Qu est-ce qu être pauvre aujourd hui en Europe ? L analyse du consensus sur les privations
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Qu'est-ce qu'être pauvre aujourd'hui en Europe ? L'analyse du consensus sur les privations

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L’enquête Standards de vie réalisée par l’Insee en 2006 et l’Eurobaromètre 67.1 commandité en 2007 par la Commission européenne permettent d’analyser la manière dont Français et Européens se représentent la pauvreté et les privations qu’elle entraîne. La pauvreté peut en effet être définie comme le fait d’être victime d’un certain nombre de privations. On parle alors de pauvreté en conditions de vie. Si dans l’enquête française, la moitié des privations proposées sont jugées inacceptables par plus de 50 % des enquêtés, le consensus n'est net que sur un petit nombre de privations, témoignant d’une vision restrictive de la pauvreté limitée aux privations alimentaires sévères, aux manques fonctionnels relatifs à l'habillement, à la très mauvaise qualité du logement et aux difficultés à se soigner. Les items exprimant la privation de besoins non vitaux apparaissent moins souvent inacceptables. En France comme en Europe, les opinions sont très diverses : personne ne s’accorde sur le même panier de privations inacceptables. Les descripteurs sociodémographiques usuels n'ont qu'un faible impact sur les réponses. Ils ne permettent pas de déterminer des groupes d’enquêtés où règnerait un consensus sur une norme de pauvreté particulière très différente de la norme globale. En revanche, il existe de grandes différences entre pays. Un effet « national » se dessine ainsi, soulignant la difficulté d’utiliser la notion de pauvreté en conditions de vie dans les comparaisons internationales.

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Langue Français
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Extrait

CONDITIONS DE VIE
Qu’est-ce qu’être pauvre aujourd’hui
en Europe ?
L’analyse du consensus sur les privations
Jérôme Accardo et Thibaut de Saint Pol*
L’enquête Standards de vie réalisée par l’Insee en 2006 et l’Eurobaromètre 67.1 com-
mandité en 2007 par la Commission européenne permettent d’analyser la manière dont
Français et Européens se représentent la pauvreté et les privations qu’elle entraîne. La
pauvreté peut en effet être défnie comme le fait d’être victime d’un certain nombre de
privations. On parle alors de pauvreté en « conditions de vie ».
Si dans l’enquête française, la moitié des privations proposées sont jugées inaccepta-
bles par plus de 50 % des enquêtés, le consensus n’est net que sur un petit nombre de
privations, témoignant d’une vision restrictive de la pauvreté limitée aux privations ali-
mentaires sévères, aux manques fonctionnels relatifs à l’habillement, à la très mauvaise
qualité du logement et aux diffcultés à se soigner. Les items exprimant la privation de
besoins non vitaux apparaissent moins souvent inacceptables.
En France comme en Europe, les opinions sont très diverses : personne ne s’accorde
sur le même panier de privations inacceptables. Les descripteurs sociodémographiques
usuels n’ont qu’un faible impact sur les réponses. Ils ne permettent pas de déterminer
des groupes d’enquêtés où règnerait un consensus sur une norme de pauvreté particu-
lière très différente de la norme globale. En revanche, il existe de grandes différences
entre pays. Un effet « national » se dessine ainsi, soulignant la diffculté d’utiliser la
notion de pauvreté en conditions de vie dans les comparaisons internationales.
* Au moment de la rédaction de cet article, Jérôme Accardo et Thibaut de Saint Pol appartenaient à la division Conditions de vie des
ménages de l’Insee.
Les auteurs remercient Daniel Verger et les deux rapporteurs anonymes dont les conseils et suggestions ont contribué à améliorer cet
article.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 421, 2009 3a pauvreté est un phénomène complexe à (Lollivier et Verger, 1997), selon lequel la priva-L saisir à partir de données quantitatives. Si tion doit se rapporter à une pratique (liée à une
le seuil de pauvreté monétaire est l’outil le plus consommation) diffusée dans la majorité de la
classiquement utilisé, il ne traduit qu’un aspect population et participant donc à un « standard
de ce phénomène multidimensionnel (Verger, objectif » (Townsend, 1979). Des travaux ulté-
2005). La pauvreté peut également être déf - rieurs ont poursuivi cet effort d’objectivation
nie plus subjectivement, en considérant comme (Dickès, 1992). Ce dernier auteur, en particu-
pauvre celui qui déclare ne pas arriver à boucler lier, met en avant un second critère opérationnel
ses fns de mois avec le revenu dont il dispose ou essentiel, celui du contrôle par le consensus qui
qui déclare avoir du mal à équilibrer son budget. consiste à ne retenir que les privations considé-
Cet article s’intéresse à une troisième approche, rées comme défavorables par une large majorité
complémentaire des deux précédentes : la prise de la population.
en compte des privations, c’est-à-dire le fait de
désirer un bien sans avoir les moyens de l’ache- La diffusion objective des pratiques est sou-
ter, également appelée « pauvreté en conditions vent relativement bien connue, le thème étant
de vie ». depuis longtemps et régulièrement l’objet d’en-
quêtes auprès des ménages (1). En revanche le
Cette approche, consistant à recenser les pri- degré de consensus sur le caractère défavorable
vations d’ordre matériel que subit le ménage, d’une privation a été beaucoup moins examiné.
est apparue dans les années 1970 (Townsend, En 2005, à notre connaissance, seules quatre
1979). Considérer les privations permet de déf - « enquêtes sur le consensus » avaient été réali-
nir la pauvreté par les états, par opposition à sées auprès d’échantillons de grande taille (plu-
une défnition par les moyens, dont la notion sieurs milliers de personnes). La première a été
usuelle de pauvreté monétaire est l’exemple le effectuée en Grande-Bretagne en 1983 et visait à
plus évident, mais qui est aussi l’angle adopté recueillir l’opinion d’un échantillon d’individus
par Sen dans ses analyses visant à dépasser la sur les privations qu’ils jugeaient constitutives
vision strictement monétaire de la pauvreté (Sen, de la pauvreté (Mack et Lansley, 1985). Cette
1987). Au-delà d’un certain nombre de priva- opération a été reconduite en 1990, puis en 1999
tions, le ménage est dit pauvre en conditions de lors du « Poverty and Social Exclusion Survey »
vie. Choisir ce nombre de privations est certes (PSE), en Grande-Bretagne toujours. Les résul-
une question délicate, mais au même titre que tats de ces enquêtes ont effectivement contribué
le choix du seuil de pauvreté monétaire. Cette à déterminer le contenu des listes employées
défnition de la pauvreté présente d’ailleurs dans les diverses enquêtes de privation réalisées
des avantages par rapport à celle de la pauvreté ultérieurement, en Grande-Bretagne comme
monétaire, notamment d’un point de vue prati- ailleurs. Le principe de sélection était de retenir
que. Elle ne nécessite en effet que le décompte les items indiqués comme inacceptables par une
des privations subies par le ménage, opération majorité de répondants (Gordon et al., 2000 ).
statistiquement plus simple et aux résultats en Enfn, en 2003, le Goskomstat russe a conduit
principe plus robustes que la mesure des reve- sa propre enquête, en s’inspirant de l’approche
12nus. La mise en œuvre pratique des enquêtes sur britannique.
les privations soulève cependant une diffculté
majeure : la sélection préalable des privations En France, depuis plus d’une dizaine d’années,
à prendre en compte. Il est en effet impossible des enquêtes de privation (2) sont réalisées
de passer en revue avec chaque ménage enquêté annuellement, en se fondant sur des listes de
tous les biens et services qu’il est susceptible de privations inspirées des enquêtes étrangères. La
consommer pour établir ceux dont il est privé. diffusion objective des privations retenues per-
met de déterminer si elles satisfont au « contrôle
La détermination d’une liste des privations par la fréquence ». En revanche, faute d’enquête
pertinentes est un problème diffcile. Les listes spécifque, on ne disposait pas jusqu’à présent
qui sous-tendaient les premières mesures de la d’information précise sur le degré de consensus
pauvreté en conditions de vie ont été élaborées concernant le choix de ces privations. L’enquête
par des experts, chercheurs en sciences socia-
les, qui, pour justifer leurs choix, se référaient
1. En France, comme dans la plupart des pays, différentes essentiellement à l’intuition commune de ce
enquêtes sur la consommation, sur le logement, sur les vacan-qu’était la norme dominante de consommation
ces, sur les biens durables, etc. fournissent ce type d’informa-
dans la société considérée. Cette intuition pou- tion.
2. Successivement dans le panel européen des ménages, les vait néanmoins se fonder sur des critères objec-
enquêtes permanentes sur les conditions de vie et le panel
tifs, en particulier le contrôle par la fréquence Statistiques sur les Ressources et les Conditions de vie (SRCV).
4 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 421, 2009Standards de vie, conduite par l’Insee en janvier Cet article s’appuie sur ces deux enquêtes pour
2006, a été réalisée pour combler cette lacune évaluer le degré de consensus que recueillent
(cf. encadré 1). Elle tente de mettre au jour les des privations appartenant à des domaines aussi
défnitions implicites de la pauvreté existant divers que les conditions de logement, la socia-
aujourd’hui dans la population en France. Un bilité ou la santé. Son

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