Le fait divers, témoin des tensions sociales : Djerba, 1892 - article ; n°4 ; vol.38, pg 884-910

Lucette Valensi

Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1983 - Volume 38 - Numéro 4 - Pages 884-910
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ANNALES_ECONOMIES_SOCIETES_CIVILISATIONS
• Publié le: 01 janvier 1983
• Nombre de lectures: 124
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Lucette Valensi
Le fait divers, témoin des tensions sociales : Djerba, 1892
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 38e année, N. 4, 1983. pp. 884-910.
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Valensi Lucette. Le fait divers, témoin des tensions sociales : Djerba, 1892. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 38e
année, N. 4, 1983. pp. 884-910.
doi : 10.3406/ahess.1983.410966
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1983_num_38_4_410966LE FAIT DIVERS MOIN DES
TENSIONS SOCIALES DJERBA 1892
histoire commence comme un fait divers mineur et banal un vol même
pas un soup on de vol Par une série emboîtements elle se développe sur le
modèle des poupées russes Ou plutôt une amplification elle va connaître
des enchaînements successifs qui vont conduire de Médenine Djerba de
Djerba Sousse et Tunis et de là Paris Au cours de ces rebondisse
ments de affaire plusieurs témoins et protagonistes sont amenés donner
leur version des faits le copieux dossier qui se constitue finissant par rassem
bler des Exercices de style avant la lettre où la teneur et la forme des interven
tions en disent long sur la position et les relations des personnages impliqués
Chemin faisant chacun mettant accent sur ce qui affecte plus directement
divers pans de la réalité locale et régionale sont tour tour révélés activités
économiques rivalités personnelles organisation interne de la communauté
relations de cette communauté avec les autorités tunisiennes et administration
coloniale etc Le premier mérite du dossier que nous ouvrons ici est de nous
faire saisir comment fonctionne la société au niveau local Le fait divers permet
donc historien de faire cette coupe dans le réel dont parlait déjà Lucien
Febvre Dimension supplémentaire dans le cas précis il révèle comment le
groupe réagit au système colonial On connaît les formes et les moments de la
résistance indigène ce système mais il est plus rare de les saisir dans les mino
rités ethniques et religieuses et leur échelle Ici on verra les juifs de Djerba
déployer une stratégie laquelle ils se conformeront par la suite au cours des
crises répétées qui éclatent entre la communauté et les agents du pouvoir colo
nial
épisode ouvert en octobre 1892 achève en janvier 1893 Dans les
archives administratives et judiciaires le dossier se referme Mais Djerba près
un siècle plus tard on en parle encore non pas dans les termes que les
archives officielles ont conservés mais dans ceux que la mémoire collective
organisés Que se remémore-t-on Djerba et pourquoi est une autre série
de questions que soulève affaire de 1892 celles des usages sociaux du fait
divers et de la mémoire collective
884 DJERBA 1892 L.VALENSI
Un soup on de vol
Nous sommes Djerba Tunisie) en 1892 île abrite deux communautés
juives Hara Kebira et Hara Sghira Zakine ben Khamous Cohen bijoutier
appartient la première comme tous les bijoutiers djerbiens Il demeure cepen
dant Médenine 80 km de Djerba est que les deux communautés ont
commencé déverser leurs hommes sur le continent où ils créent une série de
colonies qui continueront hui entretenir des relations éco
nomiques matrimoniales intellectuelles avec les communautés-mères Sans
doute peu nombreux encore au moment où histoire se passe ils restent atta
chés la métropole djerbienne et ils rentrent pour les grandes fêtes est pour
quoi en octobre 1892 entre le Nouvel An Rosh Hashana et la fête des
Tabernacles Souccot Zakine est Hara Kebira Or un an plus tôt il avait
employé Médenine Khamous ben Sassi ben Khalifa Bittane Voici ce en
dit Zakine
Khamous ben Sassi est resté pendant un an environ employé chez moi
Médenine comme ouvrier bijoutier raison de 150 piastres par six mois
année écoulée ayant plus de travail lui donner ai dû le renvoyer et il
environ six mois de cela Cet homme est venu Djerba où il ouvert une bou
tique au souk des bijoutiers et il est resté dans cette situation pendant trois mois
ou trois mois et demi Alors ayant eu de nouveau du travail je envoyai cher
cher pour travailler chez moi Il vint Médenine et resta trois semaines employé
la maison comme ouvrier bijoutier Je ai renvoyé non parce que je avais
plus de travail mais parce que le nommé Yacoub Soufir étant venu Médenine
et ayant vu dans ma boutique dit que mon ouvrier Khamous Djerba lui
avait vendu deux lingots argent Comme différentes reprises je étais
aper il me manquait quelques morceaux argent je me bornai le ren
voyer de chez moi ayant que des soup ons sans aucune preuve matérielle
ai oublié de dire que lors du premier départ de Khamous de chez moi son
père Sassi qui habitait Médenine vint me dire un jour en se plaignant
amèrement Voyez ce que fait mon fils il ouvert une boutique Djerba et
acheté des lingots argent crédit Lorsque je vins Djerba je rencontrai
Khamous qui je dis que son père était pas satisfait de ce il avait acheté
des lingots crédit Khamous me répondit que cela ne regardait pas son père
Lui ayant demandé où il avait acheté les lingots crédit il ne voulut pas me le
dire Les renseignements donnés par Yacoub Soufir et les paroles du père de
Khamous et de ce dernier me firent supposer que avais été volé par lui et
lorsque je vins pour la fête je suis allé trouver les rabbins
Ainsi Zakine inquiète de la réussite trop rapide un bijoutier il eu
son service il le soup onne de vol et va en ouvrir aux rabbins djerbiens Com
ment Khamous et son père expliquent-ils la situation du premier et la prove
nance des lingots argent est abord le père qui exprime
Je ai pas volé ces lingots Je les ai achetés il deux ans un charretier
arabe qui transporte des marchandises de Gabes Médenine Je les ai achetés
en deux fois la première fois deux lingots pour 20 francs et environ quinze
885 FAIT DIVERS FAIT HISTOIRE
jours après ai acheté les deux autres pour 25 francs Je ne connais pas le nom
de ce charretier
Ce fait-il toujours le transport des marchandises de Gabes Méde-
nine
Non depuis cette époque est-à-dire depuis il vendu ces quatre lin
gots il est plus revenu Médenine et ignore est mort ou vivant
Vous dites que vous avez donné ces lingots votre fils quelle époque les
lui avez-vous remis
était la fin des fêtes il de cela six mois
Nous sommes hui au mois octobre était donc la fin avril ou
vers les premiers jours de mai
Je ne sais pas je sais il environ six mois
Est-ce au moment où votre fils Khamous quitté son patron Zakine Cohen
époque de la grande fête des Fetaira Zakine mon fils ma femme et moi
nous sommes venus la Hara Kebira pour passer les dites fêtes Au moment où
Zakine après les fêtes allait partir pour Médenine il dit mon fils il
avait pas de travail pour occuper de rester Djerba et que il aurait
de nouveau besoin de lui il le ferait venir Voyant mon fils sans place je lui
donnai 50 piastres pour acheter des outils nécessaires et ouvrir une petite bou
tique de bijoutier je lui ai remis quatre lingots argent en lui disant de fabri
quer des bijoux avec Mon fils fait ce que je lui disais
Sassi recommande cependant son fils il est interrogé sur la provenance
de ces lingots de répondre il les achetés intérêt
Pour quel motif avez-vous dit votre fils de déclarer il avait acheté ces
lingots crédit intérêt comme vous dites
est parce que je ne voulais pas que mon fils fît connaître que je les avais
achetés bas prix
est-ce pas parce que ces lingots proviennent un vol que vous savez
ils ont été volés
Sassi ne répond rien et autre poursuit
Vous feriez mieux de dire la vérité Comme ces lingots proviennent évidem
ment un vol vous avez fait le receleur en les achetant vil prix ou vous les
avez volés vous-même Vous ne voulez pas faire connaître celui qui vous les
vendus par conséquent dans un et dans autre cas vous êtes complice des
auteurs du vol et vous serez puni
Lorsque vous avez quitté la Hara pour aller vous établir Médenine
vous étiez pauvre dans la misère comment se fait-il présent vous ayez des
malles garnies de linge de vêtements et votre famille des grains et des
provisions
Avant aller Médenine avais une petite boutique où je vendais au détail
des étoffes et des marchandises que je prenais en gros chez Chouchane Cohen
Isaac Saadoune et chez autres négociants mais comme les affaires allaient
pas bien je me suis rendu Médenine où a