Position de thèse Julien Shuh
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UNIVERSITE PARIS IV – SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE III – LITTERATURES FRANÇAISES ET COMPAREE THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS IV Discipline : Littérature française présentée et soutenue publiquement par M. Julien SCHUH le vendredi 17 octobre 2008 ALFRED JARRY – LE COLIN-MAILLARD CEREBRAL ÉTUDE DES DISPOSITIFS DE DIFFRACTION DU SENS Directeur de thèse : M. le Professeur Bertrand MARCHAL JURY M. le Professeur Émérite Patrick BESNIER M. le Professeur Michel JARRETY M. le Professeur Vincent JOUVE M. le Professeur Bertrand MARCHAL 1 POSITION DE THESE L’œuvre d’Alfred Jarry, si méconnue du grand public qu’elle soit, a de longue date fasciné des générations de lecteurs, d’Apollinaire à Raymond Queneau, d’André Breton à Marcel Duchamp. Qu’on n’en connaisse que le personnage d’Ubu ou qu’on apprécie, sans toujours parvenir à leur donner un sens, les poèmes des Minutes de sable mémorial ou les élucubrations du Docteur Faustroll, qu’on en maîtrise la totalité ou qu’on n’en utilise que des fragments choisis pour leur suggestivité, cette œuvre a donné lieu à une forme de culte à travers le Collège de ’Pataphysique et ses diverses manifestations. On pourrait crier à la surinterprétation, à l’utilisation abusive d’un texte daté, si Jarry n’avait pas lui-même prévu ces formes de lecture, et n’avait donné son aval à toute interprétation possible, en en prenant la responsabilité dès la préface de son premier livre : ...

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UNIVERSITE PARIS IV – SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE III – LITTERATURES FRANÇAISES ET COMPAREE


THESE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS IV
Discipline : Littérature française
présentée et soutenue publiquement par
M. Julien SCHUH
le vendredi 17 octobre 2008


ALFRED JARRY – LE COLIN-MAILLARD CEREBRAL
ÉTUDE DES DISPOSITIFS DE DIFFRACTION DU SENS


Directeur de thèse : M. le Professeur Bertrand MARCHAL



JURY
M. le Professeur Émérite Patrick BESNIER
M. le Professeur Michel JARRETY
M. le Professeur Vincent JOUVE
M. le Professeur Bertrand MARCHAL
1
POSITION DE THESE

L’œuvre d’Alfred Jarry, si méconnue du grand public qu’elle soit, a de longue date
fasciné des générations de lecteurs, d’Apollinaire à Raymond Queneau, d’André Breton à
Marcel Duchamp. Qu’on n’en connaisse que le personnage d’Ubu ou qu’on apprécie, sans
toujours parvenir à leur donner un sens, les poèmes des Minutes de sable mémorial ou les
élucubrations du Docteur Faustroll, qu’on en maîtrise la totalité ou qu’on n’en utilise que des
fragments choisis pour leur suggestivité, cette œuvre a donné lieu à une forme de culte à
travers le Collège de ’Pataphysique et ses diverses manifestations. On pourrait crier à la
surinterprétation, à l’utilisation abusive d’un texte daté, si Jarry n’avait pas lui-même prévu
ces formes de lecture, et n’avait donné son aval à toute interprétation possible, en en prenant
la responsabilité dès la préface de son premier livre : « Tous les sens qu’y trouvera le lecteur
1
sont prévus ». Reste à comprendre comment cette œuvre a pu exercer cette fascination
malgré (ou plus justement grâce à) son obscurité ; comment elle a pu traverser des modèles
interprétatifs divers, pour pouvoir encore aujourd’hui nous intéresser. Si l’œuvre de Jarry
exerce encore un pouvoir sur nous, il faut l’attribuer aux stratégies sémantiques que Jarry a
mises en place dans ses textes, stratégies qui sont la conséquence d’un certain état de la
littérature et des théories de l’interprétation qui n’est pas sans rapport avec le nôtre.

Jarry dans l’espace littéraire symboliste.
Jarry se situe dans une période de crise de la représentation qui oblige les écrivains à
remettre en question les présupposés de la communication littéraire. Ce nouveau paradigme
2
transparaît clairement dans les textes théoriques et critiques de Mallarmé , dont certains
3figurent parmi les livres pairs du Docteur Faustroll inventé par Jarry, à travers un recueil paru
4en 1893, Vers et prose , comprenant « Divagation première : Relativement au vers ». Cette
réunion d’articles, qui donnera lieu à plusieurs divisions des Divagations, s’ouvre sur le
5
célèbre constat : « La littérature ici subit une exquise crise, fondamentale . » Rapprochant
Décadents, Symbolistes et Mystiques au nom d’un « Idéalisme » commun, Mallarmé dénonce
l’illusion de référentialité de la littérature et du langage. Si la langue courante,
« commerciale », fonctionne en partie par référence au monde, la littérature n’a affaire qu’à
6des idées, des appréhensions subjectives des objets, telle « l’horreur de la forêt ». Un texte,
loin de représenter, joue de la virtualité des signes, c'est-à-dire de leur caractère polysémique,
pour mettre en scène des « fictions » qui n’existent que dans et par le discours. Cette « crise »
invite à douter de l’immédiateté du rapport entre le langage et le monde, et plus profondément
à remettre en question l’idée même de communication : une œuvre n’est pas le véhicule inerte

1 Alfred Jarry, Œuvres Complètes, t. I, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p. 172 [désormais
abrégé en OC I].
2 Voir Bertrand Marchal, « La Musique et les Lettres de Mallarmé, ou le discours inintelligible », Bertrand
Marchal et Jean-Luc Steinmetz (dir.), Mallarmé ou l’obscurité lumineuse, actes du colloque de Cerisy-la-Salle,
13-23 août 1997, Hermann, coll. Savoir : Lettres, 1999, p. 292.
3
OC I, p. 661.
4 Stéphane Mallarmé, Vers et prose, Perrin, 1893.
5
Idem, p. 172.
6 Id., p. 184-186.
2
7d’un message qui circulerait, sans déperdition, de l’écrivain au lecteur. L’idée de suggestion
implique un travail créatif de la part du lecteur, qui produit la signification du texte qu’il lit.
Jarry fait siennes ces théories dans le « Linteau » des Minutes de sable mémorial,
lorsqu’il fonde son esthétique sur la suggestion : « Suggérer au lieu de dire, faire dans la route
8
des phrases un carrefour de tous les mots ». Le texte idéal tel qu’il le décrit doit entraîner une
9
diffraction maximale du sens des mots, « polyèdres d’idées ». On retrouve ici une description
de la polysémie semblable à celle qu’expose Mallarmé dans Vers et prose, où les mots
10
« s’allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries » :
un mot est semblable à un diamant, composé de facettes qui sont autant de sens différents
qu’il synthétise par l’unicité de sa forme. Une œuvre symboliste digne de ce nom ne doit pas
contribuer à l’illusion référentielle : en faisant œuvre de suggestion, Jarry ne dit rien, il
propose un objet de rêverie sémantique, ayant conscience que le sens est le résultat d’une
construction subjective, et non de la découverte d’un objet voilé sous le texte. Il tente de
saturer les virtualités polysémiques de son texte, conçu comme une synthèse de toutes les
significations possibles : « tous les sens qu'y trouvera le lecteur sont prévus, et jamais il ne les
trouvera tous ; et l'auteur lui en peut indiquer, colin-maillard cérébral, d'inattendus,
11postérieurs et contradictoires ». Tous les sens décelables sont donc recevables ; le problème
ne consiste pas à tenter une interprétation de Jarry, mais à définir les procédés qui lui
permettent de laisser le texte dans la plus grande indétermination sémantique possible, de
faire des mots des « carrefours » à partir desquels les sens se redistribuent indéfiniment. Le
but de ce travail est donc d’analyser les processus par lesquels Jarry fourvoie le lecteur, joue
sur la polysémie des termes, cherche à multiplier les interprétations possibles de ses textes,
tente d’échapper à la fixation d’un sens définitif par des dispositifs de diffraction sémantique
destinés à désolidariser signifiants et signifiés pour conduire à l’autonomie des images.
Je ne m’intéresse dans ce travail qu’à la première moitié de la vie d’écrivain de Jarry, de
1893 à 1899. L’unité de cette période est déterminée par la publication des œuvres de Jarry
aux Éditions du Mercure de France, qui prend fin en 1899, avec le refus de leur directeur,
Alfred Vallette, de publier L’Amour absolu, qu’il accepte cependant de prendre en dépôt. À
partir de 1900, Jarry publie Ubu enchaîné précédé d’Ubu Roi aux Éditions de la Revue
blanche, et donne Messaline en prépublication dans la revue des frères Natanson ; il entre
dans un nouvel espace littéraire, et son œuvre toute entière prend une nouvelle dimension. La
première période de l’écriture de Jarry peut être analysée comme une forme de quête de
l’absolu littéraire : dans le sillage du décadentisme et du symbolisme, et sous l’égide de Remy
de Gourmont, Jarry livre des ouvrages d’une obscurité calculée, synthèses voulues de son
univers, prétendument libérés des contingences.
Le principe du « colin-maillard cérébral », posé dans le « Linteau » des Minutes de sable
mémorial, peut être considéré comme le dénominateur commun des expérimentations
rhétoriques de Jarry à cette époque. En affirmant simultanément la maîtrise totale de l’auteur
sur l’ensemble des interprétations de ses textes et une ouverture sémantique illimitée, Jarry

7 os Voir Claude Abastado, « Doctrine symboliste du langage poétique », Romantisme, n 25-26, 1979, p. 75-106.
8
OC I, p. 171.
9 Idem, p. 173.
10
Stéphane Mallarmé, Vers et prose,

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