Le nouvel aristocrate - article ; n°70 ; vol.20, pg 47-58
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Description

Romantisme - Année 1990 - Volume 20 - Numéro 70 - Pages 47-58
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Wladimir Troubetzkoy
Le nouvel aristocrate
In: Romantisme, 1990, n°70. pp. 47-58.
Citer ce document / Cite this document :
Troubetzkoy Wladimir. Le nouvel aristocrate. In: Romantisme, 1990, n°70. pp. 47-58.
doi : 10.3406/roman.1990.5698
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1990_num_20_70_5698Wladimir TROUBETZKOY
Le nouvel aristocrate
I. L'EMERGENCE
Au lendemain de la Révolution française et de l'Empire, les écrivains dans
toute l'Europe se retrouvent comme propulsés aux rangs les plus en vue de la so
ciété. Celle-ci, en effet, au moins en France, vient de se décapiter elle-même : les
élites anciennes sont décimées, ce qui en reste est déconsidéré, les élites récentes
sont compromises, celles en place, bourgeois restaurés sinon rassurés en France,
aristocraties et bureaucraties encore effrayées par les débordements récents, sont
sans prestige, la relève qui se prépare dans l'ombre des cénacles inconnus, alors
que l'on vient de traverser « sans profit des abîmes de crimes et des tas de
gloire », ont comme perspective pour tout le siècle à venir de relever l'œuvre...
de la Constituante \
En réalité, la situation au début du XDCe siècle, comme Alexis de Tocqueville
Га fort bien montré pour la France dans L'Ancien Régime et la révolution, paru
en 1856, n'est pas si nouvelle qu'elle a pu longtemps le paraître. La continuité,
en France, avec l'ancien monde depuis les décennies centrales du XVIIIe siècle est
démontrée, elle rapproche la France, incontestablement rénovée sur bien des
plans, du reste de l'Europe, qui a été mise en mouvement elle aussi : « les philo
sophes » régnaient vers 1760 sans partage sur les esprits, et ce sont leurs lec
teurs, leurs sectateurs des « clubs » par exemple, qui ont déclenché 1789, pris le
pouvoir effectif en 1793, jeté la Révolution à l'assaut de l'Europe, pour rappro
cher, de force s'il le fallait, la cité existante de la « société imaginaire » conçue
par la raison, tracée au cordeau de géomètre, passée au niveau de la justice, et ne
souffrant pas plus la discussion qu'un théorème de mathématiques. Si, en France,
la « philosophie » passe à l'action, dans le reste de l'Europe, jusqu'à la lointaine
Saint-Pétersbourg, les Lumières sont perçues et suivies avec une attention soute
nue, jusque dans les cours impériales : l'Europe entre dans l'ère du soupçon et
dans le siècle des complots 2.
Mais, en 1815, quand l'océan des peuples semble rentrer dans ses bords, ceux
que bientôt on appellera les « romantiques » se détournent des élans de naguère,
et s'intéressent à de vieilles idoles récemment encore jugées odieuses ou obsol
ètes ; religion, monarchie et même aristocratie, passé récent ou très ancien
(Moyen Age) fournissent à l'imaginaire poétique de féconds sujets d'inspiration :
le vieux monde a-t-il rattrapé le nouveau ? La palingénésie, malgré les efforts d'un
Ballanche, s'avère d'emblée impossible, mais ces conceptions du monde, qui
avaient semblé soudain, à la fin du siècle précédent, si anciennes, redeviennent
actuelles et interpellent qui veut reconstruire le monde sur les débris du passé :
l'incroyable succès de Chateaubriand, de son Génie du christianisme, son espoir de
marier la monarchie et le siècle, doivent se comprendre dans ce contexte. Le jeune
ROMANTISME n°70 (1990 - IV) 48 Wladimir Troubetzkoy
Victor Hugo n'est-il pas, comme tout le monde, monarchiste, ne va-t-il pas à la
messe et, oublieux de son père, comte d'Empire, ne célèbre-t-il pas sa mère
« vendéenne » ?
Les lettres en quête d'une figure
« Etre Chateaubriand ou rien ! » s'exclame le même jeune Hugo, écho so
nore de son temps : si l'on prétend à l'existence, on ne peut se placer que dans le
sillage de l'Enchanteur mûrissant qui traîne les esprits après lui depuis bientôt
vingt années. L'alternative, si vivement formulée par Hugo, est simple : hors de
la voie signalée par le noble Vicomte de lettres, René toujours en exil, condamné
à ne jamais pouvoir se réintégrer soi-même en réintégrant un destin dont la tou
rmente historique l'a spolié à jamais, il y a le siècle, la France restaurée des profi
teurs de la Révolution et de l'Empire. Des bourgeois, autant dire rien : entre deux
néants, celui de la matière et celui du rêve, il faut choisir le plus intéressant, le
plus digne, ce sera l'aristocratique délaissement
En ces temps où l'humanité européenne a l'impression d'avoir perdu de vue
pour toujours les anciens parapets et d'aborder à un nouveau rivage, on regrette
l'ancien bord : René, quoi qu'il en dise, est bien l'homme de son siècle démarré.
Le siècle est son royaume, vaste désert d'hommes qui fait du poète un aristocrate
malgré lui.
Jamais autant, en outre, alors que l'on vient de passer le niveau, on n'aura
voulu se donner une aristocratie, mais qui soit celle, enfin, des vrais mérites : un
certain idéalisme démocratique (à chacun selon ses mérites) rejoint une certaine
conception de la meritocratic (une société se juge à la manière dont elle honore les
supériorités qui apparaissent en son sein) ; mais l'idée même d'aristocratie est-elle
encore supportable, et pourquoi le mérite aurait-il besoin de s'anoblir ? Le XXe
siècle tranchera cette question. L'aristocratie historique d'antan elle-même devient
l'objet d'une nostalgie qui peut surprendre, mais sur les concepts anciens on veut
penser du nouveau : c'est à la peinture de ces milieux aristocratiques qui
n'existent presque plus que Balzac le « réaliste » accorde une place si importante
dans sa Comédie humaine, un peu comme à un rêve qu'on fait revenir sans cesse
pour le refaire plus beau. Pourquoi cette obsession ?
Les écrivains anoblissent leurs personnes. Non plus sages « philosophes »,
hiérarques diserts de la déesse Raison, mais poètes et romanciers, nombreux sont
les Romantiques d'origine noble, encore plus nombreux ceux qui se font nobles,
et non des moindres. Chateaubriand, Vigny, Musset, Lamartine, Hugo sont
nobles de naissance, mais d'autres se gentilhommisent, à outrance parfois : le
robuste fils Balzac ou le bourgeois jacobin Stendhal, par exemple ; et le délicat
Gérard Labrunie recourt même à la métempsycose pour se donner des aïeux, car il
pense que le poète a une généalogie noble, il est, en tant que poète, d'une race à
part, « prince d'Aquitaine à la tour abolie ».
Figure prégnante de cet avatar inattendu du poète dans le monde nouveau,
c'est le Vlème Lord Byron, le Prince des Poètes européens, qui inaugure et auto
rise cette conception aristocratique de la poésie, et tout Romantique est un peu
Byron 3. nouvel aristocrate 49 Le
Ni « féodaux » chassés de leurs bois et de leurs anciens privilèges venus s'en
tailler de nouveaux la plume à la main, ni déclassés trop heureux de s'agréger à la
corporation besogneuse aux doigts tachés d'encre de la « littérature » de profes
sion 4, certains nobles de lettres apportent à leur siècle et à leurs nouveaux frères
ce qui a fait le meilleur de leur noblesse tombée en déshérence, par exemple « cet
amour plus ferme de la liberté qui appartient principalement à l'aristocratie dont la
dernière heure a sonné » s : Chateaubriand le dit, mais, à l'autre bout de l'Europe,
A. S. Pouchkine le formulera encore mieux. Peut-être doit-on même dater de cette
époque et attribuer à cette migration de nombreux nobles et de l'idée même de no
blesse vers la littérature le relèvement de la figure de l'homme de lettres qui reven
dique ouvertement la distinction et comme une supériorité infuse sur le commun
des mortels qui, s'il sait parfois (le) lire, ne sait pas écrire : ce dernier des aristo
crates est-il bien mort de nos jours ?
On se tromperait beaucoup en croyant voir dans cette mutation de la
« littérature » une sorte de « réaction nobiliaire », tout d'abord parce que ces
nobles de lettres rel&

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