Le Diable comme bouffon - article ; n°19 ; vol.8, pg 3-12
11 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le Diable comme bouffon - article ; n°19 ; vol.8, pg 3-12

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
11 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 1978 - Volume 8 - Numéro 19 - Pages 3-12
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 106
Langue Français

Extrait

Max Milner
Le Diable comme bouffon
In: Romantisme, 1978, n°19. pp. 3-12.
Citer ce document / Cite this document :
Milner Max. Le Diable comme bouffon. In: Romantisme, 1978, n°19. pp. 3-12.
doi : 10.3406/roman.1978.5146
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1978_num_8_19_5146Max M1LNER
Le Diable comme bouffon
A Jean Starobinski
Les représentations littéraires du diable ont souvent été traitées,
en France notamment, sur le mode comique. Faut-il voir là le refus
de prendre au sérieux ce qui fut l'objet de terreurs ancestrales ? ou
bien la preuve de cette alliance entre le comique et l'esprit satanique
que Baudelaire cherche à mettre en évidence dans De l'Essence du
rire ? Sans refuser à ces explications leur part de vérité, je voudrais
m 'attacher aux cas où le rire provoqué par le personnage diabolique
n'est ni frivole ni teinté de mélancolie, comme celui de Melmoth, mais
subversif et décapant, mettant à nu l'envers des choses et ne respectant,
en conséquence, aucun tabou ni aucune hiérarchie, bref très semblable
à celui du bouffon.
Ce serait une erreur fondamentale de croire que le diable n'a été
chargé d'assumer ce rôle qu'à partir du moment où l'affaiblissement
de la foi a rendu son personnage disponible pour une critique morale,
politique ou sociale n'ayant que peu de rapports avec la fonction qu'il
occupait dans les représentations religieuses du monde. En réalité,
les affinités entre le diable et le bouffon remontent très haut, plus
haut que la naissance du diable chrétien, pourrait-on dire. Celui-ci se
rattache en effet par quelques-uns de ses traits, dans ses représentations
populaires, qui pèseront d'un poids décisif, au Moyen Age, sur son
entrée en littérature, à la famille de ces êtres déconcertants que les
ethnologues anglo-saxons ont appelés les tricksters. Il s'agit d'un
personnage semi-divin, qui se caractérise à la fois par son mépris des
interdictions les plus sacrées, par les pouvoirs magiques (tantôt bénéf
iques, tantôt maléfiques pour l'humanité) dont il bénéficie à la suite
de ces violations, et par le caractère grotesque, peu respectable, de
mauvaise compagnie, que lui donnent les exploits qui lui sont attribués.
Laura Lévi-Makarius, qui lui a consacré une partie importante de son
étude sur Le Sacré et la violation des interdits (Payot, 1974), le définit
de la façon suivante :
Le trickster est représenté comme voleur, trompeur, parricide, inces
tueux, cannibale ; il est idiot, cruel, phallique, dégoûtant ; cependant sous
ses aspects méprisables et grossiers, comme sous les plus prestigieux, il
reste toujours un être « sacré », qualité qui paraît lui être intrinsèque et
qu'aucun ridicule, ou aucune abomination, ne parviennent à effacer (p. 216).
Mme Lévi-Makarius trouve dans le rôle attribué aux tricksters par
les tribus indiennes, océaniennes et africaines où ils ont été étudiés,
la confirmation d'une idée émise par Roger Caillois en 1938, dans Le
Mythe et l'homme : l'individu, en proie à des conflits psychologiques
qui sont généralement le fait de la structure sociale et des contraintes Max Milner 4
qu'elle fait peser sur lui, est incapable de s'en sortir, car il ne pourrait
le faire que par un acte condamné par la société, et par conséquent
par lui-même. Il en résulte que, paralysé par l'acte tabou, il en confie
l'exécution à des héros. Le trickster et son homologue ou représentant
cérémoniel, le clown sacré, sont donc des délégués à la transgression,
qui prennent en charge un certain refoulé religieux et social, et qui
paient leur rôle de violateurs d'interdits du ridicule ou du mépris
attachés à leur personne, tout en étant protégés par ce caractère non-
sérieux des conséquences les plus redoutables de la réprobation dont
ils sont l'objet.
Le diable chrétien ne se présente guère sous cet aspect qu'à partir
du moment où son association à certaines formes de la « culture popul
aire » lui permet, par le truchement du théâtre, de participer à la
fête collective où l'inversion des valeurs, la transgression des normes
et la libération des instincts reprennent leur place. C'est en effet à
la faveur des représentations de mystères que nous voyons entrer
en scène un diable balourd, coléreux et insolent, dont le comportement
et les déguisements ne sont pas sans rapports avec les phénomènes
que Mikhaïl Bakhtine a étudiés autour du thème du carnaval. Dans
le cadre de la représentation scénique, il est vrai, les intentions didac
tiques des auteurs de mystères restreignent le caractère subversif du
personnage, dont les hâbleries sont systématiquement suivies d'humil
iations cuisantes, et dont la bouffonnerie réside surtout dans les
grimaces et cabrioles que les démons exécutent, dans les corrections
qu'ils s'infligent réciproquement pour se dédommager de leurs échecs
et dans les injures pittoresques qu'ils échangent. Il arrive pourtant
que les puissances de désordre incarnent donnent naissance à
des plaisanteries obscènes, ou à des créations linguistiques cocasses,
qui constituent une sorte de défoulement verbal, de revanche de la
folie sur la raison, analogue à celle qu'on observe dans les fatrasies
et coqs-à-1'âne, très à l'honneur à la fin du Moyen Age. Ainsi, dans le
Mystère de la Passion d'Arnoul Gréban, du discours que tient le démon
par la bouche de la chananéenne possédée :
Haro ! les pastes sont en l'aistre...
Gardez le chat pour les souris-
Plus de cent deables sont flouris
au sanglant fons de ma cervelle...
Ha ! larron, garde la cordelle,
ta gorge sent tout le happart 1...
Ce sont florins : à part, à part :
j'ai veu musser le pot en terre...
Gens d'armes vont-ils à la guerre
pour apprendre à piller les pois ?
Il est pris ! haro ! je le vois...
Hey dea, gelines et canars,
Voulez-vous manger les renars ?
or gardez qu'ils ne vous mengussent !
J'os bien les Vaudois2 qui me huchent3
pour chevaucher un vieil ballet...
Tuez ! tuez ! maistre et vallet
jamais n'auront respit ne trêve...
Noel ! j'ay cy trouvé la fève
dedans la corne d'une chievre :
que de sanglante forte fièvre
puissent espouser les chevros ! 4 Le Diable comme bouffon 5
c'est surtout en dehors du cadre de la représentation que Mais
acquièrent les diables des mystères, ou les acteurs qui les incarnent,
une autonomie et un pouvoir de violation de la norme qui
à ce qu'on observe dans le carnaval. La prépcorrespondent très exactement
villes représentation des mystères s'accompagnait en dans certaines effet,
sorte de parade réservée aux acteurs chargés de jouer de d'une France,
nom de diablerie. Nous connaissons les rôles de d'où son diables,
bien celle de dans la grâce à une étude Chaumont, Haute-Marne,
d'Emile publiée en 1838 5. A partir de 1476 fut représenté Jolibois,
environ tous à l'occasion du pardon avec dans cette les ville, cinq ans,
indulgences exceptionnelles concédé par le Saint-Siège à la collégiale,
un qui se déroulait avec une pompe Mystère de Saint Jean-Baptiste,
avait lieu le jour de la le particulière. La représentation Saint-Jean,
les habitants qui devaient 24 mais dès le dimanche des Rameaux, juin,
jouer le rôle des habillés de leur costume de accueillaient scène, diables,
du haut d'une des portes de la à coups de pétards la procession, ville, vuen en poussant d'affreux hurlements, et de se précipitaient sur elle fusées,
et se répandaient dans la ville et dans la où ils avaient le campagne,
de rançonner tous ceux qui leur tombaient sous la main. Comme droit
sans doute symboliquement le retour ces expéditions (représentant
venue se répétaient au auquel devait mettre fin la du Sauveur) chaos,
tous les dimanches jusqu'à le rôle du diable était une source la fête,
— recherchée ce qu'exprime fort bien un proverbe de profits fort
patois de région : qui fait dire aux dames dans le la chaumontaises,
« Si plait ai Dieu, ai l'ai bonne Sainte ai lai Saint

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents