La perception des faits psychiques - article ; n°1 ; vol.13, pg 51-66
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Description

L'année psychologique - Année 1906 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 51-66
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1906
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

P. Souriau
La perception des faits psychiques
In: L'année psychologique. 1906 vol. 13. pp. 51-66.
Citer ce document / Cite this document :
Souriau P. La perception des faits psychiques. In: L'année psychologique. 1906 vol. 13. pp. 51-66.
doi : 10.3406/psy.1906.1287
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1906_num_13_1_1287-ÏTJ
III
LA PERCEPTION DES FAITS PSYCHIQUES
II est communément admis que les faits psychiques ont
cette particularité, de ne pouvoir être perçus du dehors, à la
façon dont nous percevons les objets matériels, mais seul
ement du dedans, par introspection.
Cette opinion courante est-elle fondée? Elle s'appuie sur
un certain nombre de faits d'observation journalière et sur des
arguments de sens commun, qui suffisent en effet pour
entraîner l'adhésion tant qu'on n'y regarde pas de trop près.
Il est certain que chacun de nous a sa vie personnelle, tout
intérieure, dans laquelle il se sent vraiment chez lui, et aime à
s'enfermer. Tous nous avons des souvenirs douloureux ou
mortifiants dont ne voudrions faire confidence à per
sonne; des pensées inavouables, qui nous sont venues malgré
nous, et que nous nous appliquons à refouler au plus profond
de nous-mêmes. Tant que rien ne s'en décèle dans nos gestes,
dans notre physionomie, dans nos paroles, nous sommes
tranquilles. Nous conserverons notre secret. On peut nous
regarder dans les yeux, de ce regard pénétrant qui voudrait
aller jusqu'à l'âme. Nous savons bien qu'on n'atteindra pas
notre pensée même. Moi seul au monde puis connaître de
connaissance certaine ce qui se passe dans l'intimité de ma
conscience.
De même il m'est impossible de pénétrer dans la conscience
des autres hommes. Je me doute que, me ressemblant au phy
sique, ils doivent aussi me ressembler au moral; je leur attr
ibuerai donc des pensées, des sentiments, dont je pourrai
déterminer la nature avec une certaine approximation. Voyant
un enfant pleurer, j'en conclus qu'il a quelque chagrin; le
voyant rire, je sais qu'il est joyeux. Si vous me dites que vous
éprouvez tel sentiment, que vous avez telle pensée, je m'en
rapporterai à votre affirmation. Mais ce ne sont là que des
croyances, des inductions, des connaissances indirectes
acquises par voie de raisonnement. Aucun de ces faits psy- MÉMOIRES ORIGINAUX 52
chiques dont j'affirme la réalité n'est vraiment perçu; aucun
n'est vu, touché, entendu, senti. Je n'en perçois que les signes
extérieurs, c'est-à-dire certains phénomènes physiques ou
physiologiques auxquels l'expérience m'a prouvé qu'ils étaient
généralement associés. Au cas où ces signes extérieurs vien
dront à me manquer, je ne saurai plus rien d'eux. Je ne
pourrai même plus soupçonner leur existence. Je ne dispose
d'aucun sens qui puisse me la révéler.
Et cette incapacité semble bien quelque chose d'irrémé
diable. Quand bien même nos sens acquerraient une finesse
plus grande, quand nous nous aiderions d'instruments nou
veaux et aurions recours à tous les procédés imaginables, on
ne peut espérer que jamais nous arrivions à percevoir du
dehors un fait de conscience, un sentiment, une sensation. Il
est des faits physiques qu'actuellement nous sommes tout
à fait incapables de percevoir; on ne dira pas cependant qu'ils
sont invisibles de nature. Je ne puis observer de mes yeux
dans un être vivant le jeu des organes internes : on conçoit
pourtant que par certains artifices opératoires on puisse me le
rendre visible, et que des êtres doués d'organes visuels diff
érents des miens puissent l'observer directement. Mais il n'en
est pas de même des faits psychiques. A tout jamais ils échap
peront à la perception. J'aurai beau disséquer un cerveau, le
regarder au microscope, en prendre la radiographie, jamais je
n'y pourrai rien*"percevoir qui ressemble à de la pensée. Sur
les faits psychiques, mes organes sensoriels n'ont aucune
prise. Peut-être même y a-t-il contradiction à supposer seul
ement que de tels phénomènes puissent être perçus du dehors.
Ne sont-ils pas par définition des faits de conscience, des faits
subjectifs, de la réalité considérée par le dedans, au point de
vue du moi? Observés du dehors, considérés à un de
vue objectif, forcément ils ne présenteraient plus la même
apparence ; ils nous apparaîtraient comme des faits physi
ques, et prendraient place dans ce que nous appelons le
monde matériel. Ne nous étonnons donc pas que la pensée, en
tant que pensée, ne puisse être perçue : par cela même qu'elle
serait perçue, elle ne serait plus de la pensée, mais une appa
rence visuelle ou tactile, une image concrète, un semblant de
cerveau.
Il y a dans cette théorie un fond de vérité : c'est qu'en
général les faits psychiques ne sont pas perceptibles, et que
presque toute la connaissance que nous en avons, la scienti- P. SOURIAU. — LA PERCEPTION DES FAITS PSYCHIQUES 53
fique comme la vulgaire, procède de l'introspection. Quand on
signale cette impuissance des âmes à se pénétrer l'une l'autre,
cet isolement auquel elles sont condamnées, ce caractère
incommunicable et tout subjectif de nos émotions intimes,
on est dans le vrai. Mais n'a-t-on pas généralisé trop vite,
quand on a affirmé que rien des pensées et des sentiments
d'autrui n'était perceptible? En déclarant que les faits
physiques ne pouvaient être perçus que du dehors, et les faits»
psychiques que du dedans, n'a-t-on pas porté à l'absolu de
simples différences de degré? Encore une fois, nous admet
tons que cette théorie répond assez bien à la moyenne des
faits; elle a la valeur de ces idées générales qu'on produit à
chaque instant dans la conversation courante, de ces formules
tranchantes, qui forcent un peu la vérité, mais en diffèrent
trop peu pour qu'il soit bien utile de faire la rectification. La
psychologie est tenue à un langage plus exact. Elle se doit de
n'avancer aucune généralité qu'avec beaucoup de circonspect
ion. Revenant donc sur cette théorie, nous allons reconnaître
que, dans un certain nombre de cas au moins, la connaissance
que nous prenons des faits psychiques a tous les caractères de
la perception extérieure, en sorte que l'on ne saurait plus
établir entre les deux qu'une distinction verbale; et du
moment que c'est au fond la même chose, mieux vaudrait,
dans le parler technique, convenir que l'on emploiera le
même mot.
Les cas auxquels je viens de faire allusion sont ceux où les
faits psychiques sont manifestés par quelque signe extérieur
si familier, si évident, si expressif, que l'exacte interprétation
nous en est immédiatement suggérée. Je dis que nous avons là
des exemples authentiques d'une perception du fait psychique
extérieur.
J'assiste à une opération chirurgicale douloureuse. Je vois
le sang couler, la chair tressaillir sous le bistouri. Le patient
pâlit. La sueur de l'angoisse perle à son front, ses yeux se
creusent; un brusque enfoncement de l'impitoyable pointe lui
arrache un cri. Ne parlons ici que de la manière dont à tort ou
à raison nous nous représentons les faits. En moi et pour
moi, tout se passe comme si je percevais réellement cette
souffrance. Est-ce que je ne la sens pas réelle, présente, agissant
sur mes nerfs, m'ébranlant par contre-coup? Ce cri ne me
semble pas seulement le signe d'une intolérable douleur, il
me semble douloureux en lui-même; quand je regarde cette MEMOIRES ORIGINAUX 54
pauvre chair à vif qui saigne et se rétracte, je ne la vois pas
seulement se crisper, je la vois souffrir.
J'ai pris à dessein mon premier exemple parmi les faits
psychiques qui ont le plus l'air d'être réellement perçus, ou en
d'autres termes qui présentent de la manière la plus évidente
les apparences de l'objectivité. Peut-être l'exemple est-il par
cela même moins probant. La sensation est en relation si
étroite avec l'état de l'organisme, que facilement on se la
représentera comme un phénomène mixte, à demi physiolo
gique, à demi moral; et Ton admettra plus aisément qu'e

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