Un monstre sibérien dans l Encyclopédie et ailleurs : le Behemoth - article ; n°1 ; vol.17, pg 107-132
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Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie - Année 1994 - Volume 17 - Numéro 1 - Pages 107-132
Michel Mervaud : The Behemoth, a Siberian Monster in the Encyclopédie and elsewhere.
A mysterious Siberian animal with ivory tusks haunts 18th-century travel accounts and imaginations. Authors hesitate as to the nature of the behemoth , which is also the subject of legends. Diderot echoes these uncertainties in a short Encyclopédie article, but he does not refer to the behemoth in the Book of Job. The link between this mythical animal and two real Siberian animals (the walrus or the mammoth) is not obvious, even if the mammoth is sometimes identified with the Biblical monster, frozen after the Flood. The use of the word « behemoth », which is perhaps metaphorical, is also a puzzle ; it cannot have come from the Russians as Slavonic Bibles do not use the word, and the Russian term begemot, which is relatively recent, designates neither the walrus nor the mammoth but the hippopotamus. It is perhaps only a figment of travellers' imaginations, but it is frequent enough to take on the myth and to become part of the history of mentalities.
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 81
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Michel Mervaud
Un monstre sibérien dans l'Encyclopédie et ailleurs : le
Behemoth
In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 17, 1994. pp. 107-132.
Abstract
Michel Mervaud : The Behemoth, a Siberian Monster in the Encyclopédie and elsewhere.
A mysterious Siberian animal with ivory tusks haunts 18th-century travel accounts and imaginations. Authors hesitate as to the
nature of the " behemoth ", which is also the subject of legends. Diderot echoes these uncertainties in a short Encyclopédie
article, but he does not refer to the behemoth in the Book of Job. The link between this mythical animal and two real Siberian
animals (the walrus or the mammoth) is not obvious, even if the mammoth is sometimes identified with the Biblical monster,
frozen after the Flood. The use of the word « behemoth », which is perhaps metaphorical, is also a puzzle ; it cannot have come
from the Russians as Slavonic Bibles do not use the word, and the Russian term begemot, which is relatively recent, designates
neither the walrus nor the mammoth but the hippopotamus. It is perhaps only a figment of travellers' imaginations, but it is
frequent enough to take on the myth and to become part of the history of mentalities.
Citer ce document / Cite this document :
Mervaud Michel. Un monstre sibérien dans l'Encyclopédie et ailleurs : le Behemoth. In: Recherches sur Diderot et sur
l'Encyclopédie, numéro 17, 1994. pp. 107-132.
doi : 10.3406/rde.1994.1271
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rde_0769-0886_1994_num_17_1_1271Michel MERVAUD
Un monstre sibérien
dans V Encyclopédie, et ailleurs :
Le Behemoth
sont dans ont été un souvent Les grand trompés pu relations venues certains (Jaucourt, aisément ignorans nombre ces eux-mêmes des pays... fables, article tromper voyageurs & de presque fables. qui fable, [. . les .] placent ont C'est Ces autres, toujours Enc. encore sortes de des , là après VI, menteurs monstres que introduit de 342b) avoir nous gens
Dans le 1. 1 de V Encyclopédie , paru en 1751, on lit, non sans surprise,
ce court article de Diderot :
* behemoth, {Hist. nat.) c'est le nom que l'on a donné a l'animal, auquel
on prétend qu'ont appartenu les os qui se trouvent en Russie & d'autres
contrées, sur- tout du Nord ; ses dents sont d'un ivoire plus beau que
celui qui vient des Indes. Les Turcs & les Persans en font des manches de
poignards & des poignées de sabre, qu'ils estiment autant que si elles
étaient d'argent (II, 192 a).
On pourrait d'abord penser que ce «béhémoth» est un animal
fabuleux, comme Y Encyclopédie en décrit un certain nombre : le basilic,
le dragon, le griffon, la licorne, le Léviathan. Les auteurs, Daubenton
ou Jaucourt, insistent sur le ridicule de ces croyances.
Mais le petit article de Diderot, quoique assorti d'un léger doute
(l'animal «auquel on prétend qu'ont appartenu les os...»), n'est pas
une entreprise de démythification. Il laisse supposer plutôt que l'animal
est bien réel : ses dents sont d'un ivoire plus beau que celui des Indes ;
les Turcs et les Persans en font des manches de poignards et des poignées
de sabres.
Recherches sur Diderot et sur V Encyclopédie, 17, octobre 1994 MICHEL MERVAUD 108
De quel animal s'agit-il donc ? D'un animal vivant ou d'un fossile ?
Et pourquoi ce nom de « béhémoth » ?
La référence biblique semble évidente. Toutefois, l'animal évoqué
ici est bien distinct du monstre décrit dans le livre de Job, XL, 15-24. Le
Béhémoth de la Bible fait d'ailleurs l'objet d'un article de l'abbé Mallet
qui précède immédiatement celui de Diderot : les allégories des « docteurs
talmudistes» sur cet animal y sont qualifiées de «conte» (II, 191b et
192a). Deux autres articles, dans V Encyclopédie , contiennent des
passages sur ce monstre de la Bible : l'article hippopotame, où le
chevalier de Jaucourt propose quelques réflexions sur la nature du
Béhémoth (VIII, 218b), et l'article messie, où Polier de Bottens fait
état des «rêveries talmudiques» sur cet animal (X, 404).
Si le béhémoth dont parle Diderot fait songer au monstre du livre
de Job, l'article qu'il lui consacre, on l'a remarqué, n'y fait aucune
allusion. Le rapport, probable, entre les deux animaux, n'est pas expli
cité. Les peuples du Nord, en présence d'un mystérieux animal aux
défenses d'ivoire, ont-ils cru avoir affaire au Béhémoth de la Bible ? La
question, on le verra, n'est pas si simple.
On trouve, semble-t-il, la première mention de cet énigmatique
béhémoth dans un passage des Voyages en divers États d'Europe et
d'Asie que le père Philippe Avril avait fait paraître à Paris en 1692. Jésuite
parti de France à la fin de 1684 pour tenter de se rendre en Chine
en passant par la Sibérie, le père Avril avait séjourné deux fois en
«Moscovie». Il était sans doute le premier Français à s'être soigneuse
ment documenté sur la Sibérie, alors inconnue. Il n'eut pas l'autorisation
de la traverser, mais il la décrit minutieusement. Et, parmi de nombreux
renseignements dignes d'intérêt et d'hypothèses pertinentes, voilà que
se glisse sous sa plume l'information qui fait rêver :
... ils [les Moscovites] ont découvert une espèce d'yvoire qui est beaucoup
plus blanc & plus poli que celui qui nous vient des Indes. Ce ne sont
point les Elephans qui le leur fournissent (les Pais Septentrionaux étans
trop froids pour cette espèce d'animaux qui aiment naturellement la
chaleur) mais d'autres animaux Amphibies, à qui on donne le nom de
Behemot, qu'on trouve ordinairement dans le fleuve Lena, ou sur les
rivages de la Mer de Tartarie 1 .
Et voici les preuves de son existence, dans ce passage auquel
l'article de Diderot semble faire écho :
1. P. Philippe Avril, Voyage en divers États d'Europe et d'Asie..., Paris, 1692,
pp. 208-209. On lit dans la marge de la p. 209 : « Yvoire d'une espèce extraordinaire que
fournit un animal amphibie, nommé Behemot ». Sur le P. Avril et son périple en Orient et
en Russie, voir M, Mervaud et J.-Cl. Roberti, Une infinie brutalité. L'image de la Russie
dans la France des xvf et xvif siècles, Institut d'Études slaves, Paris, 1991, pp. 25-34. UN MONSTRE DANS L ENCYCLOPÉDIE : LE BEHEMOTH 109
On nous montra à Moskou plusieurs dents de ce monstre, qui avoient
encore dix pouces de longueur, & deux de diamètre à la racine [...] Les
Persans & les Turcs à qui on les vend, en font un si grand cas, qu'ils
préfèrent un sabre ou un poignard emmanchez de ce précieux yvoire,
aux autres qui auroient la poignée d'or ou d'argent massif2.
Ces dents, assure le père Avril, ont plusieurs propriétés, parmi
lesquelles «celle d'arrêter le sang quand on les tient sur soy »3. Quant à
l'animal lui-même, il n'est «ni moins grand ni moins dangereux que le
crocodile» (p. 210).
John Perry, en 1717, signale également l'existence de ce mystérieux
animal sibérien : « On en apporte aussi [de Sibérie] une espèce d'ivoire,
qui est la dent d'un animal amphibie appellée Behemot... »4.
Le fait est si peu mis en doute, au cours du xvme siècle, que V Encyc
lopédie, dans son Supplément de 1776, le rapporte encore à l'article
Asie septentrionale. Le géographe Engel, auteur de ce grand article,
s'y réfère même explicitement au récit de voyage du père Avril :
Le P. Avril a appris d'un vaivode5, que les habitans, vers le Kowima,
alloient souvent sur les bords de la mer Glaciale à la chasse du behemot
ou cheval marin6, pour en avoir les dents7.
Cet animal amphibie, monstrueux, vivant dans les fleuves et les
mers du grand Nord, ne peut être que le morse. Le mot, d'origine lapone,
est attesté en français dès le milieu du XVIe siècle, mais ignoré des
dictionnaires jusqu'au XVIIIe. L' Encyclopédie en parle à l'article vache
marine ou bête A la grand-Dent. Buffon, en reprenant ce nom de
vache marine, «sous lequel il est le plus généralement connu», observe
qu'il vaudrait mieux l'appeler «éléphant de mer»8. Sa taille est en
2. Ph. Avril, o.c, p. 209.
3. Ibid. Dans l'article hippopotame, Jaucourt s'élève contre la fable selon laquelle
les dents de cet animal arrêteraient le sang. On verra plus loin que le béhémoth de la Bible
est souvent identifié &

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