Le peuple de l image. Les Juifs et l art - article ; n°3 ; vol.56, pg 665-684
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Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 2001 - Volume 56 - Numéro 3 - Pages 665-684
Le peuple de l'image. Les Juifs et l'art (E. Horowitz). À l'occasion de la publication récente, en langue anglaise, de cinq ouvrages traitant des divers aspects de la relation entre les Juifs et l'art, particulièrement dans l'Europe médiévale et moderne, cet article se propose d'examiner certains des fondements des discours, académique et populaire, à ce sujet. Dans son ouvrage The Artless Jew, Kalman Bland constate qu'au xixe et au début du xxe siècle l'opinion était répandue, aussi bien parmi les Juifs que chez les non-Juifs, que les premiers avaient des talents artistiques limités — ceci étant dû à un trait caractéristique de leur culture ou à l'héritage tenace de leur religion prônant l'aniconisme. Des vues manifestement antisémites se propagèrent dans certains milieux (auxquels appartenait même le philosophe Bertrand Russell) où l'on estimait les Juifs non seulement incapables de créer des œuvres d'art, mais aussi de les apprécier — sinon pour leur valeur marchande. Il n'est donc pas surprenant que le mouvement sioniste se soit très tôt penché sur le sujet de l'art juif, et que certains de ses partisans (Martin Buber notamment, dont l'un des essais figure dans le recueil Jewish Texts on the Visual Arts) aient soutenu qu'un véritable art juif ne pouvait voir le jour que sur la terre d'Israël. D'autres définitions de l'art juif mettaient plutôt l'accent sur le thème traité. Dans les années 1950, Stephen Kayser y voyait « l'art appliqué au judaïsme », et, plus récemment, dans son livre Jewish Icons, Richard Cohen le concevait comme « l'art reflétant l'expérience juive ». C'est de cette dernière conception que relèvent les monographies récentes de Mark Epstein et de Ruth Mellinkoff sur l'art médiéval européen, qui considèrent tous deux l'art juif plutôt comme un moyen d'expression de conflits que de symboles visuels communs. S 'inspirant de l'approche iconographique de Meyer Schapiro et de Rudolf Wittkower, l'auteur propose pourtant une analyse différente, surtout en ce qui concerne le symbolisme animalier.
The people of image. Jews and art. Using as its point of departure the recent publications (in English) of five books dealing with different aspects of the relationship between Jews and art, especially in medieval and modern Europe, the article examines some of the under spinnings of both academic and popular discourses on the subject. As Kalman Bland notes in The Artless Jew, it was widely accepted in the nineteenth and early twentieth centuries by both Jews and non-Jews alike, that Jews were limited in their ability to create visual art — whether on account of their cultural characteristics or the tenacious heritage of their aniconic religion. In some circles (including even the philosopher Bertrand Russell), a more overtly anti-Semitic discourse developed whereby Jews were seen not only as incapable of creating art, but of appreciating it — except for its commercial value. Not surprisingly, the Zionist movement took an early interest in the subject of Jewish art, and some of its adherents (notably Martin Buber, one of whose essays is included in Vivian Mann's Jewish Texts on the Visual Arts,) expressed the view that true Jewish art could be created only in the land of Israel. Other definitions of Jewish art focused more on subject matter, whether art applied to Judaism as suggested by Stephen Kay ser in the 1950' s , or art as a ?nirror of Jewish life, as suggested more recently by Richard Cohen in his Jewish Icons. How the Jewish experience in medieval Europe was reflected in art is the subject of recent monographs by Mark Epstein and Ruth Mellinkojf, both of whom see Jewish art more as a battleground than as a terrain of shared visual symbols. Following the iconographie methods, Meyer Schapiro and Rudolf Wittkower, however, the author suggests a different approach, especially with regard to animal symbolism.
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2001
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Elliott Horowitz
Pauline Baggio
Le peuple de l'image. Les Juifs et l'art
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 56e année, N. 3, 2001. pp. 665-684.
Citer ce document / Cite this document :
Horowitz Elliott, Baggio Pauline. Le peuple de l'image. Les Juifs et l'art. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 56e année, N.
3, 2001. pp. 665-684.
doi : 10.3406/ahess.2001.279975
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2001_num_56_3_279975Abstract
The people of image. Jews and art. Using as its point of departure the recent publications (in English) of
five books dealing with different aspects of the relationship between Jews and art, especially in
medieval and modern Europe, the article examines some of the under spinnings of both academic and
popular discourses on the subject. As Kalman Bland notes in The Artless Jew, it was widely accepted in
the nineteenth and early twentieth centuries by both Jews and non-Jews alike, that Jews were limited in
their ability to create visual art — whether on account of their cultural characteristics or the tenacious
heritage of their "aniconic" religion. In some circles (including even the philosopher Bertrand Russell), a
more overtly anti-Semitic discourse developed whereby Jews were seen not only as incapable of
creating art, but of appreciating it — except for its commercial value. Not surprisingly, the Zionist
movement took an early interest in the subject of Jewish art, and some of its adherents (notably Martin
Buber, one of whose essays is included in Vivian Mann's Jewish Texts on the Visual Arts,) expressed
the view that true Jewish art could be created only in the land of Israel. Other definitions of Jewish art
focused more on subject matter, whether "art applied to Judaism" as suggested by Stephen Kay ser in
the 1950' s , or "art as a mirror of Jewish life", as suggested more recently by Richard Cohen in his
Jewish Icons. How the Jewish experience in medieval Europe was reflected in art is the subject of
recent monographs by Mark Epstein and Ruth Mellinkojf, both of whom see Jewish art more as a
battleground than as a terrain of shared visual symbols. Following the iconographic methods, Meyer
Schapiro and Rudolf Wittkower, however, the author suggests a different approach, especially with
regard to animal symbolism.
Résumé
Le peuple de l'image. Les Juifs et l'art (E. Horowitz). À l'occasion de la publication récente, en langue
anglaise, de cinq ouvrages traitant des divers aspects de la relation entre les Juifs et l'art,
particulièrement dans l'Europe médiévale et moderne, cet article se propose d'examiner certains des
fondements des discours, académique et populaire, à ce sujet. Dans son ouvrage The Artless Jew,
Kalman Bland constate qu'au XIXe et au début du XXe siècle l'opinion était répandue, aussi bien parmi
les Juifs que chez les non-Juifs, que les premiers avaient des talents artistiques limités — ceci étant dû
à un trait caractéristique de leur culture ou à l'héritage tenace de leur religion prônant l'aniconisme. Des
vues manifestement antisémites se propagèrent dans certains milieux (auxquels appartenait même le
philosophe Bertrand Russell) où l'on estimait les Juifs non seulement incapables de créer des œuvres
d'art, mais aussi de les apprécier — sinon pour leur valeur marchande. Il n'est donc pas surprenant que
le mouvement sioniste se soit très tôt penché sur le sujet de l'art juif, et que certains de ses partisans
(Martin Buber notamment, dont l'un des essais figure dans le recueil Jewish Texts on the Visual Arts)
aient soutenu qu'un véritable art juif ne pouvait voir le jour que sur la terre d'Israël. D'autres définitions
de l'art juif mettaient plutôt l'accent sur le thème traité. Dans les années 1950, Stephen Kayser y voyait
« l'art appliqué au judaïsme », et, plus récemment, dans son livre Jewish Icons, Richard Cohen le
concevait comme « l'art reflétant l'expérience juive ». C'est de cette dernière conception que relèvent
les monographies récentes de Mark Epstein et de Ruth Mellinkoff sur l'art médiéval européen, qui
considèrent tous deux l'art juif plutôt comme un moyen d'expression de conflits que de symboles visuels
communs. S 'inspirant de l'approche iconographique de Meyer Schapiro et de Rudolf Wittkower, l'auteur
propose pourtant une analyse différente, surtout en ce qui concerne le symbolisme animalier.EXISTE-T-IL UN ART JUIF ?
LE PEUPLE DE L'IMAGE : LES JUIFS ET L'ART
Elliott Horowitz
En novembre 1894, Bertrand Russell, écrivant de Paris à sa fiancée Alys
Pearsall Smith, s'exprimait à propos d'un ami juif de sa sœur Mary, qu'il
avait rencontré la veille pour le thé. Même si Russell avait apprécié son
interlocuteur érudit, « directeur du Louvre ou quelque chose de ce genre »,
le jeune philosophe n'avait pu s'empêcher d'ajouter qu'il avait « l'instinct
mercantile des Juifs et ne s'intéressait à l'art qu'en tant que profession1 ».
Cependant, sa future belle-sœur éprouvait nettement moins de réserves à
l'égard des Juifs dont les liens avec l'art étaient surtout d'ordre professionn
el. En 1891, Mary Pearsall Smith avait scandalisé sa famille (de riches
quakers de Philadelphie venus s'installer en Angleterre) en abandonnant
son mari et ses deux petites filles pour s'enfuir en Italie avec un jeune
diplômé de Harvard et amateur d'art: Bernhard Berenson. Russell, qui
exprimait, dans sa lettre de 1894, la conviction plutôt désobligeante que
les relations de la sœur d'Alys avec Berenson étaient « presque purement
mercenaires », éprouvait à l'évidence des sentiments mitigés à l'égard de
ce brillant jeune homme d'origine lithuanienne qui allait devenir par la
suite son beau-frère: « Mariechen ne cessait de me comparer à В. В.,
écrivit-il à sa fiancée quelques semaines plus tard, ce qui a tout l'air d'un
compliment de sa part, quoi qu'il en soit réellement2. »
Bertrand Russell n'était pas le seul à éprouver une méfiance non dissimul
ée à l'égard des Juifs professionnels de l'art. En 1933, l'année de l'arrivée
d'Hitler au pouvoir, un autre Anglais, empruntant le pseudonyme de
H. S. Ashton, opposait de façon sarcastique les limites des Juifs dans le
domaine visuel et leur (soi-disant) domination du marché de l'art : « Étant
donné leur incapacité à produire des œuvres d'une nature artistique durable,
écrivait-il, on pourrait presque dire que l'intérêt que les Juifs portent aux
1. Nicholas Griffin (éd.), The Selected Letters of Bertrand Russell, Boston, Hougthon
Mifflin, vol. 1, 1992, p. 153.
2. Ibid., pp. 15, 152 et 162.
665
Annales HSS, mai-juin 2001, n° 3, pp. 665-684. LES JUIFS ET L'ART
beaux-arts est d'ordre purement commercial. » Décrivant un marchand de
tableaux, à ses yeux typique, Ashton prétendait que « si vous engagez la
conversation avec lui, il vous [...] expliquera avec quelle précision apparaît
le moindre détail dans les tableaux hollandais et [aussi] l'état du marché de
la peinture à n'importe quelle date au cours des cent dernières années ». Et il
ajoutait, avec une ambiguïté non feinte : « Le Juif est vraiment énigmatique3 ».
Bernhard Berenson, eminent expert et marchand, fut l'un des Juifs les
plus étranges du monde de l'art. Il avait abandonné le judaïsme, avant
d'entrer à l'université de Harvard, pour la confession épiscopalienne, délais
sée, dès l'âge de vingt-cinq ans, en faveur du catholicisme, afin de mieux
comprendre, rappela-t-il par la suite, l'art majeur que celui-ci avait inspiré.
Encore en 1938, il présentait le «problème» juif envers l'art en termes
essentiellement raciaux : « Les Juifs comme leurs cousins ismaéliens les
Arabes et en fait peut-être comme tous les sémites de pure souche (si cela
existe), écrivait Berenson (né Valvrojenski) l'année même de Y Anschluss,
avaient fait preuve de peu de talent dans le domaine visuel et n'en avaient
pratiquement montré aucun dans celui des arts figuratifs ». Il leur revenait
en revanche la splendeur et l'extase du verbe4. Berenson lui-même était un
merveilleux exemple de la virtuosité orale si admirée des Juifs — et de
leur familiarité tant décriée avec la complexité du marché de l'art.
Race, nation ou religion ?
Kalman P. Bland, dans sa recherche des « origine

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