Les rebelles de la thèse

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Extrait

Les rebelles de la thèse

Extrait du Collectif PAPERA

http://www.collectif-papera.org/spip.php?article240

Les rebelles de la thèse

- Témoignages -

Balance ton mandarin -

Date de mise en ligne : vendredi 8 novembre 2002

Date de parution : 23 janvier 2009

Description :

Passe-droits, pistons et injustices : contre la toute-puissance de leurs directeurs de recherche, les thésards s'organisent et tentent d'obtenir un statut.

Collectif PAPERA

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Les rebelles de la thèse

Sommaire

•

Tous les coups sont permis

•

Trouver son gourou

•

Chausse-trappes

Faire de la recherche, enseigner le droit à l'université, Julien* en rêvait depuis le lycée. Alors, quand, à la fin de sa

thèse à Montpellier, ce brillant fils de juristes s'est vu refuser sa qualification au poste de maître de conférences, et

par là même les portes de l'enseignement supérieur, son monde s'est écroulé. «

Ma thèse, ça représente six ans de

travail non-stop sans financement

, confie-t-il,

un isolement total, et près de mille pages de texte.

» Aujourd'hui

directeur administratif d'une maison de retraite à Nîmes, le jeune homme a décidé de ne pas en rester là. Fait unique

dans l'histoire des universités françaises, Julien a décidé d'attaquer sa fac en déposant l'an dernier une requête en

indemnisation devant le tribunal administratif de Montpellier. Motifs : le manque d'encadrement de la part de son

directeur de thèse et la « ségrégation » dont les doctorants, les « quidams » comme lui, font les frais au moment du

recrutement des professeurs. «

Les jeux sont faits d'avance

, affirme-t-il.

Dans la région de Montpellier, si l'on n'est

pas fils d'universitaire et si l'on ne fait pas partie de la haute bourgeoisie, on n'a aucune chance. Le système est

fondé sur le népotisme et la cooptation.

»

Spectaculaire, la démarche de Julien l'est surtout par son audace. Il a osé se battre quand la plupart des doctorants

dans la même situation préfèrent se taire. Nombre d'entre eux, pourtant, soulignent le pouvoir exorbitant des

directeurs de thèse sur leur parcours. Dans le cas de Julien, cela a commencé dès le début. Bien que classé

deuxième de son DEA, il n'a reçu ni bourse ni offre de poste pour faire sa thèse. « Sur les six étudiants qui ont

poursuivi en thèse, trois filles ont été prises comme chargées de TD : la première du classement, une autre en milieu

de liste et… la dernière, qui était la fille d'un avocat de Marseille en affaire avec mon directeur de recherche. »

Une fois sa thèse terminée et malgré une mention « Très honorable », Julien connaît une nouvelle déception. «

Au

moment où j'ai rempli mon dossier pour être maître de conférences, mon directeur de thèse m'a dit que, finalement,

mon travail n'avait pas été convaincant

, explique-t-il, amer.

Or c'est lui qui m'avait donné son accord pour que je

soutienne mon mémoire.

»

L'opacité du recrutement aux postes d'enseignement dans les universités (Ater, moniteurs, chargés de TD, maîtres

de conférences) : voilà

la question qui obnubile les doctorants. En l'absence de textes clairs et d'une obligation de

transparence sur les critères de sélection, tous les coups sont permis ! Les commissions de spécialistes

persisteraient à nommer chaque année le « poulain » d'un directeur, à charge de revanche pour lui, l'année suivante,

de nommer celui des autres. Comme Julien, Cécile* s'est heurtée à ce système : reçue deuxième à Normale sup et

quatorzième à l'agrégation d'histoire, titulaire d'une thèse dirigée par René Rémond, elle pensait être sur la voie

royale de l'enseignement universitaire. Erreur ! Candidate malheureuse à des postes de maître de conférences cinq

ans de suite, sans aucun soutien de son directeur, elle s'est résolue à abandonner sa carrière de prof. « Quand j'ai

postulé dans une fac de province, un des membres du jury m'a appelée le lendemain d'une audition pour m'expliquer

que j'avais eu le tort de parler sans notes et d'être trop bien habillée ! raconte-t-elle. En fait, ils ont préféré un

candidat du cru. A ce titre, l'autonomisation des universités et la régionalisation du recrutement dans les facs ont été

très néfastes : elles ont institutionnalisé les recrutements locaux et les arrangements entre profs de la région. » Dans

son livre « Les secrets de famille de l'université » [

1

], la sociologue Judith Lazar confirme : « Lors du déroulement du

concours de recrutement dans l'enseignement supérieur, les réseaux interviennent ouvertement. Or ces pratiques

demeurent totalement implicites et officieuses. »

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Les rebelles de la thèse

La toute-puissance des directeurs de recherche n'est pas nouvelle, mais le phénomène s'est amplifié depuis

quelques années. Autrefois, en effet, la thèse était l'aboutissement de toute une vie de travail. Depuis la réforme des

doctorats en 1984, elle se déroule aujourd'hui vers 30 ans : un tournant décisif pour la carrière des jeunes

chercheurs, dont beaucoup sont prêts à tous les sacrifices pour pouvoir suivre les traces du maître. L'an dernier, la

pétition du groupe Clashes contre le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur a levé un énorme tabou sur

les pressions qui pèsent sur certaines doctorantes, contraintes de taire les avances dont elles sont l'objet, dans

l'espoir d'une hypothétique carrière universitaire.

Le choix du directeur de thèse est donc essentiel. Et pour réussir à percer, un mauvais directeur de recherche

installé dans la bonne filière vaut mieux qu'un excellent pédagogue dans une filière annexe.

Ainsi, Claire*, doctorante en latin, spécialiste de Pétrarque, a dû se résoudre à quitter en cours de cursus son

directeur pourtant très compétent mais professeur d'italien, pour un autre, moins fort mais latiniste émérite, et donc

plus proche de la communauté universitaire susceptible de la soutenir pour un futur poste. « C'est dommage, confie-

t-elle. Avec le premier, après une séance de travail, je ressortais dopée pour deux mois. Avec le directeur actuel,

l'échange intellectuel n'a rien à voir. Les suggestions qu'il fait sur mon travail tombent systématiquement à plat. »

Dur de trouver son gourou ! Mais comment faire évoluer le système ? En créant un vrai statut du thésard, assure

l'association de la Guilde des doctorants, chapeautée par la Confédération des étudiants chercheurs (CEC). « Il faut

clarifier les relations entre directeur de thèse et doctorant pour éviter les dérives de mandarinat et les conséquences

du manque d'encadrement », insiste Pascal Degiovanni, ancien président de la Guilde des doctorants, qui milite pour

la création d'un statut officiel tel qu'il en existe aux Pays-Bas ou en Allemagne.

Dès 1995, la CEC a mis sur pied une Charte des thèses, adoptée par Claude Allègre trois ans plus tard. Un

document qui met noir sur blanc les droits et les devoirs des deux parties : définition du projet professionnel du

doctorant, sujet et faisabilité de la thèse, durée du travail prévue, encadrement et suivi, publication et valorisation du

mémoire, procédures de médiation en cas de conflit entre le doctorant et son directeur…

Aujourd'hui, quelque 50 à 60 % des établissements français appliqueraient ce texte plus ou moins scrupuleusement.

Un bon point. Mais cette charte, qui n'a pas la valeur contraignante d'un contrat, ne règle pas tout. Loin de là ! Ainsi,

faute d'un bon encadrement et de financement suffisant, le taux d'abandon des thèses reste encore très élevé : 55 %

des littéraires jettent l'éponge, contre 15 % en physique-chimie, et 20 % dans les autres disciplines. «

Trop souvent,

le directeur de thèse propose à son thésard un sujet trop large en lui demandant d'explorer une nouvelle piste qui ne

débouche sur rien

», estime Pascal Degiovanni. Sans parler des chausse-trappes bien connues : pillage intellectuel,

sabordage intentionnel, mise au placard tactique…

Rien d'étonnant à ce que, de plus en plus nombreux, les apprentis chercheurs se tournent vers l'étranger, et

notamment les Etats-Unis. Les universités sont-elles prêtes à faire leur aggiornamento ? On en est loin. Et la

diminution des crédits alloués à la recherche par le gouvernement Raffarin n'est pas de bon augure

Ariane Singer

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Les rebelles de la thèse

* Certaines personnes n'ont accepté de témoigner que sous le sceau de l'anonymat.

© grandes ecoles 08/11/02 - N°1573 - Page 2 - 1272 mots

[

1

] «

Les secrets de famille de l'université

» (éd. Les Empêcheurs de tourner en rond).

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