Un Moyen Âge sans censure ? Réponse à Alain Boureau - article ; n°3 ; vol.57, pg 733-743
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Description

Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 2002 - Volume 57 - Numéro 3 - Pages 733-743
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 36
Langue Français

Extrait

Luca Bianchi
Un Moyen Âge sans censure ? Réponse à Alain Boureau
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N. 3, 2002. pp. 733-743.
Citer ce document / Cite this document :
Bianchi Luca. Un Moyen Âge sans censure ? Réponse à Alain Boureau. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N.
3, 2002. pp. 733-743.
doi : 10.3406/ahess.2002.280071
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2002_num_57_3_280071Un Moyen Âge sans censure?
Réponse à Alain Boureau
Luc a Bianchi
II est notoire que les historiens et notamment les médiévistes français ont donné
une contribution décisive à l'affirmation d'une « nouvelle histoire » caractérisée
aussi bien par le renouveau des méthodes que par l'élargissement du domaine de la
discipline et la prise en compte de nouveaux objets. Croyances, mythes, mentalités,
sentiments, rêves, gestes, comportements : rien n'échappe plus à une recherche
historique qui a profondément transformé ses critères ontologiques et ses principes
herméneutiques. Il est toutefois un phénomène qui serait, de fait et de droit,
inaccessible à l'historien: la censure dans les universités médiévales. En effet,
dans sa note critique à propos des livres sur les limites de la liberté intellectuelle
à Paris aux XIIIe et XIVe siècles récemment publiés par Johannes M. M. Hans Thijs-
sen et moi-même1, Alain Boureau ne s'est pas contenté de soutenir que la censure
À propos de l'article d'ALAlN Boureau, « La censure dans les universités médiévales »
(note critique), Annales HSS, 55-2, 2000, pp. 313-323. Le texte ici publié est celui,
légèrement mis à jour, de mon intervention à la table ronde « Censure, facteur de
progrès ou entrave à la liberté de pensée ? », organisée par la chaire de Philosophie
médiévale de l'université de Fribourg (Suisse) le 24 novembre 2000, avec la partici
pation d'Alain Boureau, Ruedi Imbach et Silvain Piron. La forme orale de mon intervent
ion a été conservée.
1 -Johannes M. M. H. Thijssen, Censure and Heresy at the University of Paris, 1200-1378,
Philadelphie, University of Pensylvania Press, 1998 ; Luca Bianchi, Censure et liberté
intellectuelle à Г Université de Paris (xill'-xive siècles), Paris, Les Belles Lettres, 1999. Dans
toutes les citations les italiques sont de moi. ' " "
Annales HSS, mai-juin 2002, n°3,pp. 733-743. LUCA BIANCHI
fut un phénomène sans grande importance dont les effets «furent faibles2». En
développant des considérations qu'il avait déjà proposées dans la conclusion de
son brillant essai sur les condamnations de Jean Peckham3, il a critiqué mon inter
prétation de certains épisodes, d'ailleurs marginaux dans l'organisation de mon
travail ; il a contesté aussi bien ma classification « typologique » visant à distinguer
les différentes formes de la censure que la méthode de Thijssen, fondée sur l'ana
lyse des procédures judiciaires ; il a mis en doute la possibilité même d'« envisager
un ouvrage de synthèse sur la censure médiévale » ; et il a précisé que, si ce projet
est irréalisable, « cela ne tient pas au talent des auteurs, mais à la construction de la
censure comme objet historique autonome, qui induit la recherche d'un agent et d'un
patient. Il est évident que l'historien ne peut pas vider le mot "censure" de toute
sa charge morale. Dès lors, il ne peut guère se conduire qu'en procureur ou en avocat. »
II s'ensuit qu'en travaillant précisément pour réaliser ce projet (auquel ont
apporté leur contribution, pendant ces dernières décennies, des médiévistes tels
que Mary Me Laughlin, William Gourtenay et Alain de Libéra4), nous aurions mis
en scène, sans nous en apercevoir, un procès contre les censeurs aussi anachronique
qu'inutile. H. Thijssen aurait joué dans ce procès le rôle de l'« avocat», convenant
à sa « mollesse culturaliste » d'inspiration « relativisté et historiciste » ; à cause de
mon prétendu «anticléricalisme», je serais en revanche le «procureur5». Je ne
souhaite pas m'arrêter sur l'utilisation de semblables étiquettes, qui ne me paraît
pas heureuse. Le seul point qui mérite d'être relevé est l'affirmation que toute
enquête historique sur la censure pendant le Moyen Âge tardif est vouée, en tant
que telle, à l'échec: «L'évaluation globale de la censure de l'Eglise est, encore
aujourd'hui, un piège historiographique. On ne peut échapper à l'aporie de la
bouteille demi-vide ou demi-pleine. Seules des considérations idéologiques peuvent
faire prendre l'Église comme une bonne fille ou comme une marâtre6. »
II serait risqué de s'aventurer, ici, sur le terrain de l'épistémologie de l'his
toire. Il me semble toutefois que tout objet historique est le produit d'une
« construction » faite par l'historien sur la base d'une documentation qui ne consti
tue un domaine de recherche « autonome » que par suite de son travail. La législa
tion des universités et des ordres religieux, d'innombrables actes de procès et de
condamnations, les « mémoires justificatifs » des maîtres soumis à enquêtes, des
dizaines de manuscrits expurgés, coupés, raturés ou effacés sont là pour montrer
que la censure universitaire à la fin du Moyen Âge n'est pas une invention des
« anticléricaux» mais un phénomène réel. Or, s'il est licite d'exploiter les sources
2 -A. Boureau, « La censure... », art. cit., p. 321.
3 - Alain Théologie, science et censure au хше siècle. Le cas de Jean Peckham, Paris,
Les Belles Lettres, 1999, pp. 335-338.
4 - Cf. Mary Me Laughlin, Intellectual Freedom and its Limitations in the University of
Paris in the Thirteenth and Fourteenth Century, New York, Arno Press, 1977 ; William
Courtenay, « Inquiry and Inquisition: Academic Freedom in Medieval Universities »,
Church History, 58, 1989, pp. 168-181 ; Alain de Libéra, Penser au Moyen Âge, Paris, Le
Seuil, 1991.
5 -A. Boureau, «La censure...», art. cit., p. 323.
6- Ibid., p. 321. UNIVERSITÉ ET CENSURE
les plus hétérogènes pour faire l'histoire d'objets dont l'existence semble moins
évidente (mentalités, mythes, rêves, etc.), je n'arrive pas à comprendre pour quelle
raison on ne pourrait pas rassembler et analyser les documents relatifs aux intervent
ions de la censure pour répondre à la question fondamentale des limites de la
liberté intellectuelle dans les milieux académiques. Je tiens d'ailleurs à souligner
que ces documents forment un corpus assez unitaire, en bonne partie rassemblé
déjà au Moyen Âge : c'est en fait dès la fin du XIIIe siècle que l'Université de Paris
a soigneusement gardé (dans le Liber rectoris et les Libri nationunï) non seulement
ses statuts et ses privilèges mais aussi tous les règlements qui prescrivaient ce
qui pouvait ou non être enseigné, étudié, discuté ou affirmé7 ; c'est à la même
époque que remontent, comme nous le verrons plus loin, les premiers recueils
contenant les listes des articles condamnés par les autorités ecclésiastiques et
académiques8.
Il est donc possible que les ouvrages sur la censure intellectuelle soient
encore aujourd'hui conditionnés par leur « généalogie idéologique », c'est-à-dire
par les débats, qui remontent à la fin du XIXe siècle, entre historiographie catholique
et « historiographie réformée, puis laïque ou anticléricale ». C'est justement parce
que j'étais conscient de ce lourd héritage que j'ai énoncé dès l'introduction les
principes méthodologiques et les idées qui ont guidé mes recherches. Sans les dis
cuter, on me reproche de réitérer d'« antiques jugements de valeur9 ». Mais si toute
« évaluation globale de la censure » est nécessairement idéologique, l'affirmation
générale que ses « effets furent faibles » n'est-elle pas à son tour idéologique ? Et
si devant ce phénomène on ne peut « se conduire qu'en procureur ou en avocat »,
quel rôle mon savant critique a-t-il choisi pour lui ? On

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