Parole retenue et parole dangereuse chez les Touaregs du Niger - article ; n°1 ; vol.57, pg 97-107
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Journal des africanistes - Année 1987 - Volume 57 - Numéro 1 - Pages 97-107
Les diverses acceptions de awal, le mot le plus général qui puisse être associé à la notion de parole, sont d'abord examinées. Cet examen fait déjà entrevoir combien la parole est chose sociale, combien aussi bien le bavard que l'homme trop taciturne ne peuvent être considérés comme jouant pleinement leur partie dans le jeu social. C'est ce thème que veut développer la suite de l'article. On montre d'abord l'importance de la litote, la parole voilée — « ténébreuse », disent les Touaregs. Une parole trop claire, trop directe est inélégante, elle est aussi dangereuse car elle expose autrui à la malchance. La parole poétique fait seule exception à cette règle, mais cela tient à ce qu'elle sacrifie à la recherche de la beauté les règles qui président à la profération de la parole ordinaire. On retrouve ce même souci de la beauté langagière dans l'estime en laquelle sont tenus l'épigramme et la répartie bien tournée.
A close examination of the various acceptations of awal, the broadest term associated with the notion of speech, shows that speech is social, that the taciturn and the talkative cannot be considered to be fully playing their social role. Understatement — veiled or, as the Tuareg say, « shadowy » speech — is important, for statements that are too clear or direct are inelegant and dangerous because they expose others to misfortune. Poetry is an exception since, for the sake of beauty, the rules governing the utterances of ordinary language are sacrificed. This same aesthetic feeling places value upon epigrams and well-crafted repartees.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Dominique Casajus
Parole retenue et parole dangereuse chez les Touaregs du
Niger
In: Journal des africanistes. 1987, tome 57 fascicule 1-2. pp. 97-107.
Abstract
A close examination of the various acceptations of awal, the broadest term associated with the notion of speech, shows that
speech is social, that the taciturn and the talkative cannot be considered to be fully playing their social role. Understatement —
veiled or, as the Tuareg say, « shadowy » speech — is important, for statements that are too clear or direct are inelegant and
dangerous because they expose others to misfortune. Poetry is an exception since, for the sake of beauty, the rules governing
the utterances of ordinary language are sacrificed. This same aesthetic feeling places value upon epigrams and well-crafted
repartees.
Résumé
Les diverses acceptions de awal, le mot le plus général qui puisse être associé à la notion de parole, sont d'abord examinées.
Cet examen fait déjà entrevoir combien la parole est chose sociale, combien aussi bien le bavard que l'homme trop taciturne ne
peuvent être considérés comme jouant pleinement leur partie dans le jeu social. C'est ce thème que veut développer la suite de
l'article. On montre d'abord l'importance de la litote, la parole voilée — « ténébreuse », disent les Touaregs. Une parole trop
claire, trop directe est inélégante, elle est aussi dangereuse car elle expose autrui à la malchance. La parole poétique fait seule
exception à cette règle, mais cela tient à ce qu'elle sacrifie à la recherche de la beauté les règles qui président à la profération de
la parole ordinaire. On retrouve ce même souci de la beauté langagière dans l'estime en laquelle sont tenus l'épigramme et la
répartie bien tournée.
Citer ce document / Cite this document :
Casajus Dominique. Parole retenue et parole dangereuse chez les Touaregs du Niger. In: Journal des africanistes. 1987, tome
57 fascicule 1-2. pp. 97-107.
doi : 10.3406/jafr.1987.2164
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0399-0346_1987_num_57_1_2164DOMINIQUE CASAJUS
Parole retenue
et parole dangereuse
chez les Touaregs Kel Ferwan
qu'une Nous brève tentons évocation ici, de en situations mettant à à contribution notre sens exemplaires, des éléments de lexicaux faire entreainsi
voir ce que la place tenue par la parole révèle de la sensibilité d'un groupe
touareg du nord du Niger1. Un certain parti-pris d'empirisme a été adopté,
et cela pour deux raisons : tout d'abord, ce qui touche à Y ethos d'une popul
ation s'évoque plus qu'il ne s'énonce2 et une telle évocation ne peut s'attein
dre qu'au prix d'une étude progressive, conduite à petites touches, où les don
nées recueillies seraient éclairées successivement sous différents jours parfois
contradictoires3 ; de plus, au moins pour ce qui est du lexique, où une syst
ématisation serait par contre légitime, nous n'aurions guère à ajouter à l'arti
cle très complet publié par J. Drouin dans ce même volume.
LES DIVERSES ACCEPTIONS DU MOT AWAL
Awal comme « parole » ou « faculté de parole »
Le mot le plus général qui puisse être associé à la notion de « parole »
est le terme pan-berbère awal. Faute d'espace, nous nous limiterons ici à l'ex
amen de ce terme, mais il nous conduira bien sûr à parler au moins brièvement
de ceux dont les champs» sémantiques croisent le sien. Il sera intéressant de
1. Il s'agit du groupe des Kel Ferwan, dont la plupart des tribus nomadisent dans le département d'Aga-
dez. Sur les Kel Ferwan, voir Nicolaisen 1963, Cl. Oxby 1978, ainsi que les matériaux ethnographi
ques, largement utilisés ici, que nous avons publiés en 1987.
2. Nous employons le mot ethos, qui nous semble avoir aujourd'hui droit de cité dans les études
logiques, au sens que lui a donné Bateson (1986, ch. 8), à la suite de R. Benedict (1950). On sait que
Bateson a tenté de décrire en termes formalisés Yethos d'une population néo-guinéenne, tentative sédui
sante mais dont le caractère un peu réducteur nous a convaincu d'en rester ici à une prudente des
cription.
3. C'est pourquoi le présent article n'est qu'un des volets d'un travail en cours, dont certains résultats
quels nous nous permettons de renvoyer à l'occasion le lecteur ont été publiés ailleurs. PAROLE RETENUE ET PAROLE DANGEREUSE CHEZ LES TOUAREGS KEL FERWAN 98
constater que presque toutes les notions liées à la parole peuvent être expri
mées par ce mot. Nous ajouterons en note quelques détails sur d'autres te
rmes ou locutions.
Dans son usage le plus fréquent, awal désigne des paroles formant un
tout, faisant sens, c'est-à-dire un « propos » ; ig(a)-as awal par exemple, « il
lui a fait Yawal », voudra dire : « il a tenu divers propos » — sans que rien
de particulier soit en principe connoté quant au type de propos qui a été tenu.
Ce sens du mot apparaît bien aussi dans la phrase suivante, entendue en décem
bre 1984 d'un jeune garçon que nous interrogions sur un point de syntaxe :
tamajsq, t9ssanagh-tàt, àygds awal wa di tdtâgga, wsr t agré, « la Tamacheq,
tu la sais, mais le propos [awal] que tu me tiens [mot à mot : « que tu me
fais »], je ne le comprends pas ». Dans cette phrase, awal, le « propos », est
opposé à tamajsq, le nom de la langue touarègue, fait digne d'être noté car,
nous allons le voir, awal peut aussi parfois être traduit par « langue ». Dans
la phrase suivante, relevée dans un poème, awal est utilisé encore dans une
acception voisine, que le mot « parole » (au sens qu'il a dans l'expression
« bonne ou mauvaise parole ») rendra peut-être mieux que « propos » : wdll(a)-
asshak, wsll(a)-asshak, s awal wsy za tidst : / A d-i (i)ba dd takhhk, war э/lesa
tamtut, « pas de doute, pas de doute, cette parole est la vérité, à savoir qu'aussi
longtemps que je vivrai, je me méfierai de la femme ».
Dans les sens qui précèdent, awal est à rapprocher d'un autre mot, botu.
Lorsque dans une assemblée on dit à un locuteur : tâggu ЬэШ, « fais du ЬэШ »,
c'est qu'on le prie de sortir de son silence. Ici, nous avons néanmoins l'impres
sion que ЬэШ diffère un peu de awal, car il ne désigne pas une parole ayant un
sens, un propos, de sorte que cette interjection signifie : « dis quelque chose,
n'importe quoi, mais au moins ne reste pas silencieux ». Cependant, on ren
contre aussi des emplois de ЬэШ où le mot a exactement le même sens que awal
dans les expressions précédemment citées. Ainsi, l'expression ig(a)-as ЬэШ équi
vaut à ig(a)-as awal. ВэШ peut se mettre au pluriel (bdtutàn) sans changer de
sens, alors que ce n'est pas le cas de awal, nous le verrons4.
Awal peut aussi prendre le sens de « faculté de parler », comme il appar
aît dans l'exclamation ikkâr t awal !, « Yawal l'emplit totalement ! », que pousse
parfois l'interlocuteur infortuné d'un bavard5. On saisira le sens pris ici par
awal en rapprochant cette expression de celle-ci : ikkàr tu кагэтЬат, « la sot
tise l'emplit ». Le кагэтЬат, la « sottise », est ici un trait de personnalité, sus
ceptible de se manifester par des actes, des gestes, des paroles, en un mot par
ce qu'on appelle en français des « sottises ». Être « empli de sottise » est donc
avoir en soi quelque chose, être gros d'une virtualité susceptible de s'actualiser
en des manifestations visibles. On peut penser que, de la même façon, cet awal
possédé à l'excès par le bavard puisqu'il en est « totalement empli » est ici une
faculté qu'on exerce en tenant des propos, appelés eux aussi awal.
4. On peut remarquer que botu n'a pas la morphologie d'un mot touareg, surtout si l'on tient compte qu'il
s'agit d'un mot du genre féminin.
5. Le Père de Foucauld signale dans l'Ahaggar une expression ih ê àouâl (ih-e awal avec nos notations), « la
parole est en lui », qui a les mêmes connotations péjoratives que le ikkâr t awal des Kel Ferwan (Fou
cauld 1951-52, t. 3 : 1477). On peut dire chez les Kel Ferwan que « la parole est en Untel », mais cela
signifie simplement « Untel a de la conversation » et nullement « Untel est un bavard ». DOMINIQUE CASAJUS 99

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