La liste éclatée : tradition de la liste hétérogène dans la littérature japonaise ancienne - article ; n°12 ; vol.12, pg 109-138
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Extrême-Orient, Extrême-Occident - Année 1990 - Volume 12 - Numéro 12 - Pages 109-138
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 45
Langue Français
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Extrait

Jacqueline Pigeot
La liste éclatée : tradition de la liste hétérogène dans la
littérature japonaise ancienne
In: Extrême-Orient, Extrême-Occident. 1990, N°12, pp. 109-138.
Citer ce document / Cite this document :
Pigeot Jacqueline. La liste éclatée : tradition de la liste hétérogène dans la littérature japonaise ancienne. In: Extrême-Orient,
Extrême-Occident. 1990, N°12, pp. 109-138.
doi : 10.3406/oroc.1990.959
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/oroc_0754-5010_1990_num_12_12_959- Extrême-Occident 12 - 1990 Extrême-Orient
La liste éclatée : tradition de la liste hétérogène
dans la littérature japonaise ancienne
Jacqueline Pigeot
Les listes pullulent : de Sumer à Rabelais, de la Bible à Jules Verne,
dresser la liste des listes serait tâche impossible. Les listes pullulent
aussi au Japon. Le besoin d'établir des inventaires ou des catalogues
didactiques, l'ivresse de l'accumulation verbale, ne distinguent sans
doute pas les Japonais des autres peuples de la planète. Dans le domaine
littéraire, on peut sans peine appliquer au Japon les catégories typolo
giques du domaine occidental, et relever de multiples exemples de listes
généalogiques dans les mythes, de dénombrements de guerriers dans
l'épopée, d'énumérations descriptives dans la littérature romanesque.
De ce point de vue, le cas japonais n'est pas spécifique. Le goût pour
la « prolifération lexicale » (Hamon) ne semble au Japon ni plus ni
moins prononcé qu'ailleurs. Certes, on pourra trouver dans un récit du
XVIe siècle comme le Shôjin gyorui monogatari (Histoire des aliments
purs et des poissons), parodie d'épopée où l'on voit s'affronter l'armée
des nourritures camées (poissons et gibier) et celle des nourritures
« pures » (céréales, légumes, fruits), des listes extrêmement copieuses
de guerriers/aliments, comptant plus de cinquante, voire plus de cent
unités ; mais la littérature japonaise, parodique ou non, ne pourra sans
doute prétendre ravir à Rabelais la palme que Bakhtine a cru pouvoir lui
décerner, d'avoir dressé « de toute la littérature mondiale, l'énumérat
ion la plus riche d'objectifs militaires et d'armes », ou de bien d'autres
contenus *.
Si la littérature japonaise s'impose à l'attention, c'est pour autre
chose : avant tout, selon nous, pour la multiplicité et le raffinement des
traitements qu'y a subie cette forme simple, voire quelque peu fruste,
109 Tradition de la liste hétérogène dans la littérature japonaise ancienne
qu'est apparemment la liste. Travail concerté, inlassablement repris et
diversifié au cours des siècles, pour conduire à des formes parfaitement
maîtrisées, comme, au XVIIIe siècle, tels passages des drames de
Chikamatsu considérés comme des sommets de la prose poétique 2.
Traitements multiples, dont on se propose d'examiner ici quelques
exemples.
L'une des uvres classiques les plus célèbres, vantée tant pour sa
subtilité psychologique et esthétique que pour son raffinement dans
l'expression, est pour une grande part constituée par des listes : il s'agit
bien sûrdu Makura no sôshi (Notes de Chevet), écrit autour de l'an 1000
par une dame de la cour, Sei Shônagon. Faute de connaître la genèse de
l'uvre non plus que sa forme authentique, on ne peut affirmer que,
comme d'aucuns le supposent, les listes en constituaient le noyau
primitif. On ne peut non plus déterminer comment elles étaient distr
ibuées dans l'ensemble de l'uvre, quel rôle elles jouaient dans son
organisation, ni même, dans bien des cas, comment se présentait chaque
liste particulière, les diverses familles de manuscrits les faisant apparaît
re sous des formes plus ou moins longues, ou différemment agencées.
La spécificité des Notes de Chevet n'en demeure pas moins évidente.
Tout d'abord, il s'agit d'une uvre qui, bien que « littéraire », n'est ni
un récit ni un poème - terres d'élection de la liste dans nos littératures
(cf. le corpus analysé par Hamon) - une uvre qui, à vrai dire ne relève
pas d 'un genre précis. Elle se présente comme un ensemble disparate où
se succèdent et s'entremêlent réflexions, mini-récits autobiographiques
et listes.
Voici l'une de ces listes (3) :
Insectes (mushi wa)
Le criquet à sonnettes, le criquet des pins, la sauterelle tisserande, le grillon,
le papillon, la caprelle, la libellule, la luciole.
La teigne à manteau me fait pitié. C'est un diable qui l'a engendrée ; sa
mère, craignant qu'elle ne ressemblât à son père et n'eût, comme lui, un
caractère effrayant, lui a mis un mauvais vêtement, puis lui a dit : « Je
reviendrai bientôt, quand soufflera le vent d'automne ; attends-moi ! » Et
la pauvre bestiole ne s'est pas même aperçue que sa mère s'était enfuie en
l'abandonnant. Elle reconnaît le bruit que fait la bise d'automne, et quand
110 Tradition de la liste hétérogène dans la littérature japonaise ancienne
vient le huitième mois, elle chante désespérément : « Du lait, du lait ! »
Cela me fend le cur.
La cigale du soir. .
Le « scarabée qui salue » m'émeut, lui aussi. On assure qu'il fait ainsi la
révérence tout en marchant, parce que, dans son cur d'insecte, est née la
foi bouddhique. Il est amusant encore de l'entendre frapper à petits coups
répétés, dans quelque endroit sombre, alors qu'on ne s'y attend pas.
Pour la mouche, elle est à mettre au nombre des choses détestables ; de
pareils êtres, dépourvus de grâce, détestables, ne méritent pas qu'on les
traite comme des personnes à part entière, mais enfin... Elle va se poser
n'importe où, puis vient sur notre figure, avec ses pattes mouillées ! Il est
vraiment déplaisant que l'on ait donné son nom à quelqu'un.
La phalène est très jolie et charmante. Lorsqu'on approche la lampe tout
près, pour lire quelque roman, qu'elle est gracieuse quand elle passe, en
volant, devant le livre !
La fourmi est laide, mais elle est si légère qu'il est bien joli de la voir
marcher, rapide, sur la surface de l'eau.
Cette première liste est choisie parmi plusieurs dizaines du même
type (on en compte environ soixante-dix), que caractérise d'abord leur
en-tête : un substantif suivi de l'enclitique wa ; le contenu en a été
inventorié (Sugiyama) : sept concernent des astres ou des phénomènes
météorologiques, vingt-trois sont de caractère géographique (monta
gnes, rivières, mais aussi bourgs, ponts, etc.) ; cinq renvoient à des
types de construction ; neuf, à des plantes et des animaux ; huit
concernent le monde religieux (divinités, temples, etc.) ; sept, le monde
de la cour ; onze, la vie intellectuelle et artistique ; huit, les vêtements
et la maison ; une, les maladies. On n'a pas manqué de rapprocher les
Notes de Sei d'ouvrages didactiques, dictionnaires raisonnes ou man
uels, et d'inscrire l'uvre dans cette lignée ; le titre y invite d'ailleurs :
le mot makura (littéralement « oreiller »), rendu non sans raisons dans
le titre français par « chevet », ne désigne-t-il pas aussi les « en-tête »
des listes qui figuraient dans les manuels de vocabulaire poétique,
vocabulaires précisément appelés uta-makura 4 ?
De fait, la majorité des rubriques de Sei recoupent celles de diction
naires comme le Shinsenjikyô (c. 898) ou le Wamyô ruiju shô (c. 930) ;
elles correspondent aussi à celles d'autres types d'ouvrages didacti
ques : un lexique raisonné et commenté comme le Kuchizusami de
111 Tradition de la liste hétérogène dans la littérature japonaise ancienne
Minamoto no Tamenori (970), ou encore les anthologies de poèmes
classés par sujets (ruidai waka shû) comme le monumental Kokin
rokujô (c. 980), ouvrages dont la classification semble d'ailleurs s'ins
pirer de celle des dictionnaires. La disposition des rubriques dans les
Notes de Chevet, telle qu'on croit pouvoir la reconstituer (et qui
apparaît dans le recensement de Sugiyama reproduit ci-dessus) n'est
pas sans analogie avec celle qu'adoptent tous ces ouvrages : elle semble

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