Romantisme et opposition - article ; n°51 ; vol.16, pg 63-71
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Description

Romantisme - Année 1986 - Volume 16 - Numéro 51 - Pages 63-71
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 27
Langue Français

Extrait

Norman King
Romantisme et opposition
In: Romantisme, 1986, n°51. pp. 63-71.
Citer ce document / Cite this document :
King Norman. Romantisme et opposition. In: Romantisme, 1986, n°51. pp. 63-71.
doi : 10.3406/roman.1986.4808
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1986_num_16_51_4808Norman KING
Romantisme et Opposition
Le propre des légendes est leur longévité. Et l'une des plus tenaces
est le mythe selon lequel Napoléon aurait entravé le développement du
romantisme en France par son imposition du néoclassicisme (alors que
partout ailleurs, tant chez ses ennemis que chez ses admirateurs, son
action aurait servi de source d'inspiration à l'imagination romantique)1 .
Le résultat est une tendance, qui remonte bien au-delà de la « découv
erte » du préromantisme, à considérer les années du Consulat et de
l'Empire comme une période pauvre en littérature, peuplée d'écrivains
qui se sont plies devant les consignes impériales et de quelques êtres
d'exception qui, brimés eux aussi par le pouvoir, se sont vus relégués au
rôle de continuateurs, d'intermédiaires et de préparateurs.
Je voudrais explorer ici l'hypothèse contraire, prenant comme
exemples les écrivains du groupe de Coppet. Ne pourrait-on pas en effet
soutenir que par ses tentatives de répression, Napoléon a créé les condi
tions dans lesquelles le romantisme français pouvait prendre son élan en
tant que mouvement d'opposition ? (Notons à cet égard que dans les
très divergentes définitions du terme romantisme, l'un des rares points
communs est justement la notion d'opposition). Ne pourrait-on pas éga
lement maintenir que nous n'avons pas affaire à une période « pauvre »
mais à l'une des grandes époques de théorisation dans l'histoire de la li
ttérature française ? Et que cette richesse est le résultat direct d'un conf
lit tout à fait précis entre deux systèmes de pensée, non seulement li
ttéraire mais morale, politique, religieux et, bien sûr, économique ?
Pour cela, il faut évidemment évacuer la notion de continuité pro
pagée par les inventeurs du Préromantisme2 et renoncer à une idée du
Romantisme qui prend les années 1820-1830 comme point de repère. Il
faut surtout rechercher cette « spécificité historique » que réclamait
déjà Roland Mortier lors du Colloque de Clermont en 1972 et qu'il dé
finissait alors comme ce « quelque chose de profondément nouveau
[qui] se situe autour de 180Q dans l'ordre de la critique, de l'esthétique,
de la religion, de la science »3 . Mais ne pourrait-on pas surtout voir dans
ce « quelque chose » un discours politique, un discours bien de son
temps, justement, par sa tentative de construire cette politique du sent
iment qu'est le romantisme ?
La spécificité dans l'ordre du discours ne peut être saisie, cepen
dant, que comme jeu d'antagonismes, et il ne faut pas trop s'étonner
si même un André Mouchoux dont le projet était pourtant de démont
rer la « centrante » de. Mme de Staël en tant que théoricienne du го- 64 Norman King
manticisme, comme celle qui « clôt la série des précurseurs [et] ouvre la
série des militants » tombe dans le même piège que la plupart des crit
iques depuis Michelet jusqu'aux comparatistes : « En somme, en refon
dant selon son génie personnel des éléments puisés dans le XVIIIème
siècle français, tant rationnel que sensible, chez les pré-romantiques an
glais et finalement dans une sélection de suggestions germaniques, Mme
de Staël assure du XVIIIème au XIXème siècle une évidente continui
té >? .Voilà un génie (ce critère essentiel pour la critique idéaliste) qui
n'en est pas un, car il ne s'agit que d'un don d'absorption, du talent
d'emprunter à gauche et à droite de quoi faire une œuvre qui ne prend
son sens que dans une conception linéaire de l'histoire. Manquant d'ori
ginalité, Mme de Staël n'est, dans ce scénario, qu'un lieu de passage —
pour les idées comme pour les hommes.
Une autre tentative, celle des auteurs du chapitre sur les « Visages
du pré-romantisme » (P. Barbéris et M. Baude) dans le tome IV du Ma
nuel d'histoire littéraire de la France5 n'est guère plus convaincante
car s'ils insistent sur la spécificité, celle-ci se révèle être le fait que « pla
cés au confluent de deux siècles, [les écrivains pré-romantiques] ont su
analyser avec une finesse et une clarté encore classiques des états d'âme
déjà transclassiques par leur nostalgie et leur mélancolie désespérée »
(p. 1 12). Il s'agit certes d'une réaction profonde à des réalités nouvelles
mais la plénitude de ce « premier romantisme » est « dans le rejet d'un
type de vie et de rapports inter-humains dont l'analyse et la définition
ne pourront être faites que plus tard lorsque l'histoire aura commencé
à accoucher d'elle-même » (p. 113). Voici le mal de siècle qui reparaît
à travers une tentative malencontreuse de greffer un discours matérialis
te (le sens de l'histoire) sur un discours idéaliste (les états d'âme) et qui
nous laisse là où nous étions, dans une spécificité qui n'en est pas une.
Héritiers et précurseurs, mal dans leur peau, opprimés et réagissant con
tre les vicissitudes de l'histoire sans les comprendre, nos écrivains occu
pent encore un terrain vague, au point de rencontre de deux siècles
dont aucun n'est le leur.
Tout en risquant d'exhiber la naïveté des badauds qui n'ont vu
dans les proclamations du 1 8 Brumaire que le nom de Bonaparte, je
chercherai à soulever ici la question de la présence de Napoléon dans
cet « autour de 1 800 » : non pas à vrai dire un Napoléon authentique
mais tel que ses opposants se le représentent — une autre légende, cer
tes, mais une légende qui n'en est pas moins ancrée dans l'histoire.
Comme le rappelait récemment Roland Mortier6 , c'est à partir du
Directoire qu'a lieu en France une radicale remise en question de la mor
ale de l'intérêt bien entendu, à laquelle on oppose une morale d'inspi
ration kantienne. C'est une contestation qui formera dès lors l'axe fon
damental de la pensée du groupe de Coppet, en littérature et en polit
ique aussi bien qu'en morale, et qui trouvera son expression la plus suc
cincte dans les fameuses remarques de Constant sur les deux systèmes :
« Tous les systèmes se réduisent à deux. L'un nous assigne l'intérêt
pour guide et le bien-être pour but. L'autre nous propose pour but le
perfectionnement et pour guide le sentiment intime, l'abnégation de
nous-mêmes et la faculté du sacrifice »7 .
La concision même de la formulation de Constant donne cepen- Romantisme et Opposition 65
dant une impression fausse et il faut éviter de n'y voir qu'une affirma
tion de plus de la supériorité du sentiment sur la raison. La préface de
De la religion est moins l'aboutissement d'une longue réflexion qu'un
écrit polémique visant les courants matérialistes de la pensée bourgeoise
des années 1820. Sismondi et Auguste de Staël tiennent à peu près le
même langage à cette époque, reprenant des arguments déjà avancés par
Mme de Staël contre les Benthamistes pendant son séjour à Londres.
Mais, dans son ensemble, la pensée du groupe est à la fois reductive et
moins figée. Leur critique de tout système fondé sur une morale de
l'intérêt, bien entendu ou non, est accompagnée d'une tentative de dres
ser un système de valeurs dans lequel raison et sentiment seront harmon
isés. Et son aboutissement n'est pas le texte de Constant mais le remar
quable chapitre sur l'amour de la liberté à la fin des Considérations sur
la Révolution française de Mme de Staël. Enfin, cette critique est surtout
dirigée contre le système qui leur semble illustrer tous les excès et méf
aits de la morale de l'intérêt, le système impérial.
Nous avons donc affaire à une pensée qui se formule en termes de
son opposition à ce qu'elle condamne. Elle 

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