Paradigme carcéral et modèles sociaux: Jules Vallès l Enfermé - article ; n°126 ; vol.34, pg 39-52
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Romantisme - Année 2004 - Volume 34 - Numéro 126 - Pages 39-52
Vallès, an unreserved champion of liberty without shores, considers prison in all its forms a scandal reproduced and spread by the host of disciplinary social devices designed to transform citizens into convicts or galley slaves (metaphors employed obsessively in the work of Vallès both writer and journalist). The sociological and political interest Vallès always showed towards prisons came coupled with a vigorous denunciation of the romantic mythology of the attainment of consecration by way of the damp straw of the prison cell. This cult of martyrs overshadows the whole system of collective practices and representations which, even after the fall of the Second Empire, bear witness to a social and political ethic of reclusion. In modem industrialized France, there is no need for the Bastilles: a well-thought-out, inconspicuous set of incarcerating micro-devices sees to it that each individual, from childhood to adulthood, whether in the private or professional sphere, becomes an unwitting slave. In this society with no possible elsewheres, which makes any alternative thought into a form of insanity, onlyfree circulation of expression (springing up from everywhere, carried to any destination) can engender an awareness, then possible revolt among the convicts. This is the emancipative power that Vallès attributes to the newspaper.
Pour Vallès, inconditionnel défenseur de la liberté sans rivages, la prison sous toutes ses formes constitue un scandale que reproduisent et diffusent tous les dispositifs sociaux disciplinaires destinés à transformer les citoyens en forçats ou en galériens (métaphores obsédantes dans l'œuvre de l'écrivain et du journaliste). L'intérêt sociologique et politique dont témoigna toujours Vallès à l'égard des prisons s'articule à une vigoureuse dénonciation de la mythologie romantique du sacre par la paille humide des cachots: ce culte des martyrs occulte l'ensemble des pratiques et des représentations collectives qui, même après la chute du Second Empire, témoignent d'une éthique et d'une politique sociales de la réclusion. Dans la France industrielle moderne, nul besoin de Bastilles: un ensemble raisonné et discret de micro-dispositifs carcéraux fait de chaque individu, de l'enfance à l'âge adulte, dans l'espace privé comme dans la vie professionnelle, un galérien qui s'ignore. Dans cette société sans ailleurs, qui fait de toute pensée autre une forme de folie, seule la libre circulation de la parole (surgie de partout, portée n'importe où) peut opérer une prise de conscience, puis une possible révolte des réclusionnaires : c'est le pouvoir d'affranchissement que Vallès attribue au journal.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 71
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Corinne Saminadayar-
Perrin
Paradigme carcéral et modèles sociaux: Jules Vallès l'Enfermé
In: Romantisme, 2004, n°126. pp. 39-52.
Citer ce document / Cite this document :
Saminadayar-Perrin Corinne. Paradigme carcéral et modèles sociaux: Jules Vallès l'Enfermé. In: Romantisme, 2004, n°126. pp.
39-52.
doi : 10.3406/roman.2004.1270
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2004_num_34_126_1270Abstract
Vallès, an unreserved champion of "liberty without shores", considers prison in all its forms a scandal
reproduced and spread by the host of disciplinary social devices designed to transform citizens into
convicts or galley slaves (metaphors employed obsessively in the work of Vallès both writer and
journalist). The sociological and political interest Vallès always showed towards prisons came coupled
with a vigorous denunciation of the romantic mythology of the attainment of consecration by way of the
damp straw of the prison cell. This cult of martyrs overshadows the whole system of collective practices
and representations which, even after the fall of the Second Empire, bear witness to a social and
political ethic of reclusion. In modem industrialized France, there is no need for the Bastilles: a well-
thought-out, inconspicuous set of incarcerating micro-devices sees to it that each individual, from
childhood to adulthood, whether in the private or professional sphere, becomes an unwitting slave. In
this society with no possible "elsewheres", which makes any alternative thought into a form of insanity,
onlyfree circulation of expression (springing up from everywhere, carried to any destination) can
engender an awareness, then possible revolt among the convicts. This is the emancipative power that
Vallès attributes to the newspaper.
Résumé
Pour Vallès, inconditionnel défenseur de la "liberté sans rivages", la prison sous toutes ses formes
constitue un scandale que reproduisent et diffusent tous les dispositifs sociaux disciplinaires destinés à
transformer les citoyens en forçats ou en galériens (métaphores obsédantes dans l'œuvre de l'écrivain
et du journaliste). L'intérêt sociologique et politique dont témoigna toujours Vallès à l'égard des prisons
s'articule à une vigoureuse dénonciation de la mythologie romantique du sacre par la paille humide des
cachots: ce culte des martyrs occulte l'ensemble des pratiques et des représentations collectives qui,
même après la chute du Second Empire, témoignent d'une éthique et d'une politique sociales de la
réclusion. Dans la France industrielle moderne, nul besoin de Bastilles: un ensemble raisonné et discret
de micro-dispositifs carcéraux fait de chaque individu, de l'enfance à l'âge adulte, dans l'espace privé
comme dans la vie professionnelle, un "galérien" qui s'ignore. Dans cette société sans ailleurs, qui fait
de toute pensée autre une forme de folie, seule la libre circulation de la parole (surgie de partout, portée
n'importe où) peut opérer une prise de conscience, puis une possible révolte des réclusionnaires : c'est
le pouvoir d'affranchissement que Vallès attribue au journal.Corinne SAMINADAYAR-PERRIN
Paradigme carcéral et modèles sociaux: Jules Vallès l'Enfermé
Pour Vallès, l'expérience de la prison fut familiale avant d'être professionnelle et
politique. Parce qu'il s'était insurgé contre le Coup d'État de Louis-Napoléon Bonap
arte, le jeune homme fut interné comme aliéné, à la demande de son père, à l'asile de
Nantes d'où il ne parvint à sortir que deux mois plus tard, en mars 1852, grâce à
l'intervention de ses amis parisiens ' ; cette incarcération traumatisante, que l'écrivain
n'évoqua jamais directement, a valeur paradigmatique en ce qu'elle révèle exemplai
rement l'intrication entre l'autorité paternelle, les impératifs de l'ordre social et la
dimension politico-idéologique du discours médical :
[Le fils] a crié publiquement: «A bas le dictateur!» [...] / Qu'a fait le père? Il a dit
qu'il fallait pour cela que son fils eût perdu la tête, et l'a fait empoigner et diriger sur
l'hospice où l'on met les fous.2
Par la suite, l'Empire autoritaire et la rigueur des lois sur la presse condamnèrent
Vallès, comme tant d'autres, à quelques séjours à Mazas ou à Sainte- Pélagie; c'est
dans cette dernière prison, promue centre de sociabilité journalistique et littéraire sous
le Second Empire, qu'il se fit rédacteur en chef du Journal de Saint-Pélagie , organe
éphémère des journalistes détenus 3. Si l'insurgé échappa, après la Semaine sanglante, à
l'incarcération et à la déportation, la terrible répression dont furent victimes les Comm
unards mit la lutte contre l'emprisonnement politique au centre de la réflexion de
Vallès, tant au moment de l'exil londonien qu'après son retour à Paris.
Rien d'étonnant donc à ce que le motif de la prison s'impose comme récurrent
dans l'œuvre de Vallès écrivain et journaliste. On s'étonnera davantage de l'extrême
réserve avec laquelle Vallès aborde le thème carcéral, que ce soit dans ses écrits polé
miques, dans ses chroniques ou dans ses fictions autobiographiques: on n'y trouve
guère les lieux communs de la littérature du cachot, culte des martyrs de la Liberté ou
déploration pathétique des souffrances infligées par la justice inique du tyran. De plus,
les pages explicitement consacrées à la prison constituent une part infime de la
réflexion de Vallès sur cette question: la hantise de l'enfermement, de la claustration,
de la réclusion est en fait disséminée dans l'ensemble de l'œuvre, comme en témoignent
des images et un vocabulaire obsédants - le réclusionnaire, le galérien et le forçat en
sont les principales figures.
Le refus d'un certain discours (pathétique et polémique) sur le scandale de l'incar
cération politique tient à ce que cette menaçante réalité de la prison, par l'autorité
même des mythes qu'elle véhicule, occulte l'ensemble des pratiques et des représenta-
1. Sur cet épisode, on peut consulter la biographie de R. Bellet, Jules Vallès, Fayard, 1995, p. 114-116,
et Raymond Aussel, «L'internement de Jules Vallès», Les Amis de Jules Vallès, n° 29, juillet 2000, p. 95-102.
2. J. Vallès, Le Bachelier, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, II, p. 533. Toutes les références à
l'œuvre de Vallès renverront désormais à cette édition, préfacée et annotée par Roger Bellet (t. I, 1975; t. II,
1990). Rappelons que la sœur de Jules, Marie-Louise, mourut folle en 1859 après des années d'internement.
3. Voir R. Bellet, Presse et journalisme sous le Second Empire, Nathan, coll. «Kiosque», 1967,
p. 176-187.
ROMANTISME n" 126 (2004-4) 40 Corinne Saminadayar-Perrin
tions collectives qui, même après la chute du Second Empire, témoignent d'une éthique
et d'une politique sociales de la réclusion. C'est par un pervers effet de trompe-l'œil
idéologique que la France révolutionnée prétend avoir construit un ordre nouveau sur
les ruines de la Bastille: en fait, nul besoin de Bastilles lorsqu'un ensemble raisonné et
discret de dispositifs sociaux fait de chaque individu un «galérien» qui s'ignore.
Contre le «culte des martyrs»
En réponse aussi bien à ses préoccupations personnelles qu'à un intérêt croissant
du public pour ces questions, Vallès journaliste se montra «passionné par les affaires
judiciaires, ayant tenté sans doute, entre 1860 et 1865, de se faire accorder par tel ou
tel journal la chronique des tribunaux, écoutant assidûment les plaidoiries du célèbre
Me Lachaud, repérant, comme on commençait sociologiquement à les observer, les
lectures des condamnés dans leur prison» 4. L'article programmatique présentant le
journal lancé par Vallès en 1867, La Rue, souligne cet intérêt sociologique:
Dans les prisons, nous demanderons au gardien des confidences, aux condamnés des
révélations; nous calquerons des faces de voleurs ou de criminels [...] Si La Rue eût
existé, elle eût raconté La Roquette, le jour où l'on guillotina Lemaire. 5
Outre les articles d'actualité sur les grands procès du moment ou le

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