Les « Trois contes » dans l évolution de la structure thématique chez Flaubert - article ; n°6 ; vol.3, pg 55-66
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Description

Romantisme - Année 1973 - Volume 3 - Numéro 6 - Pages 55-66
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Per Nykrog
Les « Trois contes » dans l'évolution de la structure thématique
chez Flaubert
In: Romantisme, 1973, n°6. pp. 55-66.
Citer ce document / Cite this document :
Nykrog Per. Les « Trois contes » dans l'évolution de la structure thématique chez Flaubert. In: Romantisme, 1973, n°6. pp. 55-
66.
doi : 10.3406/roman.1973.4953
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1973_num_3_6_4953PER NYKROG
Les « Trois contes » dans l'évolution
de la structure thématique chez Flaubert
Un coup d'oeil sur le côté purement matériel — typographique — d'Un Cœur
simple révèle un fait méconnu : quelle que soit l'édition qu'on a devant soi,
ses cinq parties sont étonnamment symétriques. A une demi-page près, le
premier et le dernier, le second et le quatrième chapitre sont de dimensions
égales, le troisième étant considérablement plus long que chacune des paires
de chapitres latéraux. La supposition d'une composition matériellement symét
rique se concrétise lorsqu'on constate que fort près du centre du deuxième
et du quatrième chapitre respectivement se trouvent deux épisodes qui
tranchent nettement sur le reste du récit : l'épisode du taureau et l'épisode
de la diligence, c'est-à-dire deux manifestations exceptionnelles dans le conte
d'irruptions de menaces hautement dramatiques provenant d'une force animale
brute.
Pour les interpréter, on n'a même pas besoin de faire appel à un symbolisme
qui verrait dans cette force animale une image d'un phénomène psychique
ou une image des forces extérieures de l'existence. Il suffit de constater que
les deux scènes, semblables et différentes, se font pendant d'une moitié du
conte à l'autre, et qu'ensemble elles mettent en évidence la profonde diffé
rence qu'il y a entre Félicité jeune et Félicité vers la fin de ses jours. Devant
le taureau, la jeune femme réagit instinctivement et de façon efficace : total
ement orientée vers l'extérieur, elle réagit comme une automate, directement
en réponse à ce qui lui arrive. Mais comme elle est totalement dépourvue
d'imagination, de notion de son propre être, elle reste incapable, même après
l'expérience vécue, de se figurer qu'elle aurait pu réagir autrement : « Félicité
n'en tira aucun orgueil, ne se doutant même pas qu'elle eût rien fait d'héroï
que. » Elle fait ce qu'elle fait, sans aucun sentiment de liberté ou d'un choix
possible entre plusieurs manières de réagir.
Sa vie, telle que Flaubert la décrit, n'est qu'une longue suite d'affections
frustrées l'une après l'autre. Son besoin d'aimer est si fort que pour chaque
affection évanouie, par la séparation ou par la mort, elle en trouve une
nouvelle, mais pas à pas, de perte en perte, ses attachements deviennent de
moins en moins biologiques, de moins en moins naturels, de plus en plus
artificiels, de plus en plus imaginaires. La mort de Victor, c'est-à-dire la perte 56 Per Nykrog
définitive * de sa dernière affection fondée sur un lien de parenté et sur une
relation de maternité, occupe le centre matériel du troisième chapitre, donc
le centre matériel du conte. Le premier objet qui avait fixé cette vaste affec
tivité était un jeune homme, sain et robuste ; le dernier, Loulou empaillé et
miteux, n'est plus qu'un prétexte à peine réel. A la fin, son affectivité se
déploie tout entière dans un espace purement intérieur et imaginaire, qui
n'a plus que les liens les plus faibles et exigus avec le monde extérieur,
physique et social.
L'épisode de la diligence est placé vers la fin de ce chemin parcouru. Malgré
le bruit et la violence déchaînée, la vieille fille ne voit ni n'entend rien. La
douleur physique, qui pourtant a dû être extrême, n'arrive même pas à
pénétrer jusqu'à sa conscience, qui demeure toute absorbée par sa sollicitude
pour le petit cadavre : « Son premier geste, quand elle reprit connaissance,
fut d'ouvrir son panier. Loulou n'avait rien, heureusement. » Et elle « se
consolait de sa blessure en regardant l'oiseau ».
Le même mouvement, allant d'une orientation exclusivement tournée vers
l'extérieur, à une orientation non moins exclusivement tournée vers l'intérieur,
se fait remarquer dans la manière dont Flaubert traite la chambre de Félicité,
symbole évident de son être. Au début du conte, nous n'apprenons que son
emplacement modeste dans la maison et le fait qu'une lucarne l'éclairé,
« ayant vue sur les prairies ». Nous ne sommes admis à l'intérieur qu'avec
Loulou empaillé, mais à ce moment, en revanche, son aménagement et surtout
les nombreux objets qui la remplissent, sont longuement décrits. Ses deux
fenêtres (dont un œil de bœuf !) la placent maintenant entre cour et jardin.
Inutile d'insister sur la signification des bricoles dont Félicité l'a remplie, ni
sur le symbolisme du sort que Flaubert a donné à la maison tout entière
vers la fin du récit — ou, plus exactement, ce n'est que vers la fin du récit
qu'on se rend compte de la nature symbolique que la maison, avec la chambre
dedans, a eu tout le long: désertée et à vendre, elle entoure comme une
coque morte la chambre, seul endroit qui ait encore une âme parce que
Félicité, sourde et aveugle, y continue encore une vie désormais entièrement
intériorisée et repliée sur elle-même.
En ce qui concerne le sens de cette histoire, Flaubert est allé plus loin
qu'il n'en a l'habitude pour le rendre clair, en établissant l'équation : félicité
= cœur simple, avec une allusion évidente à Matthieu 5, 3 : Beati paupere»
spiritu, quoniam ipsorum est regnum coelorum 2. Le manque de réflexion et
de conception de son propre moi empêche, d'un bout à l'autre de sa vie,
Félicité de sentir toute l'étendue de son malheur. Mais à l'intérieur de cette
inconscience, elle évolue : au début elle partageait les misères banales de
milliers d'autres ; à la fin, nourrie des miettes tombées de la table des riches —
notations de géographie, de sentiments, de religion — elle est unique dans
1. La perte provisoire, son départ sur le bateau, est décrite dans des termes qui
conviendrait à un cauchemar, et placée sous le signe du Calvaire. On remarque, là aussi,
la présence d'animaux, le cheval suspendu entre terre et ciel, ce qui renforce sans doute
le soupçon d'un symbolisme animal. On peut penser aussi au célèbre graffito romain qui
montre un chrétien adorant un âne crucifié — mais cela serait peut-être aller un peu loin.
2. Et sa suite, qu'on cite moins souvent : ... Beati mites quoniam ipsi possidebunt terram.
Beati qui lugent, quoniam ipsi consolabuntur, etc. Les « Trois contes » dans l'évolution de la structure thématique... 57
son espèce de folie, et elle meurt dans la tranquille assurance d'une présence
divine.
Un certain nombre de traits signifiants dans Un Cœur simple ne se révèlent
sous leur vrai jour que si on les envisage du point de vue de La Légende de
saint Julien l'Hospitalier, et inversement. La composition du deuxième conte
est ferme et claire, elle repose sur une tripartition articulée autour des départs
de Julien : celui qui l'éloigné de la maison paternelle et celui qui l'éloigné de
sa maison matrimoniale. La composition n'est plus matériellement symétrique,
bien que les deux scènes de chasse — deux autres piliers qui marquent la
tripartition du conte, quoique avec un décalage par rapport aux départs qu'ils
provoquent — soient placées d'une manière comparable aux deux scènes
« animales » dans le conte précédent.
Ce qui frappe le plus, à la lecture de ce conte, c'est la truculence sinistre
de ces deux scènes. Apparemment, il n'y a pas de commune mesure entre la
vie de Félicité et celle de Julien, toute remplie qu'est celle-ci de sang, de
cruauté et d'action violente. La vie de Julien est aussi terrifiante que celle
de Félicité était morne, et la même observation vaut pour leurs mentalités.
Julien est un homme doué des capacités essentiellement cruelles et déc

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