Une lecture d anthropologie politique de la corruption au Maroc : fondement historique d une prise de liberté avec le droit - article ; n°161 ; vol.41, pg 23-47
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Une lecture d'anthropologie politique de la corruption au Maroc : fondement historique d'une prise de liberté avec le droit - article ; n°161 ; vol.41, pg 23-47

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Tiers-Monde - Année 2000 - Volume 41 - Numéro 161 - Pages 23-47
Le phénomène de la corruption ou celui de la lutte contre la corruption ne peuvent se comprendre que par rapport à un référentiel historique et culturel donné, dans un pays donné. Cet article présente l'actualité judiciaire du Maroc et la façon dont le pouvoir politique a traité la question de la corruption (à travers notamment la « campagne d'assainissement » des années 1995 et 1996) en faisant ce détour historique et anthropologique. L'imaginaire juridique et politique marocain qui permet de donner une signification à cet épisode est influencé par le droit communautaire des sociétés segmentaires, le droit musulman et le droit positif d'un régime autoritaire. À partir de là, on doit interpréter la « campagne d'assainissement » et ses suites non pas en termes techniques ou de moralisation de la vie publique, mais en termes de recentrage politique.
Béatrice HIBOU et Mohamed TOZY — The political anthropology of corruption in Morocco : The historical basis of liberties with the law. The phenomenon of corruption or the fight against it cannot be understood without historical or cultural references in any given country. This article presents judicial news in Morocco and the way the political authorities handle the problem (notably the «cleansing campaign» of 1995 and 1996), through historical and anthropological diversion. The Moroccan juridical and political imaginary lends substance to this episode through the influence of the customary laws of segmented societies, Islamic law and the positive laws of an authoritarian regime. As such, the « cleansing campaign » and its follow-ups should be interpreted not in terms of technical or moralizing of public life, but in terms of political re-centralizing.
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 478
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Béatrice Hibou
Mohamed Tozy
Une lecture d'anthropologie politique de la corruption au Maroc :
fondement historique d'une prise de liberté avec le droit
In: Tiers-Monde. 2000, tome 41 n°161. pp. 23-47.
Résumé
Le phénomène de la corruption ou celui de la lutte contre la corruption ne peuvent se comprendre que par rapport à un référentiel
historique et culturel donné, dans un pays donné. Cet article présente l'actualité judiciaire du Maroc et la façon dont le pouvoir
politique a traité la question de la corruption (à travers notamment la « campagne d'assainissement » des années 1995 et 1996)
en faisant ce détour historique et anthropologique. L'imaginaire juridique et politique marocain qui permet de donner une
signification à cet épisode est influencé par le droit communautaire des sociétés segmentaires, le droit musulman et le droit
positif d'un régime autoritaire. À partir de là, on doit interpréter la « campagne d'assainissement » et ses suites non pas en
termes techniques ou de moralisation de la vie publique, mais en termes de recentrage politique.
Abstract
Béatrice HIBOU et Mohamed TOZY — The political anthropology of corruption in Morocco : The historical basis of liberties with
the law. The phenomenon of corruption or the fight against it cannot be understood without historical or cultural references in any
given country. This article presents judicial news in Morocco and the way the political authorities handle the problem (notably the
«cleansing campaign» of 1995 and 1996), through historical and anthropological diversion. The Moroccan juridical and political
imaginary lends substance to this episode the influence of the customary laws of segmented societies, Islamic law and
the positive laws of an authoritarian regime. As such, the « cleansing campaign » and its follow-ups should be interpreted not in
terms of technical or moralizing of public life, but in terms of political re-centralizing.
Citer ce document / Cite this document :
Hibou Béatrice, Tozy Mohamed. Une lecture d'anthropologie politique de la corruption au Maroc : fondement historique d'une
prise de liberté avec le droit. In: Tiers-Monde. 2000, tome 41 n°161. pp. 23-47.
doi : 10.3406/tiers.2000.1049
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_1293-8882_2000_num_41_161_1049UNE LECTURE
D'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE
DE LA CORRUPTION AU MAROC:
FONDEMENT HISTORIQUE
D'UNE PRISE DE LIBERTÉ
AVEC LE DROIT
par Béatrice Hibou* et Mohamed Tozy**
Le phénomène de la corruption ou celui de la lutte contre la corrup
tion ne peuvent se comprendre que par rapport à un référentiel historique
et culturel donné, dans un pays donné. Cet article présente l'actualité
judiciaire du Maroc et la façon dont le pouvoir politique a traité la ques
tion de la corruption (à travers notamment la « campagne d'assai
nissement » des années 1995 et 1996) en faisant ce détour historique et
anthropologique. L'imaginaire juridique et politique marocain qui permet
de donner une signification à cet épisode est influencé par le droit
communautaire des sociétés segmentaires, le droit musulman et le
positif d'un régime autoritaire. À partir de là, on doit interpréter la
« campagne d'assainissement » et ses suites non pas en termes techniques
ou de moralisation de la vie publique, mais en termes de recentrage
politique.
Après avoir fait fortune dans le négoce « transsaharien » en tant
qu'intermédiaire entre les maisons lyonnaises et anglaises et les pays
d'Afrique noire, notre homme, l'un des pionniers industriels maroc
ains, s'est converti dans l'industrie de tissage et de transformation de
l'acier. Il a tout du capitaliste néerlandais : son puritanisme, son
amour du travail et surtout une exigence morale qui Га conduit, au
** * Professeur Chercheur à au l'Université cnrs en économie Hassan II politique, de Casablanca, associée anthropologue au CERi. et politologue.
Revue Tiers Monde, t. XLI, n° 161, janvier-mars 2000 24 Béatrice Hibou, Mohamed Tozy
soir de sa vie, à se tourner vers le hanbalisme1 et à devenir adepte de
l'islam wahabite2. Il a ainsi dépensé des centaines de millions de
dirhams pour construire un complexe religieux ; il a réglé minutieuse
ment le détail de ses funérailles et, contrairement à la tradition de la
bourgeoisie casablancaise et aux coutumes de l'islam populaire, il a
privé de festin les milliers de convives venus à ses obsèques. Notre
homme, qui a conduit jusqu'à sa mort ses affaires de main de fer, a
usé de tous les ressorts et techniques de la gestion locale, y compris la
corruption, pour activer des paiements qui tardaient à venir ou pour
prendre un marché serré. Pour justifier cette infraction à la règle rel
igieuse et morale, il a recours à la casuistique malikite3 qui se fonde sur
le principe du droit musulman (fikh) : celui-ci fait obligation aux
musulmans d'utiliser tous les moyens à leur disposition, y compris les
moyens illicites, pour repousser le « mal » (raf'adarar) . La corruption,
qu'il condamne moralement et religieusement, ne constitue alors que
de la légitime défense. Et il prend bien soin de circonscrire la liberté
qu'il prend avec la foi et la morale dans l'espace fermé des affaires. À
aucun moment il n'a pensé remettre en cause le système ni dénoncer ce
racket d'État. Sa morale s'arrête à ce niveau : faire correctement son
travail et ne donner que quand il est obligé.
Cette histoire est exemplaire en ce qu'elle souligne la dimension
amorale de la corruption4 : des hommes dont la moralité ne souffre
d'aucune contestation peuvent entretenir des relations avec les normes
sociales et religieuses en vigueur, relations qui peuvent être différem
ment appréciées selon les référentiels mobilisés. Le comportement de
notre grand homme d'affaires, quant à lui, est en osmose avec un réfé-
rentiel mobilisant plusieurs registres, qu'il importe d'analyser pour
mieux comprendre la signification actuelle de la « corruption » et de la
« lutte contre la corruption ».
1 . Hanbalisme : école juridique musulmane, caractérisée par une interprétation littérale du Coran ;
elle a constitué la référence des courants fondamentalistes de l'islam depuis la fin du XIXe siècle.
2. Wahabisme : courant de pensée fondamentaliste qui est né en Arabie Saoudite à la fin du
XIXe siècle ; la pensée wahabite est caractérisée par un certain rigorisme ; c'est l'idéologie actuelle de l'État
saoudien.
3. Malikite : école juridique musulmane, née à Médine au Ier siècle de l'islam ; elle est une des quatre
grandes écoles, à côté du hanbalisme, du hanafisme et du charisme ; c'est l'école officielle du Maroc actuel
(et, dans le temps, de l'Andalousie).
4. C'est par rapport à cette position que s'explique le décalage que relève Najib Bouderbala (dans
La lutte contre la corruption : le cas du Maroc, rapport intermédiaire, miméo, OCDE, février 1999, p. 10)
entre, d'une part, l'importance de la corruption dans la société estimée par les sondés dans un jugement
général et distancié et, d'autre part, les réponses à leur implication personnelle dans cette pratique. Dans
le premier cas, elle est reconnue comme massive, dans le second, elle est fortement minorée (57 % décla
rent n'avoir jamais fait usage de la corruption). lecture d'anthropologie politique de la corruption au Maroc 25 Une
UNE DÉFINITION HISTORIQUE
ET NON POSITIVISTE DU DROIT
L'exploration de ce référentiel nécessite, au préalable, d'expliciter
la conception du droit au cœur de notre analyse d'anthropologie poli
tique. Celle-ci se distancie à la fois de la conception positiviste qui
considère la loi comme l'expression de la volonté générale, et de la
conception fonctionnaliste qui l'identifie à toute règle de conduite.
Notre approche, quant à elle, nous conduit à considérer la loi comme
le point d'équilibre entre des enjeux antagoniques, autrement dit
comme une norme reflétant l'aboutissement d'un processus de négoc
iations. Cette norme ne peut, en effet, être considérée comme
l'expression d'une vérité éternelle ou d'une morale a-historique, à
l'instar des Dix Commandements. Elle reflète, en revanche, un équi
libre historique et circonstanciel1.
A

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