Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo : un roman d amour - article ; n°115 ; vol.32, pg 13-23
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Romantisme - Année 2002 - Volume 32 - Numéro 115 - Pages 13-23
Le roman d'amour des Travailleurs de la mer reprend en les modifiant trois schémas d'intrigue amoureuse : celui du roman de type courtois, celui de la comédie moliéresque et enfin celui de l'histoire d'Isaac et de Rebecca dans la Genèse. Les modifications opérées permettent de prendre la mesure du progrès, de sanctionner positivement l'œuvre de la Révolution démocratique, mais aussi de révéler leur limite : l'amour s'inscrit dans l'Histoire en même temps qu'il résiste à son mouvement de libération, étant la fatalité suprême, l'anankè du désir, tel qu'il est figuré dans le roman à travers ses deux incarnations étrangement jumelles de la féminité, la pieuvre et Déruchette. Or la sexualité archaïque dont la pieuvre est l'image grotesque et horrible n'a rien au bout du compte de tragique, et le héros de Hugo peut l'affronter sans en mourir. La mort viendra de la femme-oiseau : la sublimation est le ressort de la tragédie amoureuse.
The love story Les Travailleurs de la mer takes three patterns of the love plot and modifies them : that of the courtly novel, that of Moliere's comedy, and finally that of the story of Isaac and Rebecca in Genesis. The modifications carried out allow us to assess progress as well as the positive outcome of the democratic revolution. They also reveal their own limitations : love is a part of History, yet at the same time, it resists its impulse towards freedom. Indeed, love is the supreme fatality, the ananke of desire, as it is represented in the novel, through two strangely similar incarnations of feminity, the octopus and Deruchette. In fact, the archaic sexuality of which the octopus is the grotesque and horrible representation is not ultimately tragic and Hugo 's hero can confront it without dying. Death will corne through the bird-woman : sublimation is the moving force of the tragedy of love.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 112
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Claude Millet
Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo : un roman d'amour
In: Romantisme, 2002, n°115. pp. 13-23.
Abstract
The love story Les Travailleurs de la mer takes three patterns of the love plot and modifies them : that of the courtly novel, that of
Moliere's comedy, and finally that of the story of Isaac and Rebecca in Genesis. The modifications carried out allow us to assess
progress as well as the positive outcome of the democratic revolution. They also reveal their own limitations : love is a part of
History, yet at the same time, it resists its impulse towards freedom. Indeed, love is the supreme fatality, the ananke of desire, as
it is represented in the novel, through two strangely similar incarnations of feminity, the octopus and Deruchette. In fact, the
archaic sexuality of which the octopus is the grotesque and horrible representation is not ultimately tragic and Hugo 's hero can
confront it without dying. Death will corne through the bird-woman : sublimation is the moving force of the tragedy of love.
Résumé
Le roman d'amour des Travailleurs de la mer reprend en les modifiant trois schémas d'intrigue amoureuse : celui du roman de
type courtois, celui de la comédie moliéresque et enfin celui de l'histoire d'Isaac et de Rebecca dans la Genèse. Les
modifications opérées permettent de prendre la mesure du progrès, de sanctionner positivement l'œuvre de la Révolution
démocratique, mais aussi de révéler leur limite : l'amour s'inscrit dans l'Histoire en même temps qu'il résiste à son mouvement de
libération, étant la fatalité suprême, l'anankè du désir, tel qu'il est figuré dans le roman à travers ses deux incarnations
étrangement jumelles de la féminité, la pieuvre et Déruchette. Or la sexualité archaïque dont la pieuvre est l'image grotesque et
horrible n'a rien au bout du compte de tragique, et le héros de Hugo peut l'affronter sans en mourir. La mort viendra de la femme-
oiseau : la sublimation est le ressort de la tragédie amoureuse.
Citer ce document / Cite this document :
Millet Claude. Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo : un roman d'amour. In: Romantisme, 2002, n°115. pp. 13-23.
doi : 10.3406/roman.2002.1073
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2002_num_32_115_1073Claude Millet
Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo : un roman d'amour
L'intrigue amoureuse structure et ne structure pas le récit des Travailleurs de la
mer. Elle ne la structure pas si on prend en compte l'effet produit par le titre du
roman, et par sa table des matières (les titres des parties, livres, chapitres renvoient
peu à l'histoire d'amour qui relie Gilliatt, Déruchette et Ebenezer). Un schéma actan-
ciel centré sur l'amour de Gilliatt pour n'épuiserait évidemment pas le
roman : il n'intégrerait ni le personnage éponyme de la première partie, «Sieur
Clubin», ni Rantaine, ni les personnages collectifs des Guernesiais, des Malouins, ni
plus généralement l'épopée du travail et du progrès technique, centrée sur Durande.
Cependant, l'intrigue amoureuse encadre le roman : c'est par elle que le roman
commence ', c'est par elle qu'il s'achève. Le mot écrit sur la page blanche de la neige
par Déruchette, l'engloutissement final de Gilliatt sont métaphoriques du roman en ses
bords blancs et silencieux, d'où émergent puis disparaissent les signes qui racontent
Les Travailleurs de la mer. Entre son premier et son dernier chapitre, le roman par
court un trajet qui est celui d'une tragédie amoureuse. Cet effet d'encadrement est
souligné par la reprise à des places symétriques de «Pour ta femme quand tu te
marieras» en I, I, 3 et III, III, 4. Le début et la fin du roman en font bien un roman
d'amour. Mais non, on le sait, son milieu. Au centre le personnage, et avec lui le
roman, semblent oublier, contre toute vraisemblance psychologique, l'intrigue amour
euse. «Gilliatt le malin» ne songe à Déruchette à aucun moment de sa lutte contre les
éléments pour sauver la Durande. C'est que, pourrait-on penser, le héros est le sujet
d'une double quête ou de la quête de deux objets, dont la gémellité est maintes fois
soulignée par le texte : Déruchette a un double, Durande. Je voudrais montrer qu'une
telle lecture du roman ne rendrait compte que du seul désir de Lethierry (c'est seule
ment en adoptant sa perspective que le texte glose la gémellité de Durande et de
Déruchette). La structure aberrante du roman, l'effet de discontinuité apparente que
produit la deuxième partie en oubliant avec son héros l'héroïne disent autre chose sur
le désir, qui peut expliquer l'idéalité extraordinairement mièvre de Déruchette autr
ement que par la seule bêtise du fantasme.
Schémas
Mais avant d'interroger cette structure globale du roman, il faut s'attacher à celle
de l'intrigue amoureuse proprement dite. La plupart des intrigues amoureuses dans le
roman hugolien sont, selon l'expression de Guy Rosa, schématiques. C'est si vrai pour
Les Travailleurs de la mer que l'intrigue reprend de manière insistante, manifeste — ou
plus précisément travaille — trois schémas d'intrigue amoureuse. Les deux premiers
schémas que nous allons envisager renvoient à des types - la comédie moliéresque, et,
disons d'abord pour aller très vite, le roman «courtois». Le troisième fonctionne
1 . Le premier fragment associé à ce qui deviendra Les Travailleurs de la mer (daté par la Bibliothèque
nationale de 1854) raconte la rencontre de «Jean» et de «Jeanne» selon un canevas très proche de Yincipit
définitif. Il a été reproduit par Yves Gohin dans l'édition de la «Bibliothèque de la Pléiade» (établie par
J. Seebacher et Y. Gohin), Gallimard, 1975, p. 1672.
ROMANTISME n° 115 (2002-1) 14 Claude Millet
différemment : il rend compte d'un seul texte, le passage de la Genèse racontant l'his
toire d'Isaac et de Rebecca ; ce texte est lu par des personnages (Hérode lit ce passage
à Lethierry, Déruchette et Ebenezer) ; sa lecture est un enclencheur de l'intrigue
amoureuse. Les trois schémas, tels qu'ils sont reconfigurés, disent cependant la même
chose sur l'amour au XIXe siècle.
Les Travailleurs de la mer reprennent ce que Yves Gohin appelle le «mythe uni
versel du héros vainqueur du monstre» 2, sur un mode qui articule initiation et quête
amoureuse, en constituant les exploits héroïques, en particulier la lutte contre le mons
tre, en épreuves pour mériter la femme aimée. Ce mythe, fréquent dans les contes
populaires, a été repris par le «roman de chevalerie» du Nord de la France lorsqu'à la
fin du XIIe siècle certains éléments de l'erotique courtoise, venue du Sud, y ont été
intégrés, intégration que poursuit le roman en prose du XIIIe siècle. Dans certains
«romans de chevalerie», le récit d'épreuves et l'intrigue amoureuse ont parfois des
rapports problématiques, ce que manifeste aussi la structure d'ensemble des Tra
vailleurs de la mer : tant que le chevalier subit héroïquement ses épreuves, de fait il
est loin de sa dame, et ne lui fait pas sa cour - tel est bien déjà le problème du Beau
Pécopin. Quoiqu'il en soit exactement des connaissances de Hugo en matière de litt
érature médiévale - par le relais des contes, de la Bibliothèque bleue, des troubadours
de sa jeunesse, et/ou de la vulgarisation de la redécouverte savante des textes du
moyen âge, ce schéma lui est connu, et il est manifeste qu'il pense à lui non seulement
lorsqu'il compare Gilliatt à un chevalier revêtant son armure pour se préparer au
combat 3, mais lorsqu'il travaille à la composition de l'ensemble du roman. Gilliatt
tombe amoureux de Déruchette (I). Pour conquérir sa main, il part, mandaté par le
suzerain/père symbolique qu'est Lethierry, réaliser un certain nombre d'exploits, dont
la victoire sur le monstre (II), puis revient afin d'obtenir la récompense de tant
d'efforts - la main de Déruchette (III). Ce schéma n'est repris avec tant d'évidence
que pour rendre manifeste une double torsion : en II, le héros oublie la belle pour qui
il affronte de terribles épreuves ; en III, il donne la belle à son rival, et s'efface dans
la mort.
En outre, par rapport à ce schéma «courtois», l'intrigue des Travailleurs de la mer
introduit deux m

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