La construction littéraire d une identité nationale  - article ; n°1 ; vol.98, pg 34-44
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Description

Actes de la recherche en sciences sociales - Année 1993 - Volume 98 - Numéro 1 - Pages 34-44
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 52
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mihai Dinu Gheorghiu
La construction littéraire d'une identité nationale
In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 98, juin 1993. pp. 34-44.
Citer ce document / Cite this document :
Dinu Gheorghiu Mihai. La construction littéraire d'une identité nationale . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 98,
juin 1993. pp. 34-44.
doi : 10.3406/arss.1993.3050
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1993_num_98_1_3050:
:
D. GHEORGHIU MIHAI
La construction littéraire
d'une identité nationale
Le cas de ¡'écrivain roumain Liviu Rebreanu (1 885-1944)
Liviu Rebreanu appartient à cette catégorie d'écri foule, orchestrer le mouvement de dizaines de person
vains qui font le bonheur des sociologues de la nages, restituer l'expressivité du mode de parler ellip
littérature une grande partie de son oeuvre est tique des paysans. Ces deux romans, auxquels on doit
construite sur la base d'une observation de type ethno ajouter Pàdurea spînzuratilor, sont également l'illustr
graphique, dans des milieux divers, et nombre de ses ation littéraire de moments historiques précis, contr
personnages sont devenus, par la reproduction scolai ibuant à la construction de cet artefact qu'est la
"conscience" ou la "mémoire" collective de la nation re, des "types" qui servent de repères dans les repré
sentations du monde social, dans l'univers culturel roumaine les conflits agraires liés aux rapports de
propriété1 et l'accomplissement de T'idéal national" au roumain. Plus qu'une analyse secondaire des textes
qu'il a produits (de facture très inégale et, au moins moment de la Première Guerre mondiale. Le caractère
pour la période de début, souvent des "adaptations" illustratif de ces écrits est sensible dans leur mode de
d'une autre littérature), il est utile d'analyser le mode composition -le développement d'un thème historiqu
de constitution de cette "représentativité", plutôt ement donné-, ainsi que par le travail de documentation
improbable au début de la carrière du jeune L.R.. Pour sur lequel il repose. En fait, il s'agit de qualités que la
arriver à cela, on doit analyser son investissement critique littéraire classe d'habitude au second rang,
opposant au "travail" (même considérable, comme c'est inégal dans les différents genres littéraires qu'il a prat
iqués simultanément et successivement (nouvelles, le cas pour Rebreanu) le "talent", voire le "génie". Une
chroniques théâtrales, comédies et romans), en fonc des boutades qui circulait à l'époque dans le milieu li
tion des transformations du champ littéraire et de sa ttéraire roumain disait que Rebreanu n'a de talent qu'à
position dans l'espace du pouvoir (notamment à tra partir de la page 300... Cet aspect massif, associé à un
vers la professionnalisation du métier d'écrivain dans style volontiers "lourd" et "sans éclat", qualificatifs sou
cette période -la première partie du XXe siècle- et le vent utilisés pour caractériser son écriture, faisait corps
rôle qui lui revient dans la fondation de l'organisation
corporative qu'est la Société des écrivains roumains).
Conformément à la hiérarchie des oeuvres établie
presque à l'unanimité par la critique littéraire, L.R. est 1 - Le roman Ion paraît au moment de la préparation d'une très
grande réforme agraire, première "question sociale" qui a divisé le en premier lieu le romancier du monde rural, Ion et pays avant la Première Guerre mondiale. Cette réforme a fait redistrRàscoala étant considérés comme ses meilleurs ibuer 66 % des terres, transformant la Roumanie d'un pays de pro
romans, où il atteste sa capacité à créer des scènes de priétés latifundiaires en pays de petites propriétés foncières.
N° Actes de la recherche en sciences sociales, 98, juin 1993, 34-44 ;
:
LA CONSTRUCTION LITTERAIRE D'UNE IDENTITE NATIONALE 35
"civilisation" ou de la "bourgeosie" roumaines qui à la fois avec la plus commune des représentations des
paysans et avec la réputation habituelle des Roumains de paraissent au même moment. Dans une réunion solen
Transylvanie, d'esprit lent et maladroit. nelle de l'Académie roumaine, en septembre 1944, le
Au deuxième plan de son oeuvre sont placés les sociologue Dimitrie Gusti, fondateur de 1' "école sociolo
gique" (monographique) de Bucarest et représentant du nouvelles, les pièces de théâtre et quelques autres
"réalisme social" dans l'étude des communautés rurales, romans2. Quel intérêt la critique littéraire leur a-t-elle
attribué ? Les oeuvres de jeunesse sont censées faire salue en L.R. le "créateur du mythe du paysan roumain",
connaître le "laboratoire" d'où sont sortis plus tard les qui fait pendant à la "science de la nation".
"chefs-d'oeuvre" ; certains textes mineurs fournissent à Le succès de Ion est exemplaire de la façon dont
un fait divers en milieu rural3 est chargé symboliqueun genre littéraire particulier -par exemple, la nouvelle-
l'illustration d'un grand nom, rendant ainsi service à des ment. L'expression de la passion dévastatrice du pay
auteurs plus performants dans ce genre ; enfin, la san pour la terre sert à couvrir une autre histoire, plus
consécration d'un écrivain exige de la part des histo prosaïque mais aussi plus édifiante, celle d'une petite
riens de la littérature l'exhibition d'un volume de textes bourgeoisie rurale, enfermée dans de mesquines
aussi important que possible. intrigues de province et rêvant d'évasion. Malgré
Il est frappant de constater combien L.R. est resté quelques déclarations de circonstance de l'auteur, des
dépendant des thèmes fournis par l'actualité, et des tinées au grand public, ce roman, ainsi que Ràscoala,
genres consacrés par la mode, qu'il s'agisse du roman qui lui succédera à une décennie d'intervalle4, ne fait
rural, de la guerre, de l'actualité politique, "sociolo pas un portrait complaisant du paysan. Les scènes de
brutalité vouées à révéler sa "vraie nature" flattaient les gique", "psychologique", "métaphysique" c'est la hié
rarchie de ces thèmes et le volume du travail investi craintes d'une bourgeoisie récente, partagée entre la
dans la construction romanesque qui ont produit final fierté et la honte de ses origines paysannes. Cette
ement la hiérarchie des oeuvres aux yeux de la critique. représentation du peuple comme force obscure et
brute attachée à la terre au prix de son sang a nourri Il serait tentant et facile de considérer Rebreanu sim
plement comme un auteur pour manuels scolaires, exé les prétentions de l'extrême droite à récupérer une
cutant des variations sur des modèles préétablis, plus oeuvre d'abord perçue comme révolutionnaire et
illustrateur que créateur. Un démenti vient de la façon sociale. Quant à L.R., il n'était sans doute pas plus
inattendue dont son succès a éclaté, et dont on peut d'extrême droite qu'il n'était socialiste. L'héritage cos
comprendre la dynamique en suivant les contraintes mopolite de sa jeunesse sous l'Empire austro-hongrois
successives de sa carrière, telles qu'elles sont relevées en avait fait un nationaliste modéré. Sur cette base, il a
par sa biographie. Sa réputation d'"écrivain objectif" est -comme beaucoup d'autres à l'époque- soutenu le rég
à ce titre très significative. Sa production littéraire était ime de dictature militaire de 1940 dans l'espoir qu'il
soumise au jugement de critiques divisés dans les comb ferait rempart à l'extrême droite et sauverait l'Etat.
Salué pour les vertus "épiques" de son oeuvre, ats idéologiques qui opposaient des populistes de
gauche et de droite -"agrariens" (tsàrànistes, popora- Rebreanu, par sa réussite personnelle et par l'image
nistes, sàmànàtoristes) de tout poil- et des "esthètes" d'"écrivain travailleur" qu'il a réussi à imposer, est bien le
romancier de cette "nouvelle bourgeoisie" (symbolistes), partisans de l'autonomie de la littérature. roumaine, et
Le d

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