LE CORPS ET SES LANGAGES D ESPACE-Nouvelles contributions psychophysiologiques à l étude du schéma
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In E. Jeddi (ed.). Le corps en Psychiatrie (p. 53-69) Paris. Masson. 1982 LE CORPS : APPROCHE NEUROPSYCHOLOGIQUE ET NEUROLOGIQUE LE CORPS ET SES LANGAGES D'ESPACE Nouvelles contributions psychophysiologiques à l'étude du schéma corporel *J. PAILLARDLes concepts de schéma corporel, d'image du corps, de conscience ou d'image de soi, malgré leurs ambiguïtés souvent dénoncées, continuent d'alimenter les discours neurologiques, psychiatriques ou pédagogiques sans qu'ait été pour autant clarifié le contenu neurophysiologique de telles notions, Cette situation n'est pas sans encourager les tenants des modèlespsychanalytiques à dénoncer l'impuissance des approches biologiquestraditionnelles, à appréhender la richesse des réalités psychologiques querecouvrent de tels concepts, La notion même de schéma corporel a pu êtreconsidérée par certains (Angelergues, 1975) comme « superflue , inutile, dépassée », voire « néfaste » et serait devenue un « instrument de résistance à la pensée biologique » qu'il importerait désormais d'évacuer duvocabulaire neurologique. Le radicalisme de telles prises de positions'accorde mal avec les développements récents de la neurobiologie, de lapsychophysiologie et de la neuropsychologie modernes. Ces disciplines,tout en affermissant leurs connaissances des mécanismes élémentaires du fonctionnement nerveux, se trouvent désormais beaucoup mieux arméesque par le passé pour une approche intégrée de l'organisme en situation. ...

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 In E. Jeddi (ed.). Le corps en Psychiatrie (p. 53-69) Paris. Masson. 1982    LE CORPS : APPROCHE NEUROPSYCHOLOGIQUE ET NEUROLOGIQUE
 
 LE CORPS ET SES LANGAGES D'ESPACE Nouvelles contributions psychophysiologiques à l'étude du schéma corporel
* J. PAILLARD
Les concepts de schéma corporel, d'image du corps, de conscience o d'image de soi, malgré leurs ambiguïtés souvent dénoncées, continuen d'alimenter les discours neurologiques, psychiatriques ou pédagogiques sans qu'ait été pour autant clarifié le contenu neurophysiologique de telles notions, Cette situation n'est pas sans encourager les tenants des modèles psychanalytiques à dénoncer l'impuissance des approches biologiques traditionnelles, à appréhender la richesse des réalités psychologiques que recouvrent de tels concepts, La notion même de schéma corporel a pu être considérée par certains (Angelergues, 1975) comme « superflue , inutile, dépassée », voire « néfaste » et serait devenue un « instrument de résistance à la pensée biologique » qu'il importerait désormais d'évacuer du vocabulaire neurologique. Le radicalisme de telles prises de position s'accorde mal avec les développements récents de la neurobiologie, de la psychophysiologie et de la neuropsychologie modernes. Ces disciplines, tout en affermissant leurs connaissances des mécanismes élémentaires du fonctionnement nerveux, se trouvent désormais beaucoup mieux armées que par le passé pour une approche intégrée de l'organisme en situation. La moisson de faits nouveaux qu'elles ont apportée au cours de la dernière décennie, nous paraît précisément offrir un espoir de renouvellement des perspectives d'interprétation et de clarification du concept de schéma corporel. C’est ce que nous nous proposons d'illustrer dans cet exposé en élargissant et en complétant les arguments expérimentaux que nous avons exposés dans un article récent (Paillard, 1980 a) et que nous rappellerons tout d'abord succinctement.   _______________     INP-C RS - B.P. 71, 31, chemin J. Ai uier, 13277 Marseille Cedex 9 (France).  
4 . PIALLRAD 
5   Ces arguments s'inscrivent sous trois problématiques principales d'introduction récente en psychobiologie : celle de l'identification-localisation ; celle des référentiels spatiaux et celle de l'activité-passivité. - La première repose sur la distinction neurophysiologiquement fondée dans le système visuel d'un double système de traitement des informations spatiales: l'un (système géniculo-strié) serait responsable des opérations d'analyse des caractéristiques de forme et des qualités sensorielles des objets qui conduisent à leur identification perceptive, l'autre (système rétino-colliculaire) assurerait les opérations de repérage spatial qui permettent la localisation de l'objet perçu dans l'espace extracorporel. Elle incite à rechercher des supports nerveux différenciés à une fonction d'identification et de reconnaissance de l'objet génératrice de son image perceptive et à une fonction de localisation de l'objet perçu dans un certain système de coordonnées spatiales. Nous avons souligné l'intérêt d'une telle dissociation fonctionnelle susceptible de clarifier au plan neurologique la distinction souvent restée confuse entre image du corps et schéma corporel : la première relevant du corps identifié, la seconde du corps situé. Une telle distinction appelle une relecture de la littérature neurologique, la recherche au plan neurophysiologique des matériaux afférentiels qui alimentent ces deux processus fonctionnels et l'identification des structures centrales qui contribuent à leur traitement. - La seconde découle de l'étude des fonctions de localisation et soulève l'important problème des systèmes de coordonnées dans lesquels cette localisation se définit. Deux grands systèmes de mise en relation de l'espace du corps et de l'espace extracorporel ont été distingués. Le premier situe la référence sur le corps lui-même. La situation des objets de l'environnement est évaluée par rapport à celle du corps pris comme référence. Le second situe les changements de position du corps par rapport aux repères stables de l'univers physique dans lequel il se déplace. Le double statut du corps référence et du corps référé suggère un réexamen de la symptomatologie neurologique relative aux perturbations des fonctions spatiales et la recherche de supports nerveux différenciés pour les opérations de référence égocentrique d'une part et pour l'élaboration des invariants spatiaux du référentiel exocentrique d'autre part. - La troisième problématique enfin, s'est dégagée des données expérimentales qui confèrent à la motricité active de l'organisme un pouvoi organisateur des invariants relationnels nécessaires à l'élaboration des référentiels spatiaux qui assure au dialogue sensorimoteur entre l'organisme et son environnement sa cohérence et son efficacité. La distinction d'un corps agi, qui subit passivement les contraintes du monde extérieur, et d'un corps agissant, qui intervient sur le monde comme élément d'une boucle conversationnelle interactive, ouvre des perspectives nouvelles aux thérapeutiques corporelles et stimule les investigations psychobiologiques. La distinction entre informations « exafférentes » passivement accueillies par les récepteurs et informations « réafférentes » engendrées par les activités propres de l'organisme, appelle l'identification des mécanismes nerveux impliqués dans leur filtrage et leur traitement spécifique ultérieur. Certains développements nouveaux de ces problématiques seront examinés, concernant en premier lieu quelques données neuropsychologiques
 
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  récentes de notre laboratoire sur un cas de dissociation pathologique entre fonction d'identification et fonction de localisation dans l'espace tactilo-moteur. Nous examinerons ensuite les résultats expérimentaux qui nous conduisent à envisager l'existence d'une pluralité de « langages d'espace » que le corps est susceptible d'utiliser à travers la variété des instruments sensorimoteurs dont il dispose pour appréhender la réalité spatiale de son environnement comme celle de son corps propre.
I. LA DISSOCIATION NEUROPATHOLOGIQUE DES FONCTIONS D'IDENTIFICATION ET DE LOCALISATION
On connaît l'intérêt soulevé par la découverte de capacités visuelles résiduelles d'abord chez le singe rendu aveugle par ablation complète bilatérale des aires visuelles corticales (Humphrey et Weiskrantz, 1967), puis chez l'Homme (Pöppel et coll.. 1973; Weiskrantz et coll.. 1974; Perenin et Jeannerod. 1975) dans le champ aveugle des sujets hémianopsiques. Cette capacité se traduit par une curieuse aptitude de l'animal comme du patient à localiser correctement une source lumineuse présentée dans son champ aveugle et à y diriger sa main avec efficacité. La mise en évidence de cette capacité chez l'Homme exige l'utilisation d'une procédure de choix forcé. Le sujet affirme, en effet, ne rien voir et semble effectivement ne rien détecter à l'examen périmétrique de cette partie du champ. Invité néanmoins à pointer de son index dans la direction d'une source lumineuse localisée dans son champ aveugle, il s'exécutera avec reluctance en affirmant le faire tout à fait au hasard. Les résultats, bien qu'entachés d'une certaine imprécision comparativement aux pointers normaux, sont néanmoins surprenants et, une fois portés à la connaissance du patient, le laisseront étonné et incrédible. Si l'on répète les expériences cependant, le sujet apparaît susceptible d'améliorer notablement ses performances. On trouvera dans une revue récente de Weiskrantz (1980) qui a proposé le terme de « blind sight » (vision aveugle) pour désigner ce phénomène, une description très complète des observations maintenant nombreuses qui en confirment la réalité et conduisent à admettre la possibilité d'une dissociation pathologique des fonctions d'identification et de localisation. Les voies visuelles extragéniculées suffiraient donc à assurer un certain repérage de la localisation des sources lumineuses, en confirmation des données antérieures de l'expérimentation animale qui avaient conduit à formuler l'hypothèse de l'existence d'un double système visuel (Schneider, 1969; Trevarthen, 1968). La possibilité d'une extension d'une telle dichotomie fonctionnelle aux autres modalités sensorielles soulevait de ce fait un intérêt particulier et nous avons formulé l'hypothèse (Paillard, 1980) que les afférences cenesthésiques qui contribuent à l'élaboration perceptive de l'image du corps pouvaient, à l'instar de ce qui est observé dans le système visuel, subir un traitement différencié qui serait responsable de l'élaboration d'une carte de repérage de l'espace du corps.
 
56  J. PAILLARD    Nous avons eu récemment l'occasion d'examiner une malade présentant les signes cliniques d'une main « désafférentée » et dont l'observation nous a conduits à confirmer cette hypothèse (Paillard et coll.. 1981). Il s'agit d'une femme de 52  ans, droitière, hospitalisée à l'Hôpital Neurologique de Lyon, avec diagnostic d'un angiome localisé à la région occipitale gauche. Suite à une intervention destinée à l'occlusion de l'artère nourricière de cet angiome elle a présenté un syndrome clinique complexe caractérisé, dans ses manifestations transitoires, par une aphasie de conduction de gravité moyenne, des signes d'apraxie idéatoire, d'acalculie et des troubles de l'orientation spatiale droite-gauche et dans ses manifestations encore persistantes, plusieurs années après l'intervention, une hémianopsie et une hémiacousie droite ainsi qu'une hémianesthésie intéressant de façon dominante
 Normal left hand Deafferented right hand Fig. 1 . Performances de localisation par pointage de l'index de la main controlatérale en réponse à une stimulation statique de durée 1 seconde distribuée aléatoirement et à trois reprises en chacun des 18  points de la surface palmaire de la main indiquée sur le schéma (cercle blanc).L'orientation et la grandeur de l'erreur sont indiquées par les flèches (points noirs).  A gauche : pointages effectués par la malade de sa main droite insensible sur sa main gauche normale.  A droite : pointages effectués par la malade de sa main gauche normale sur sa main droite désafférentée. Le calcul des pourcentages d'erreurs inférieures ou égales à 10 mm révèle chez un sujet contrôle de même âge et de même sexe des valeurs de 36 % et 45  % pour les localisations effectuées respectivement sur la main droite et sur la main gauche. Chez la malade examinée, ces valeurs sont respectivement de 10 % et de 15 % et bien que globalement inférieures à celles commises par le sujet contrôle, ne révèlent pas d'asymétrie nette entre les deux mains.
 
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  l'extrémité distale du membre supérieur droit. L'examen scanographique révèle un ramollissement d'un secteur étendu de l'aire pariétale gauche attribué à l'obstruction accidentelle par de la matière thrombogénique de l'artère pariétale postérieure gauche. La patiente mentionne qu'elle peut se couper ou se brûler la main sans le remarquer, mais qu'elle s'en sert très correctement, sous le contrôle de la vue, sans présenter de déficit moteur particulier. L'examen sensoriel, pratiqué à Marseille, a confirmé l'insensibilité de cette « main désafférentée ». Alors que des réponses normales sont obtenues sur le membre controlatéral, aucune réponse n'est obtenue, même aux fortes pressions statiques exercées sur la peau par l'intermédiaire d'un esthésiomètre calibré. La région sensible intéresse l'aire de la main et de l'avant-bras et s'étend jusqu'à la bordure de l'articulation du coude. Une épreuve de localisation tactile a été tentée en utilisant 19 points cibles répartis sur la face palmaire des différents doigts et de la main. Le sujet était invité à pointer avec l'index de la main controlatérale les différents points stimulés par l'expérimentateur. A raison de 3 essais pa cible, distribués de manière aléatoire et assortis de pointages fictifs, les performances de localisation de la main gauche normale par la main désafférentée, bien qu'inférieures en précision aux performances d'un suje contrôle du même âge et de même sexe sont apparues correctes (voir fig. 1). Invitée ensuite à pointer de sa main gauche les points stimulés sur sa main insensible, la patiente se mit tout d'abord à effectuer ses pointages sans hésitation apparente et avec une précision relativement similaire aux pointages effectués sur sa main normale. Après quelques essais cependant elle s'interrompit brusquement pour nous faire part de son étonnement et de sa surprise dans les termes suivants (on notera que la malade présente encore certains signes dysphasiques) : « Mais je ne comprends pas bien pou ça. Vous mettez quelque chose ici... Je ne sens pas et pourtant j'y vais avec mon doigt... Comment ça se fait? ». Elle ajoutera ensuite: « Je voudrais bien savoir, parce que finalement si je ne le sens pas... je ne devrais pas le sentir non plus... pourquoi je le vois ? Je l'entends celui-là ». Invitée à décrire la nature de l'expérience qu'elle ressent, elle précisera encore : « Voilà ! Je ne peux pas dire ce que c'est ... mais je sais qu'il y a un endroit où vous allez ..., mais c'est si peu de chose si vous voulez. C'est tellement ténu ... ténu ». De toute évidence il s'agit pour la malade d'une expérience étrange dépourvue de qualités sensorielles identifiables à des sensations connues et familières. Elle utilisera pour tenter de la décrire les termes de sentir, de voir, d'entendre. Mais en disant « Je sais qu'il y a un endroit où vous allez… », endroit où elle peut diriger son autre main, elle semble définir en quelque sorte une expérience spatiale « pure » dépourvue de contenu sensoriel spécifique. Sensation inhabituelle s'il en est et donc non reconnaissable puisque jamais éprouvée dans une expérience perceptive habituelle qui associe toujours une localité aux qualités sensorielles du
 
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58  stimulus identifiable. Un espace vide sans contenu sensoriel perceptible n'est pas appréhendable dans le champ de notre expérience consciente. Il est intéressant de noter que la malade va se montrer capable de se familiariser avec cette expérience étrange qu'elle ne peut décrire mais qu'elle apprendra progressivement à utiliser dans les séances ultérieures pour détecter la présence d'un contact statique sur sa main. Ce dont elle était totalement incapable avant d'avoir eu la révélation de cette expérience de localité. Cette observation et les commentaires de notre malade rejoignent en tous points les descriptions rapportées par Weiskrantz (1980) dans les phénomènes de « blind sight ». Les hémianopsiques aussi, après avoir réalisé qu'ils étaient capables de pointer vers une source de stimulation localisée dans leur champ aveugle, se familiarisent progressivement avec cette qualité d'expérience inhabituelle qu'ils apprennent à utiliser pour détecter la présence d'une stimulation lumineuse qu'ils s'avéraient antérieurement incapables de détecter. Ainsi se trouverait confirmée la possibilité d'un traitement central des informations tactiles permettant l'élaboration de leur « signe local », de leur repérage sur la carte spatiale de la surface du corps, en l'absence d'une détection et d'une identification perceptive de la sensation tactile correspondante. Un tel constat n'est pas sans évoquer la distinction jadis introduite par Head et Holmes (1911, 1912) entre la notion de schéma et celle d'image du corps. Pour ces auteurs l'image qu'elle soit visuelle, tactile ou articulaire traduirait le contenu de ces informations dans l'expérience consciente, alors que le schéma représenterait dans son contenu postural (le schéma postural) « a combined standard against which all subsequent changes of posture are measured » et dans son statut de frontières de l'espace du corps (ce qu'ils appelaient le schéma superficiel) l'expression de la capacité du sujet à localiser correctement les points stimulés sur l'interface cutanée. Ils proposaient aussi de considérer ce schéma comme responsable d'opérations de référence « before the changes of posture enter consciousness ». Les commentaires de notre malade justifient pleinement ce modèle d'analyse mais ils attirent, en outre, notre attention sur la composante motrice qui serait associée à l'expérience de spatialité qu'elle décrit en termes de « je sais qu'il y a un endroit où vous allez » et qui rend compte de la possibilité qu'elle a de diriger sa propre activité vers cet endroit. C'est ce problème que nous allons maintenant aborder.
II. - LA PLURALITÉ DES DIALOGUES SENSORIMOTEURS  ET LES « LANGAGES D'ESPACE » DU CORPS
La cohérence de l'environnement spatial où nous localisons nos perceptions et où nous dirigeons nos actes résulte du traitement intégrati des informations collectées par nos organes des sens, non seulement su l'état du monde extérieur et des événements qui s'y produisent, mais aussi sur la position et les déplacements de notre corps mobile dans un espace
 
 
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  ordonné et orienté. Aussi la réalité spatiale à laquelle accède un organisme va dépendre bien entendu et fondamentalement de son équipement sensoriel mais aussi des instruments moteurs dont il est doté. L'exercice de la motricité contribue, en effet, à transformer la structure du champ sensoriel capté par ses organes des sens et à travers ces transformations en révèle les permanences et les régularités. C'est, en fin de compte, dans les réactions motrices de l'organisme que nous devons rechercher la significa-tion des informations spatiales qu'il retient comme « utiles » pour assurer le guidage et la cohérence de ses actions. Le corps agissant interpelle l'espace sensoriel qui l'environne et découpe dans la réalité physique les zones où le dialogue sensorimoteur peut efficacement s'engager. De ce dialogue et des stabilités relationnelles qu'il contribue à révéler, émergera dans cette zone une structure d'espace essentiellement fondée sur l'invariance et donc la prévisibilité des conséquences sensorielles qui résultent des actions qui y sont produites. Nous avons récemment proposé (Paillard, 1980) l'hypothèse de l'existence d'une pluralité de territoires sensorimoteurs, d'espaces locaux en quelque sorte, dont la coalescence résulterait en une structure d'espace unifié les intégrant dans la totalité relationnelle que nous appréhendons au plan perceptif comme le cadre spatial où s'organise nos activités. Ainsi l'espace qu'occupe notre corps dans ce cadre spatial unifié résulterait en fait de la mise en relation des sous-espaces sensorimoteurs dont la variété, l'extension et les propriétés vont refléter la diversité des dialogues que ses instruments moteurs et sensoriels lui permettent d'engager. C'est en ce sens que nous parlons des « langages d'espace du corps » en soulignant par là la pluralité des médiations sensorimotrices dont le corps dispose pour investir et s'approprier l'espace qu'il habite et celui qui l'entoure. Sous la variété des champs sensorimoteurs que le corps en action est capable d'investir, on se trouverait ainsi conduit à rechercher les entités fonctionnelles opérant sur un espace local circonscrit et à en analyser les propriétés. Ce concept opérationnel a comme premier mérite d'être expérimentalement validable et de désigner de nouveaux domaines d'investigations aux expérimentations psychobiologiques et aux observations neuro- pathologiques. C'est ce que nous voudrions illustrer sur quelques exemples tirés des travaux de notre laboratoire. . Mais il importe tout d'abord de préciser ce que nous devons entendre par « structure d'espace » et la signification que nous donnons à la notion plus spécifique « d'espace sensorimoteur ».
III. - STRUCTURE D'ESPACE ET NOTION D'ESPACE  SENSORIMOTEUR
Le mathématicien nous apprend qu'une structure d'espace suppose nécessairement pour son existence la présence d'éléments séparables et discernables.
 
J. PAILLARD
60   Le pouvoir séparateur de l'instrument d'observation est ce qui contribue précisément à définir le « grain » de la structure. Une collection de points séparés ne suffit cependant pas à définir une structure d'espace (Arbib, 1980). On doit pour cela la doter d'un algorithme de description des relations qui peuvent être établies entre les divers points qui constituent la collection. Divers types de règles peuvent être adoptées. Ces règles définissent la géométrie de description de l'espace considéré et il existe, nous le savons, une pluralité de géométries possibles pour décrire l'espace en termes mathématiques. Nous nous intéressons plus spécialement ici aux règles métriques qui définissent dans une structure d'espace, ce que les mathématiciens appellent ses voies de « cheminement » ou encore sa « structure de trajets ». Ces règles permettent de définir la trajectoire à suivre pour se rendre d'un point à un autre. Une structure de trajets apposée sur une collection de points séparés va définir la « localité » de ces points dans la structure d'espace ainsi constituée. L'exemple du champ visuel peut servir à illustrer la manière dont cette définition peut être appliquée aux structures d'espace sensorimoteu appréhendées par un organisme biologique. Le pouvoir séparateur de la surface rétinienne définit le grain de l'image spatiale. Les programmes de saccades oculaires qui permettent le déplacement de la zone de capture fovéale en tous points discernés sur cette surface, vont constituer la trame de la structure de trajets dans l'espace oculomoteur qui est un espace borné, régional, dont les frontières sont celles du champ visuel proprement dit. Si la tête est autorisée à bouger, un nouveau découpage de la réalité spatiale intervient sur la base des déplacements de la tête porteuse de l'organe oculaire. L'instrument moteur céphalique vient dès lors imposer une nouvelle structure de trajets à l'espace visuomoteur. Il est immédiatement clair sur cet exemple, que l'espace oculomoteur va constituer un sous-espace de l'espace céphalomoteur et le problème de leur interdépendance ou de l'intégration hiérarchique du premier dans le second pose un important problème d'identification du codage nerveux de la localité des points repérés et de la mise en relation des systèmes de coordonnées correspondants. L'analyse pourrait être poussée plus loin en direction d'une subdivision probable du champ rétinien en deux sous-espaces distincts correspondan l'un au champ de la vision centrale et lié aux explorations du système moteur des petites saccades (Frost et Pöppel, 1976), l'autre à celui de la vision périphérique associé aux grandes saccades oculaires généralement programmées en association avec les mouvemen s de la tête (Bizzi, 1974). On peut aussi évoquer l'individualisation du champ sensorimoteur de la vision stéréoscopique en liaison avec les instruments moteurs de l'accommodation cristallienne ou encore de la vergence oculaire. Nous avons proposé (Paillard, 1980) que la pluralité des cartes visuelles actuellement identifiées dans les projections centrales des informations visuelles (Cowey, 1979) pouvaient suggérer leur association à un champ sensorimoteur particulier dont la spécificité proviendrait de la nature des instruments moteurs impliqués dans la définition de leurs espaces de trajets.
 
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  Un raisonnement identique peut être appliqué au problème des localisations dans l'espace sonore où la motricité du pavillon des oreilles oue chez l'animal un rôle assez analogue à l'oculomotricité dans le système visuel et où l'intégration au champ auditivo-céphalo-moteur se pose dans des termes similaires. L'espace tactilo-buccal ou tactilo-manuel pose bien entendu des problèmes de même nature (Paillard, 1971). Quant à la coordination de cette pluralité de sous-espaces sensorimoteurs en un super-espace unifié, elle pose le problème de la définition des états différenciables de l'espace postural et de leur organisation en une « structure d'espace » où les positions respectives du corps et de ses segments mobiles se trouveront calibrées par les mouvements qui les relient. Ce qui nous ramène à la notion de« schéma postural de référence » et à la fonction qui pourrait être attachée à un « schéma corporel » coordinateur des multiples sous-espaces sensorimoteurs que découpent les dispositifs moteurs de l'organisme dans l'espace physique où se déploie leur activité. Le problème de l'organisation ontogénétique de ces entités spatiales ou de leurs désorganisations pathologiques se trouve évidemment posé. Certaines relèvent de ce que nous avons appelé les dispositifs de capture (Paillard, 1971). Elles bénéficient d'une structure de trajets génétiquement précâblée dans les structures de connexions neuroniques (capture fovéale, capture buccale, capture manuelle). D'autres semblent nécessiter, pour leu élaboration, l'expérience des déplacements activement dirigés dans le sous-espace considéré (Held, 1970). En bref, l'hypothèse que nous formulons à travers les propriétés des espaces sensorimoteurs ainsi définis est que les activités motrices qui interviennent dans un champ sensoriel déterminé (visuel, tactile, auditif, proprioceptif...) y opèrent les transformations nécessaires et suffisantes à la constitution d'un espace de déplacement où se trouve repérée la « localité » des éléments discriminables de cet espace. La mise en relation de ces éléments (leur configuration spatiale) doit de ce fait dépendre « du référentiel » que constitue la « structure d'espace » bornée où elle s'effectue, mais elle doit aussi s'intégrer aux structures d'espace d'ordre supérieur qui les englobent. La structure d'espace globale intègrerait cette cascade hiérarchique de sous-espaces locaux en l'espace unifié, orienté et cohérent où s'ordonnent nos actes et nos perceptions. C'est à la validation d'une telle hypothèse que se sont adressées les expériences que nous rapporterons maintenant.
IV. - ESPACE DE PALPATION DIGITALE  ET ESPACE DE POSITIONNEMENT VISUO-MANUEL
Nous avions dans un travail antérieur (Paillard, 1971) proposé la distinction fonctionnelle entre un «espace des lieux » et un « espace des formes ». Cette distinction supposait un traitement différencié des informations spatiales relatives d'une part, à la place des objets dans un espace référé à la position du corps et d’autre part, à la configuration
 
2 J .APLILRAD 
6   spatiale de l'objet lui-même et basée sur l'évaluation des positions relatives des éléments qui la composent dans l'espace d'analyse de la vision centrale. Cette distinction amenait en particulier à dissocier les modes de traitement mis en œuvre dans l'analyse fovéale de la forme réalisant une véritable palpation exploratoire de la configuration de l'objet, l'autre basé sur la motricité oculocéphalique de centrage du regard sur l'objet et contribuant à localiser la lace de cet objet dans l'espace visuel égo ou exocentrique. L'analogie avec l'opération de reconnaissance tactile de la forme de l'objet par l'appareil manuel s'imposait alors avec, d'une part, les activités palpatoires qui s'exercent dans l'espace multidigital de la main et d'autre part les activités qui assurent le transport de l'organe de saisie et de palpation dans son espace visuomoteur de ositionnement. Nous sommes bien là en présence de deux espaces sensorimoteurs différenciés : l'un hapto-digital combinant les informations cutanées et articulaires à la motricité palpatoire des doigts et de la main, l'autre visuobrachial associant les informations visuelles et proprioceptives qu'il engendre aux mouvements proximaux qui assurent le placement de la main dans l'espace de préhension. L'hypothèse était que l'extraction des informations spatiales relatives à un objet donné doit reposer sur des systèmes de coordonnées différents suivant que les informations tactiles sont calibrées dans l'espace de palpation, ou recueillies par déplacement de l'index explorateur dans l'espace de positionnement manuel. Contrairement au remier, ce dernier se trouve en effet soumis aux contraintes de structuration du référentiel postural, lequel nous le savons, s'organise suivant une symétrie axiale par rapport au plan sagittal médian du corps. On connaît par ailleurs, la fréquence de confusion des figures en miroir chez le jeune enfant dans le domaine visuel comme dans le domaine tactile, notamment lorsqu'on procède dans ce dernier à des discriminations bimanuelles.
Françoise Martinez (1971) avait procédé à l'examen d'une population de 40 enfants dans la tranche d'âge de 5 à 6 ans, en les soumettant à une épreuve de discrimination bimanuelle de formes tactiles symétriques. La population de sujets, divisée en deux groupes appariés, avait subi l'épreuve dans deux conditions différentes d'exploration tactilomotrice. La première s'effectuait uniquement par palpation multidigitale, poignet et bras étant immobilisés dans un dispositif de contention. La seconde utilisait une exploration tactile des figures à l'aide de l'extrémité de l'index mettant en œuvre la mobilisation de la totalité du bras dans son espace de déplacement. Les résultats présentés dans la figure 2 ont confirmé l'hypothèse de départ. L'exploration tactilomotrice référée à l'espace sensorimoteur de palpation ne conduit pas à un taux de confusion des figures en miroi significativement différent de celui observé dans une discrimination purement visuelle. Par contre le taux de confusion augmente très signifi-cativement lorsque l'exploration tactilomotrice se trouve référée à l'espace sensorimoteur de positionnement de la main dans le référentiel postural. On peut se poser la question d'une extension de ce type d'hypothèse, dans le domaine de l'espace visuel, où l'exploration de figures de petites tailles qui
 
  
 
LE CORPSE T SES LAN
 
AGGESD 'ESPACE 
TACTILE D  ISCRIMINATION OF SYMETRICAL FORMS 5 years < N =  40 < 6 years 2 series of 20 items
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Fig. 2 . Étude de la discrimination tactile bimanuelle de ormes symétriques chez une opulation de 40 enfants âgés de 5 à 6 ans.    Un prétest, effectué en conditions unimanuelles, permettait le contrôle de compréhensio de la consigne et la capacité correcte de discrimination des formes par les deux mains travaillant individuellement, Deux groupes appariés de 20 enfants ont ensuite subi un test de discrimination bimanuelle consistant à reconnaître parmi trois formes explorables par l'une des mains une forme modèle présentée simultanément à l'exploration de l'autre main. L'un des groupes a subi les épreuves en condition d'exploration tactile multidigitale (le poignet e le bras étant immobilisés). L'autre utilisait la seule pointe de son index et balayait les formes par un mouvement d'cxploration du bras. Les résultats sont exprimés en pourcentage du nombre de choix accompagnés d'erreurs de confusion en miroir. Les erreurs sont significativement plus importantes en conditio d'exploration tactilobrachiale comparativement aux conditions tactilodigitale et visuelle. Ces deux dernières conditions ne présentent par contre, aucune différence significative.
 
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