Mémoire de master 1 de géographie, spécialité mondialisation et développement, dirigé par Prof. Brigitte Bertoncello et M.C Boris Grésillon, soutenu le 21 Septembre 2010 La gentrification, comprise comme un des processus majeurs de restructuration des centralités contemporaines, semble se distinguer d‘autres formes d‘appropriation de l‘espace urbain par un groupe social, en ce qu‘elle articule des dynamiques résidentielles locales à trois éléments caractéristiques de la mondialisation, à savoir : la libéralisation des marchés immobiliers, la diffusion de modèles socioculturels, architecturaux et esthétiques dominants ainsi que l‘accélération des flux humains, financiers et d‘information (Diaz, 2008). La diffusion de ce processus du haut vers la bas des hiérarchies urbaines, des pays du Nord vers les pays du Sud (Smith, 2001) semble affirmer l‘avènement de nouvelles formes de gouvernance urbaine ainsi que l‘émergence de nouveaux processus d‘exclusion sociale et culturelle. Ce mémoire explore des possibilités méthodologiques mais aussi des propositions théoriques afin d‘argumenter la viabilité du concept de gentrification, notamment dans son emploi pour l‘analyse des transformations urbaines du centre-ville de Marseille.
Les transformations urbaines du centre-ville marseillais: la
gentrification en question
David MATEOS ESCOBAR
Mémoire de master 1 de géographie, spécialité mondialisation et
développement soutenu le 21 Septembre 2010
Jury composé de :
Prof. Brigitte Bertoncello (co-directrice)
M.C Boris Grésillon (co-directeur)
Université de Provence (Aix-Marseille I)
UFR des Sciences Géographiques et
de l’Aménagement
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Résumé
La gentrification, comprise comme un des processus majeurs de restructuration
des centralités contemporaines, semble se distinguer d‘autres formes
d‘appropriation de l‘espace urbain par un groupe social, en ce qu‘elle articule des
dynamiques résidentielles locales à trois éléments caractéristiques de la
mondialisation, à savoir : la libéralisation des marchés immobiliers, la diffusion de
modèles socioculturels, architecturaux et esthétiques dominants ainsi que
l‘accélération des flux humains, financiers et d‘information (Diaz, 2008). La
diffusion de ce processus du haut vers la bas des hiérarchies urbaines, des pays
du Nord vers les pays du Sud (Smith, 2001) semble affirmer l‘avènement de
nouvelles formes de gouvernance urbaine ainsi que l‘émergence de nouveaux
processus d‘exclusion sociale et culturelle.
Ce mémoire explore des possibilités méthodologiques mais aussi des propositions
théoriques afin d‘argumenter la viabilité du concept de gentrification, notamment
dans son emploi pour l‘analyse des transformations urbaines du centre-ville de
Marseille.
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Remerciements
Nous tenons à remercier de façon très sincère et respectueuse nos directeurs
Brigitte Bertoncello et Boris Grésillon pour avoir essayé de toutes leurs forces de
nous « mettre dans les normes » de cet exercice de style qu‘est le mémoire.
Nous remercions également l‘équipe de l‘association CVPT qui nous introduit à de
nombreuses questions concernant le logement à Marseille, mais aussi pour
l‘intérêt qu‘ils ont porté à mes travaux et l‘ouverture d‘esprit (toujours critique) qu‘ils
ont témoigné. Je leur remercie aussi pour m‘avoir fait comprendre que ce n‘était
pas le réinvestissement des quartiers qui était mauvais en soit, mais plutôt les
procédures et les objectifs qui sont très souvent poursuivis.
Nous allons limiter les remercîments à Jerrosk Tlalabas pour son soutien
inconditionnel dans les moments psychologiquement plus déstabilisants et pour
ces observations toujours pertinentes et humaines, et bien sur, merci aux
collègues de La PLAGE et de l‘association Géographiques pour le plaisir de faire
la géographie avec les pieds !
Notre plus grande reconnaissance va dirigée à Maria, qui nous a accompagné
pendant de longues nuits blanches, mais surtout qui depuis quelques années a
toujours su nous supporter.
Merci, Ma, Al, Roco et Dr. Escobar.
Ce travail est dédicacé à la mémoire de Briones
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Introduction
Ce mémoire prétend explorer différentes possibilités pour aborder les
transformations urbaines contemporaines des centres-villes, en particulier à partir
de la question de la gentrification.
Comprise comme un des processus majeurs de restructuration des centralités
urbaines, la gentrification semble se distinguer d‘autres formes d‘appropriation de
l‘espace urbain par un groupe social, en ce qu‘elle articule des dynamiques
résidentielles locales à trois éléments caractéristiques de la mondialisation, à
savoir : la libéralisation des marchés immobiliers, la diffusion de modèles
socioculturels, architecturaux et esthétiques dominants ainsi que l‘accélération des
flux humains, financiers et d‘information (Diaz, 2008). La diffusion de ce processus
du haut vers le bas des hiérarchies urbaines, des pays du Nord vers les pays du
Sud (Smith, 2001), semble affirmer l‘avènement de nouvelles formes de
gouvernance urbaine ainsi que l‘émergence de nouveaux processus d‘exclusion
social et culturel. Dans le cadre des restructurations contemporaines de la Ville de
Marseille, est-il pertinent d‘analyser les transformations de son centre-ville à partir
du processus de gentrification ? Quelles sont les échelles temporelles, spatiales,
mais aussi sociales de ce processus et qu‘en est-il de sa viabilité dans ce contexte
géographique ?
Afin de porter un éclairage sur ces interrogations, nous allons proposer une
analyse transversale du processus qui se veut ouverte à différentes formes de
transformations urbaines, et à des approches aussi bien pragmatiques que
théoriques de la production de connaissance scientifique. Ainsi, nous allons
essayer de montrer en quelle mesure l‘accumulation d‘expériences individuelles et
collectives, d‘observations involontaires et volontaires et de leur confrontation à un
travail bibliographique important est susceptible de constituer une approche
méthodologique à part entière. Nous essayons de montrer que, bien que cette
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recherche ne parte pas d‘une posture méthodologique prédéfinie, elle est tout de
même pertinente et susceptible de porter un éclairage sur les transformations
urbaines et plus spécialement sur la question de la gentrification à Marseille.
Dans une première partie nous privilégions l‘aspect pragmatique de notre
approche. Dans une deuxième, nous abordons les débats théoriques autour de la
question de la gentrification, en particulier ceux qui sont menés dans les milieux
universitaires anglo-saxons. À partir de là, nous analysons les discussions sur la
définition, l‘explication et les mutations du processus. Dans le cadre des débats
contemporains, nous observons plus particulièrement l‘éclatement de la
gentrification en tant que concept, situation qui amène à interroger sa viabilité.
Nous interrogeons, pour notre part, la pertinence du concept dans le contexte
français. Nous passons en revue des (r)apports de la recherche urbaine française
à la question de la gentrification, mais aussi à l‘analyse de l‘emploi de la notion
d‘embourgeoisement, qui apparait comme la traduction plus courante du
processus.
Suite à cette discussion théorique, nous abordons le cas marseillais à partir d‘une
analyse centrée sur trois axes : premièrement, nous faisons l‘analyse des
précurseurs modernes de la gentrification contemporaine. Par là nous tentons de
trouver des continuités, de donner un sens aux transformations urbaines d‘antant
par rapport au politiques urbaines contemporaines. Dans un contexte de « marche
forcée » au repositionnement de la ville dans la hiérarchie urbaine régionale et
internationale, nous nous intéressons aux modalités d‘intervention de l‘urbain et de
leurs implications, aussi bien à niveau idéologique qu‘au niveau des impacts sur la
ville, et notamment sur les habitants. Nous postulons qu‘il est fondamental pour
comprendre les impacts des transformations urbaines que la recherche urbaine
prenne en compte comme centre des études les populations défavorisées qui
subissent, les premiers, les effets pervers. Mais aussi, les études sur les réponses
sociales et le débat social « hors académique » sur la gentrification. Une analyse
de l‘emploi de la notion de gentrification dans des discours hors-universitaires nous
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amène à changer de point de vue afin d‘interroger la pertinence du concept dans
l‘analyse des transformations urbaines du centre-ville de Marseille.
Résumons la structure de ce travail. Premièrement il s‘agit de présenter les
éléments de terrain de notre recherche en vue d‘argumenter leurs articulations en
guise d‘approche méthodologique du sujet. Ensuite, nous présentons et discutons
le thème de notre recherche en abordant les débats universitaires anglo-saxons et
français sur la notion de gentrification. Enfin, dans un troisième temps, nous
analysons les échelles temporelles, spatiales et sociales de l‘existence de la
gentrification à Marseille par une analyse des précurseurs du processus, des
politiques urbaines contemporaines et de leurs impacts. En contre partie, nous
analysons quelques formes de réponses sociales, leurs marges d‘actions et leur
contradictions.
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Partie I Présentation de l’approche du thème d’étude
I. Le dedans et le dehors : éléments d’une méthodologie
involontaire
Fig. 1 La Porte d’Aix en attendant. (photo : David Mateos Escobar (gauche), janvier
2010, Remi Leroux (droite), février 2010
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Introduction : La géographie se pense avec les pieds
« La géographie se pense avec les pieds », disait le géographe français Raoul
Blanchard dans une sorte d‘invitation à produire de la connaissance par
l‘expérience, à penser l‘espace géographique par son observation et sa pratique.
Cet outil (les « pieds ») que Blanchard décrit contient un sens métaphorique : celui
du mouvement et de la progression. D‘une part, le géographe doit se déplacer
physiquement dans l‘espace. Mais le déplacement de l‘observateur est aussi et,
cela nous semble encore plus essentiel, celui du passage d‘un point de vue à un
autre. D‘autre part, Blanchard attire l‘attention sur l‘intérêt à porter à la progression
des phénomènes spatiaux, autrement dit, à leur dimension temporelle. Si on
résume cela de façon à simplifier le propos du géographe, la réalité des
phénomènes et le regard qu‘on porte sur ceux-là changent perpétuellement.
L‘observateur, autrement dit, le géographe, doit chercher à ajuster le regard et la
réalité notamment par le biais de l‘observation de terrain.
La question qui se pose dans cet aphorisme est donc celle de savoir dans quelle
mesure l‘expérience, l‘observation et la pratique du monde peuvent insuffler de la
connaissance scientifique sur un phénomène. Ainsi, avant d‘aborder pleinement
l‘objet de cette étude, il s‘avère nécessaire d‘expliciter en quoi nos expériences
involontaires, nos observations volontaires et les différentes pratiques qui
caractérisent notre approche de l‘objet étudié —la gentrification à Marseille—
constituent les fondements méthod