Une danse siamoise: le manora - article ; n°2 ; vol.2, pg 55-77
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Description

Journal de la Société des océanistes - Année 1946 - Volume 2 - Numéro 2 - Pages 55-77
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1946
Nombre de lectures 6
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jeanne Cuisinier
Une danse siamoise: le manora
In: Journal de la Société des océanistes. Tome 2, 1946. pp. 55-77.
Citer ce document / Cite this document :
Cuisinier Jeanne. Une danse siamoise: le manora. In: Journal de la Société des océanistes. Tome 2, 1946. pp. 55-77.
doi : 10.3406/jso.1946.1520
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jso_0300-953X_1946_num_2_2_1520UNE DANSE «SIAMOISE :
LE MANORA
Signes magiques ! Dans combien de cas ne pourrait-on définir la danse
un ensemble de signes magiques ?
Avant de tracer dans l'espace des signes qui ont tous une valeur
d'expression et, parfois, d'exorcisme, avant de les tracer dans l'espace
avec ses membres et avec son corps, le danseur les trace sur son corps,
ou les fait tracer par le sorcier.
Et pourtant, il ne s'agit pas d'une danse magique; la danse siamoise
appelée manora n'est plus qu'un spectacle, mais un spectacle dans lequel
les liens primitifs avec la magie apparaissent avec évidence à l'obser
vateur tant soit peu attentif et patient. Patient, certes, il faut l'être, car
ce n'est pas après avoir assisté à quelques représentations qu'on pourra
soupçonner l'emploi de ces charmes; il faut une longue confiance pour
que le danseur avoue qu'il y recourt, une confiance plus longue encore
pour qu'il consente à révéler les signes secrets.
Le spectacle s'est éloigné, de sa forme initiale et les comparaisons avec
des danses analogues ne permettent qu'une reconstitution hypothétique.
Dans l'Inde d'autrefois, la quatrième partie de la bénédiction qui précé
dait toute représentation théâtrale comportait un temps consacré à des
siner des lignes sur le corps des acteurs avec des onguents et des par
fums. Dans le théâtre moderne du Bengale, on retrouve cette bénédiction
préliminaire chantée en chœur par la troupe et l'auteur (1) ; dans le spec
tacle de manora, une cérémonie d'ouverture de la scène rappelle ce rite
pieux sans en être tout à fait l'équivalent. '
Les danses modernes de l'Inde ont conservé quelques-uns des carac
tères des danses anciennes, en ont perdu beaucoup d'autres; mais la
tradition de ces danses s'était répandue, bien au delà des frontières
indiennes, et s'est maintenue, parfois même avec plus de pureté qu'en son
(1) Sylvain Lévi, Le théâtre indien. SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES. 56
berceau originel, dans plusieurs pays avoisinants. Ce n'est pas pourtant
que Ceylan, Java, le Cambodge, le Laos, le Siam et la Birmanie n'aient
introduit dès le début, des éléments originaux dans le cadre primitif du
théâtre indien; on peut même se demander si l'Inde ancienne n'a pas
puisé d'abord aux fonds indigènes (au fond indonésien surtout) avant
de restituer ces emprunts, assimilés, fondus et magnifiés, dans une civi
lisation déjà rayonnante. #
Mais cet article n'a d'autre but que de présenter au public une danse
siamoise moins connue que les grands ballets, et qui, au dire de certains,
leur aurait donné naissance. Ce spectacle, le manora, est exécute dans
les provinces du Sud du Siam, ainsi que dans les États Malais du Nord,
par des troupes siamoises. Ces troupes sont recrutées parmi la population
restée dans ces pays (Kedah, Perlis et Kelantan) après qu'ils furent
passés de la suzeraineté du Siam sous le protectorat britannique. Il ne
s'agit plus d'un spectacle purement siamois; par exemple, les chants
précédant ou accompagnant les danses sont chantés en siamois, mais les
scènes de comédie juxtaposées à l'ensemble chorégraphique sont jouées
en malais. Et l'on ne pourrait guère présenter le manora siamois en
l'isolant des danses non siamoises qui, par quelques caractères internes
plus ou moins visibles, lui sont apparentées.
Nous ne rappellerons qu'en passant l'apport hindou et les divers chan
gements qu'il a subi suivant les pays, car aucun n'a copié servilement ;
tous ont adapté ou réadapté aux tendances et aux goûts particuliers de
leurs peuples, par des détails importants ou minimes, les thèmes repré-
centés ; tous ont modifié ou recréé l'orchestre et les costumes. Une origine
commune a donné naissance ainsi à des formes très diverses : au Camb
odge, la danse est exécutée par des femmes; au Siam, il y a des danses
réservées aux femmes, d'autres réservées aux hommes (le manora appart
ient à cette dernière catégorie); là où l'élément comique s'est mêlé à
la danse, les représentations sont données par des hommes et des femmes
(comme le ma'yong des Malais et certaines parades cambodgiennes étran
gères aux ballets classiques). Mais jamais le caractère rituel n'a disparu
complètement, même lorsque la partie comique s'est largement déve
loppée, et ce caractère rituel commémore d'une façon souvent altérée,
les débuts merveilleux de la danse.
De même, en effet, que l'Inde assignait au théâtre une origine divine,
les différentes contrées qui continuent sa tradition voient dans les pie-
miers danseurs des êtres miraculeux qui ont reçu des dieux la révélation
et les règles de leur art. Mais chacune l'exprime par des mythes dif
férents. Et n'est-ce pas aussi une caractéristique des danses du Pacifique
que de représenter les grands mythes ? LE MANORÀ. 57
Qu'on ne s'étonne pas de l'alternance des termes danse et théâtre ;
sans être synonymes, ils peuvent être substitués l'un à l'autre dans bien
des cas, car les deux arts, de l'Inde à la Chine, sont intimement mêlés,
presque confondus.
Ainsi les exécutants de manora sont à la fois danseurs, acteurs, acro
bates, et de plus, héritiers d'un Khru (1) légendaire et miraculeux, Pho
Thep Sing Hon. Sa légende vaut d'être contée, car elle rejoint la légende
de l'origine de la danse. Je la rapporte ici, telle qu'elle me fut dite par
un danseur siamois, m'efforçant de garder la naïveté de son récit dans
les lignes qui suivent et qui n'en sont que la libre traduction.
Dans les temps très anciens, il y eut, perdu au milieu d'une tribu
d'éléphants, un petit garçon dont les parents étaient morts. Ce petit
garçon était très faible car il n'avait pas d'os ; il pouvait s'asseoir, dor
mir et manger, mais il ne pouvait ni marcher, ni se dresser et se tenir
debout. Son horoscope était obscur : oh n'y découvrit même pas quel
était son pays ; et il semblait qu'une malédiction pesât sur lui. Aussi
les éléphants, ayant construit un radeau, avaient décidé de déposer sur
ce radeau, le petit garçon avec douze espèces de pâtisseries pour qu'il
pût manger quand ils l'abandonneraient sur la mer.
Alors, ils lancèrent le radeau ; et peu de temps après, celui-ci s'échoua
sur la côte d'une grande île où venaient souvent les dieux et les déesses.
Une déesse, précisément, était venue ce jour-là ! Elle achevait de se
baigner quand elle aperçut le radeau ; elle prit le petit garçon, l'examina
et ordonna à une de ses suivantes d'élever l'orphelin. Mais avant de
remonter au ciel, cette déesse, Phra E, résolut de donner un squelette à
l'enfant pour que, pareil aux autres hommes, il%devînt vigoureux et
beau. Puis elle s'envola, le laissant avec la nourrice.
Dès qu'il sut marcher, il commença à faire des gestes très gracieux,
et bientôt, il dit à la nourrice : « 0, Mère (car il l'appelait mère) appre
nez-moi à danser. » Souvent, ils allaient tous les deux de Tune à l'autre
des quatre grandes pierres qui formaient comme un petit archipel à
côté de la grande île, et là, elle lui montrait toutes sortes de gestes, de
pas et de figures de danse qu'il refaisait après elle, et qui étaient de
plus en plus gracieux et de plus en plus sûrs à mesure que ses os se
fortifiaient.
(1) Khru du skt. guru, maître, ancêtre. SOCIÉTÉ DBS OCÉANISTES. 58
Douze années s'écoulèrent ; il était devenu très habile ; son nom était
Pho Thep Sing Hon; c'est lui qui fut le premier manora.
Un jour, comme Pho Thep Sing Hon dansait sur l'une des pie

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