualité importants et des
notes sur divers
phénomènes touchant les
PME afin de fournir des
informations pertinentes aux
entrepreneurs, aux
conseillers économiques, aux
consultants, aux banquiers
et aux chercheurs intéressés
au développement de ces
entreprises. Il est publié trois
fois par année et disponible
sur le site
www.uqtr.ca/larepe
.
José
e St-Pierre, Ph.D.
Directrice
Laboratoire de recherche sur la
performance des entreprises
Vol. 10, n
o
2, mai 2010
Page 1
Des PME face à la délocalisation : accepter,
refuser, calculer, innover*
MARTINE BOUTARY,
Docteure en sciences de gestion
Professeure ESC Toulouse
Membre du Groupe de recherche ESC sur les nouvelles pratiques de
management
Conseillère du commerce extérieur
Courriel: m.boutary@esc-toulouse.fr
Historiquement et culturellement moins
impliquées
dans
les
stratégies
de
délocalisation
que
les
grandes
entreprises, les PME font aujourd’hui face
à
des
menaces
de
concurrence
domestique ou internationale à bas prix
ou à la demande pressante de leurs
clients qui forcent la réflexion en matière
de compétitivité. Se pose alors la
question de la délocalisation de tout ou
partie
de
leur
activité :
est-elle
nécessaire?
Est-ce
toujours
une
contrainte ou cela peut-il devenir une
opportunité? Les choix sont importants,
voire stratégiques, d’autant que ce
contexte contraignant peut aussi avoir
des
effets
bénéfiques :
être
plus
compétitif ouvre de nouvelles voies de
développement,
notamment
à
l’international. Il n’est cependant pas
simple d’associer les deux concepts de
délocalisation et de PME : celui de
délocalisation
parle
de
distances
géographique,
organisationnelle
et
temporelle
(l’importance
des
investissements et l’attente des retours
sur
investissement
ne
peuvent
s’envisager que sur le long terme); celui
de PME renvoie à la proximité, à
beaucoup d’ajustement mutuel et peu de
spécialisation
hiérarchique
et
une
préférence donnée au court terme. Au
final, les cas observés sont divers. Pour
répondre à l’exigence d’une stratégie de
contrôle des coûts sans pour autant
négliger un avantage concurrentiel issu
de la différenciation des produits,
certains dirigeants de PME décident de
délocaliser, d’autres préfèrent éviter cette
solution.
La question que nous avons souhaité
étudier est la suivante : qu’ils délocalisent
ou non, quelles sont les conséquences,
pour les dirigeants de PME, d’une
réflexion sur cette question? Ne doit-on
voir que des suppressions d’emploi ou
peut-on souligner certaines externalités
positives? Alors que le discours sur les
délocalisations porte essentiellement sur
le danger qu’elles représentent, pouvons-
nous nuancer et parler des opportunités
qu’elles
peuvent
ouvrir
dans
ces
entreprises?
* Ce text
e est un extrait de :
« Que retirent les dirigeants
de PME d’une réflexion sur
leur propre délocalisation? »
présenté en premier lieu aux
XI
es
Journées scientifiques
du Réseau Entrepreneuriat
de l’AUF, à l’Université du
Québec à Trois-Rivières, 27-
29 mai 2009; puis aux
Journées de recherche du
CESEM (centre de recherche
de HEM, Hautes Études en
management, Casablanca),
en partenariat avec l’IAE
Lyon, 12-13 mars 2010,
thème : « Délocalisations-
relocalisations : quelles
implications économiques et
managériales. »
1. Histoires de PME face à la
délocalisation
Dans le texte suivant, nous considérerons
comme délocalisée toute production
d’une entreprise française sur un sol
étranger,
que
celle-ci
concerne
l’ensemble des produits de l’entreprise ou
seulement certains segments d’activité,
avec ou sans réimportation.
Nous présentons ici trois cas de PME,
sélectionnés avec l’aide de la Direction
régionale du commerce extérieur
1
, ayant
abordé la réflexion de délocalisation sans
pour autant apporter à cette réflexion le
même type de réponse. Dans les trois
cas, notre travail de recueil de données
s’est effectué par entretien de quatre
heures en face-à-face avec le dirigeant
dans l’entreprise pour en comprendre le
contexte.
1
Nous remercions F. Petit, DRCE de la
région Midi-Pyrénées, ainsi que son
équipe, pour l’aide qu’ils ont apportée
à nos recherches de terrain et aux
dirigeants d’entreprise qui nous ont
accordé du temps pour parler de leur
expérience et de leurs réflexions en
matière de délocalisation.
Voici
la
présentation
des
cas
d’entreprises, suivie par une analyse des
situations rencontrées.
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TIV
2
est une PME de 120 personnes.
C’est une entreprise de production sur le
secteur de l’emboutissage. Son dirigeant
a été soumis à une contrainte qui
paraissait incontournable, posée par un
donneur d’ordres puissant et menaçant,
exigeant une délocalisation de ses sous-
traitants pour amorcer une politique de
baisse de ses propres coûts de revient.
Le dirigeant de TIV a accepté d’étudier
cette contrainte et, au final, a refusé la
délocalisation.
Mais, trois ans plus tard, soumis à de
nouvelles pressions (de même nature
mais
provenant
d’autres
donneurs
d’ordres), le dirigeant de TIV accepte de
monter un partenariat sous forme de JV
(alliance stratégique) avec une société
slovaque capable de produire pour TIV à
un prix de 30 % inférieur. La production
de deux ou trois pièces de moyenne série
lui est confiée. Des machines sont
envoyées sur place. Le contrôle qualité
se fait à l’arrivée à l’usine française. Tout
cela fonctionne, sans réelle fluidité mais
sans vrai problème, pendant près de
deux ans. Jusqu’à ce qu’un des donneurs
d’ordres de TIV décide de demander une
modification sur une pièce. L’usine
slovaque a déjà produit un stock
conséquent de pièces pour créer des
économies d’échelle. Mais le changement
exigé par le client casse ce calcul : le
stock n’est plus utilisable, les pièces sont
jetées. La société TIV, pour laquelle la
souplesse, la réactivité et la flexibilité
sont un mode de travail prioritaire, doit
tout refaire pour ne pas perdre ses
clients. C’est la goutte qui fait déborder
le vase. L’activité commune est arrêtée.
L’activité est relocalisée en France.
À la suite de cela, TIV décide de se
recentrer sur ses compétences majeures
et de les valoriser : qualité de service
(réactivité et ponctualité) et qualité
technique de la production, le tout avec
un effort constant sur les prix. Les
résultats sont positifs : 7,21 M€ avec
92 salariés
en
2003,
10,82 M€
et
111 personnes en 2006.
Renia
est
une
entreprise
de
67 personnes qui fabrique du matériel
médical pour les soins de dialyse. Le
dirigeant a été confronté à la question du
coût de revient de ses produits : il vend
essentiellement aux hôpitaux français
pour lesquels les prix d’achat sont très
surveillés (notamment à cause du
processus de remboursement et des
règles de la sécurité sociale) et stables
depuis 15 ans. Pour conserver ses
clients, d’une part, et ses marges, d’autre
part, le dirigeant a longtemps pensé à
délocaliser. Un peu par hasard, il
s’intéresse, au début des années 2000, à
l’Europe de l’Est, mais c’est trop
compliqué, notamment à cause des
problèmes de langue, et trop risqué
(corruption et difficulté de garder des
cadres très sollicités par de nombreuses
entreprises en situation d’implantation là-
bas). C’est finalement la Tunisie qui sera
choisie : l’accueil des dirigeants de PME
est remarquable, un appui est fourni par
les institutions tunisiennes pour trouver
un local, puis ouvrir une structure. Il crée
une unité de production en 2004, qui
emploie actuellement 10 personnes (avec
un gérant français), et fonctionne sur les
mêmes standards de production (même
GPAO) et de qualité que l’entreprise
toulousaine.
Le
développement
est
prudent : fabrication de sous-ensembles
de produits finis, puis quelques produits,
puis, en 2008, transfert d’un outil de
production (extrudeuse). À la suite de
cette nouvelle organisation, la société
s’est développée en Tunisie et… en
France. L’activité de produits de dialyse
employait 84 personnes en 2000 et en
emploie 67 en 2007, mais l’activité « sets
de soin », qui employait 30 personnes en
2000, en emploie 73 en 2007, d’où un
solde positif de 26 personnes. Par
ailleurs, alors que cette entreprise n’est à
l’origine que très peu exportatrice, l’idée
internationale est en train de faire son
chemin : les tubulures « spéciales »,
fabriquées en France, sont beaucoup
moins concurrencées sur le marché
international que les tubulures classiques
fabriquées en Tunisie, il est donc
probable que leur exportation puisse
devenir
possible.
L’entreprise
vient
d’embaucher
un
nouveau
directeur
export.
2
Pour des raisons de confidentialité,
nous avons choisi pour chaque
entreprise un nom fictif.
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Page 3
Le 3
e
cas est celui de
Protec
, une
entreprise créée en 1997, qui emploie
60 personnes et fabrique des abris de
piscine
télescopiques
à
structure
aluminium; produits haut de gamme, de
haute
technologie
et
d’esthétique
novatrice.
Devant
une
activité
en
croissance, le dirigeant a souhaité
développer cette PME dès le début des
années 2000 en agrandissant les locaux
et en embauchant du personnel. Mais,
confronté
à
des
contraintes
réglementaires
et
administratives
importantes ainsi qu’à une pénurie de
main-d’oeuvre sur la zone rurale sur
laquelle il est implanté, il a décidé de
développer l’activité à l’extérieur : « on a
regardé vers l’Europe de l’Est, mais
c’était trop compliqué, je manquais
d’expérience, j’étais trop jeune ». Ce sera
en Espagne que la décision est prise de
s’implanter : « Il y avait un marché ».
Mais c’est finalement au Portugal que les
choses se sont faites! À la suite de
différents obstacles en interne « la
personne qu’on avait embauchée parlait
mal espagnol », ou en externe « les
terrains étaient hors de prix! », et à des
opportunités portugaises « on a été
accueillis comme des princes, on s’est
occupé de tout pour nous », une unité de
production (filiale à 100 % de la PME
française) a vu le jour au Portugal et
emploie,
en
2008,
15
personnes.
D’entrée de jeu, les choses ne sont pas
simples : les abris construits au Portugal
et ramenés sur le marché français (qui,
avec 40 000 piscines, est le 1
er
marché
européen pour les abris) ne sont pas
palettisables et les frais de transport sont
importants. La logistique représente
25 % du prix des produits, les volumes,
peu importants, génèrent des frais fixes
qui rendent les produits peu compétitifs.
Par ailleurs, tout est centralisé sur
l’entreprise
française,
les
achats
d’aluminium et de polycarbonate arrivent
à l’usine française et sont réexpédiés au
Portugal.
Au final, les gains sont faibles. « Nous
avons 2 % de marge supplémentaire ».
Mais le développement se poursuit et la
société continue, pour le moment, à
innover et à envisager de nouvelles
implantations
internationales
pour
abaisser la contrainte issue de volumes
insuffisants. Un achat de brevet a été
effectué pour fabriquer au Portugal un
modèle d’abris en kit, produit très facile à
produire sur les machines portugaises
moins
sophistiquées
que
l’outillage
français.
Références
pertinentes :
Mintzberg, H. (1990),
Le
management. Voyage au
centre des organisations
,
Paris, Les Éditions
d’Organisation.
OCDE (2002),
Organisational
Change and Firm
Performance
, Paris,
DSTI/DOC 14.
Pour tout ce potentiel de développement,
la société a besoin de nouveaux
financements : or, les banquiers et autres
investisseurs privés, après analyse de la
situation, imposent comme condition de
prêt d’argent une amélioration (de 6 %)
des marges de la société et pour cela de
la productivité de l’entreprise.
Le
dirigeant
souligne
sa
faible
connaissance des partenaires régionaux
ou nationaux en ce qui concerne le
développement de son entreprise et
explique cela par le phénomène de
croissance : « Il y avait trop à faire, je
n’avais pas le temps de participer à des
réseaux; maintenant, j’en ai besoin ».
2. La délocalisation : un choix
stratégique difficile et peu
accompagné
Nous retiendrons de notre analyse de
contenu les trois idées suivantes :
malgré son aspect stratégique, la
délocalisation est une décision
difficile, solitaire et entraînant une
responsabilité forte des dirigeants
interrogés,
la vision stratégique est nécessaire
mais la délocalisation est difficile à
anticiper dans son intégralité et
entraîne des adaptations,
la réflexion sur la délocalisation
n’aboutit
pas
toujours
à
la
délocalisation; elle peut susciter
une réflexion sur d’autres façons
d’améliorer la compétitivité de
l’entreprise.
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2.1 La délocalisation : un choix
difficile, solitaire et
responsable pour les dirigeants
de PME
Dans les trois cas de figure, ce sont des
pressions
environnementales
contraignantes qui ont été à l’origine de
la réflexion sur la délocalisation. Pour le
dirigeant de TIV, ce sont les donneurs
d’ordres qui exigent que leurs sous-
traitants aient un lieu de production en
zone « low cost », sans quoi ces derniers
ne pourront plus répondre aux appels
d’offre. Pour Renia, c’est la stabilité des
prix d’achat des clients publics et privés
(hôpitaux) qui engage l’entreprise à
trouver de nouvelles façons de conserver
ses marges. Quant à Protec, c’est
l’insuffisance de ressources locales qui a
été le déclencheur.
Devant
une
multitude
de
critères
d’appréciation, le dirigeant se sent plutôt
seul. Les appuis à l’international ne
veulent
pas
entendre
parler
de
délocalisation. Chez TIV, le dirigeant se
tourne vers un consultant « qui travaille
"à côté" et connaît bien les pays de
l’Est » pour que celui-ci étudie la
situation. Chez Renia, le dirigeant « va
voir » : il participe à une mission en
Hongrie; cela lui paraît compliqué, il
choisira la Tunisie « parce que j’ai été
bien accueilli », dit-il. Le dirigeant de
Protec confie la recherche du lieu
d’implantation à une personne recrutée
pour développer l’export… alors que
l’objet de la délocalisation n’a pas à voir
avec le développement de l’exportation.
Tous mentionnent l’impossibilité de se
faire aider : l’information manque sur le
plan opérationnel et la visibilité sur la
totalité du projet et de ses conséquences
est faible. Les dirigeants acceptent de
faire des choix très engageants à partir
d’éléments
incomplets,
d’évaluations
insuffisantes (phénomène de rationalité
limitée),
quitte
à
apporter
des
adaptations au projet par la suite.
Un autre élément souligné est la
responsabilité du dirigeant à l’égard du
personnel existant de l’entreprise. La
proximité de gestion est là très mobilisée,
soit pour garder des collaborateurs qui
ne veulent pas s’engager dans la
délocalisation et la prise en charge d’une
gestion à distance, soit pour refuser les
licenciements : « il y a des gens que j’ai
depuis 23 ans, je ne peux pas les
prendre là, dans ce bureau, les regarder
dans les yeux et leur dire : je te
licencie » (dirigeant de Renia).
Une grande importance est accordée aux
hommes et femmes travaillant dans
l’entreprise, pour des raisons qui peuvent
être simplement humaines et citoyennes
on est alors sur le registre des valeurs
du dirigeant et de l’entreprise, voire du
mode de gestion de proximité des PME
,
mais aussi parce qu’ils pensent qu’il y a là
une source de performance très forte; le
cadre d’analyse est alors celui de la
performance
de
la
PME
via
ses
ressources.
2.2 La délocalisation est
difficile à anticiper de façon
globale
Les trois cas d’entreprise que nous avons
étudiés sont des cas d’entreprise en
croissance. Leur dirigeant avait une
vision stratégique et une vue à moyen
terme du développement et de ses
modalités. Pourtant, on constate une
mise en oeuvre « opportuniste » des
questions de délocalisation.
Dans les trois cas, l’un des objectifs
majeurs est la réduction de coûts. En
amont, la réflexion porte donc sur le
territoire qui va procurer cet avantage-là.
Au vu des complexités (linguistique,
logistique, humaine…), les choix de pays
initiaux peuvent se transformer. C’est
ainsi que la Hongrie se « transforme » en
Tunisie (Renia) ou que l’Espagne se
« transforme » en Portugal (Protec). Il y
a des aménagements qui reposent sur
une combinaison d'« émergence » et de
« délibéré »
(Mintzberg,
1990),
en
fonction de l’objectif fixé et des moyens
possibles à mettre en place.
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La maîtrise du processus étant très
partielle, les objectifs stratégiques sont
parfois non atteints, ou dépassés. Quand
le dirigeant de Renia délocalise un
segment
d’activité
(production
de
tubulures basiques) pour réduire ses
coûts de production, il devient plus
compétitif.
L’idée va venir de faire en
Tunisie les produits (ou parties de
produits) déjà développés en France,
arrivés dans une phase de maturité,
et/ou vendus avec de faibles marges, et
de garder en France les produits plus
spécifiques, nécessitant des adaptations
fréquentes
ou
des
protections
particulières pour lesquelles la production
de masse n’est pas d’actualité. Pour cela,
il y a réorganisation de la production de
l’entreprise en France et développement
(en France) d’une nouvelle gamme de
produits (des « sets de soin ») plus
sophistiqués. Ceci s’accompagne d’un
transfert des employés d’une activité sur
l’autre (84 personnes pour les produits
de dialyse et 30 pour les « sets de soin »
en 2000, respectivement 67 et 73 en
2007) et du développement de la R-D
pour faire des produits très innovants.
« Si je n’avais pas délocalisé, je n’aurais
pas
pu
développer
la
R-D
dans
l’entreprise. Et si on n’avait pas de R-D,
on ne pourrait pas survivre » (dirigeant
Renia). Par un découpage et un
réaménagement de la chaîne de valeur,
peu habituel dans les PME classiques,
l’entreprise peut donc développer ses
avantages
concurrentiels.
La
délocalisation a ici créé des emplois sur le
sol français.
La
délocalisation
se
fait
« chemin
faisant ». Devant trop d’incertitudes et à
un manque de vision globale du projet,
les dirigeants cheminent en tenant
compte, au fur et à mesure, des
expériences passées, sans s’éloigner
cependant d’un « principe stratégique ».
2.3 La réflexion conduit à la
délocalisation et/ou à des
innovations organisationnelles
2.3.1 Un regard plus fin sur la
rentabilité de l’entreprise
À la suite de sa décision de ne pas
délocaliser, le dirigeant de TIV comprend
bien que la pression sur les prix ne se
relâchera pas. Il n’abandonne pas l’idée
de la spécificité de ses produits et de la
différenciation
nécessaire
pour
ses
produits comme pour la relation qu’il a
avec ses clients, très personnalisée et à
l’écoute, voire à l’anticipation de leurs
besoins. Il décide donc d’introduire du
changement dans la gestion de son
entreprise. L’un des points est la mesure
de la productivité. À chaque nouvelle
commande, les temps de production sont
estimés dès la conception de la réponse
à l’appel d’offres. Ils sont ensuite
systématiquement vérifiés pour mettre
en place au plus vite la correction des
écarts, si nécessaire. Les mesures de
performance sont désormais visibles par
tous, par affichage sur un panneau entre
les bureaux et les ateliers. Les résultats
annuels (comparés à ceux du secteur)
sont présentés une fois par an par le
dirigeant lui-même à l’ensemble du
personnel, par petits groupes d’une
quinzaine, pour que chacun puisse poser
ses
questions
et
comprendre.
L’information est importante, elle circule.
Chacun doit avoir à l’esprit que le coût de
production doit toujours être maîtrisé et
qu’il participe à cet effort.
La gestion
participative s’intègre à la nouvelle
culture de l’entreprise.
Chez PROTEC, la réflexion sur les coûts
va
introduire
un
changement
d’organisation des achats, passant d’une
centralisation autour du site français à
une diversification des fournisseurs pour
faire baisser les prix et diversifier les
risques
(en
achetant
notamment
l’aluminium sur divers marchés, la France
et l’Espagne). Les coûts logistiques étant
très importants dans cette entreprise, la
localisation sur deux sites ne permet plus
Vol. 10, n
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2, mai 2010
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Numéros
précédents
Numéro 2 : mai 2009
Les propriétaires-dirigeants
de PME face à la croissance
par le biais de
l'internationalisation : une
question d'attitude?
Numéro 3 : septembre 2009
Géographie économique et
éloignement régional au
Québec
Numéro 1 : janvier 2010
Retombées et facteurs de
succès d'une relation de
mentorat d'entrepreneur
novice selon la perspective
du mentoré. Résumé des
principaux résultats
de trav
ailler sans une amélioration de ce
point là.
Enfin, pour RENIA, l’analyse des coûts et
leur amélioration ont une conséquence
inattendue : le produit basique (tubulures
plastique) maintenant fabriqué en Tunisie
étant
redevenu
compétitif,
il
est
demandé par des marchés extérieurs. Il
en va de même pour les tubulures
« spéciales »
fabriquées
en
France,
beaucoup moins concurrencées sur le
marché international que les tubulures
classiques (fabriquées en Tunisie). Une
nouvelle décision stratégique est alors
prise : alors que Renia était peu
impliquée
dans
un
processus
d’internationalisation,
la
meilleure
performance qu’elle réalise l’oriente vers
le
développement
de
sa
politique
d’exportation, d’où le recrutement récent
d’un directeur export. Alors que les
modèles
classiques
mettent
la
délocalisation en fin de processus
d’internationalisation, nous remarquons
ici que c’est de la délocalisation
qu’émerge l’idée de et la possibilité
d’internationalisation.
2.3.2 Le développement de la
formation
Chez Renia, des actions de formation
sont engagées pour faire migrer le
personnel d’une activité vers une autre,
pour ne licencier personne. C’est ainsi
que le personnel en charge des activités
délocalisées a été formé pour l’activité de
« sets de soin » développée par Renia,
ou alors pour des activités logistiques.
Chez Protec, c’est le dirigeant qui
envisage une formation pour lui-même et
ses collaborateurs sur des questions de
management. Chez TIV, 15 % du
personnel
suit
chaque
année
une
formation. La réactivité est de mise :
chaque salarié se forme à chaque fois
que le besoin se fait sentir, dès qu’il faut
enrichir les savoir-faire d’une technique
nouvelle, pour rester en permanence en
capacité de répondre au mieux aux
demandes des clients. « Le plan de
formation, je l’écris en fin d’année, a
posteriori! ».
Dans l’économie du savoir, le travail
exige d’avoir une pensée créatrice et des
compétences
tant
techniques
qu’interpersonnelles.
Le
rapport
de
l’OCDE (2002) souligne que les stratégies
axées sur des « compétences élevées »,
qui utilisent mieux et renouvellent le
capital humain améliorent la performance
des entreprises. Parce qu’elle introduit de
nouvelles
pratiques
(techniques
ou
managériales)
dans
l’entreprise,
la
formation participe à la création de
compétences non imitables et plus
difficilement transférables et renforce la
spécificité des actifs de l’entreprise ainsi
que sa productivité.
CONCLUSION : nouvelles
organisations et nouveaux
soutiens?
L’examen de ces cas d’entreprises
montre que réfléchir à des questions de
délocalisation
peut
conduire
au
développement et ne doit pas toujours
être
associé
à
des
conséquences
négatives, notamment de suppressions
d’emplois. Il est cependant nécessaire
d’accompagner cette affirmation de
beaucoup de prudence : nous avons
constaté chez les dirigeants rencontrés
une préoccupation capitale quant au
maintien de l’emploi en France, ce qui
n’est pas le cas de l’ensemble des
entreprises,
notamment
lorsque
les
logiques financières de court terme
deviennent prioritaires.
La réflexion sur la délocalisation entraîne
dans les PME des choix qui peuvent être
divers. La réflexion n’est pas linéaire, les
changements,
parfois
modestes
et
parfois de grande ampleur (allant jusqu’à
la délocalisation lointaine), ne sont pas
toujours
immédiatement
« mis
en
action ». Car à tous les niveaux, le sujet
est difficile (car il est tabou) et la
décision, solitaire. Les pouvoirs publics
locaux ou nationaux restent axés sur un
concept de délocalisation dont les
conséquences présumées sont la perte
d’emplois et un déficit accru du
Vol. 10, n
o
2, mai 2010
Page 7
commerce
extérieur
et
non
le
développement national et international
grâce à une meilleure compétitivité
des
entreprises qui délocalisent. Les appuis
en la matière sont inexistants alors que
l’objectif
recherché,
avec
ou
sans
délocalisation, est dans tous les cas une
réduction
de
la
vulnérabilité
de
l’entreprise.
Il reste nécessaire de multiplier les
études de cas pour augmenter la validité
externe de nos résultats. Il serait
intéressant de voir jusqu’à quel point la
gestion de proximité, qui peut rendre la
déclaration de licenciement difficile et la
délocalisation impossible, influence la
décision de délocalisation (dans des PME
indépendantes
ou
pas).
Nous
constaterions peut-être que ce n’est pas
le manque de ressources qui pousse les
PME à moins délocaliser mais une forme
de management responsable qu’il serait
pertinent de soutenir. Il serait par ailleurs
intéressant d’approfondir le concept
d’innovation organisationnelle pour voir
comment il est mobilisé dans le cas des
réflexions sur la délocalisation.
La réflexion commence. Dans un univers
très ouvert, il est probable que les
entreprises devront trouver de nouvelles
voies d’organisation, en interne mais
aussi vis-à-vis de territoires différents. Il
sera sans doute judicieux d’anticiper cela
et de développer des appuis en la
matière. Le monde bouge pour les
entrepreneurs, il faut que les soutiens
suivent.
Institut de recherche sur les PME
Université du Québec à Trois-Rivières
3351, boul. des Forges, C.P. 500
Trois-Rivières (Québec) G9A 5H7
www.uqtr.ca/inrpme
Téléphone : 819 376-5011,
poste 4043
Sans frais : 1 800 365-0922
Télécopieur : 819 376-5138
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larepe@uqtr.ca
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