La négociation sociale de l avortement ; matériaux pour une construction d objet - article ; n°3 ; vol.1, pg 327-339
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Description

Déviance et société - Année 1977 - Volume 1 - Numéro 3 - Pages 327-339
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean Kellerhals
La négociation sociale de l'avortement ; matériaux pour une
construction d'objet
In: Déviance et société. 1977 - Vol. 1 - N°3. pp. 327-339.
Citer ce document / Cite this document :
Kellerhals Jean. La négociation sociale de l'avortement ; matériaux pour une construction d'objet. In: Déviance et société. 1977
- Vol. 1 - N°3. pp. 327-339.
doi : 10.3406/ds.1977.956
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ds_0378-7931_1977_num_1_3_956Déviance et Société, Genève. 1977, vol. 1, No 3, p. 327-339
LA NEGOCIATION SOCIALE DE L'AVORTEMENT;
MATERIAUX POUR UNE CONSTRUCTION D'OBJET
J. KELLERHALS *
En quels termes le fait "avortement" est-il construit comme pro
blème social ? Les pages qui suivent voudraient apporter quelques
matériaux partiels pour l'élaboration d'une question qui est, aujour
d'hui, au coeur de la réflexion sociologique et criminologique sur la
déviance.
La définition de la personne humaine a profondément varié selon
les cultures, les courants philosophiques, les groupes au pouvoir (1). Les
sciences sociales n'ont nulle qualité pour proposer une définition
"objective" qui s'imposerait contre toutes les autres. L'analyse histo
rique et sociologique permet simplement d'affirmer que l'extension de
cette notion a toujours fait en pratique l'objet d'une négociation où
s'entremêlent les pressions démographiques, les intérêts de différents
groupes et les croyances religieuses. Comme ont d'ailleurs été négociés
les statuts des personnes dotées du droit de gérer la vie et la mort, ainsi
que les critères soustendant cette gestion (2).
La vie, individuelle et collective, a toujours été et sera toujours
négociée.
L'objectif des pages qui suivent est de mettre en lumière certains
des paramètres qui orientent aujourd'hui cette négociation et les ambi
guïtés profondes qu'elle abrite (3). Une attention spéciale a été donnée
au rapport entre les fonctions de l'enfant et les transactions sociales de
l'avortement. Il ne s'agit pas de prétendre, par là, cerner le sujet. C'est
un point de vue partiel, qui se veut tel, mais qui a le mérite de relier une
analyse contemporaine aux recherches ethnologiques. Celles-ci évo
quent les fonctions de l'enfant comme élément essentiel de compré
hension des dynamismes familiaux, démographiques et culturels des
sociétés (4).
1. Plusieurs regards sur l'enfant
Une des conséquences de la division sociale du travail, à travers la
transformation des fonctions de la famille, est de permettre l'émergence
et le développement de plusieurs regards sur l'enfant et la procréation, à
tel point que ces regards peuvent apparaître comme contradictoires.
* Université de Genève
327 Deux de ces regards nous intéressent particulièrement ici : celui du
couple, voire de la femme seule, d'une part, celui de l'Etat d'autre part.
Pour le couple ou la femme, l'enfant s'est progressivement dépouillé de
ses fonctions matérielles. Rares sont aujourd'hui les cas où l'on estime
pouvoir compter sur lui pour accroître l'aisance financière des aînés,
pour améliorer le fonctionnement d'une entreprise domestique, ou
même, pour servir de garant, d'assurance en cas de vieillesse, de maladie
ou d'accident (5). Sa fonction de pourvoyeur de prestige, pour les
femmes de milieu aisé notamment, s'en trouve en conséquence cons
idérablement réduite (6). Le rôle de l'enfant pour le couple et la femme
s'est progressivement polarisé sur la fonction concrète de relation affec
tive privilégiée et sur la fonction symbolique d'expression du lien de
couple et des aspirations de ce dernier. Dans ce mouvement, le statut de
l'enfant s'est profondément transformé. D'une part, l'enfance est deve
nue une catégorie d'âge privilégiée, impliquant des soins et des protec
tions considérables ainsi que des échanges émotionnels très intenses
avec les parents (7). D'où une croissance des coûts de l'enfant tenant
non seulement aux formes contemporaines de vie et d'habitat, mais
aussi aux ambitions parentales importantes dont l'enfant est le miroir.
D'autre part, l'enfant, devenu "bien de consommation affective", est en
concurrence avec d'autres investissements (matériels, culturels, profes
sionnels, etc.) du couple ou de la femme (8). Il n'a plus de valeur
"stable". Il acquiert au contraire valeur suprême ou non-sens total selon
que les acteurs directement concernés (le couple ou la femme) s'estiment
subjectivement en condition pour l'accueillir ou non. C'est ce qui nous
a fait parler (9) de 1' "enfantement sous condition". Ces conditions
(matérielles, psychologiques, relationnelles, professionnelles, etc.) que
l'on met à l'accueil de l'enfant ne sont rien d'autre que divers aspects de
la situation de concurrence dans laquelle est l'enfant. Concurrence
d'autant plus exacerbée que les coûts de la procréation se sont, nous
l'avons dit, beaucoup élevés et qu'ils reposent pour l'essentiel sur la
seule famille nucléaire. Une mutation historique s'est produite : les
ethnologues nous ont appris que le sens du couple dérivait partiellement
de celui de l'enfant. Aujoud'hui le sens de l'enfant dépend très larg
ement du sens du couple, c'est-à-dire de sa dynamique affective et
sociale.
Mais cette transformation radicale des fonctions de l'enfant pour
la femme ou le couple ne s'est pas opérée symétriquement au niveau de
la société globale et d'un des organes de contrôle de celle-ci, l'Etat. Au
plan macrosocial, l'enfant garde largement sa triple fonction de capital
de main-d'oeuvre, de potentiel militaire et d'héritier culturel, et cela
indépendamment des dispositions subjectives des acteurs individuels.
Les transformations technologiques et économiques ont certes modifié
328 nombres (ou ce que Ton pourrait appeler la "fécondité optimale"), les
elles n'ont pas entamé le principe (10).
On conçoit aisément que ces deux regards sur l'enfant — l'un
plutôt affectif, l'autre plutôt fonctionnel au sens étroit — puissent se
traduire par des politiques de fécondité très différentes. La première
perspective s'oriente vers une privatisation de la décision d'enfantement
qui permettrait des choix très divers en fonction des conditions évo
quées plus haut. L'autre se préoccupe non pas d'une fécondité max
imum qui serait économiquement dysfonctionnelle, mais d'une fécon
dité "seuil" jugée indispensable, et qu'il faudrait garantir à l'encontre
même des orientations subjectives des individus.
Cette opposition des points de vue pourrait, en théorie, trouver
deux solutions :
— les individus, conscients des besoins de la société globale, adjoi
gnent une dimension civique à leurs motivations personnelles et
procréent en conséquence.
— L'Etat peut en fait compter sur la stabilité ("instinctuelle") des
motivations individuelles à la procréation.
Ces deux solutions, en fait, ne jouent pas. Certes les individus
peuvent se rendre compte, intellectuellement, des "besoins" de la
communauté. Mais cette perception intellectuelle n'est pas à même,
sauf en période de crise grave, de modifier leur "calcul économique"
face à l'enfantement. Oison et Boudon ont tenté en effet de montrer
que les acteurs sociaux orientent leur comportement face à un bien
commun estimé souhaitable (ici l'enfant pour la société globale) en
fonction d'une logique où se mesure le coût individuel de la contri
bution au bien commun par rapport à l'accroissement du bien commun
que fournirait la participation individuelle. Ils en concluent que, sou
vent, un bien commun perçu comme nécessaire est laissé aux "bons
soins" des autres (11). Le problème — et l'enjeu — est donc de savoir
dans notre cas qui va payer pour l'enfant, et non pas de savoir si oui ou
non les individus perçoivent les besoins sociaux.
L'Etat comptant sur les motivations individuelles nous ramène à la
célèbre idée de la "main invisible" de Smith où l'intérêt global serait
garant

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