Représentations de l espace dans la mythologie tatuyo (Indiens Tucano) - article ; n°1 ; vol.61, pg 45-105
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Description

Journal de la Société des Américanistes - Année 1972 - Volume 61 - Numéro 1 - Pages 45-105
61 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1972
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

Extrait

Patrice Bidou
Représentations de l'espace dans la mythologie tatuyo (Indiens
Tucano)
In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 61, 1972. pp. 45-105.
Citer ce document / Cite this document :
Bidou Patrice. Représentations de l'espace dans la mythologie tatuyo (Indiens Tucano). In: Journal de la Société des
Américanistes. Tome 61, 1972. pp. 45-105.
doi : 10.3406/jsa.1972.2114
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1972_num_61_1_2114REPRESENTATIONS DE L'ESPACE
DANS LA MYTHOLOGIE TATUYO
(INDIENS TUCANO)
par Patrice BIDOU
I. — Introduction.
a) U univers du savoir.
Vouloir parler de l'univers en termes spatiaux tel que le conçoivent
les Tatuyo n'a pas grande signification en soi et demande quelques explica
tions préliminaires. Ceci pour deux raisons principales : d'une part, une raison
d'ordre structural et d'autre part, une raison d'ordre plus contingent touchant
à la « qualité » du savoir des informateurs.
Les Tatuyo peuvent se définir comme une entité sociale exogamique de struc
ture segmentaire (« tribu ») г. Tous les Tatuyo descendent d'un ancêtre mythique
commun, ils sont tous parents (consanguins) entre eux selon le mode de fili
ation patrilinéaire ; ils parlent tous la même langue, en opposition aux autres
groupes ou « tribus » tucano voisins qui sont pensés (par les Tatuyo) comme
des gens parlant des langues différentes.
De structure segmentaire, la « tribu » se divise en grosses unités ou clans,
subdivisés eux-mêmes en unités plus petites ou lignages et lignées. Les Tatuyo,
en tant que « tribu », sont localisés, ils occupent un territoire bien défini dans
le bassin du Haut Pira-Parana, borné par les territoires des groupes voisins.
Les différents segments eux-mêmes sont localisés tant au niveau des clans
que des lignages, ils occupent des sites particuliers au sein du territoire global.
La résidence est patrilocale, la « maloca », grande habitation collective, abrite
une famille étendue patrilinéaire correspondant le plus souvent à une lignée
ou à un lignage.
Ces différents groupes de filiation patrilinéaire présentent, en outre, deux
caractéristiques principales :
1. Nous mettons le concept de « tribu » entre guillemets car son emploi dans le contexte
des groupes tucano du Vaupès demanderait une analyse sur le fond qui n'est pas notre objet
ici. De même pour les concepts de « clan » et de « lignage » ; toutefois pour alléger le texte,
nous omettrons les guillemets qui devront être sous-entendus. 46 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
— ils sont hiérarchisés les uns par rapport aux autres (en opposition aîné-
cadet) ;
— ils sont spécialisés ; certains segments ont ainsi une fonction exclusive
et complémentaire par rapport aux autres segments.
La structure segmentaire de la société Tatuyo joue un rôle important en
ce qui concerne l'organisation du savoir des individus ; le . fait d'appartenir
à un segment plutôt qu'à un autre, entraîne une vision particulière de soi-
même et de la totalité, aux différents niveaux de son expression sociale et symb
olique. Cela peut aller d'une simple différence de <c coloration » dans la lecture
de l'univers jusqu'à des écarts importants voire des interprétations qui s'oppo
sent complètement. Cela est particulièrement pertinent, par exemple, entre
les segments situés sur les bords mêmes du Pira-Parana (le centre du monde)
et ceux qui vivent éloignés à l'intérieur de la forêt ; ou encore en prenant un
autre axe, entre les segments de haut rang et ceux du bas de l'échelle.
Mais outre ces variations dues à la position particulière d'un Ego au sein
de la structure globale, il est une autre dimension pertinente en ce qui concerne
la perception de l'univers et qui recoupe la première raison d'ordre structural,,
c'est que les individus n'ont pas tous le même savoir et par là, le même entende
ment du monde. Le payé, kumu, c'est avant tout « celui qui sait » — ha mahi — x
et les gens sont plus ou moins payé, ils « savent » plus ou moins. Toutes les gra
duations sont possibles ; mais au sommet de l'échelle sont ceux qui savent
beaucoup — les grands payé — et au bas de l'échelle sont ceux qui savent peu,,
eux de fait, ne sont pas payé du tout. On devient payé en apprenant, cela com
mence tôt, dès le jeune âge et se poursuit toute la vie, il n'y a pas de terme au
savoir. Il faut bien voir qu'être payé — être grand payé — ne repose pas tell
ement sur la possession d'un savoir ésotérique, sur la connaissance exclusive
de certains discours ou rituels secrets, mais bien plutôt sur une extension et
une qualité du savoir qui permet d'atteindre des niveaux de compréhension
de l'univers toujours plus profonds ; un grand payé, c'est celui qui a une pensée
plus « forte ». Tous les Tatuyo ont une culture commune 2, une langue commune,,
ils font ensemble les mêmes rituels, disent les mêmes incantations 3, connais
sent les mêmes mythes. Mais la signification de l'univers symbolique mis en
jeu par ces différentes activités sociales dépend du savoir de l'individu. Un.
mythe en soi, ce n'est pas grand chose, à la limite de sa plus simple lecture^
c'est juste une histoire comme çà, une fable avec en conclusion une petite morale.
En fait un mythe n'est qu'un support ; sa lecture dépend du degré de savoir
de celui qui le dit ou l'écoute 4. C'est le lieu de tout le réseau des corrélations
paradigmatiques et syntagmatiques qu'il met en jeu, l'extension et la densité
de ce réseau dépend du savoir de chacun 5.
1. Et par là-même « celui qui peut », la même racine, mahi, veut dire « savoir » et
« pouvoir ».
2. Cela est aussi vrai — d'une manière très générale — pour l'ensemble des groupes tucano-
du Vaupès.
3. Exception faite des femmes et des enfants en ce qui concerne les rituels de yurupari.
.4. Cela est aussi vrai pour l'indigène que pour l'ethnologue.
5. « Savoir » implique un rapport particulier au monde, un rapport fort qui lie les mots-
aux choses. Quand on sait, ce n'est plus possible d'avoir un « innocent » ou « naïf » l'espace dans la mythologie tatuyo 47
Le mythe dit par une femme ou un enfant est généralement bien dit, « mieux
dit », le récit abonde en détails, Д est vivant, on comprend bien « ce qui se passe »,
c'est une belle histoire. Le même mythe dit par un payé est « mal dit », souvent
mal articulé (cela vient de l'intérieur), peu clair, le récit est elliptique et souvent,
on ne comprend pas très bien « ce qui se passe » ; on pourrait dire qu'il est réduit
à sa plus simple expression. Il est clair qu'il ne s'agit plus là d'une simple his
toire, ce que le payé met en place par son verbe n'est qu'un scheme servant de
support à tout un ensemble de significations qui se situe bien au-delà du contenu
immédiat. Les grands payé — ceux qui savent beaucoup comme disent les
Tatuyo — sont capables, à partir d'un même corpus exotérique connu de tous
ou pouvant être connu de tous, d'intégrer des niveaux de compréhension tou
jours plus nombreux et plus profonds ; les « personnages » des mythes, les gens,
les animaux, les plantes, les choses, les activités, ne sont plus que des métap
hores, des supports d'une pensée qui se meut à un haut niveau d'abstraction.
Ainsi si l'on tient compte de ces deux variables — position de ou des info
rmateurs au sein d'un certain segment et qualité du savoir très variable d'un
individu à l'autre — nous voyons qu'il est illusoire de vouloir rendre compte
de la conceptualisation de l'univers « selon les Tatuyo ». Autrement dit il n'y
à pas une « pensée tatuyo moyenne » ou une « compréhension tatuyo type » ;
vouloir ignorer la complexité de l'expression d'un groupe — aussi petit soit -il — г
ne peut aboutir qu'à une abstraction, une construction déformante de la réal
ité, faite de l'extérieur à partir de morceaux recueillis ici et là. •'
II faut donc nous situer, donner nos coordonnées. Nous avons fait un terrain
de douze mois, réparti en plusieurs séjours, entre décembre 1968 et dé

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