Vie de Trimalcion - article ; n°2 ; vol.16, pg 213-247
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1961 - Volume 16 - Numéro 2 - Pages 213-247
35 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 81
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Monsieur Paul Veyne
Vie de Trimalcion
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 16e année, N. 2, 1961. pp. 213-247.
Citer ce document / Cite this document :
Veyne Paul. Vie de Trimalcion. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 16e année, N. 2, 1961. pp. 213-247.
doi : 10.3406/ahess.1961.420704
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1961_num_16_2_420704ETUDES
Vie de Trimalcion
A Simone Solodiloff.
Toute imaginaire qu'elle est, cette vie mérite d'être prise au sérieux.
Nous allons tenter une expérience : considérer Trimalcion comme
un personnage réel et replacer sa biographie parmi les autres données
de l'époque. Le Satyricon apparaîtra alors comme profondément réaliste
et même typique ; c'est un excellent document d'histoire. Or on connaît
la thèse de Rostovtzev sur le caractère capitaliste de l'économie italienne
au Ier siècle de l'Empire et sur la montée d'une bourgeoisie. Thèse qui,
d'emblée, paraît suspecte ; elle sonne psychologiquement faux par rap
port à ce que nous atteignons le plus directement de la société romaine,
à savoir son climat moral. Ce que je voudrais montrer ici, c'est qu'en
tout cas la biographie de Trimalcion, que Rostovtzev cite en exemple,
est loin de confirmer sa théorie.
Vers le début du Ier siècle de notre ère, un petit esclave d'origine asia
tique (fils d'esclave, ou enfant trouvé sur le tas de fumier, ou encore
enfant vendu par ses parents) est amené à Rome ; il est acheté par un
grand seigneur et devient son homme de confiance. Son maître, en mour
ant, fait de lui le continuateur de sa fortune et de son nom. Alors notre
affranchi (nous sommes sous les temps néroniens) vend les biens-fonds
de son héritage et se lance dans les affaires, dans le grand commerce,
dans des spéculations de toute espèce. Mais, sitôt devenu riche, comme il
sait bien que seuls Yotium et la terre anoblissent, ce prétendu bourgeois
renonce à ses entreprises pour racheter des domaines et vivre désormais
en rentier du sol, comme un aristocrate. Seulement la société hiérarchisée
où il vit lui refuse le droit de renier son passé : Trimalcion se définit
désormais par un avenir bouché ; il reniera donc son passé en songe. Le
luxe tapageur qu'il étale à la fin de ses jours fera de lui, pour la postérité,
le type proverbial du parvenu. Le mot est bien impropre ; un parvenu
est effectivement arrivé, tandis que Trimalcion ne peut échapper à sa
caste ; il ne parviendra qu'à s'évader dans l'irréalité. La fin de sa vie a
un caractère onirique : un homme d'affaires romain est mort, pour ressus
citer sous les traits d'un aristocrate imaginaire.
213
Annales (16e année, mai-s-avril 1361, n° 2) 1 ANNALES
Ni un parvenu, ni un capitaliste, ni un bourgeois : ces catégories
anachroniques aboutissent à estomper ce que la réalité de l'époque
avait d'original. La vie de Trimalcion est caractéristique de cette réalité,
même quand Pétrone pousse le réalisme typique jusqu'à la caricature ;
Trimalcion résume ou reflète son temps, si on le replace dans le système
de possibilités et d'impossibilités à travers lequel il a dû se frayer son
chemin.
1. De l'esclave à l'affranchi.
« Je suis venu d'Asie que je n'étais pas plus haut que ce candélabre »,
dira Trimalcion sur ses vieux jours (Satyricon, 75,10) ; et il racontera
qu'il avait l'habitude de se toiser à un candélabre et de « se frotter les
lèvres avec de l'huile pour avoir plus vite du poil au bec ». Dans cet enfant
impatient de grandir, Trimalcion se reconnaît avec une complaisance
attendrie, il voit ici l'annonce de sa vocation et du « beau bout de che
min » (77,3) x qu'il fera dans le monde. Car notre homme n'est rien moins
qu'un médiocre ; s'il n'était vu avec le regard étrangement perspicace,
mais dédaigneux et amusé, de l'auteur incertain du Satyricon 2 (un grand
seigneur, à coup sûr), Trimalcion serait pour nous une de ces âmes « char
gées d'énergie jusqu'à la gueule », comme Baudelaire disait des héros
balzaciens. L'art de gagner de l'argent, le génie des affaires, semblera
devenir un moment sa raison d'être. Dans cette vocation individuelle,
on voit poindre l'éthique d'une classe nouvelle, qui n'a pas eu l'occasion
de se développer ; elle la retrouvera un millénaire plus tard .
Mais d'où sort-il, ce petit esclave qui devait aller si loin ? Transporté
d'Asie à Rome, il est mis en vente au marché, une pancarte autour du
cou (29,3). Comment est-il tombé en esclavage, et quels souvenirs a-t-il
gardé de ses parents, de sa patrie ? Dans le récit qu'il fait de sa vie, il
n'en dit rien et ne semble pas s'y intéresser. La transplantation doit être
pour beaucoup dans cette perte de mémoire. Il y a là quelque chose de
très vrai, qui a été souvent observé, au siècle dernier, chez les JNoirs
transportés en Amérique ; déracinée du présent, l'Afrique devenait
rapidement pour eux un souvenir mort ; la destruction de leur passé
faisait d'eux des atomes sans personnalité sociale, prêts à une nouvelle
existence 3. En outre on verra qu'un ambitieux comme Trimalcion avait
plus de raisons que d'autres de se désintéresser de ses origines.
1. Ces chiffres entre parenthèses — et ceux qui suivront — renvoient au Satyricon.
2. Pétrone vient d'être identifié avec T. Petronius Niger, consul suffect vers 62,
connu depuis 1946 grâce à une tablette d'Herculanum (Pugliese Carratelli, Parola
del Passato,3, 1946, 381) : R. Syme, Tacitus, Oxford, 1958, t. I, p. 387, n. 6 et t. II,
p. 538, n. 6.
3. Fr. Frazier, The Negro in-the United States, New York, 1949, ch. I.
214 VIE DE TRIMALGION
Cependant, malgré son silence, on peut conjecturer comment il est
tombé en esclavage. Ecartons tout d'abord le poncif de l'esclave prison
nier de guerre et l'hypothèse de la traite le long des frontières de l'Emp
ire 1 ; Trimalcion, que son maître versera dans la famïlia urbana, n'est
pas un Barbare bon seulement pour les travaux des champs, il est origi
naire d'une vieille province intérieure de l'Empire. Ecartons également
l'hypothèse qu'il est esclave de naissance, fils d'esclave ; il serait proba
blement resté dans la maison de son premier maître (les vernae étaient
naturellement les esclaves pour qui on avait le plus d'affection et ils fai
saient en quelque sorte partie de la famille). Reste la dernière source de
l'esclavage, la misère : adultes se vendant comme esclaves, enfants aban
donnés, enfants vendus par leurs parents. Trimalcion a dû être trouvé
ou acheté par un trafiquant d'esclaves % qui a revendu ce petit Asiatique
sur le marché de Rome. Sous l'Empire, avec la fin des grandes conquêtes
et l'établissement de la paix romaine, il faut bien supposer que le recru
tement des esclaves était intérieur plus souvent qu'extérieur ; outre
l'auto-reproduction, il était dû à la pression économique et démograp
hique, bien plus qu'à la violence, aux guerres, au brigandage. En parti
culier, on peut attribuer, je crois, une grosse importance à une pratique
bien attestée à d'autres époques, les ventes d'enfants 3 ; malgré le quasi-
silence de nos sources, qui ne s'intéressent guère à ce genre de réalités, il
est légitime d'en postuler l'existence. L'esclavage, sous l'Empire, ne
répond plus seulement à un besoin de main-d'œuvre ; c'était aussi le
déversoir où allait le trop-plein de la société.
Acheté par un haut personnage (que Pétrone a baptisé С Pomjjeius,
pour « faire » vieille noblesse, comme les Iéna de Proust font noblesse
d'Empire), voilà Trimalcion dans la familia urbana. Et non aux champs,
d'où il n'aurait eu à peu près aucune chance de sortir ; mais on ne faisait
pas les frais d'un esclave asiatique pour l'envoyer ensuite travailler la
terre. Trimalcion demeurera donc dans la domesticité de son maître. Le
climat dans lequel vivait une familia urbana n'était pas précisément
celui d'une lutte du maître et de l'esclave. Les souvenirs qu'égrènent les

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