RÉSUMÉ DE THÈSE
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Magali Gravier 1magali@gravier.org RÉSUMÉ DE THÈSE IDENTITÉ ET LOYAUTÉ. ÉTUDE DES PROCESSUS DE RECOMPOSITION IDENTITAIRES DES AGENTS MINISTÉRIELS DU BRANDEBOURG ET DE LA SAXE DEPUIS L’UNIFICATION ALLEMANDE. Préparée sous la direction de Pierre Birnbaum Soutenue le 20 décembre 2000 Devant un jury composé de Pierre Birnbaum, Françoise Dreyfus, Erhard Friedberg, Patrick Hassenteufel, Gerhard Lehmbruch, Pierre Sadran. Mention très honorable avec félicitations du jury à l’unanimité. Thèse proposée pour le prix Maurice Picard de la Chancellerie des Universités de Paris. À l’origine de cette recherche, se trouve la volonté d’étudier les transformations intervenues au sein de l’État allemand et de sa fonction publique à la suite de l’Unification. Plus particulièrement, nous nous sommes intéressés aux recompositions identitaires vécues par les agents ministériels originaires de la R.D.A. qui travaillent désormais dans la fonction publique de l’Allemagne unifiée – autant dire la fonction publique ouest-allemande. Pour cela, observer le processus d’intégration en nous plaçant dans la perspective des « entrants » et non pas dans celle de l’organisation intégratrice, est apparu comme un choix pertinent. La question qui sous-tend cette recherche est la suivante : comment des acteurs qui ont été socialisés en R.D.A. ont-ils pu se mettre au service de la R.F.A. ? Cette question s’impose d’autant plus que les deux Allemagnes ...

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RÉSUMÉ DE THÈSEIDENTITÉ ET LOYAUTÉ. ÉTUDE DES PROCESSUS DE RECOMPOSITION IDENTITAIRES DES AGENTS MINISTÉRIELS DUBRANDEBOURG ET DE LASAXE DEPUIS L’UNIFICATION ALLEMANDE. Préparée sous la direction de Pierre Birnbaum Soutenue le 20 décembre 2000 Devant un jury composé de Pierre Birnbaum, Françoise Dreyfus, Erhard Friedberg, Patrick Hassenteufel, Gerhard Lehmbruch, Pierre Sadran. Mention très honorable avec félicitations du jury à l’unanimité. Thèse proposée pour le prix Maurice Picard de la Chancellerie des Universités de Paris. À l’origine de cette recherche, se trouve la volonté d’étudier les transformations intervenues au sein de l’État allemand et de sa fonction publique à la suite de l’Unification. Plus particulièrement, nous nous sommes intéressés aux recompositions identitaires vécues par les agents ministériels originaires de la R.D.A. qui travaillent désormais dans la fonction publique de l’Allemagne unifiée – autant dire la fonction publique ouestallemande. Pour cela, observer le processus d’intégration en nous plaçant dans la perspective des « entrants » et non pas dans celle de l’organisation intégratrice, est apparu comme un choix pertinent. La question qui soustend cette recherche est la suivante : comment des acteurs qui ont été socialisés en R.D.A. ontils pu se mettre au service de la R.F.A. ? Cette question s’impose d’autant plus que les deux Allemagnes étaient non seulement opposées du point de vue de leur
idéologie (la première étant un régime socialiste autoritaire, la seconde une démocratie libérale) mais aussi du fait que c’étaient des États ennemis. L’effondrement de la R.D.A. autoritaire et son absorption par la R.F.A. démocratique renvoie donc directement à la question du basculement de la loyauté des agents administratifs estallemands à l’État ouest allemand et à celle sousjacente de leur identification au nouvel État. Cette recherche se situe donc à la croisée de trois types d’objet : l’État et sa fonction publique, la loyauté et l’identité et enfin, les acteurs sociaux. Elle ambitionne d’observer la rencontre
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entre un environnement et des individus, sous l’angle particulier de la loyauté. Pour cela, il a tout d’abord été nécessaire de retravailler la notion de loyauté, à la fois en tant que concept abstrait et concrètement en tant que contrainte normative dans la fonction publique allemande. Ceci permettait de brosser les contours d’un environnement particulier et de mieux comprendre les politiques d’intégration menées dans les administrations ministérielles des nouveaux Länder. Une fois ce cadre posé, nous nous sommes attachés à analyser les processus de transformation identitaire pour enfin analyser les discours identitaires et les 1 identifications de membres de la fonction publique allemande (lato sensu) dans les nouveaux Länder. Nous avons fondé notre recherche sur un travail empirique comportant tout d’abord la réalisation d’entretiens auprès de fonctionnaires et d’employés de la fonction publique supérieure dans les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture de deux Länder, le Brandebourg et la Saxe. Par ailleurs, nous avons analysé les politiques d’intégration d’Allemands de l’Est dans la fonction publique menées par les administrations des deux Länder. Le matériau empirique est constitué de 76 entretiens semidirectifs réalisés entre octobre 1995 et avril 1999, de documents administratifs internes relatifs aux politiques d’intégration (formation et recrutement) et d’une microenquête de terrain réalisée dans l’école de formation des fonctionnaires du Brandebourg. Rare État à imposer un serment de loyauté à ses fonctionnaires, l’État allemand accorde une place centrale à la notion de loyauté. Celleci constitue l’un des éléments sur lesquels il se fonde pour recruter ses fonctionnaires. Parce que, d’une part, elle permet de porter un jugement moral sur les fonctionnaires qui peuvent être jugés dignes de confiance ou non, parce que, d’autre part, elle est très étroitement liée à la problématique de l’identité politique et à la morale, la loyauté est éminemment normative et, de ce fait, d’autant plus difficile à manier dans l’analyse politique. L’instrumentalisation de la loyauté politique par l’État est inévitable dès lors que celuici entend s’y référer pour orienter son action. Le chercheur est par là même inéluctablement confronté à la question de la qualification des actes politiques. L’objet « loyauté » semble finalement demander au chercheur de prendre partie pour ou contre l’acteur, pour ou contre l’État. Face à cette difficulté, on pourrait soit renoncer et abandonner la loyauté aux acteurs
1 Autrement dit, regroupant fonctionnaires et employés.
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sociaux, soit, comme nous l’avons fait (chapitre 1), considérer qu’elle est une des clés de l’analyse des logiques d’intégration auxquelles peut recourir l’État dans la gestion de ses relations avec ses serviteurs. L’omniprésence de cette notion dans la fonction publique allemande et plus largement dans les relations politiques nous invite à opter pour le second choix. Ceci nous impose alors une démarche de réflexion sur le concept de loyauté. Il s’agit d’en faire un concept opératoire qui ne soit pas amputé des dimensions fondamentales sous tendant la loyauté tout en permettant l’élaboration d’une grille d’analyse qui éclaire, d’une part, les enjeux de la loyauté et, d’autre part, les modalités de son instrumentalisation par l’État allemand. Concevoir la loyauté comme un concept d’intégration instrumentalisé par des acteurs et/ou groupes d’acteurs permet ainsi de sortir de l’ornière du jugement de valeur tout en se dotant d’un outil d’analyse pertinent pour aborder la fonction publique allemande. Le recours à l’analyse historique s’avère très enrichissant (chapitre 2). La place de la loyauté dans la fonction publique allemande s’inscrit dans les transformations qui ont touché à la fois l’État et la vie politique allemands, notamment avec l’émergence des partis politiques. Si la e loyauté a recouvert diverses significations depuis la fin duXVIIIsiècle, on voit malgré tout se dessiner les contours d’un répertoire spécifique de l’action étatique allemande face à ses fonctionnaires. Érigée en valeur morale fondamentale au métier de serviteur du Roi par er Frédéric I , l’obligation de loyauté devient progressivement un instrument politique utilisé par l’État pour consolider sa position face au Parlement en s’assurant du soutien inconditionnel des fonctionnaires. L’obligation de loyauté est un moyen de contrôle politique sur les fonctionnaires permettant de sélectionner les candidats et de discipliner les fonctionnaires en poste. Modelée par les différents gouvernements pour faire face aux diverses crises institutionnelles et politiques, elle reflète les visions successives de l’État, de la fonction publique et des libertés politiques. Plus largement, elle reflète certaines des évolutions qui se sont produites au cœur des sphères politique et étatique allemandes. Malgré les expériences historiques traumatisantes, et plusieurs tentatives pour faire disparaître la fonction publique à qui l’on reproche les blocages et erreurs de l’État, aucun régime n’ira jusqu’à son abolition à l’exception de la R.D.A., illustrant ainsi la célèbre maxime allemande selon laquelle « l’État passe, l’administration demeure ». Dans une logique depath dependence, l’État allemand conserve sa confiance dans l’institution de la fonction publique et ne fait qu’adapter le répertoire du contrôle politique par le biais de modifications des contours de l’obligation de loyauté. Le régime estallemand, sans doute parce qu’il se fonde sur un modèle importé, fait l’expérience d’un changement radical de culture étatique.
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2 Cependant, fondamentalement autoritaire et dominé par le poids écrasant du S.E.D. , il maintient un fort contrôle politique sur ses « fonctionnaires d’État » [Staatsfunktionäre] s’écartant finalement peu du répertoire d’action que l’État allemand avait connu jusqu’alors. Globalement réticent à accorder des libertés politiques à ses fonctionnaires, l’État allemand ne les concède que progressivement, par àcoups, et les reprend à chaque nouvelle crise politique. La liberté d’appartenance partisane et la liberté d’opinion demeurent les derniers bastions du contrôle politique de l’État. Ce dernier admet progressivement dans ses rangs des fonctionnaires faisant partie de l’opposition. Cependant, et à quelques exceptions historiques près, les fonctionnaires socialistes, sociauxdémocrates et communistes sont durablement écartés de la fonction publique supérieure. Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que cet état des choses change. Si le parti socialdémocrate devient enfin un parti de gouvernement banalisé en R.F.A., les partis communistes n’y sont toujours pas tolérés. La R.D.A. connaît de ce point de vue une évolution totalement opposée puisque l’adoption d’un régime de type soviétique entraîne la mainmise du S.E.D. sur l’appareil étatique et la vie politique. Les évolutions profondément divergentes des deux Allemagnes jusqu’en 1989 ainsi que le poids de la tradition ouestallemande en matière de fonction publique laissent entrevoir la difficulté que constitue l’intégration dans les rangs de l’administration d’Allemands de l’Est. L’Unification confronta de nouveau l’Allemagne au défi du renouvellement du personnel administratif. La particularité de cet événement entraînait un cas de figure de transition inédit : seule une partie des serviteurs de l’État était affectée directement par la mise en place du nouvel État. Comme par le passé, le processus d’intégration des nouveaux entrants – les Allemands de l’Est – tenta d’établir un équilibre entre la nécessité de doter l’administration d’un personnel politiquement fiable et celle de recruter un personnel compétent. Le fait que les Allemands de l’Est aient vécu dans « l’autre » Allemagne posait des problèmes sérieux puisque tout dans leur socialisation différait de ce que connaissaient les Allemands de l’Ouest. Il s’agissait dès lors d’évaluer à la fois leurs compétences « professionnelles spécialisées (fachlich) » et leurs compétences politiques. H. les regroupe sous le termeU. Derlien 3 d’« incompétence politisée » . Il distingue bien les premières des secondes, mais pour lui,
2 Parti socialiste unifié d’Allemagne. 3  Derlien HansUlrich, « Integration der Staatsfunktionäre der DDR in das Berufsbeamtentum : Professionalisierung und Säuberung », in Seibel Wolfganget al. (dir.),Verwaltungsreform und Verwaltungspolitik im Prozeß der deutschen Einigung, BadenBaden, Nomos Verlagsgesellschaft, 1993, p. 190 206.
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elles constituent, ensemble, les compétences professionnelles « globales » des fonctionnaires. Elles sont donc aussi nécessaires l’une que l’autre. Pour H. U. Derlien, elles sont détenues par les acteurs à un moment donné de leurs biographies et racontent en partie leurs histoires et leurs identités – celle de leurs vies en Allemagne de l’Est. Dans les faits, cependant, elles sont davantage une « réalité » négociée : ce sont celles que les acteurs revendiquent pour eux mêmes et celles que d’autres acteurs leur imputent. Les deux types de politiques qui furent mises en place afin d’intégrer des Allemands de l’Est dans les administrations des nouveaux Länder reposaient à la fois sur des logiques propres à la fonction publique allemande traditionnelle et sur la vision que la R.F.A. avait de la R.D.A. Les politiques de recrutement (chapitre 3) avaient pour objectif d’opérer une sélection politique des candidats tandis que les politiques de formation (chapitre 4) ambitionnaient de leur transmettre les savoirs professionnels considérés comme nécessaires. L’étude de ces politiques est fondamentale dans notre démarche en ce qu’elles constituent des environnements de socialisation. Elles sont des instruments permettant d’opérer un tri entre ceux jugés aptes à intégrer la fonction publique allemande unifiée et ceux qui doivent en être exclus. Dans cette optique, il nous importait de dégager les signaux d’intégration qu’elles renvoyaient aux agents ministériels de l’Est. La question de la compatibilité politique est très différente de celle de la compatibilité professionnelle. Toutes deux reposent sur des conceptions de l’homme très différentes et fonctionnent dans des temps opposés. Alors que la formation d’adaptation repose sur le postulat que l’homme peut changer, évoluer, s’adapter, celui de la compétence politique repose sur l’hypothèse inverse d’une inertie identitaire, sur le postulat de la continuité. Les mesures de formation sont une promesse pour l’avenir selon laquelle les différences entre personnels Est et Ouest sont amenées à disparaître. À ce titre elle constitue un signal d’intégration. À l’inverse, la compétence politique est le critère à l’aune duquel est jugé le passé. Elle offre un critère de sélection négative destiné à écarter les personnes au profil politique indésirable, autrement dit qui avaient été trop proches du régime estallemand. En ce sens, elle fige la biographie de l’individu dont le futur semble être prisonnier du passé. De fait, la question de la compétence politique participe de l’ensemble des mécanismes qui contribuent à signifier aux nouveaux arrivants dans quelle mesure ils sont acceptés dans ce nouvel État, jusqu’à quel point ils sont considérés comme des compatriotes et s’ils sont dignes de confiance ou non. À la loyauté due par le fonctionnaire répond la confiance qui lui est accordée. Du fait de la structure fédérale, les marges de manœuvre laissées aux Länder dans la mise en œuvre de ces politiques ont permis à la Saxe et au Brandebourg d’adopter des positions
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différentes, la première s’étant montrée globalement plus restrictive que le second. Dans leur ensemble, les agents ministériels des deux Länder ont cependant été confrontés à un environnement qui les a intégré de façon conditionnée, même dans le cadre des politiques de formation : d’une part, les difficultés d’organisation liées à l’ampleur des besoins de formation ont introduit des effets pervers, brouillant ainsi les objectifs pédagogiques initialement fixés ; d’autre part, la nécessité de suivre des programmes de formation signifiait
symboliquement une dévalorisation des expériences et diplômes acquis du temps de la R.D.A.
La prudence générale des administrations s’explique largement par l’opposition idéologique entre les deux Allemagnes mais aussi par la spécificité du fonctionnement bureaucratique ouestallemand. De leur côté, les agents administratifs estallemands ont développé des mécanismes de résistance et d’objectivation par rapport aux processus d’intégration et de resocialisation dont ils faisaient l’expérience. Décrire l’environnement dans lequel les agents ministériels estallemands que nous avons interviewés ont été intégrés, sous l’angle particulier de l’analyse des politiques de recrutement et de formation nous a permis de montrer que cellesci pouvaient, entre autres, être interprétées comme des signaux d’ouverture et/ou de fermeture d’un groupe social spécifique face à des membres potentiels. C’est à la fois en réaction à et dans ce cadre normatif particulier que nos interlocuteurs ont entamé un processus de transformation identitaire. L’intégration dans un nouvel environnement social entraîne l’abandon d’un système de sens et l’acquisition d’un autre. À cette occasion, les individus transforment leur identité antérieure pour en développer une nouvelle. Ce processus est long et d’une durée variable d’un acteur à l’autre. Il est composé de plusieurs phases au cours desquelles les individus entrent progressivement dans leur nouvel environnement et leur nouvelle identité. On ne peut donc isoler le moment du « passage » où nos interlocuteurs, tels des funambules, ont traversé les frontières culturelles séparant la R.D.A. de la R.F.A. En revanche, on peut mettre au jour les enjeux et les principales modalités de réalisation. D’un côté, l’administration allemande prévoit un ensemble de procédures particulières que doivent subir les candidats à la fonction publique afin de pouvoir devenir serviteurs de l’État. Hautement réglementées et dotées de significations symboliques très fortes, ces procédures peuvent être analysées comme les éléments d’un rituel administratif d’intégration (chapitre 5). De ce point de vue, l’institution administrative balise les modalités de transformation de l’identité professionnelle des entrants de façon à ce que ces derniers soient officiellement admis comme membres à part entière, notamment aux yeux de ceux qui le sont déjà. Mais il
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ne s’agit là que de l’identité professionnelle donnée à voir lors des interactions sociales. D’un autre côté, la transformation identitaire doit être intériorisée par l’individu : il ne suffit pas que l’État et ses fonctionnaires le considèrent comme un agent de l’administration, encore fautil qu’il le croie luimême. Pour cela, il doit se construire une identité professionnelle pour lui même (chapitre 6). Or, cette étape entraîne une remise en question de soi aussi complexe que douloureuse, parce qu’elle requiert des individus qu’ils ajustent leur trajectoire biographique estallemande à celle qu’ils sont en train de se construire dans l’Allemagne unifiée. Deux logiques opposées se font donc face. Ce sont, schématiquement, d’une part, celle de l’institution administrative qui encourage (et cherche à imposer) la transformation identitaire aux yeux des nouveaux entrants comme de leurs collègues de l’Ouest par l’intermédiaire d’une ritualisation de l’intégration professionnelle et, de l’autre, l’inertie identitaire de l’individu qui le confronte à la question cruciale de l’articulation entre l’être et l’avoir été et tend à bloquer toute transformation tant que ce dilemme existentiel n’a pas trouvé de réponse. Dans une société routinisée, les acteurs sociaux apprennent à associer divers éléments comme étant intrinsèquement constitutifs d’un tout. Les identifications qu’ils développent par rapport à des objets sociaux donnés constituent des systèmes de sens dotés d’une certaine cohérence. Leur composition est d’autant moins remise en question que les agences de socialisation proposent des agencements de sens prédéfinis. Ceuxci comportent à la fois des savoirs particuliers et une dimension normative définissant le bien et le mal, le normal et l’anormal, le licite et l’illicite. À l’inverse, lorsque des acteurs intègrent un environnement qui leur est étranger, ils ne disposent pas de schèmes correspondant aux objets sociaux auxquels ils sont confrontés. Tout d’abord, ils continuent d’interpréter le monde qui les entoure à partir de leurs anciens repères cognitifs mais, ceuxci ne leur permettent pas de percevoir comme allant de soi les agencements de leur nouvel environnement. Ces derniers sont perçus de manière décomposée. La où des institutions (posées comme) reliées entre elles devraient susciter des identités groupées, les acteurs perçoivent des institutions juxtaposées, les unes suscitant des adhésions identitaires, les autres des rejets. Pour saisir ces identifications « éclatées » nous avons combiné deux approches analytiques : celle de la socialisation et celle du cognitivisme. La première invite à être sensible aux effets de l’environnement social sur les acteurs. Dans cette optique, nous avons pris en compte à la fois les référents identitaires qui font réagir les acteurs, qu’il s’agisse des institutions ou des valeurs, et les interactions avec les autres membres de la fonction publique autrement dit, les fonctionnaires de l’Ouest. L’approche cognitiviste que nous avons retenue – lasocial
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4 cognition– s’intéresse à la manière dont les acteurs organisent leurs savoirs et leur rapport au monde. Elle permet de mieux comprendre comment se construisent les identités, partant, les difficultés à en construire de nouvelles. Notamment, elle permet de réintroduire avec force l’importance des identifications passées et la manière dont les acteurs les articulent avec identités présentes. Si cellesci aident parfois à développer identités présentes positives, dans d’autres cas, elles contribuent à des phénomènes de rejets. Le rôle du passé est donc fondamental, mais il n’agit pas d’une manière uniforme sur le présent. Le travail d’élaboration identitaire apparaît bien comme un processus complexe. Les identifications de nos interlocuteurs sont le fruit d’interactions avec leurs environnements passés et présents. Elles sont des constructions d’image à la fois de soi et de leur environnement (à partir des éléments qui le constituent ou en termes de groupe d’appartenance) résultant tant d’opérations cognitives particulières (principalement : la reconnaissance, la distinction, l’association, l’intériorisation et l’appropriation) que de pratiques et de négociations identitaires qui s’élaborent et s’expriment dans le cadre d’actes de communication. Nous avons retenu trois principaux registres identitaires pour analyser les discours de nos interlocuteurs, les registres professionnel, politique et territorial que nous avons abordés successivement dans nos trois derniers chapitres. Ces trois identités suscitent des réactions
inégales de la part de nos interlocuteurs. L’identité professionnelle (chapitre 7) reste la plus difficile. Les agents ministériels est allemands n’adhèrent pas du tout à la fonction publique allemande traditionnelle, quand bien même certains en font partie statutairement. Ils refusent largement un modèle qui ne les intègre qu’imparfaitement en tant que groupe, et dont ils n’arrivent pas à se faire une image claire. Ce dernier aspect provient notamment du fait que les fonctionnaires ouestallemands, incarnant la fonction publique, et les normes régissant cette dernière n’en diffusent pas une image suffisamment cohérente. Dès lors, les acteurs se replient sur leur expérience du modèle alternatif de l’administration estallemande dans laquelle la fonction publique non seulement n’existait pas, mais était de surcroît synonyme de nonmodernité, donc connotée négativement. Nos interlocuteurs séparent ainsi leur identité de serviteur de l’État de celle de
fonctionnaire. Leur identité politique (chapitre 8) est plus ambivalente. Tout d’abord, ce qui leur paraît à la fois porteur d’avenir tout en intégrant les aspects de la R.D.A. qu’ils jugeaient positifs suscite
4 Courant représenté notamment par Pamela J. Conover et Stanley Feldman.
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une forte identification et ce, pour deux raisons. D’une part, parce que cela coïncide avec leurs visions politiques personnelles et leur identité politique antérieure. De ce fait, il n’ont pas besoin de redéfinir totalement cette dernière – un ajustement marginal suffit. D’autre part, parce que cela permet le développement d’une estime de soi collective des acteurs est allemands dans l’Allemagne de l’Ouest. En d’autres termes, cela signifie qu’ils ont leur place dans le nouvel État. En revanche, les éléments qui ne permettent pas de valoriser les aspects de la R.D.A. qui suscitaient leur adhésion ou encore, ce qui renvoie à une expérience trop négative du temps de la R.D.A. – tel l’engagement partisan – suscite une réaction de rejet. Enfin, l’identité territoriale (chapitre 9) est très positive tant qu’il s’agit de considérer le territoire comme un simple espace géographique, et ce, d’autant plus qu’il est associé à une expérience personnelle. En revanche, lorsqu’il est associé à la communauté qui y vit, il fait l’objet d’appréciations plus partagées, parce qu’il pose alors la question des valeurs de cette communauté. Ainsi, nos interlocuteurs rejettent largement les valeurs de la R.F.A. qui prennent le contrepied de celles de la R.D.A. auxquelles ils ont largement adhéré, telles que la solidarité et l’égalité. De ce fait, ils ne s’identifient que partiellement à la R.F.A. Toutefois, il convient d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas tant d’une identité d’intensité moyenne que d’une identité segmentée. En outre, les difficultés identitaires ne signifient en rien un désir de retour à la R.D.A. : les acteurs semblent avoir largement entamé, voire accompli leur travail de « deuil sociologique » relatif à cette dernière. Les identités de nos interlocuteurs, fonctionnant tantôt par adhésion, tantôt par rejet, doivent être vues comme des identités en construction. À notre sens, le fait qu’ils perçoivent leur nouvel environnement de manière décomposée est précisément ce qui leur permet de ne pas le rejeter en bloc mais, au contraire, d’élaborer progressivement des identités positives, autrement dit un sentiment d’appartenance. Une interrogation demeure : ces identifications resterontelles segmentées ou aboutirontelles, dans le futur, à une adhésion globale ? Cette question ne peut recevoir de réponse unique tant elle dépend des trajectoires individuelles.
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