La philosophie en Afrique ou l émergence de l individu - article ; n°77 ; vol.20, pg 187-198
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Tiers-Monde - Année 1979 - Volume 20 - Numéro 77 - Pages 187-198
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Yves Benot
La philosophie en Afrique ou l'émergence de l'individu
In: Tiers-Monde. 1979, tome 20 n°77. pp. 187-198.
Citer ce document / Cite this document :
Benot Yves. La philosophie en Afrique ou l'émergence de l'individu. In: Tiers-Monde. 1979, tome 20 n°77. pp. 187-198.
doi : 10.3406/tiers.1979.2857
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1979_num_20_77_2857CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE
Le philosophe en Afrique
ou Г émergence de Г individu
par Yves Benot
En déformant — à peine — un vers célèbre d'Hôlderlin, on pourrait dire
que beaucoup d'hommes politiques ou intellectuels africains doivent penser
aujourd'hui : « Mais pourquoi des philosophes en des temps de famine ? »
Et nombre de spécialistes en « coopération » technique ne manquent pas d'en
penser autant. Ce n'est pourtant pas que les chefs d'Etat ou dirigeants politiques
se soient abstenus d'intervenir dans ce domaine. Quelques-uns d'entre eux
auraient plutôt tendance à s'en adjuger le monopole, de sorte que c'est la
philosophie « des autres » qu'ils décréteraient inutile, voire subversive, mais
non toute philosophie, du moins ce qu'ils dénomment ainsi.
C'est dans une tout autre direction que l'œuvre de Paulin Houtondji,
Sur la «philosophie africaine » (Maspero 1977), éclaire et la situation, non pas
tant de la philosophie en Afrique que du philosophe africain, et celle de
l'Afrique indépendante et de ses tragédies vue à travers la réflexion du philo
sophe. En mettant en question la fonction du philosophe dans l'Afrique
d'aujourd'hui, il ne peut pas ne pas nous poser, à nous, ici et maintenant,
quelques questions directes et vitales. A première vue, cet essai se présente
comme le rassemblement et la mise en ordre d'une série d'articles et études
redonnées d'ailleurs avec de brèves indications sur leurs dates (de 1969 à 1976)
et circonstances, mais il forme bel et bien un tout, unifié d'un bout à l'autre
par une rigoureuse critique de Г « ethnophilosophie », celle qui, sur les traces
du P. Tempels, prétend découvrir une philosophie (non écrite) commune
aux peuples africains, collective donc. Et du même coup, la polémique
d'Houtondji — car tout le livre est pensé et mené de polémique en —
débouche constamment sur la place et la fonction du philosophe dans l'Afrique
d'aujourd'hui. Donc, sur la nature même du champ théorique proprement
philosophique, sur sa spécificité, notamment par rapport à la théorie politique,
c'est dire qu'il ne part pas de l'idée d'une philosophie à créer ou instaurer,
d'un projet à élaborer, mais des œuvres philosophiques africaines qui existent,
d'une donnée de fait qui donne lieu à une critique menée du dedans, et dans
les conditions de leur contexte politico-culturel. Bref, il engage ici ce débat
théorique qu'il réclame entre Africains, en Afrique, et à l'adresse des Africains,
et pour lequel il exige la pleine liberté, le plein déploiement de la créativité.
Ce qui peut paraître tout simple et allant de soi, mais qui est justement le
Revue Tiers Motule, t. XX, n° 77, Janvier-Mars 1979 1 88 CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE
point où l'exigence du philosophe rencontre de front la politique réelle, telle
qu'elle se fait et aussi telle qu'elle se pense, cette politique qui prétend refuser
ce droit à la création et à la différence. Et comme il n'est pas de pays dans le
monde qui puisse aujourd'hui se croire immunisé à l'avance contre toute poli
tique autoritaire, nous ne pouvons pas non plus regarder simplement du dehors
ce débat africain, y sommes impliqués, pas seulement à cause des sources
européennes de ce qui s'est appelé la « philosophie africaine », mais bien plus
parce que le débat culturel traverse aujourd'hui les frontières faisant apparaître d'un
pays à l'autre des solidarités nouvelles entre des hommes ou des groupes d'hommes luttant
pour les mêmes opinions et les mêmes styles de culture (Houtondji, p. 236).
Pourquoi ce qu'on appelle la « philosophie africaine », et qui n'est pas celle
d'Houtondji, ne risque-t-elle pas de se trouver confrontée par son propre
développement à une réalité politique hostile ou méfiante ? Ce n'est pas qu'elle
se soit elle-même située au ciel des idées et hors du temps présent, puisqu'elle
s'est présentée — j'entends celles d'auteurs africains et non celles
des initiateurs européens — comme une revendication de l'originalité et de
l'autonomie culturelle des peuples africains. En somme, le nationalisme en
philosophie, ou la philosophie du nationalisme. Dans cette asymétrie gît le
fond du problème, et c'est par là que s'éclaire tout l'enjeu vital du débat
théorique qu'instaure Houtondji, qui d'ailleurs est à l'œuvre de manière plus
ou moins sourde depuis déjà quelques années; c'est par là que se révèlent
aussi sa portée et son impact politiques au sens large du terme.
Il ne s'agit pas ici de prendre au mot et au pied de la lettre les « ethno-
philosophes », pour les discuter point par point, mais de voir comment
fonctionnent leurs thèses, et ce qu'elles impliquent en fait, et souvent contra-
dictoirement avec l'intention et l'objectif affichés. Grosso modo, à l'idéologie
colonialiste qui a décrété les peuples africains dépourvus de toute pensée
philosophique — de même que sans histoire, sans civilisation, sans culture — ,
l'ethnophilosophie riposte en affirmant que la philosophie de ces peuples
existe en fait. Elle diffère simplement de la occidentale en ceci
qu'elle est implicite, non inscrite dans les textes écrits et dûment signés, mais
présente et vivante dans les comportements, croyances et mythes collectifs
de ces peuples. La tâche du philosophe africain d'aujourd'hui est donc d'extraire
cette philosophie, de la mettre en forme, de se faire le secrétaire ou le greffier
de ces philosophes sans le savoir que sont collectivement les peuples africains
eux-mêmes. L'Afrique aura ainsi recouvré son indépendance — ou son
authenticité — philosophique, après son indépendance politique, au moins
en théorie. Houtondji marque très fortement que cette démarche, avant de
devenir celle de toute une tendance de la philosophie en Afrique, a été inaugurée
par un missionnaire belge, le P. Tempels, et que le but déclaré de ce dernier
n'était pas celui des nationalistes africains, mais de donner au colonisateur les
moyens de mieux exercer sa mission civilisatrice en connaissant la pensée,
ou le mode de penser, des peuples « à civiliser ». Je ne m'attarderai pas sur ce
premier point, bien qu'il mette en cause le caractère proprement africain de
cette philosophie africaine, de la même manière qu'a déjà été remis en cause
le caractère proprement africain du socialisme dit africain. On pourrait toujours
objecter que l'instrument forgé à l'usage de l'impérialisme est souvent suscep
tible d'être employé à d'autres fins, et notamment contre l'impérialisme.
Même si l'objection ne peut pas être de même force sur le plan idéologique
que pour les productions matérielles, il n'est pas moins vrai que, dans une LE PHILOSOPHE EN AFRIQUE 189
perspective différente, nombre d'éléments théoriques issus du monde des
oppresseurs peuvent être mis à profit par les opprimés, et l'ont déjà été.
Par ailleurs, s'agissant toujours de l'ethnophilosophie et de sa variété qu'est
la négritude senghorienne, un autre philosophe d'Afrique, Marcien Towa,
en retrouve les bases théoriques dans l'œuvre du penseur libérien Edward
Blyden (183 2- 191 2) dès le xixe siècle, à la veille même de la grande ruée
impérialiste sur le continent, et dans l'optique, à cette date, d'une sorte de
défense et illustration du peuple noir contre le racisme euro-américain, déjà
proclamé dans Hegel ou dans Gobineau1.
Ce qui me paraît ici plus important à noter d'emblée, et avant tout autre
examen, c'est que tout ce courant se place, on dirait spontanément, dans le
champ même défini auparavant par la superstructure idéologique. L'ethno-

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