Le pouvoir du mot - article ; n°1 ; vol.25, pg 75-85
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Description

Langage et société - Année 1983 - Volume 25 - Numéro 1 - Pages 75-85
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 12
Langue Français

Extrait

Verena Aebischer
Le pouvoir du mot
In: Langage et société, n°25, 1983. pp. 75-85.
Citer ce document / Cite this document :
Aebischer Verena. Le pouvoir du mot. In: Langage et société, n°25, 1983. pp. 75-85.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lsoc_0181-4095_1983_num_25_1_1961LE POUVOIR DU MOT
Verena Aebischer
II est devenu une chose courante que
d'établir un lien, plus ou moins étroit, entre le langage et
le pouvoir. La conception que l'on peut avoir de la nature du
langage intervient alors dans la façon dont on s'intéresse à
celui-ci soit comme un point de départ soit comme un point
d'aboutissement. Je m'explique: Si l'on présume que le langage
reflète un certain état des choses, un rapport de pouvoir, par
exemple, qui lui sont extérieurs, le point de départ de la
recherche est nécessairement un produit final: un texte ou un
discours dont on repère les indices susceptibles de renseigner
sur la nature de ce rapport. Les nombreuses études, pour pren
dre un exemple, sur l'image ou le statut de la femme dans un
genre littéraire ou dans un discours politique donnés con
cluent généralement à une asymétrie des statuts de l'homme et
de la femme, repérable dans le texte, qui se traduit par une
dépréciation de celle-ci par rapport à celui-là. Le pouvoir de
l'homme sur la femme s'exprimerait alors dans le langage même.
Si l'on présume, cependant, que le langage joue une part
active ou même qu'il crée cette asymétrie, on ne s'intéresse
plus au produit final en tant que tel, mais au langage en
train de faire et de se faire. Ainsi c'est en l'interrompant - - 76
pour le gronder que l'adulte fait comprendre à l'enfant sa po
sition inférieure et qu'il le met à sa place. Et c'est en se
taisant que ce dernier reconnaît l'autorité de l'adulte qui
parle.
Nombre de travaux combinent quelque peu
ces deux versants. Repérant dans le langage - parlé - des
indices marquant un statut social donné - celui d'ouvrier, de
femme, de noir, d'aristocrate - l'utilisation de cet indice
est considérée comme le plus sûr moyen de créer ou de renfor
cer le statut en question. Aussi a-t-on pu parler d'un code
ouvert, d'un parler grammaticalement correct, logiquement
structuré avec une prononciation qui était la bonne et on lui
a opposé un code restreint, un parler grammaticalement défi
cient, mal structuré et incorrectement prononcé. L'utilisation
de l'un ou de l'autre renforcerait ou créerait une position
asymétrique dans l'hiérarchie sociale.
Tous ces travaux étudient la relation
entre pouvoir et langage en se référant simultanément à un
pouvoir social qui existe ou se constitue, mais qui se üitue
à l'extérieur du langage lui-même. Et l'on se demande très
rarement, si le langage, le mot, peuvent constituer un poten
tiel de pouvoir en et par eux-mêmes. Je pense d'une part au
pouvoir des catégories et des stéréotypes où le "label" joue
un rôle extrêmement coercif qui intervient dans notre façon
d'appréhender notre univers jusqu'à moduler même des comporte-
ments. 2 D'autre part, et c'est le propos du présent papier, il
existe des situations dans lesquelles le mot peut exercer un - - 77
direct, presque magique, sur des individus apparemment pouvoir
sensés qui peuvent abandonner toute indépendance bien qu' aucune
force suffisante ne justifie cette démission.
La plupart des gens sont d'accord pour
dire que les normes sociales, l'autorité, les bonnes manières,
les institutions ou les relations peuvent exercer des pressions
auxquelles il est difficile de se soustraire. En revanche, ils
ont tendance à sous^estimer le pouvoir que peuvent exercer des
mots. Nous admettons peut-être encore volontiers que pour des
sociétés dites primitives certains mots ont le pouvoir de tuer.
Nous adoptons, cependant, une attitude singulièrement hésitante
envers le langage pris comme instrument de manipulation chez
nous .
Il est vrai que dans la littérature on
trouve parfois de beaux exemples de manipulations par le mot,
qui est doté de pouvoirs, que le magicien, guérisseur ou magné
tiseur animal utilise souvent à des fins maléfiques, de domi
nation diabolique d'un autre individu. Et il nous revient sûre
ment à la mémoire ces démonstrations d'hypnotiseurs paraissant
sortir du livre de Thomas Mann, Mario et le magicien, qui se
donnent parfois en spectacle dans le music-hall pour montrer
leur extraordinaire puissance sur quelque individu de la salle.
Cet individu exécute alors tout ce qu'on lui demande de faire
sans apparemment s'en rendre compte ou en garder le souvenir
exact. Il aura chaud et se déshabillera, il aura froid et se
rhabillera, les membres de son corps se raidiront sur le simple
ordre du "magicien". - - 78
bien des expériences pratiques Toutefois,
et en laboratoire nous ont montré que pratiquement tout indivi
du "normalement" constitué peut répondre positivement à ce
qu'il convient d'appeler des suggestions verbales directes.
Des malades qui souffrent d'un cancer peuvent apprendre à ré
primer la douleur à l'aide de consignes verbales administrées
sous hypnose pour ne plus être sous la dépendance de morphine.
La suggestion verbale s'est révélée efficace dans des cas de
paralysie, de dysphonie, d'insomnie, de maladies respiratoires
et de la peau 4 et bien d'autres encore. On 1 ' a utilisée pour
agir sur les hémorragies et pour arrêter des saignements sur
venus au cours d'interventions chirurgicales opérées sans
anesthésie. Malgré ces exploits le monde médical considère
avec circonspection ces thérapeutes qui obtiennent des résul
tats sans que l'on puisse se les expliquer. Il est perplexe,
comme nous d'ailleurs, devant les effets placebo, car des ma
lades à qui l'on disait qu'un comprimé inactif leur ferait du
bien, éprouvaient autant de soulagement que ne l'eût fait un
médicament actif.
Alors que l'on peut comprendre que la mé
decine moderne s'oppose à ce genre de phénomènes puisque l'une
de ses fonctions consiste à remplacer la foi par les faits, la
réalité littérale du mot par des forces physiologiques, alors
que l'on peut concevoir aussi pourquoi pour l'homme de la rue,
qui n'en connaît que le côté clinquant, tout cela a une odeur
de soufre, il est plus difficile de comprendre pourquoi,
effectivement, la suggestion verbale produit les effets qu'elle - - 79
et il faut dire que même ses praticiens ne sont pas produit,
vraiment en mesure de le faire.
C'est pour cette raison que j'ai cherché
dans un matériau composé de textes écrits par des thérapeutes
pratiquant l'hypnose ou la sophrologie, d'interviews et de
fumages de séances d'hypnose et de sophrologie, à circonscrire
le jeu de constantes par lesquelles passe une suggestion ver
bale quand elle réussit. Cette tentative n'a aucune prétention
à 1 ' exhaustivité ou à la vérité. Elle est le produit intermé
diaire d'une recherche dont le but a été tout autre et reflète
la surprise de quelqu'un qui un bel après-midi découvre que sa
propre main, posée sur le genou, se met à bouger et à se lever
sur les ordres d'une autre personne inconnue auparavant.
Je me suis alors interrogée sur la nature
de cette relation qui peut s'instaurer entre deux personnes et
en particulier sur l'instrument - le langage - qui la véhicule
en quelque sorte. Sans avoir nécessairement les effets drama
tiques que nous leur connaissons chez Kafka, le verdict, les
mots prononcés par un thérapeute dans le cadre d'une thérapie
peuvent produire, nous l'avons vu, des effets surprenants.
On peut remarquer que dans les situations
thérapeutiques où le mot est utilisé dans le but d'agir, le
langage dont se sert le thérapeute a des caractéristiques bien
particulières.
La voix semble avoir une valeur opératoire
capitale, et son rôle est relevé par nombre de chercheurs in
téressés par ces thérapies (Clark, 1961, Evans, 1967, Weitzen- - - 80
1953). Considérée par les praticiens comme un lien hoffer,
physique entre le malade (ou la personne désirant s'initier à
une telle pr

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