Le goût et la nécessité : sur l usage des graisses dans les cuisines d Europe occidentale (XIVe-XVIIIe siècle) - article ; n°2 ; vol.38, pg 369-401
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Le goût et la nécessité : sur l'usage des graisses dans les cuisines d'Europe occidentale (XIVe-XVIIIe siècle) - article ; n°2 ; vol.38, pg 369-401

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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1983 - Volume 38 - Numéro 2 - Pages 369-401
Taste and Necessity : Some Thoughts about the Use of Fats in Western European Cooking (14h-l6th centuries)
To what extent do the culinary practices of a society and the changes in these practices depend on its tastes and to what degree are they conditioned by constraints clearly perceived as such ? The shift from the spicy and acid seasonings used in the late Middle Ages to the fatty seasonings of classic European cuisine seems to have been caused by changing tastes, and not by a change in the availability of certain foodstuffs. But the shift from cooking with oil in the 14th and 15th centuries ( a low-fat cuisine) to cooking with butter in the 17th to 20th centuries was connected with the lifting of certain religious restrictions that had been very unpopular in the non-Mediterranean regions of Europe and had failed to change the patterns of taste in those regions (in contrast, as we know, the dietary rules of other religions, such as those of Jewish and Moslem society, have had lasting effects on patterns of taste).
33 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Jean-Louis Flandrin
Le goût et la nécessité : sur l'usage des graisses dans les
cuisines d'Europe occidentale (XIVe-XVIIIe siècle)
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 38e année, N. 2, 1983. pp. 369-401.
Abstract
Taste and Necessity : Some Thoughts about the Use of Fats in Western European Cooking (14h-l6th centuries)
To what extent do the culinary practices of a society and the changes in these practices depend on its tastes and to what degree
are they conditioned by constraints clearly perceived as such ? The shift from the spicy and acid seasonings used in the late
Middle Ages to the fatty seasonings of classic European cuisine seems to have been caused by changing tastes, and not by a
change in the availability of certain foodstuffs. But the shift from cooking with oil in the 14th and 15th centuries ( a low-fat cuisine)
to cooking with butter in the 17th to 20th centuries was connected with the lifting of certain religious restrictions that had been
very unpopular in the non-Mediterranean regions of Europe and had failed to change the patterns of taste in those regions (in
contrast, as we know, the dietary rules of other religions, such as those of Jewish and Moslem society, have had lasting effects
on patterns of taste).
Citer ce document / Cite this document :
Flandrin Jean-Louis. Le goût et la nécessité : sur l'usage des graisses dans les cuisines d'Europe occidentale (XIVe-XVIIIe
siècle). In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 38e année, N. 2, 1983. pp. 369-401.
doi : 10.3406/ahess.1983.410982
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1983_num_38_2_410982LE GO ET LA CESSIT SUR USAGE DES GRA/SSES
dans es cuisines Europe occidentale fX/V-XV///0 siècle
Nos goûts entretiennent des rapports évidents avec nos pratiques alimentaires
Nous disons je mange ceci je cuisine comme cela parce que est bon
parce que aime anthropologue ou historien inverse tendance dire
que le goût de chacun été formé par éducation il re ue et que la diversité des
goûts nationaux ou régionaux reflète la diversité des pratiques alimentaires Au
reste de quelque manière il se représente ces relations celui qui veut connaître
les goûts une communauté humaine va généralement étudier ses pratiques
alimentaires phénomène objectif relativement facile observer
Le malheur est que le goût est pas purement et simplement la face
psychologique des comportements alimentaires Nos aliments et notre cuisine ne
sont pas forcément ceux que nous préférons Nombreux sont les voyageurs
anciens ou modernes qui ont du goût pour des nourritures étrangères et les
préfèrent même parfois celles de leur patrie Et ces réactions ne sont pas seulement
individuelles des peuples entiers hier comme hui ont admis la supé
riorité culinaire un autre peuple Voyez par exemple la réputation de la cuisine
catalane aux xi ve etxve siècles ou celle de la cuisine fran aise depuis le xvne siècle
Ce que nous aimons ou pouvons aimer ne se restreint pas ce que nous avons
habitude de manger
un autre côté les pratiques elles aussi sont plus étendues que le goût Il
arrive de manger des sandwichs scandaleux dans les trains fran ais ou infâmes
croque-monsieurs la cafétéria de mon université Or il serait parfaitement injuste
voir une manifestation de mon goût personnel ou même je espère du
goût fran ais contemporain est par contrainte que nous mangeons ces choses
abjectes avec plus ou moins de dégoût de fureur ou de résignation selon notre
tempérament parce elles nous sont imposées par des puissances pas toujours
faciles identifier et moins encore renverser Dans le comportement alimentaire
des peuples comme dans celui des individus il faut donc distinguer la part du goût
et la part de la nécessité
Troisième difficulté on peut faire par goût ce qui nous est imposé Je suis
friand de poisson et fais mes jours gras des maigres et mes fêtes des jours déjeune
369 SAVOIR-FAIRE SAVOIR-VIVRE
écrivait Montaigne Sans doute a-t-il pas été seul manger par plaisir ce qui dans
le système alimentaire chrétien était nourriture de jeûne et de deuil De même
peut-on croire que est par goût que le Méditerranéen assaisonne sa nourriture
huile olive ou que esquimau participe une orgie de phoque cru faisandé
même si des contraintes climatiques et culturelles évidentes les incitent
La question est finalement de savoir dans quelle mesure le goût un peuple
été modelé par ses pratiques alimentaires traditionnelles elles-mêmes tributaires
de contraintes diverses et dans quelle mesure au contraire pratiques et goûts se
sont opposés En outre une transformation des est attestée il
importe établir si le goût suscitée suivie ou est opposé
Telle est la perspective ensemble dans laquelle inscrit cet article Mais pour
lui conserver des dimensions raisonnables je limiterai observation ce qui
concerne les graisses dans les cuisines Europe occidentale entre le xi ve siècle et le
xviue siècle est un secteur observation que autres historiens ont déjà
prospecté Mais il me paraît loin être épuisé
La cuisine grasse goût et pratique
Cherchons abord si on cuisinait autrefois plus ou moins gras aujourdhui
et si en cela le goût accordait avec la pratique
La première pièce verser au débat sera le témoignage des proverbes tel il
apparaît issue une recherche trop rapide De ceux qui ont été collectés aux
xixe et xxe siècles dans les diverses régions de France huit abordent le sujet deux
champenois deux franc-comtois deux proven aux un gascon et un breton et
tous vantent le gras Je en ai trouvé aucun qui prêche en sens contraire si peu
que ce soit Quant mes trois proverbes des xvie et xvne siècles ils sont tous trois
hostiles la cuisine grasse il est clair que ce est pas un point de vue
gastronomique ni diététique mais par simple prudence économique En fait
indirectement ils attestent le goût de chacun pour la cuisine grasse car si on ne
avait pas aimée il aurait pas été besoin de mettre en garde contre elle
Mais que signifie grasse cuisine puisque est expression qui revient dans
deux de nos trois proverbes anciens Aux xixe et xxe siècles les proverbes
emploient gras et graisse au sens propre Ceux des xvie et xvne siècles
semblent au contraire avoir dit grasse cuisine pour bonne cuisine cuisine
riche et abondante cuisine pour gourmand ils restent intéressants pour
notre propos est finalement par cet emploi symbolique du mot gras le gras dans
cette société opposait au maigre comme abondance la pénurie la fête au jeûne
et la pénitence la joie au deuil On vient entendre Montaigne employer gras
dans ce sens et on pourrait joindre au sien innombrables témoignages Mais cela
suffit-il prouver que ceux qui usaient du mot gras de cette manière aimaient
réellement les nourritures grasses est autant moins évident que les jours
gras se caractérisaient par la consommation de viande non par la consommation
de graisse Pourvu on utilisât de huile ou du beurre on pouvait les jours
maigres préparer des nourritures aussi grasses aux jours gras Et
inversement cuisiner en gras impliquait pas forcément emploi de grandes
quantités de graisse
Un fait cependant semble confirmer sans ambiguïté le goût de nos pères pour
une alimentation grasse est que dans le uf comme dans le porc et sans doute
370 J.-L FLANDRIN DES GRAISSES ALIMENTAIRES
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371 SAVOIR-FAIRE SAVOIR-VIVRE
le mouton le gras valait toujours plus cher que le maigre Cela nous est attesté par
exemple par les marchés de pourvoierie du roi et de quelques grands seigneurs
depuis la fin du xvie siècle au début du xvine siècle Malgré oscillation des
prix le rapport de celui du gras celui du maigre est constamment compris entre
et tout au long de la période considérée cf tableau Si ailleurs
on peut supposer il était déjà bien avant 1595 et il est resté au-delà de
1711 Mais quelle que soit époque laquelle ce rapport est renversé il est clair
aujourdhui le gras coûte infiniment moins que le maigre et que nous
demandons généralement au boucher ou au charcutier de nous enlever lorsque
nous achetons de la viande ou du jambon est-ce pas la preuve définitive que nos
pères aimaient manger plus gras que nous
Ce est pas évident du tout Le rapport entre offre et la demande de graisse
certainement varié mais est-ce essentiellement par suite une diminution de la
demande ou plutôt par suite une augmentation de offre Les animaux <

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