Shen Gua (1031-1095) et les sciences - article ; n°4 ; vol.42, pg 333-351
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Revue d'histoire des sciences - Année 1989 - Volume 42 - Numéro 4 - Pages 333-351
Résumé. — Shen Gua (1031-1095) est l'auteur d'un célèbre recueil de notes abordant des sujets extrêmement variés. La plupart des historiens actuels des sciences chinoises le considèrent comme le plus grand « homme de science » du Moyen Age. Pourtant^ avant le xxe siècle, en Chine même, on rattachait généralement Shen Gua à la littérature plutôt qu'à la science. Quelle est la signification d'un changement de point de vue aussi radical et quelle est la véritable nature de l'œuvre de Shen Gua ? Nous tentons d'esquisser les réponses à de telles questions en examinant à la fois l'arrière-plan historiographique des sciences chinoises et l'œuvre de Shen Gua telle qu'elle se présente dans son contexte historique.
Summary. — Shen Gua (1031-1095) is the author of a famous collection of notes which treat a great variety of subjects. Most modern historians of Chinese science consider him to have been the greatest Chinese « scientist » of the Middle Ages. However, before the twentieth century, Shen Gua was regarded, even in China, as an outstanding literary scholar, not a man of science. What is the significance of such a radical change of viewpoint, and what is the true nature of Shen Gua's works ? We try to outline answers to such questions by examining both the historio graphical background of Chinese science and Shen Gua's works as they appear in their historical context.
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M Joël Brenier
MME Colette Dieny
M Jean Claude Martzloff
Wladislaw de Wieclawik
Shen Gua (1031-1095) et les sciences
In: Revue d'histoire des sciences. 1989, Tome 42 n°4. pp. 333-351.
Résumé
Résumé. — Shen Gua (1031-1095) est l'auteur d'un célèbre recueil de notes abordant des sujets extrêmement variés. La plupart
des historiens actuels des sciences chinoises le considèrent comme le plus grand « homme de science » du Moyen Age.
Pourtant^ avant le xxe siècle, en Chine même, on rattachait généralement Shen Gua à la littérature plutôt qu'à la science. Quelle
est la signification d'un changement de point de vue aussi radical et quelle est la véritable nature de l'œuvre de Shen Gua ? Nous
tentons d'esquisser les réponses à de telles questions en examinant à la fois l'arrière-plan historiographique des sciences
chinoises et l'œuvre de Shen Gua telle qu'elle se présente dans son contexte historique.
Abstract
Summary. — Shen Gua (1031-1095) is the author of a famous collection of notes which treat a great variety of subjects. Most
modern historians of Chinese science consider him to have been the greatest Chinese « scientist » of the Middle Ages. However,
before the twentieth century, Shen Gua was regarded, even in China, as an outstanding literary scholar, not a man of science.
What is the significance of such a radical change of viewpoint, and what is the true nature of Shen Gua's works ? We try to
outline answers to such questions by examining both the historio graphical background of Chinese science and Shen Gua's
works as they appear in their historical context.
Citer ce document / Cite this document :
Brenier Joël, Dieny Colette, Martzloff Jean Claude, de Wieclawik Wladislaw. Shen Gua (1031-1095) et les sciences. In: Revue
d'histoire des sciences. 1989, Tome 42 n°4. pp. 333-351.
doi : 10.3406/rhs.1989.4495
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1989_num_42_4_4495Shen Gua (1031-1095)
et les sciences
RÉSUMÉ. — Shen Gua (1031-1095) est l'auteur d'un célèbre recueil de notes
abordant des sujets extrêmement variés. La plupart des historiens actuels des
sciences chinoises le considèrent comme le plus grand « homme de science » du
Moyen Age. Pourtant^ avant le xxe siècle, en Chine même, on rattachait généra
lement Shen Gua à la littérature plutôt qu'à la science. Quelle est la signification
d'un changement de point de vue aussi radical et quelle est la véritable nature de
l'œuvre de Shen Gua ? Nous tentons d'esquisser les réponses à de telles questions
en examinant à la fois l'arrière-plan historiographique des sciences chinoises et
l'œuvre de Shen Gua telle qu'elle se présente dans son contexte historique.
SUMMARY. — Shen Gua (1031-1095) is the author of a famous collection of
notes which treat a great variety of subjects. Most modern historians of Chinese science
consider him to have been the greatest Chinese « scientist » of the Middle Ages.
However, before the twentieth century, Shen Gua was regarded, even in China, as an
outstanding literary scholar, not a man of science. What is the significance of such
a radical change of viewpoint, and what is the true nature of Shen Gua's works ?
We try to outline answers to such questions by examining both the historio graphical
background of Chinese science and Shen Gua's works as they appear in their historical
context.
Au panthéon des grands savants de l'humanité célébrés en
raison de l'importance réelle ou supposée de leurs découvertes
scientifiques figurent des personnages de toutes époques et de
toutes nationalités. Dans le cas de la Chine, c'est sur Shen Gua
(1031-1095) que depuis près de cent ans se focalisent les choix
des spécialistes de l'histoire des sciences chinoises. Tous s'accordent
généralement à considérer ce lettré fonctionnaire du xie siècle
ayant vécu sous la dynastie des Song du Nord comme l'un des plus
éminents et des plus représentatifs savants, créateurs et précurseurs
de la science chinoise et partant, mondiale i1).
i1) C'est ce qu'avait déjà noté D. Holzman en 1958. Cf. D. Holzman, Shen Kua
and his Meng-chH pi-tan, T'oung Pao, vol. 46 (1958), 260-292.
Rev. Hist. Sci., 1989, XLII/4 334 # Joël Brenier et al.
En 1926, un célèbre historien des mathématiques chinoises,
Mikami Yoshio (1875-1950), situe Shen Gua à la fois au-dessus
de Leibniz et de Lazare Carnot et le considère comme l'égal
d'Archytas de Tarente (2). Dans son œuvre fondamentale consacrée
à l'histoire des sciences chinoises — Science and Civilisation in
China (3) — Joseph Needham lui réserve une place considérable et,
en fonction des chapitres, le fait devenir tour à tour archéologue,
physicien, géographe, mathématicien, médecin, astronome, chi
miste, métallurgiste, météorologue et même paléontologue. En
Chine populaire, des centaines d'articles dithyrambiques élargissent
encore le champ des activités scientifiques de notre héros (4).
Enfin, dans le Dictionary of Scientific Biography (5) qui est comme
chacun sait un ouvrage prestigieux dont les notices ont été rédigées
par les plus grands spécialistes de l'histoire des sciences du moment,
il occupe plus de place qu'Archimède ou qu'Euclide et autant que
Newton ou Einstein (6).
Avant le xxe siècle, presque personne n'avait pourtant entendu
parler de lui en tant qu'homme de science. Les Chinois ne le consi
déraient toutefois pas comme un auteur de second plan : grâce à
ses nombreux ouvrages fréquemment réédités, ils connaissaient
bien son œuvre et appréciaient comme il convient ses immenses
mérites. Cependant, les raisons de la notoriété de ce Shen Gua
étaient alors surtout d'ordre littéraire et artistique et ne corre
spondaient que de très loin aux jugements que l'on porte maintenant
sur lui.
En fait, diverses sources historiques chinoises nous apprennent
que Shen Gua naquit en 1031 à Qiantang (l'actuel Hangzhou,
province du Zhejiang). Admis au doctorat en 1056, il fit carrière
dans l'administration impériale et mourut vers 1095. Les nombreux
(2) Cf. Mikami Yoshio, Zhongguo 8U.an.xue zhi tese (Les particularités des mathé
matiques chinoises) (Shanghai, 1928), 8-9. Il s'agit de la traduction chinoise d'un
article paru initialement dans le Togo Gakuhô, vol. 15, n° 4, et vol. 16, n° 1 (1926).
(8) Cambridge University Press (le premier volume est paru en 1955 mais l'œuvre
est encore en cours de rédaction).
(4) A titre d'exemples représentatifs de cette pcoduction, le lecteur pourra consulter :
Zhang Jiaju, Shen Gua (Shanghai, 1962), 259 p. ; Li Qun, Mengqi bilan xuandu (textes
choisis du Mengqi bilan) (Pékin, 1975), 198 p.
(5) Edité par Ch. Coulston Gillipsie en 16 vol. (New York : Scribner, 1970-1980).
Abrégé en DSB dans la suite de cet article.
(«) Voir l'article de Nathan Sivin paru dans le DSB, XII (New York, 1975), 369-
393. Shen Gua 335
postes auxquels il fut nommé l'amenèrent à beaucoup voyager
et à s'occuper de questions extrêmement variées : entretien de
canaux et de digues, assèchement de marécages, collation des
manuscrits de la Bibliothèque impériale, réorganisation du Bureau
d'Astronomie, affaires militaires et affaires étrangères (il fut
ambassadeur, notamment auprès des Kitans). Shen Gua fut donc
tout à la fois fonctionnaire-lettré, peintre et calligraphe, musicien,
astronome-calendériste, spécialiste de l'aménagement des canaux,
et même poète. Comme l'écrivent les Annales historiques de la
dynastie des Song (7) :
« II possédait un vaste savoir (boxue) et un excellent style (shanwen).
Qu'il s'agisse de « dessins du ciel » (lianwen = l'astronomie-astrologique),
de monographies locales (fangzhi), de tubes musicaux ou de calendrier,
de musique, de pharmacopée, de divination (bu) ou de calcul (suan),
il n'est rien qu'il ne possédât à fond. »
Cette description pourrait s'appliquer à bien d'autres que lui :
à l'époque médiévale, la non-spécialisation fut plutôt la règle
universellement vérifiée que l'exception. Mais Shen Gua se distingue
des autres lettrés en raison de l'intérêt soutenu qu'il portait aux
techniques. On sait d'ailleurs qu'il a composé une dizaine d'ouvrages
sur des sujets aussi divers que le calendrier, les éclipses, la constr

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